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Réforme du lycée professionnel : comment agir vite ?
C’était beau comme dans un film d’Etienne Chatiliez : des jeunes gens sages, guitare à la main, chantaient les louanges de celui qui, dans sa grande magnanimité, était descendu vers eux pour leur annoncer la bonne parole. Bref, le 3 mai dernier, Macron était au Lycée Palissy de Saintes pour une de ces visites potemkine dont il a depuis peu le secret pour éviter les casserolades.
Il ressort de cette allocution présidentielle un nouveau plan de réforme pour le lycée professionnel. Une précédente version, prévue à l’automne dernier, a été abandonnée suite à la mobilisation des enseignants en octobre, puis de la lutte contre la réforme des retraites ; mais – et on s’y attendait, ce n’était que reculer pour mieux nous gifler.
Un projet de société intolérable
Pourtant, au premier coup d’œil (qui sera celui du grand public), pas de quoi s’inquiéter, au contraire : une gratification pour les élèves de CAP et de lycée professionnel en stage, une revalorisation du salaire des enseignants, et un pacte pour reconnaître leurs engagements annexes. Mais à y regarder de plus près, ces promesses dorées sont en fait un projet de société révoltant.
La gratification des stages, qui enthousiasme déjà les élèves, n’est pas un salaire qui rémunère les 8 à 10 semaines par an où ils sont en entreprise : seulement 2€ de l’heure en moyenne, versés par nos impôts et non pas par l’employeur. Aussi bas soit-il, ce revenu qu’on leur fait miroiter va attirer dans les filières professionnelles des élèves d’origine sociale modeste qui auraient pu aller en général, mais qui n’en voient pas l’intérêt à long terme, au contraire des familles aisées qui font déjà tout pour ne pas envoyer leurs enfants en lycée pro.
L’allongement des stages va entraîner la diminution des apports intellectuels et culturels de la formation, donc une déqualification de celle-ci, et à long terme, des métiers qu’ils pourront exercer (avec la difficulté accrue de reprendre des études ou d’initier une reconversion), entrainant une perte de revenu qui pourra se chiffrer, à l’échelle d’une carrière, à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Cette réforme renforce ainsi le projet du gouvernement générer des milliers de jeunes travailleurs peu qualifiés et mal rémunérés comme main d’œuvre malléable et jetable à disposition des entreprises.
Ces dernières passent le pied par la porte de l’école pour s’y engouffrer, avec, dans chaque lycée un « bureau de la relation aux entreprises » pour créer un lien direct avec France Travail (ex-pôle emploi) et des « mentors » issus d’entreprises privées qui suivront chaque élève : il y a un siècle, on sortait les enfants d’ouvriers de l’usine pour les placer sur les bancs de l’école, aujourd’hui on emprunte le chemin inverse.
En outre, les formations dites « du tertiaire » (commerce, vente, marketing) fermeront dès septembre prochain, faisant voler en éclat le projet d’orientation de milliers d’élèves de 3e. Pire, les fermetures et ouvertures de filières vont se faire désormais à chaque rentrée selon une carte des formations, ces dernières ouvrant et fermant en fonction des besoins des entreprises d’un territoire. Ton père est carreleur en Ardèche, tu seras carreleur en Ardèche pour l’entreprise de carrelage de la région. Pas de mobilité, pas de découverte, si tu veux faire une option qui existe seulement en Bretagne, est-ce que toute la famille déménagera avec toi ? Ou choisira plutôt de se tourner…vers l’enseignement privé, qui ne manquera pas d’ouvrir les formations disparues dans le public.
À chaque rentrée, un plan social pour les professeurs
La réforme prévoit également que "La transformation de la carte des formations sera pluriannuelle et engagera tous les acteurs en partant des besoins locaux’, comprenons que cette fermeture de certaines formations pour en ouvrir des nouvelles sera une action répétée. Chaque année, cela signifie donc qu’il y aura un plan social pour les enseignants des filières qui ferment, avec obligation de déménagement, de changement de poste, d’académie, de département, de reconversion brutale en professeur des écoles ou en agent administratif au sein d’un autre ministère, des contractuels sur le carreau, tout cela année après année, rentrée après rentrée. Nous ne serons plus professeurs, mais des variables d’ajustement à placer sur une carte selon les besoins des entreprises.
La mise en œuvre d’un tel plan parait impossible tellement il est incohérent avec la réalité du terrain, et c’est déjà le cas pour les fermetures prévues en septembre 2023 : quid des lycées dont la répartition des heures est déjà faite, des enseignants en poste, etc ?
Que les collègues enseignants du général ne s’y trompent pas : le lycée professionnel est, depuis plusieurs réformes, le pédiluve de ce qui sera appliqué prochainement chez vous aussi : les contrôles en cours de formation (CCF) en sont le triste exemple.
Agissons avant le 6 juin !
Aussi nous devons être unis pour nous mobiliser contre cette réforme. Il faut agir vite : les vacances d’été sont toutes proches, mais nous pouvons, nous l’espérons, compter sur la mobilisation et l’engagement des collègues déjà éveillé par la réforme des retraites. L’intersyndicale a placé comme horizon la journée de mobilisation du 6 juin : mais pour faire face à cette réforme, nous ne pouvons pas, même si elles ont leur intérêt, nous contenter des traditionnelles "journées d'action ponctuées de quelques grèves et manifestations : nous avons vu toutes leurs limites durant le mouvement contre la réforme des retraites. L'intersyndicale des lycées professionnels doit appeler à un mouvement dur, à la hauteur des attaques que nous subissons.
Pour cela, les directions syndicales doivent appeler à empêcher et bloquer les épreuves de CCF et du bac : depuis déjà quelques temps déjà et pour les semaines à venir, nos établissements organisent les épreuves de CCF en lycée professionnel, et le grand oral pour le général. Les épreuves écrites du baccalauréat commencent également à la mi-juin. C'est notre outil le plus bloquant et le plus contraignant, c'est l'outil qui nous permettra d'établir un réel rapport de force.
Le lycée Théodore Monod de Noisy-le-Sec (93) s’est engagé cette semaine à bloquer les CCF et à ne pas remonter les notes, et ce jusqu’à la fin du mois de mai. Suivons leur exemple : nous devons, au sein de chaque établissement, nous réunir régulièrement et tâcher de faire le lien avec les autres lycées pro, au niveau local, départemental, académique et national. Et, afin d'être soutenus et détendre nos revendications, nous devons aller sensibiliser les collègues des filières générales et des collèges, où les professeurs de 3e sont justement en train d’orienter les élèves et subissent eux aussi les conséquences de la réforme, et organiser des réunions avec les parents d'élèves et les élèves : élargir notre combat, en le rendant saisissable par l'ensemble des personnes impacté.e.s, est indispensable. En nous coordonnant, ensemble, à la base et soutenus par nos organisations syndicales, nous avons la capacité de faire face au gouvernement.
EDIT : dans leur communiqué de presse du 12 mai, la CGT Educ’action appelle à une journée de grève et de manifestation mardi 30 mai, ainsi qu’au blocage des examens et de la remontée des notes de CCF.