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    Les plans d’austérité aggravent-ils les déficits publics et nuisent-ils à l’accumulation du capital?

    À « gauche », et malheureusement également au sein de notre parti, on entend si souvent le même refrain, qu"on le considère désormais comme une évidence : les plans d"austérité portent la récession et l"aggravation des déficits publics comme la nuée porte l"orage (1). Pourtant, derrière ces quelques mots, se concentre une analyse erronée de la crise, qui peut alimenter les illusions des masses en des politiques de réforme du capitalisme, comme celle propagée avec habileté par le Front de Gauche, au lieu de les aider à comprendre à partir de leur propre expérience que leurs revendications, même élémentaires (comme la hausse générale des salaires de 300 € pour tous, un revenu minimum à 1600 € net, etc), ne peut être satisfaite sans en finir avec le capitalisme et les institutions à son service. D"où l"importance d"en discuter en profondeur.

    Réfutation théorique

    La discussion sur les effets des plans d’austérité sur l’accumulation du capital renvoie à notre analyse du capitalisme et de ses contradictions.

    Malheureusement, l’analyse du NPA (contenue dans le texte adopté au dernier congrès « Nos réponses à la crise ») ne se distingue pas nettement de celle du Front de gauche et de la gauche du PS sur un point essentiel : la crise serait une crise de « sous-consommation » des travailleurs. Les salaires seraient trop bas pour permettre la vente de la totalité des marchandises produites (2), d’où la crise de surproduction. Les capitalistes seraient donc victimes de leur égoïsme : ils bloqueraient les salaires pour maximiser leurs profits mais cela conduirait inéluctablement à la crise puisqu’il n’y aurait plus suffisamment d’acheteurs pour que les marchandises soient écoulées au prix espéré. Si on adhère à ce type d’analyse, les plans d"austérité sont non seulement injustes, mais aussi inefficaces et absurdes du point de vue même de la logique du système : ils ne peuvent qu"aggraver la crise puisqu"ils ne peuvent que déprimer la demande (et aussi diminuer les rentrées fiscales et donc échouer à réduire les déficits publics) via l"accentuation de la sous consommation des travailleurs et la diminution des dépenses publiques.

    Mais cette analyse est fausse. La capacité à satisfaire les besoins sociaux n’est pas un indicateur de l’état de santé du capitalisme : les capitalistes se moquent bien que des millions d’hommes meurent de faim quand il y a bien assez de richesses pour nourrir tout le monde, que des milliards d’hommes soient mal ou sous-alimentés, ne puissent se soigner, s’instruire, que des millions soient jetés au chômage, que des millions subissent la précarité et la flexibilité, etc. Le capitalisme se porte d’autant mieux que la rentabilité du capital est importante. Quand les salaires sont bloqués et que la rentabilité du capital est très forte, il n’y a aucun problème pour les capitalistes : ils continuent à investir (en achetant des moyens de production et des forces de travail supplémentaires) et la croissance est très forte, même si elle est très inégale : la croissance de la consommation des travailleurs est faible, mais la croissance de la consommation des capitalistes et la croissance de la production de moyens de production est très élevée. Contrairement à une idée véhiculée par les réformistes keynésiens, c’est la très forte rentabilité du capital (rendue possible par les destructions de la guerre et la dévalorisation correspondante du capital) qui a permis la très forte croissance d’après guerre, pas la croissance des salaires (que les capitalistes ont pu concéder et absorber en raison de ce haut niveau de rentabilité du capital, contrairement à aujourd’hui).

    Toute crise capitaliste prend la forme d"une crise de « surproduction » ou de « réalisation » : une quantité de la valeur produite n"est pas « réalisée », c’est-à-dire que le capitaliste ne récupère pas sous forme d’argent la plus-value qui est contenue dans ses marchandises, par exemple Renault dans ses voitures, parce qu"une partie des marchandises produites ne sont pas vendues. Si la demande est trop faible pour écouler la production, c’est parce que la rentabilité du capital est trop faible. En effet, ce sont les décisions des capitalistes qui déterminent le niveau de la demande : décisions d"investissement (au sens large : c"est-à-dire leurs achats de moyens de production – sous forme de capital constant – et de forces de travail – sous forme de capital variable) et décisions de consommation pour leurs besoins propres. Si le taux de profit espéré plonge (par exemple si les salaires augmentent), les capitalistes investiront moins, et cela déclenchera une crise de «surproduction ». Ce n’est pas que l’on produise trop de richesses par rapport aux besoins humains à satisfaire, mais trop de richesses par rapport à ce qui peut être absorbé par cette forme d’organisation de l’économie qu’est le capitalisme.

    C"est pourquoi la cause fondamentale des crises est la suraccumulation de capital : trop peu de plus-value est extraite relativement à la masse de capital investi. Cela peut sembler paradoxal, car on entend tous les jours que les profits du CAC 40 n"ont jamais été aussi élevés. C"est vrai mais d"une part une grande partie de cette plus-value est produite à l"étranger, et d"autre part, ce qui compte pour les capitalistes, ce n"est pas la masse de profit en soi, mais la masse de profit rapporté au capital investi, c"est à dire le taux de profit ! Et ce taux de profit est bien plus bas que pendant les Trente Glorieuses, malgré les efforts des capitalistes pour augmenter le taux d"exploitation (3).

    Pourquoi est-il si bas aujourd"hui ? Marx a expliqué cela : c"est la fameuse « loi de la baisse tendancielle du taux de profit », la loi la plus importante de l"économie capitaliste selon lui. Marx explique que, dans la dynamique de l"accumulation, les capitalistes achètent (en proportion) toujours plus de moyens de production, et toujours moins de forces de travail. Or seule la force de travail créée la plus-value, donc mécaniquement le rapport entre la plus-value extraite et le capital investi tend à diminuer.

    Pour sortir de la crise, il n"y a qu"une solution pour le capital : dévaloriser le capital constant (investi dans l"achat de moyens de production) et dévaloriser le capital variable (investi dans l"achat de forces de travail). Depuis 30 ans, le capital a, dans une certaine mesure, dévalorisé le capital variable en bloquant les salaires. Cela a permis au taux de profit de se redresser partiellement, mais cela s"est avéré insuffisant, car une véritable relance de l"accumulation nécessite une dévalorisation importante du capital constant, une véritable « purge » pour mieux redémarrer. Il faudrait pour cela une guerre ou une vague de faillites qui permettrait aux entreprises survivantes de racheter à bas coût les moyens de production des entreprises qui coulent... Or, Les États bourgeois sont intervenus massivement pour « sauver » les grands groupes capitalistes (« too big to fail »), et éviter les faillites. Cela a permis d"éviter un effondrement économique (et social)... mais cela a aussi empêché une véritable relance de l"accumulation. Du coup, depuis les années 1970, c"est le marasme économique, avec la persistance d"un chômage de masse qui permet au capital de faire pression sur les salaires. Et cela a fini par conduire depuis 2007 à la crise actuelle, la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale.

    Aujourd"hui dans les pays impérialistes, pour payer les dettes publiques et relancer l"accumulation, les bourgeoisies n"ont qu"une politique à leur disposition : les plans d"austérité et la baisse des salaire. Du sang et des larmes pour que ce système monstrueux continue, de plus en plus difficilement, à se reproduire au prix d"une dégradation des conditions de vie d"une majorité de la population. Cependant vu l’ampleur de la crise et la résistance des travailleurs, rien ne dit que cette « solution » fonctionnera cette fois-ci.

    Réfutation empirique

    Les plans d’austérité abaissent les déficits en Grèce

    Le déficit commercial (hors produits pétroliers) a été réduit de 29,5% sur les 7 premiers mois de 2011 par rapport au 7 premiers mois de l’année 2010 : il est passé de 14,17 milliards à 9,98 milliards d’€. C’est assez logique : la baisse des salaires et la diminution des dépenses publiques font plonger les importations (à cause de la baisse du pouvoir d’achat des grecs) et stimulent les exportations (amélioration de la compétitivité prix grâce à la baisse du coût du travail).

    Le déficit public est passé de 15,4% du PIB en 2009 à 10,5% en 2010. C"est encore énorme, mais cela apporte la preuve que les plans d"austérité n"ont pas aggravé les déficits publics. Malgré une forte baisse du PIB, la hausse des taux d"imposition et la réduction des dépenses publiques ont fait baisser le déficit public.

    Mais la résistance des travailleurs empêche pour le moment Papandréou d’aller aussi loin qu’en a besoin le capital

    Si les effets des plans d’austérité ne parviennent pas à diminuer plus rapidement les déficits commerciaux et les déficits publics, ce n’est pas en raison des mesures qui ont été appliquées depuis deux ans. C"est au contraire parce que ces mesures ont été trop « timorées », compte tenu de l’ampleur des déficits. D’où la colère de la « troïka » (UE-FMI-BCE) qui a quitté la Grèce début septembre en sermonnant le gouvernement grec. En effet, dans son dernier rapport (en date du 20/09/2011), le FMI est plus pessimiste qu’en juin sur l’évolution de la dette grecque, estimant que son poids par rapport au PIB va encore fortement croître de 2011 à 2012, passant de 166% du PIB à 189% du PIB, alors qu’en juin il tablait sur une hausse modérée de 166% à 172% du PIB pour la même période.

    C’est la résistance des travailleurs qui a ralenti la mise en œuvre des contre-réformes (mesures d’austérité et privatisations). Certes, les bureaucraties syndicales ont pour le moment réussi à empêcher la montée vers la grève générale qui aurait pu bloquer les plans d’austérité, en épuisant les travailleurs dans des journées d’action à répétition. Mais des mouvements de désobéissance civile se sont développées contre les mesures d’austérité : des campagnes « je ne paie pas » ont été menées contre les augmentation de péages autoroutiers (blocages), contre le forfait de 5 € pour chaque consultation à l’hôpital (descente dans les hôpitaux pour inciter les malades à ne pas payer), etc. Aujourd’hui, une vaste campagne (soutenue par le puissant parti communiste) se prépare contre le paiement de la nouvelle taxe immobilière votée ces derniers jours par le parlement.

    Le PASOK parviendra-t-il à imposer à temps aux travailleurs une cure d’austérité suffisamment sévère pour éviter une situation de défaut ?

    En outre, il est incontestable que les plans d"austérité, rendus inéluctables compte tenu de l"ampleur des déficits, ont eu un effet récessif immédiat : en faisant baisser le pouvoir d"achat et en diminuant les dépenses publiques, ils ont diminué brutalement les débouchés d"un grand nombre d"entreprises. Alors que les effets négatifs (sur la croissance) sont immédiats, les effets positifs sont différés. Les entreprises ne peuvent changer leurs plans de production et trouver de la main d"œuvre adéquate du jour au lendemain. Ainsi, la situation est catastrophique aujourd"hui : sur un an, le PIB a reculé de 6%, l"emploi de 5%, et le pouvoir d"achat de 15% (4).

    Mais à moyen terme, les plans d"austérité, si les gouvernements parviennent à les imposer à leur population, ne peuvent que stimuler l"accumulation du capital en dévalorisant la force de travail : quand les salaires diminuent, les profits augmentent, et par voie de conséquence le taux de profit, qui est le moteur de l"accumulation. On peut d"ailleurs déjà percevoir les premiers effets positifs  pour le capital des plans d"austérité, comme la hausse de 9% au 1er semestre 2011 des recettes du tourisme par rapport au 1er semestre 2010.

    Elena Panaritis, députée du PASOK et par ailleurs économiste de profession, implore la compréhension de la bourgeoisie internationale : « Il a fallu 11 ans à M. Thatcher pour mener à bien ses réformes dans un pays qui avait des problèmes structurels moins importants. Notre programme a été mis en place il y a seulement 14 mois ». Ce n’est en effet pas évident d’imposer des régressions considérables dans un pays développé dont les travailleurs ont des traditions des luttes.

    La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si le gouvernement Papandréou a la capacité d’aller plus loin et de mâter la résistance de la population, condition sine qua non pour que la plus grande partie de la dette publique soit remboursée. Il est impossible de le savoir aujourd"hui. Par contre, il est certain que le gouvernement grec doit passer à la vitesse supérieure pour espérer éviter un défaut de paiement sur une partie significative de la dette publique. Pour en être capable, le gouvernement a besoin de se relégitimer, d’où l’idée qui a fuité dans la presse d’organiser un référendum sur le maintien dans la zone euro : il s’agirait de terrifier la population sur les conséquences dramatiques d’une sortie de l’euro, pour mieux imposer les remèdes de cheval pour payer la dette et rester dans l’euro. Ce serait un pari risqué mais le gouvernement grec pourrait y être contraint, à moins que l’option choisie par la bourgeoisie soit celle d’un gouvernement autoritaire qui réprimerait toute forme de contestation.

    Le gouvernement letton a rétabli sa situation économique, en réussissant à imposer aux travailleurs un terrible plan d’austérité

    L’économie lettone a plongé fin 2008 et tout au long de l’année 2009 : en 2009, le PIB a reculé de près de 20% et le déficit public a atteint 9,7%. Face à cela, la politique d’austérité a été d’une brutalité inouïe : diminution du nombre de fonctionnaires de 20%, baisse du salaire des fonctionnaires de 25%, baisse des retraites de 20%, hausse du taux normal de la TVA de 18% à 22% et du taux réduit de 5% à 12%, etc. Au prix d’un grand bond en arrière du niveau de la population, le pays a réduit son déficit public (-7,7% en 2010 et -4,2% prévu pour 2011), et la croissance est repartie : –0,3% en 2010 et +3,3% prévu cette année.

    Ainsi, le gouvernement letton a réussi à remplir ses objectifs de croissance et déficit fixés par les bailleurs de fonds internationaux, en parvenant à mettre en place ses contre-réformes sans rencontrer une résistance trop forte. Mais le gouvernement grec n’a pas cette « chance » : sa population résiste de façon scandaleuse !

    Les enjeux politiques de la discussion : socialisme ou barbarie (capitaliste)

    Il ne s"agit pas d"une discussion d"experts. Les enjeux sont cruciaux, malgré des dénégations de ceux qui veulent à tout prix neutraliser la portée politique de cette discussion. Il ne s"agit pas d"un débat qui aurait sa place dans les cercles universitaires, mais d"un débat central pour tous ceux qui veulent détruire ce système infâme. Nous ne sommes pas des socialistes utopiques, mais des matérialistes qui devons asseoir notre projet politique sur une analyse scientifique de la réalité.

    Si on pense que la crise est une crise de sous-consommation, les plans d"austérité sont en effet une aberration : ils ne peuvent qu"aggraver la crise, en faisant diminuer la consommation des travailleurs et en rendant plus aiguë la surproduction de marchandises. Par contre, une politique de relance de la demande, par l"augmentation des salaires et une réforme fiscale redistributive, permettrait de sortir de la crise « par le haut » (en améliorant le niveau de vie des travailleurs) sans sortir du capitalisme. Si une telle analyse était juste, ce ne serait pas une crise du capitalisme, mais une crise du néolibéralisme, qui pourrait être résolue avec une politique keynésienne de relance (du type de celle qu’a mise en place Mitterrand en 1981 avec le succès que l’on connaît…).

    En revanche, si l"on comprend qu"il s"agit d"une crise de suraccumulation de capital, il n"y a pas d"autre issue, dans le cadre capitaliste, que la remise en cause des acquis sociaux, du niveau de vie des travailleurs. Voilà pourquoi ce système est monstrueux, et voilà pourquoi sortir du capitalisme est une nécessité si on veut éviter un grand bond en arrière. L"alternative entre le socialisme et la barbarie (capitaliste) n"est pas un slogan abstrait. Elle se pose très concrètement au moment des grandes crises. Et il est vital, pour les communistes révolutionnaires, de mener une lutte acharnée contre les réformistes qui trompent les travailleurs en leur faisant croire qu’on peut sortir de la crise « par le haut », sans sortir du capitalisme.


    1) On retrouve ce genre de formules dans les appels unitaires : « ces plans d’austérité sont porteurs d’une logique de récession, et donc d’une réduction des recettes fiscales, qui alimentera encore les déficits publics » (Ce n’est ni notre crise ni notre dette ! Non à la règle d’or !, texte « unitaire » signé par le NPA) ; mais aussi dans la dernière déclaration du CPN : « Cette course généralisée à l"austérité aggrave des déficits public » (Résolution politique du CPN du 25 septembre 2011). Les élus de la position 4 au CPN ont d"ailleurs proposé un amendement (non retenu) supprimant cette phrase et indiquant que « pour tenter de réduire les déficits publics et de relancer l’accumulation, les bourgeoisies européennes vont tenter d’imposer des plans d’austérité drastiques et un recul brutal du niveau de vie des travailleurs ».

    2) Les salaires sont bien sûr trop bas pour nous, la majorité des salariés. Il est de plus en plus difficile pour beaucoup d’entre nous de boucler les fins de mois, après avoir payé le loyer, la nourriture, les vêtements, les transports pour aller au travail, etc.

    3) Le taux d"exploitation est le rapport entre la plus-value et le capital variable (salaires des travailleurs) : il matérialise le rapport de forces entre la classe des exploités et la classe des exploiteurs. Rappelons que les travailleurs produisent la totalité de la valeur et que la différence entre la valeur produite et la valeur avancée pour acheter la force de travail (salaires) est la plus-value (part de la valeur qui est appropriée par les capitalistes pour investir – accumuler – ou pour consommer.

    4) D"après Patrick Artus et Laurence Boone (« "Prendre ses pertes" sur la dette de la Grèce est une fausse solution », dans Le Monde daté du 27 septembre 2011)

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