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Éléments d’analyse de la loi Macron
Si la loi Macron est adoptée par le sénat, comme on peut le craindre, ce sera la fin du droit du travail en France. On propose ici quelques points de repère pour comprendre, pour argumenter et pour lutter.
1) Qu’est-ce que le droit du travail ?
Dans un article publié sur son blog, Richard Abauzit, ancien inspecteur du travail, rappelle que « le droit du travail repose sur la réalité de l’exploitation des travailleurs qui, en langage juridique est nommée "subordination". Le salarié est aux ordres, soumis à son employeur pour son embauche, son contrat, l’exécution de son contrat et son licenciement. L’exact contraire du droit civil dans lequel les deux parties sont à égalité. Il a donc été ajouté dans le code civil actuel que les contrats de travail étaient exclus de ce droit entre égaux, le code du travail servant précisément à limiter pour partie l’arbitraire patronal. » (Source : http://blogs.mediapart.fr/blog/richard-abauzit/181214/projet-macron-en-route-pour-lesclavage)
Le droit du travail est une protection partielle et sans doute encore insuffisante pour celles et ceux qui sont soumis-e-s à cet arbitraire patronal. C’est ce fragile rempart, construit dans les luttes, que la loi Macron veut démolir aujourd’hui.
2) Que dit exactement la loi Macron ?
Pour comprendre en quoi cette loi met fin au droit du travail tel qu’il existait jusqu’ici, il faut aller chercher l’article 83 (p. 223 dans la version PDF ci-jointe). Voici ce que l’on peut y lire :
« II. – L’article 24 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative est abrogé.
III. – Le code civil est ainsi modifié :
1° Le second alinéa de l’article 2064 du code civil est supprimé.
2° L’article 2066 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
"Le deuxième alinéa n’est pas applicable aux litiges en matière prud’homale." »
(Source : http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta-pdf/2498-art_49-3.pdf)
3) Que veut dire cet article 83, en apparence très « technique » ?
Pour comprendre cet article, il faut aller lire les trois dispositions qu’il modifie :
- D’abord, l’article 24 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995, que la loi Macron veut supprimer, dit la chose suivante :
- « Les dispositions des articles 21 à 21-5 [de cette même loi du 8 février 1995] ne s'appliquent à la médiation conventionnelle intervenant dans les différends qui s'élèvent à l'occasion d'un contrat de travail que lorsque ces différends sont transfrontaliers. »
- Qu’est-ce qu’un « différend transfrontalier » ? Selon ce même article 24 de la loi du 8 février 1995, c’est un différend « dans lequel, à la date où il est recouru à la médiation, une des parties au moins est domiciliée ou a sa résidence habituelle dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France et une autre partie au moins est domiciliée ou a sa résidence habituelle en France. » Autrement dit, en abrogeant cet article 24 de la loi du 8 février 1995, la loi Macron décide que les médiations conventionnelles relatives à un contrat de travail ne seront plus réservées aux seuls différends transfrontaliers, comme c’était le cas jusque-là.
- Qu’est-ce qu’une médiation conventionnelle ? Comme le suggère la lecture de l’article 24, pour le savoir, il faut aller voir les articles 21 à 21-5 de cette même loi du 8 février 1995. Voici ce que dit l’article 21 : « La médiation régie par le présent chapitre s'entend de tout processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige. »
- Qu’est-ce que ça signifie ? Que l’autorisation de déroger aux dispositions collectives encadrant les conditions de travail n’est plus une exception réservée aux « différends transfrontaliers » : le processus de médiation « à l’amiable » va désormais pouvoir être utilisé par un employeur pour faire plier ses employé-e-s dans TOUT conflit relatif à un contrat de travail, sans exception.
- Ensuite, l’article 2064 du code civil, que la loi Macron va modifier, affirme ceci :
- « [Alinéa 1] Toute personne, assistée de son avocat, peut conclure une convention de procédure participative sur les droits dont elle a la libre disposition, sous réserve des dispositions de l'article 2067.
[Alinéa 2 (supprimé par la loi Macron)] Toutefois, aucune convention ne peut être conclue à l'effet de résoudre les différends qui s'élèvent à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. »
- Qu’est-ce qu’une « convention de procédure participative » ? Cette procédure a été instaurée en 2010 et est entrée en vigueur en 2012 dans le droit civil français. Selon l’article 2062 du code civil : « La convention de procédure participative est une convention par laquelle les parties à un différend qui n'a pas encore donné lieu à la saisine d'un juge ou d'un arbitre s'engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend. » Voici comment l’ordre des avocats de Paris la présentait en 2012 : « la convention de procédure participative est inspirée du droit collaboratif anglo-saxon ; elle consiste en la conclusion d’une convention entre les parties à un conflit et leurs avocats, en vue de rechercher, ensemble, une solution constructive dans une démarche de discussion ». (Source : http://www.avocatparis.org)
- Comme le rappelait Gérard Filoche dans Le Monde (section « Economie », 14 janvier 2015), le contenu de cette convention, conclue pour une durée déterminée, est fixé par l’article 2063 du code civil. Selon cet article 2063 : « La convention de procédure participative est, à peine de nullité, contenue dans un écrit qui précise : son terme ; l’objet du différend ; les pièces et informations nécessaires à la résolution du différend et les modalités de leur échange. » Commentaire de Gérard Filoche : « cela signifie qu’une fois la convention participative engagée, le recours aux prud’hommes est interdit ». En effet, l’article 2065 du code civil dit : « tant qu’elle est en cours, la convention de procédure participative rend irrecevable tout recours au juge pour qu’il statue sur le litige. Toutefois, l’inexécution de la convention par l’une des parties autorise une autre partie à saisir le juge pour qu’il statue sur le litige ». Toujours selon Filoche : « s’il y a accord sur la convention, les parties peuvent (article 2066) soumettre, si elles le veulent, l’accord à un juge. Lequel ? Car le même article 2066 supprimant la phase de conciliation, il y a peu de chances qu’il s’agisse des prud’hommes. »
- Avec l’adoption de la loi Macron, il devient donc possible de « résoudre » un litige portant sur un contrat de travail par une « convention de procédure participative », dans une démarche de « discussion ». Mais qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Qu’on va être sous pression pour signer ! Appliquée aux conflits du travail, cette convention ce sera en fait une mascarade d’accord, qui remplacera une procédure prud’homale. La signature de cet « accord » s’inscrira dans le cadre de la relation employeur-employé qui est une relation d’exploitation, totalement inégalitaire.
- Enfin, l’article 2066 du code civil, que la loi Macron va également modifier, dit :
- « [Alinéa 1] Les parties qui, au terme de la convention de procédure participative, parviennent à un accord réglant en tout ou partie leur différend peuvent soumettre cet accord à l'homologation du juge.
[Alinéa 2] Lorsque, faute de parvenir à un accord au terme de la convention, les parties soumettent leur litige au juge, elles sont dispensées de la conciliation ou de la médiation préalable le cas échéant prévue.
- La loi Macron ajoute donc ici un troisième alinéa, selon lequel "le deuxième alinéa n’est pas applicable aux litiges en matière prud’homale." Autrement dit, selon cette nouvelle disposition, un employeur et un employé qui ne sont pas parvenus à un accord conventionnel seront obligés d’entrer en « médiation » avant de soumettre leur litige au juge : dans ce cas, pas de dispense possible, il faudra donc passer par un tiers « médiateur »… avant de pouvoir porter le conflit en justice. Par qui sera désigné le tiers ? Comment garantir sa neutralité ? La loi ne répond pas à ces questions : là encore on peut craindre le pire.
4) En résumé : une déclaration de guerre qui ne dit pas son nom
Si cette loi passe définitivement, les fragiles protections dont pouvaient jusqu’à aujourd’hui bénéficier les travailleuses et les travailleurs vont voler en éclats.
A partir de là, une convention signée « à l’amiable » entre tel employeur ou employeuse et tel-le employé-e primera sur les dispositions collectives – même si celles-ci sont plus avantageuses pour l’employé-e ! Comme le souligne Richard Abauzit dans l’article déjà cité, le « volontariat » des salariés permettra en effet à l’employeur « de s'exonérer de la loi et des accords collectifs, du moment qu'avec le salarié ils règlent leurs litiges par convention entre eux, les prudhommes étant alors dessaisis. » Et Abauzit poursuit : « Il suffira au patron, pour chaque litige, d’obtenir "l’accord" du salarié et aucun juge, prud’homal ou non, ne pourra venir troubler cet "accord" au nom d’un quelconque droit du travail. Travailler le dimanche, la nuit, 12h par jour, 60h par semaine, pour un demi-SMIC… du moment que le salarié est "d’accord". »
« Accord », « volontariat »… Bien sûr, il faut mettre des guillemets. Car derrière ces mots il y a la réalité, celle que vivent les millions de travailleuses et de travailleurs : l’exploitation, la soumission aux patrons, le « si t’es pas content, tu dégages », le chantage permanent au chômage. La loi Macron nie cette réalité et généralise la possibilité de recourir à des procédures dites « amiables ». Or le patronat n’est pas devenu, du jour au lendemain, l’ami de la classe ouvrière. Les intérêts des travailleuses et des travailleurs sont et restent frontalement opposés aux intérêts de celles et de ceux qui les exploitent.
En résumé : sans le dire, et sous couvert d’un assouplissement des procédures de règlement des conflits, la loi Macron déclare la guerre aux travailleuses et aux travailleurs. Alors contre cette loi destructrice, pas de procédure « à l’amiable » : la victoire, nous l’obtiendrons seulement par la lutte !