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    Rencontre nationale du 10 juin du Front Social

    Près de 500 personnes se sont réunies ce samedi 10 juin pour la rencontre nationale du Front social. D’après le recensement, le Front Social compte à la date de la rencontre nationale 23 regroupements locaux. 13 d’entre eux étaient présents. 102 structures ont rejoints officiellement le Front Social, parmi elles 79 structures syndicales (des syndicats SUD en priorités), 23 associations. Des représentant-e-s de 40 structures observatrices (non encore signataires) sont venu-e-s à cette journée organisée dans l’annexe de la Bourse du Travail, rue du Temple à côté de la place de la République, dans la salle Hénaff. Sur une toile blanche est projetée en boucle tout au long de la journée des photographies de militant-e-s et de manifestations.

    Une exigence de la situation

    C’est un constat partagé largement dans les couches militantes : les ordonnances Macron contre le code du Travail s’annoncent comme une attaque majeure, sans précédent, et pourtant le sentiment d’impuissance, d’incapacité à la mobilisation, est plus que jamais présent. Et tout cela a parfaitement été analysé au cours d’un certain nombre d’interventions qui ont eu lieu au cours du débat du matin – centré spécifiquement sur les ordonnances Macron, ce qu’elles sont et comment y résister : les directions syndicales participent aux discussions ; elles n’informent pas particulièrement leurs syndiqué-e-s ; ne parlons même pas de critique ou d’opposition… Le Front Social est une réponse à cette impuissance, il permet de mettre en lien des militant-e-s et des équipes combatives, syndicalistes ou associatives, qui refusent en bloc les projets du gouvernement Macron. On ne peut que se montrer enthousiaste de trouver un tel regroupement à la fois unitaire et combative. Mais ensuite ?

    Quoiqu’un nombre trop important d’interventions se soient montrées soit trop auto-centrées sur les causes des interventant-e-s, soit cédant à une facilité incantatoire à la lutte, à la grève, voire à la grève générale, un certain nombre de questions à l’intérêt tant de la construction du front, que de la construction d’un mouvement social que de problématiques tactiques ont été posées. Les méthodes et pratiques de luttes semblent assez homogènes dans l’assistance, l’élément qualitatif est là, mais la problématique de la croissance quantitative du mouvement a finalement été trop peu abordée. Comme nous l’avons dit, l’intérêt du Front Social est là, il est l’instrument de lutte dont peuvent se saisir tout un tas de militant-e-s isolé-e-s, et il prend cette place dans le cadre où les confédérations syndicales ne jouent pas ce rôle de cohésion, d’appartenance, de perspectives et de possibilités de défense sociale.

    Plusieurs interventions ont souligné que personne, pas même Philippe Martinez, n’était en mesure d’appuyer sur un bouton pour mettre tout le monde dans la rue. Néanmoins le sentiment partagé était que les luttes isolées qui existent aujourd’hui seraient nettement plus fortes si le travail de coordination était fait. A notre avis les animateurs de la rencontre ont cependant tendance à exagérer la combativité actuelle, comme le fait le site de Jacques Chastaing « les luttes invisibles », pour qui il « n’y avait jamais eu autant de jours de grève ». Les relevés effectués depuis le début des années 1970 indiquent à l’inverse une baisse constante et l’arrivée à un niveau plancher depuis 2010. La mouture initiale du manifeste distribué lors de la rencontre est aussi trop triomphaliste lorsqu’il est dit : « Son début d’extension [du Front Social] national et l’écho qu’il rencontre montrent que l’inertie, les fausses négociations et la parodie de concertation ont fait long feu. » . Il ne fait aucun doute qu’il y a un large rejet de Macron parmi les travailleur-se-s, historique pour un nouveau président. Mais pour l’instant, l’essentiel de cette colère ne s’exprime pas par une combativité syndicale.

    Mais le créneau existe et peut servir à définir ce qu’est le Front Social, son rôle et ses objectifs, ce qu’il défend. Et à partir de là des questions se posent : le Front Social est-il un substitut aux syndicats ? Cherche-t-il juste à agglomérer des militant-e-s et équipes combatives ou également à défendre dans chaque strate de la hiérarchie syndicale des perspectives de luttes ? Se donne-t-il les moyens d’intervenir dans les confédérations pour faire stopper le dialogue social des dirigeants ? Interpelle-t-il les directions ? Se contente-t-il de les dénoncer de l’extérieur ou pas ?

    Des questions pratiques aux implications immédiates et qui déterminent déjà une fiche d’identité de ces camarades qu’on peut déjà définir comme des militant-e-s lutte de classes, prônant l’indépendance de classe, allergiques à la logique du dialogue social…

    Nous avons particulièrement apprécié l'intervention du dirigeant d'Info'Com-CGT qui a énoncé en termes clairs la fonction que devrait avoir le Front social selon lui. Il ne doit pas être un substitut aux confédérations, cherchant à développer la mobilisation en ignorant les confédérations, car il n'en a pas la base sociale. Il doit mener des actions tout en cherchant à s'appuyer sur ces actions pour mener le combat à l'intérieur des confédérations pour les forcer à aller plus loin que leur intention initiale. Des camarades de la CGT du Rhône ont par ailleurs insisté à juste titre sur la nécessité de mener la bataille pour imposer la rupture du dialogue social aux directions syndicales.

    Des questions tactiques sur le calendrier ou l’avancement de certaines revendications sont demeurées sans réponse à la fin de la journée. La journée du 19 juin est clairement appelée contre les ordonnances Macron, elle tente d’avoir une envergure nationale en fonction de l’implantation locale acquise par les émanations locales du Front Social. D’autres dates, en rapport avec la préparation et présentation de la loi d’habilitation pour les ordonnances, ont été évoquées pour fin juin. Des discussions ont aussi eu lieu sur la « forme » antidémcocratique des ordonnances, qui ne doit pas remplacer la dénonciation du fond (lle projet Macron serait tout aussi détestable par la voie législative ordinaire). Mais d’autres ont souligné que l’on pouvait gagner du temps pour convaincre si le gouvernement se sentait obliger de revenir vers la voie parlementaire ordinaire. Tout cela se discute et il y a des jours identifiés dans le calendrier concernant les étapes de passage de la loi d’habilitation qui pourrait faire office de mobilisation de front unique plus large en mettant en avant spécifiquement cette question sans pour autant taire notre refus complet des attaques en cours.

    Un manifeste de quoi, pour qui ?

    L’après midi s’est centré sur la discussion autour d’un « manifeste » élaboré par l’équipe d’animation du Front Social, consistant en une présentation, une définition du Front Social. Les problématiques, bien qu’irrésolues, furent vite oubliées et nous sommes passé-e-s d’un débat du matin assez pertinent à un débat beaucoup trop « hors-sol ». Cela était dû principalement à un défilé d’interventions de certain-e-s militant-e-s d’extrême gauche faisant comme si l’enjeu de ce samedi était de discuter d’un programme politique révolutionnaire. C’était bien sûr logique que des militant-e-s politiques viennent défendre certains traits de leurs conceptions et orientations. Nous pensons par exemple que les révolutionnaires ont un rôle à jouer en rappelant l’importance de l’auto-organisation et de la lutte contre le bureaucratisme. Mais le débat sur les revendications à intégrer au manifeste a clairement montré que certain-e-s n’ont pas saisi l’importance d’une démarche de front unique, qui s’étende au-delà de l’extrême gauche. Non seulement certaines discussions étaient trop avancées par rapport à cet objectif, mais elles viraient parfois à l’argutie (êtes vous plutôt « expropriation » ou « appropriation » des moyens de production ?) D’autres interventions, tout en restant davantage dans le champ syndical, avaient tendance à vouloir multiplier les revendications particulières, liées aux terrains d’activités des unes et des autres. Or, une plateforme de lutte exhaustive est trop ambitieuse pour ce qui encore un modeste regroupement, qui tente en priorité de diffuser quelques axes susceptibles d’amorcer la lutte contre ce gouvernement et ses ordonnances. Une situation qui a régulièrement conduit les animateurs de la rencontre, à chaque début de leurs propres interventions, à recentrer les débats et rappeler les termes et objectifs de l’écriture d’un tel texte qu’ils voyaient comme un document à diffuser largement et accessible aux travailleuses et travailleurs.

    Le manifeste n’a pas été adopté ; une nouvelle version sera envoyé ultérieurement prenant en compte des éléments de débats.

    Quel fonctionnement pour le Front social ?

    La dernière partie a été trop courte car du retard avait été accumulé au cours de la journée. Plusieurs interventions ont insisté sur la nécessité de démocratiser le fonctionnement interne du Front social, qui devrait fonctionner sur la base du vote et du mandatement. Il n'est pas normal que le Collectif national d'animation ne soit pas élu et soit constitué par les membres fondateurs. Cette réunion nationale aurait pu permettre l'élection d'un Collectif national élargi. , mais cette question a été renvoyée à plus tard, au nom du fait que la priorité était de construire des collectifs locaux. Mais les deux ne s'opposent pas, et il faut que les groupes qui ont eu l'immense mérite de lancer le Front social prennent le « risque » de perdre le contrôle.

    Par ailleurs, comme l’ont souligné plusieurs camarades, la tribune était entièrement blanche et masculine. Peu d’interventions ont fait le lien entre lutte de classe et luttes contre les oppressions spécifiques. Même si Michaël Wamen a parlé dans son introduction de la scandaleuse garde à vue d’Amal Bentounsi du Collectif Urgence notre police assassine, ce point de jonction avec les quartiers populaire peine à se concrétiser et passe très vite au second plan. D’autre part, certaines expressions virilistes ou homophobes montrent l’importance du féminisme et des luttes LGBTI. Nous n’avons pas besoin de traiter les patrons « d’enculés » pour exprimer notre combativité.

    Le Front social a ses limites, liées notamment à l’état actuel de ses forces, mais nous n’avons pas à l’heure actuelle d’autre point d’appui pour amorcer la nécessaire mobilisation contre Macron. Nous devons porter la discussion dans nos structures syndicales et essayer de les faire rejoindre le Front social, impulser la création de Fronts sociaux locaux, pour développer la mobilisation et la pression sur les directions syndicales pour qu'elles rompent le dialogue social et proposent un plan de mobilisation.

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