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Abrogation de la réforme des retraites et RN : retour sur un débat à gauche.

Par Remi Grumel (26 octobre 2024)
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L’utilisation par le RN de sa « niche parlementaire » (qui aura lieu ce 31 octobre) pour soumettre au vote une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites a pris de court les députés du Nouveau Front Populaire. Les députés du NFP doivent-ils ou non voter cette proposition de loi ? La publication le 16 octobre dernier d’une tribune intitulée « Voter l’abrogation de la réforme des retraites avec le RN, c’est vaincre le RN et la Macronie… en même temps ! »1 et signée entre autres par Frédéric Lordon, Annie Ernaux, Stathis Kouvélakis, Houria Bouteldja, et Bernard Friot a déclenché un débat et des prises de positions au sein de la gauche réformiste et révolutionnaire, sur lequel nous reviendrons dans cet article. Le 23 octobre dernier, le groupe parlementaire de la France Insoumise ainsi que Jean-Luc Mélenchon se sont positionnés contre le fait de voter la loi d’abrogation. Le débat est donc désormais en quelque sorte « caduque » mais cela témoigne de la verticalité de l’organisation, qui tranche sans consulter les groupes d’action dont un certain nombre débattaient pourtant de cette question. 

Voter le projet de loi d’abrogation de la réforme des retraites : une question tactique.

Là où nous rejoignons les auteurs-ices de la tribune, c’est que la question ne devait pas être posée dans des termes de principes mais du point de vue de l’intérêt tactique du vote : quel est le gain politique de ne pas voter le texte ? et celui de le voter ?

En effet, certaines positions remobilisaient l’idée qu’« on ne vote pas avec les fascistes », en arguant qu’associer ses voix à une initiative du RN risquerait de le « banaliser », en posant le débat en termes de principes. D’abord, on peut dire qu’en termes de « banalisation » du RN, les carottes sont cuites depuis longtemps, et que la lutte contre le RN ne peut plus aujourd’hui consister à faire comme s’il n’existait pas. Ensuite, il nous semble que pour les communistes révolutionnaires comme pour les réformistes, s’il y a une ligne rouge à ne pas dépasser vis-à-vis de l’extrême-droite (qu’on la caractérise comme « fasciste » ou pas), c’est de mener des mobilisations ou des campagnes conjointes avec elle, comme avait pu le faire le KPD lors du référendum prussien de 1931, ou lors de la grève du métro berlinois en 1932. Le KPD faisait ici de facto « front » avec les nazis contre le gouvernement bourgeois en s’engageant dans une dynamique de mobilisation à échelle de masse avec le NSDAP, sans pouvoir réellement s’en délimiter. Comme l’analysait Trotski, ces situations de front avec les fascistes sur le terrain de la mobilisation extra-parlementaire aidait de facto le NSDAP à prendre le pouvoir, en les positionnant comme des opposants « pro-ouvriers » face au centre et à la social-démocratie allemande. La comparaison entre la situation actuelle et ces alliances tactiques du KPD avec le NSDAP, faite par exemple par le groupe A2C dans son éditorial du 21 octobre dernier2, nous semble alors inappropriée : il ne s’agissait pas ici d’engager une quelconque campagne ou mobilisation avec le RN, mais de réaliser ou non, à froid, un vote à l’Assemblée nationale sur une proposition de loi du RN. De manière plus générale, se fixer comme principe « on ne vote pas avec le RN » fermerait bien des possibilités en termes de tactique parlementaire, dans le contexte d’une tripolarisation de l’Assemblée nationale, où le gouvernement peut subir des défaites relatives. Un-e député-e d’une organisation révolutionnaire à l’Assemblée nationale se retrouverait lui(elle) aussi, dans certaines situations, « contraint » de mêler ses voix à celles l’extrême-droite, par exemple sur telle ou telle motion de censure ou motion de rejet…

Et ici, un piège était bien tendu : comme le défendent les auteur-ices de la tribune du Média, s’ils ne la votent pas, les députés NFP offrent au RN la possibilité d’apparaître comme la seule force politique défendant les classes populaires et dénoncer la « gauche de rupture » comme étant « traitresse à son programme », même si LFI fait par la suite la même proposition lors de sa prochaine niche parlementaire. On peut évidemment avancer l’idée que « les gens » se fichent du cirque parlementaire habituel de l’Assemblée nationale. Mais sur la question des retraites, on peut envisager que cela suscite un intérêt spécifique : l’opposition à la réforme des retraites introduite l’année dernière était ultra-majoritaire dans la société française et a fortement cristallisé l’opposition des classes populaires à Macron. On peut aussi faire l’hypothèse que la progression supplémentaire du RN au dernières élections européennes et aux dernières législatives est en partie liée à la défaite du mouvement social contre la réforme des retraites. Dans ce contexte, il est probable qu’un refus par les députés NFP de voter ce texte d’abrogation soit, comme l’écrit Anasse Kazib dans un billet3 écrit pour Révolution Permanente, « incompris ». Nous rajoutons : en particulier parmi les franges des classes populaires « blanches » (non issues de l’immigration), qui subissent de plein fouet la réforme et dans l’esprit desquelles le RN est peut-être déjà « banalisé ». Le texte ne propose d’ailleurs rien d’autre que de rétablir l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans et de ramener la durée de cotisation à 42 annuités. En revanche, il est clair que les travailleurs-ses racisé-e-s, qui ont déjà compris le danger du RN, « comprendront » probablement bien le refus de voter l’initiative du RN.

Pour autant, il nous semble que le combat pour la reconquête des travailleurs-ses qui prêtent l’oreille au RN ne doit pas être abandonné. Comme l’écrit le NPA-L’Anticapitaliste dans sa prise de position en faveur d’un vote de la gauche pour la loi d’abrogation4 : « nous ne devons pas oublier le projet antisocial, raciste et antidémocratique du RN, mais nous devons reconquérir la partie des classes populaires qui croit voir en lui un défenseur de ses préoccupations sociales ». Les députés NFP auraient pu à la fois voter la loi d’abrogation, et en même temps rappeler haut et fort que, durant les dernières législatives, le RN a rétropédalé sur l’abrogation de la réforme des retraites, et même évoqué l’obligation, pour des travailleurs-ses n’ayant pas suffisamment cotisé pour partir à 60 ans, de travailler jusqu’à… 66 ans ! Au passage, la visibilisation d’un tel vote aurait pu accentuer les contradictions internes de l’électorat RN, qui, ces dernières années, s’est renforcé de pans significatifs d’une petite bourgeoisie libéral-conservatrice, votant traditionnellement à droite, et favorable à ce genre de réformes du système de retraites.

La loi d’abrogation aurait-elle pu passer ? Était-ce une donnée importante à prendre en compte ?

Un vote à considérer de façon tactique donc, mais qui ne devait pas s’inscrire dans une campagne entretenant, comme le font implicitement les auteurs de la tribune citée précédemment, l’idée que le vote par le NFP de la proposition de loi du RN aurait à lui seul permis d’obtenir le retrait de la réforme des retraites au Parlement : si une majorité pour le projet d’abrogation était possible à l’Assemblée nationale, il était peu probable que le texte soit adopté au Sénat. Mais, à l’inverse, il n’était pas tout à fait juste de dire, à l’instar de Révolution permanente5, que l’abrogation de la réforme des retraites aurait été « impossible » au Parlement. En cas de désaccord entre les deux chambres, le gouvernement convoque généralement, concernant ses propres initiatives législatives, une « commission mixte paritaire » chargée d’essayer de trouver un compromis. Si aucun compromis n’est trouvé, il peut donner le « dernier mot » à l’Assemblée nationale. Un vote majoritaire pour la loi d’abrogation de la réforme des retraites aurait alors pu mettre le gouvernement dans une situation inconfortable, ou il aurait été obligé de justifier (face à une population favorable à l’abrogation de la réforme des retraites) son choix de noyer le poisson dans des navettes parlementaires et son refus de déclencher les procédures citées précédemment. À condition que les directions syndicales s’en soient saisie, une telle situation aurait pu ouvrir une brèche pour une mobilisation par en bas - sur laquelle le RN, positionné comme parti de l’ordre, n’aurait pas suivi - en capacité de contraindre le gouvernement de céder face à l’Assemblée nationale.

Par conséquent, le fait que, au vu des rapports de forces institutionnels considérés « à froid », la proposition de loi du RN, même votée par les députés NFP, aurait eu peu de chances d’aboutir, n’était pas un argument suffisant pour écarter la pertinence d’un vote des députés NFP en faveur de la proposition du RN. Avant la prise de décision de LFI le 23 octobre dernier, on pouvait néanmoins rétorquer à cela que, malgré les hésitations au sein du PCF, les députés PS et EELV avaient déjà pris leur décision de ne pas voter le texte, et que par conséquent, dans le cas de la niche parlementaire du RN, une loi d’abrogation de la réforme des retraites n’aurait eu aucune chance d’ouvrir la brèche mentionnée précédemment. Faut-il alors patiemment attendre la niche parlementaire de LFI pour que les députés NFP fassent leur propre proposition de loi d’abrogation, pour garder les mains propres tout en s’offrant une occasion d’infliger une défaite au gouvernement ? Rien n’est moins sûr, considérant le fait que le RN pourrait alors ne pas voter cette dernière, en s’appuyant sur le refus par les députés NFP de voter la leur. Considérant cela, il aurait été de bonne ruse parlementaire que les députés LFI votent massivement la première proposition du RN, pour tenter de « contraindre » ce dernier à voter celle du NFP lors de la niche parlementaire de LFI.

Reprendre le chemin d’un combat « par en bas » contre l’extrême-droite

En tout état de cause, la lutte contre l’extrême-droite, y compris en ce qui concerne la contestation de sa prétention à défendre seule les intérêts des classes populaires sur le terrain social, ne doit pas avoir comme centre de gravité l’agitation électorale et parlementaire. En ce sens, le titre de la tribune du Média, qui laissait entendre que voter le projet de loi du RN aurait conduit à « vaincre le RN », même s’il renvoie au fait que cela permettrait de le mettre face à ses contradictions, était un peu trompeur. La nécessaire intervention sur le terrain électoral et parlementaire doit s’accompagner de la construction d’un « bloc populaire », englobant LFI, syndicats, associations et collectifs de lutte contre les oppressions à partir duquel il pourrait être possible de penser, à la fois la lutte idéologique et programmatique sur le long terme contre l’extrême-droite, et à la fois ce qui pourrait permettre de reprendre le chemin des mobilisations dans un contexte où l’un des gouvernement les plus fragiles de la Ve République s’apprête à appliquer une des plus grosses cures d’austérité budgétaire réalisées depuis la crise de 2008. La France Insoumise ne peut se contenter d’affronter le régime et l’extrême-droite par la joute parlementaire, elle doit chercher les voies d’une implantation militante en profondeur sur les lieux de travail, dans les syndicats et dans les quartiers.

1 - « Voter l’abrogation de la réforme des retraites avec le RN, c’est vaincre le RN et la Macronie… en même temps ! », Collectif, 16 octobre 2024. https://www.lemediatv.fr/articles/2024/voter-labrogation-de-la-reforme-des-retraites-avec-le-rn-cest-vaincre-le-rn-et-la-macronie-en-meme-temps-MQKm3JnLTt--J4HX2D2VxA

2 - « Le RN est un parti fasciste et on ne vote pas avec les fascistes ! – Réponse d’A2C à une tribune appelant les parlementaires à voter avec le RN », A2C, 21 octobre 2024. https://www.autonomiedeclasse.org/situation-politique/le-rn-est-un-parti-fasciste-et-on-ne-vote-pas-avec-les-fascistes/

3 - « Anasse Kazib : « Abrogation de la réforme des retraites : le problème ne se résoudra pas au Parlement » », Anasse Kazib pour Revolution Permanente, 20 octobre 2024. https://www.revolutionpermanente.fr/Anasse-Kazib-Abrogation-de-la-reforme-des-retraites-le-probleme-ne-se-resoudra-pas-au-Parlement

4 - « Pour l’abrogation de la réforme des retraites, contre le RN », L’Anticapitaliste, mercredi 23 octobre 2024. https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/pour-labrogation-de-la-reforme-des-retraites-contre-le-rn-0. Le titre du texte est ambigu mais symptomatique du caractère très discuté de la question en interne des organisations d’extrême-gauche qui s’intéressent à ce qu’il se passe au Parlement.
 

5 - Billet d’Anasse Kazib cité en note de bas de page n°3.

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