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Le mouvement des agriculteurs/trices à un tournant. Une seule solution : l’auto-organisation contre la direction des grands propriétaires et des capitalistes de la FNSEA !
Les annonces du gouvernement permettent de satisfaire une partie des revendications de la FNSEA
En moins de 10 jours, le puissant mouvement de colère des agriculteurs/trices a réussi à contraindre Attal à annoncer une série de mesures immédiates pour tenter d’éteindre le risque d’incendie généralisé. Initié d’abord par une base d’agriculteurs/trices regroupé.e.s notamment dans la Coordination Rurale, le mouvement a rapidement été tiraillé entre deux pôles : l’un radical, avec des actions visant directement l’État, les flux et les grands groupes de l’alimentation et l’autre qui s’est posé comme « raisonnable » et « constructif » incarné et dirigé par la FNSEA, le plus gros syndicat agricole de France. Ces deux pôles incarnent deux tendances de l’agriculture : la première qui regroupe majoritairement des petits et moyens paysans qui réclament, en particulier, de vivre dignement de leur travail harassant et l’autre les gros propriétaires terriens capitalistes, souvent céréaliers, qui cherchent d’abord à augmenter leurs profits en développant une agriculture intensive.
Cependant, le gouvernement ne parvient pas à éteindre le mouvement des agriculteurs/trices. L’annonce du plan Attal vendredi 26 janvier n’a convaincu une partie de la direction de la FNSEA, notamment Jérôme Bayle, un éleveur de la FNSEA Haute Garonne qui a orchestré l’opération « sortie de crise » avec le Premier Ministre. Cela a aussi permis au Premier Ministre de s’adresser largement à une base sociale largement de droite en vue des élections européennes : après avoir marginalisé LR suite à la censure de leurs articles sur la Loi Immigration suite au verdict du Conseil Constitutionnel, la macronie tente de ratisser large pour obtenir un maximum de voix lors du scrutin qui sera probablement largement dominé par le RN.
Pourtant, des syndicats agricoles ont appelé à la poursuite du mouvement, poussés par une base radicalisée. La FNSEA et les Jeunes agriculteurs Ile-de-France annoncent ainsi un blocus de Paris à partir de lundi. La Coordination rurale du Lot et Garonne, en pointe de la mobilisation, annonce vouloir bloquer Rungis. Les actions se multiplient contre les grands groupes de l’agroalimentaire et de la distribution, sous l’impulsion notamment de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne. Cependant, il s’avère que le mouvement se trouve dorénavant à l’aube d’un point de bascule : soit l’auto-organisation, en particulier venant de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne, permet de déborder complètement la FNSEA et d’agréger le mouvement autour d’elle, soit il faudra un lent retour dans les fermes. En effet, après que Darmanin a accordé un laissez-passer à une expression de la colère « légitime » en milieu de semaine dernière, le changement de ton est flagrant depuis ce dimanche matin : le Ministère de l’Intérieur a demandé le déploiement d’un dispositif défensif important pour empêcher tout blocage de Rungis, des aéroports d’Ile de France et d’interdire toute entrée dans Paris. Autrement dit, les CRS et les Gardes Mobiles seront présents pour casser toute tentative de blocages ou d’action de contestation.
Il faut dire que Attal ne répond absolument pas aux problèmes structurels auxquels font face les agriculteurs/trices. Il a annoncé la distribution de quelques chèques et le maintien de la niche sur le gazole non routier. Mais la revendication fondamentale des agriculteurs/trices est d’avoir la garantie de pouvoir vivre de leur travail, et les annonces d’Attal ne sont que du sparadrap. Les lois Egalim sont censées fixer des contraintes sur les grands groupes de l’agroalimentaire et de la distribution pour permettre une juste rémunération des agriculteurs. Il n’en est rien : ces lois sont bidons. Les prix agricoles baissent depuis plus d’un an alors que les prix alimentaires n’ont cessé d’augmenter : ce sont principalement les capitalistes de l’agroalimentaire qui s’en foutent plein les poches, leur taux de marge étant passé de 28 % au début de l’année 2022 à 48 % au troisième trimestre 2023.
Quelles revendications défendons-nous dans ce mouvement ?
La France Insoumise défend des revendications d’urgence que nous soutenons :
- Fixation de prix planchers : c’était une mesure centrale proposée lors de la niche parlementaire de LFI le 30 novembre, à laquelle les macronistes se sont farouchement opposés au nom de la libre concurrence et du refus des prix administrés.
- Sortie des traités de libre-échange : alors que le parlement européen vient de voter un nouvel accord de libre-échange avec le Chili et le Kenya (tous les groupes hormis celui de LFI l’ont approuvé, y compris la gauche bourgeoise et le RN), que les négociations avec le Mercosur se poursuivent, il est urgent de sortir de ces traités qui tirent les prix vers le bas et qui sont une absurdité écologique
- Mise en place de mesures protectionnistes : il ne faut pas faire sauter les normes environnementales, il faut permettre à une agriculture de qualité d’écouler sa production, et donc refuser sa mise en concurrence avec une agriculture qui ne respecte pas ces normes !
Le gouvernement s’oppose logiquement à ces revendications, car il défend les profits des grands groupes capitalistes ainsi que le libre-échange pour mettre en concurrence, et donc affaiblir, les travailleurs/euses.
Il faut selon nous aller plus loin et rompre avec la logique capitaliste :
- de façon transitoire, en mettant en place une "Sécurité Sociale de l’Alimentation" qui permettrait à la fois de garantir un revenu décent aux agriculteurs/trices et de permettre à toute la population de se nourrir correctement. Comme les médecins libéraux, les agriculteurs/trices seraient conventionné.e.s (et donc obligé.e.s de respecter un cahier des charges précis) et garderaient pour ceux et celles qui le souhaitent un statut de travailleur/euse indépendant.e alors que d’autres pourraient s’associer au sein de coopératives. Ils et elles produiraient pour satisfaire les besoins d’une population qui aurait une « carte vitale alimentaire », lui donnant accès aux produits de cette agriculture de qualité.
- et de façon globale, en imposant l’expropriation des grands groupes de l’agroalimentaire et de la grande distribution : l’alimentation est un secteur trop important pour être contrôlé par le grand capital.
Quelles perspectives de mobilisation ?
Le gouvernement cherche à tout prix à éviter la « coagulation » des luttes. Le gouvernement cherche à caresser dans le sens du poil les agriculteurs/trices, décrits comme des braves gens qui souffrent et travaillent dur (ce qui est vrai), et à les opposer aux « gréviculteurs », aux jeunes des quartiers populaires qui se sont engagés dans les émeutes cette été et autres feignant.e.s. Le gouvernement sait que ce mouvement est très populaire et que les revendications des agriculteurs/trices font écho à la préoccupation centrale des travailleurs et des travailleuses : pouvoir vivre décemment de son travail dans un contexte d’inflation et de crise.
Il est aidé en cela par les dirigeants de la FNSEA qui rejettent toute perspective de « convergence des luttes » et qui cherchent à recentrer les revendications sur le rejet des normes et des aides d’urgence, tentant de faire croire que les causes du mal-être paysan serait en majeure partie dû aux normes environnementales, mais sans rien changer au système actuel qui privilégie les gros exploitants agricoles et les gros industriels.
L’ensemble des travailleurs/euses doit profiter de la fenêtre de tir qui s’ouvre aujourd’hui. Le gouvernement Attal est déjà impopulaire et il a brûlé des cartouches avec l’annonce de son plan. D’ores et déjà, quelques groupes de gilets jaunes se joignent aux actions des agriculteurs/trices. La mise en place d’un blocage des grandes villes peut être une occasion de faire converger des secteurs combatifs pour imposer un rapport de force maximal face au gouvernement. En ce sens, la prise de position de la direction de la CGT appelant ses adhérents à « rejoindre le mouvement des agriculteurs » est à saluer. Il manque pourtant l’essentiel : un plan de bataille concret permettant cette mise en mouvement de l’ensemble des salarié.e.s. Pour cela, il faudrait que les directions des confédérations syndicales accompagnent réellement le mouvement, incitent des secteurs importants du mouvement ouvrier à le rejoindre et ciblent les éléments les plus faibles de la macronie, en particulier Attal et Oudea-Castero pour identifier des ennemis communs. Malheureusement, les directions syndicales de l’éducation nationale, par exemple, légitiment la Ministre de l’Éducation en lui demandant gentillement d’annuler la réforme du lycée pro et celles de la fonction publique appellent à une journée de grève le 19 mars. Il faudrait que dans les bastions ouvriers aux pouvoirs bloquant, comme les cheminot.e.s, la RATP, les ports et docks et les routier.e.s, le mouvement se lance avec des appels à la grève et au blocage de l’économie.
Les jours qui viennent vont nous montrer s’il y a une réelle possibilité que le mouvement des agriculteurs/trices évolue vers un mouvement politique d’ensemble qui, en agrégeant d’autres secteurs sous la pression des bases auto-organisées, inflige une défaite importante au gouvernement
Quoi qu’il en soit, nous devons impulser des appels rapides à la mobilisation ! En ce sens, la réunion des 10 et 11 février pour constituer un courant trans-syndical de combat est une très bonne initiative que nous soutenons et à laquelle nous participerons.
Partout, dans chaque syndicat où cela est possible, nous devons intervenir pour construire des courants de gauche anti-bureaucratiques, pour être capables, comme ce mouvement nous y invite, à entrer dans une confrontation puissante contre Macron, son gouvernement et la politique néoliberale et autoritaire de l’Union européenne.