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      Islande : après les élections, les antilibéraux veulent gouverner avec la droite

      Par Gaston Lefranc ( 6 novembre 2017)
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      Juste un an après les élections d'octobre 2016, des élections anticipées ont eu lieu dimanche 29 octobre en Islande. Elles sont la conséquence de la crise politique ouverte par des révélations sur le comportement du premier ministre Benediktsson. Ce dernier est accusé d'avoir tenté d'étouffer un scandale impliquant son père, intervenu pour faire effacer du casier judiciaire d'un ami une condamnation pour crime pédophile. Après ces révélations, la fragile majorité formée autour du parti de l'indépendance (droite conservatrice) a volé en éclat : le petit parti centriste libéral « Avenir radieux » a quitté la coalition au pouvoir, ce qui a entraîné la convocation de nouvelles élections.

      2008-2016 : Scandales, crises, et instabilité politique

      En 2008, l'Islande a été très durement frappée par la crise, suite à l'effondrement de son secteur bancaire hypertrophié. En janvier 2009, d’immenses manifestations avaient contraint le gouvernement de droite à la démission, et la gauche (le PS et les Verts de gauche) avait gagné les législatives du printemps, soulevant beaucoup d'espoir. Le mouvement des « Verts de gauche » est membre de l’Alliance de la Gauche verte nordique, qui est associée à la « Gauche unitaire européenne ». Il se revendique antilibéral et est opposé à l'entrée de l'Islande dans l'Union européenne.

      Mais le gouvernement de gauche, au pouvoir entre 2009 et 2013, a trahi sur toute la ligne. Il a imposé l’austérité et a cherché à imposer le remboursement des créanciers étrangers. Néanmoins, par deux fois (en 2010 et 2011), les Islandais ont rejeté par référendum le remboursement de la dette de la banque Icesave à l’égard du Royaume-Uni et des Pays-Bas. Le gouvernement de gauche avait aussi enterré le projet de nouvelle Constitution. Une assemblée constituante avait été mise en place par tirage au sort de 950 personnes pour définir quelques principes. Puis une assemblée de 25 rédacteurs (élus par le peuple) avait rédigé une Constitution certes bourgeoise mais progressiste, actant la propriété publique sur les ressources naturelles ou l’extension du champ de la démocratie directe. Cette Constitution avait été largement adoptée (67 %) lors d’un référendum en octobre 2012. La droite était vent debout, et la gauche a renoncé à faire voter le Parlement. La nouvelle constitution a alors été enterrée.

      Toutes ces trahisons ont permis le retour de la droite en 2013, plus précisément un gouvernement de coalition entre le parti de l'indépendance et le parti du progrès (parti d'origine paysanne, libéral et pro-UE depuis 2009). En avril 2016, les révélations sur les « Panama papers » avaient éclaboussé le gouvernement islandais de droite. Le Premier ministre Gunnlaugsson (du parti du progrès) et deux ministres (parmi 600 Islandais de la classe dominante) avaient planqué leur argent dans des sociétés établies dans des paradis fiscaux. Ce scandale avait déclenché de très grosses manifestations. La colère était d’autant plus grande que trois anciens dirigeants de banques condamnés pour délits financiers venaient d’être libérés en ayant purgé moins d’un quart de leur peine. Suite à ces mobilisations, le gouvernement avait du accepter la tenue d'élections anticipées, qui s'étaient déroulées le 30 octobre 2016.

      Alors que les sondages pronostiquaient une victoire du parti des pirates1 alliés à la gauche, le parti de l'indépendance est sorti renforcé avec près de 30% des voix. Son allié du parti du progrès s'est effondré suite à son implication dans les Panama papers. Mais il a pu s'allier à deux petits partis libéraux et europhiles (Résurrection et Avenir radieux) pour continuer à diriger le pays. Benediktsson, lui même impliqué dans les Panama papers est devenu premier ministre. Il a aussi été accusé de s'être fait un paquet d'argent pour avoir vendu des titres bancaires quelques heures avant le krach financier...

      L'éclatement du paysage politique

      La population est écœurée par la corruption et les scandales, mais cela n'empêche pas les politiciens véreux de rester dans la place. Ainsi, l'ex premier ministre Gunnlaugsson, mis à l'écart de son ancien parti (parti du progrès) a créé une nouvelle formation (parti du centre). Comme en 2013 (ce qu'il n'a pas fait bien entendu), il a promis de s'attaquer à la finance et de distribuer les actions détenues par l’État d'une grande banque privée à la population. Il a obtenu 10,9% devançant légèrement son ancien parti. Le parti de l'indépendance, qui a mené une campagne à la Trump à coup de promesses de baisses d'impôts, baisse de 4 points, mais reste le premier parti. Il bénéficie aussi de la bonne conjoncture économique, avec une croissance 7% en 2016 et de 5,6% prévue cette année. Mais ses deux petits alliés (Résurrection et Avenir radieux) s'effondrent, ce qui rend impossible la reconduction de la coalition au pouvoir. Le parti social-démocrate se refait une santé, mais reste devancé, au sein de la gauche, par les Verts de gauche. Alors que ceux-ci étaient donnés gagnants quelques semaines avant les élections, ils finissent loin derrière le parti de l'indépendance avec 16,9% des voix. L'extrême-droite (parti du peuple) fait son entrée au parlement avec 6,9%, sa dirigeante étant une ancien star de la télé-réalité se présentant comme la défenseure des pauvres et « la Marine Le Pen islandaise » !

      Elections législatives 2017 2016 2013 2009 2007 2003 1999
      Abstention 18,8 20,8 18,6 14,9 16,4 12,5 15,9
      Parti Pirates 9,2 14,5 5,1
      Verts de gauche 16,9 15,9 10,9 21,7 14,4 8,8 9,1
      Alliance sociale-démocrate (PS) 12,1 5,7 12,9 29,8 26,8 31 26,8
      Avenir radieux (centre) 1,2 7,2 8,3
      Mouvement citoyen (anti élite) 7,2
      Parti du centre (populiste) 10,9
      Résurrection (écologistes de droite) 6,7 10,5
      Parti du progrès (centre droit) 10,7 11,5 24,4 14,8 11,7 17,7 18,4
      Parti libéral (droite) 2,2 7,3 7,4 4,2
      Parti de l'indépendance (droite) 25,2 29 26,7 23,7 36,7 33,7 40,7
      Parti du peuple (extrême droite) 6,9 3,5
      Total gauche 38,2 36,1 28,9 51,5 41,2 39,8 35,9
      Total centre 1,2 7,2 8,3 7,2
      Total droite 53,5 51 51,1 40,7 55,7 58,8 63,3
      Total extrême-droite 6,9 3,5

      Vers une grande coalition qui achèvera de discréditer la gauche antilibérale ?

      Alors que les partis de droite sont majoritaires et que la logique politique devrait conduire à un gouvernement de droite, les subtilités de la politique dessinent un autre scénario. Des discussions avancées ont eu lieu entre les Verts de gauche, l'Alliance sociale-démocrate, les Pirates et le parti du progrès (qui disposent ensemble de 32 sièges sur 63). Le président a d'ailleurs chargé la dirigeante des Verts de gauche (Jakobsdóttir) d'essayer de constituer un gouvernement. Celle-ci est prête à s'allier avec les sociaux-libéraux et une partie de la droite (parti du progrès) pour accéder au pouvoir. Les Verts de gauche ont fait campagne pour plus de justice sociale, une hausse d'impôts pour les plus riches, et davantage de dépenses publiques. Mais ils ne font même plus semblants de défendre le projet de constitution avorté ou des réformes structurelles. Ils proposent juste de garder une seule banque dans le giron de l’État... quelle audace ! Avec une telle coalition, il ne fait nul doute que la politique sera dans la continuité des politiques précédentes. Néanmoins, les discussions ont été (provisoirement ?) rompues lundi 6 novembre. C'est le parti du progrès qui a fait achopper les discussions, les Verts de gauche faisant le forcing pour qu'un accord soit conclu.

      Lors des élections de 2016, l'organisation anticapitaliste « Front populaire islandais »2 avait effectué une petite percée, passant de 118 voix en 2013 (0,06%) à 575 voix (0,30%), avec une pointe à 0,9% dans le Nord est de l'île. En 2017, le Front régresse, obtenant 375 voix (0,20%). Après une recrudescence des grèves en 2015, le climat social s'est radouci. Les désillusions qui ne tarderont pas à venir, le rebond de la crise dans les trimestres qui viennent, pourront rapidement changer la situation. En Islande comme ailleurs, il y a la nécessité de construire des partis politiques anticapitalistes et révolutionnaires, qui se donnent pour objectif d’établir un véritable pouvoir populaire basé sur l’auto-organisation des travailleurs/euses. Les capitalistes doivent être expropriés et les travailleurs/euses doivent prendre le contrôle des moyens de production, de la monnaie3, et des échanges extérieurs.

      1Après avoir obtenu 5% aux élections législatives de 2013, les pirates ont grimpé jusqu'à 40% dans les sondages début 2016. Ils militent pour la transparence de la vie publique, plus de démocratie participative, et la mise en place de la nouvelle Constitution (écrite et enterrée). Du point de vue économique, les pirates sont pour la réduction du temps de travail et pour un revenu universel, mais défendent aussi l'économie de marché et la propriété privée.

      2Cf. https://en.wikipedia.org/wiki/People%27s_Front_of_Iceland ; on peut lire leur programme en anglais ici : http://althydufylkingin.blogspot.fr/p/program-of-peoples-front-of-iceland-in.html ; Le Front populaire islandais défend la socialisation de l'économie et met en avant l'importance de la lutte écologiste et contre toutes les oppressions. Il s'oppose à l'entrée de l'Islande dans l'UE, défend la « souveraineté nationale » (comprise non d'un point de vue nationaliste, mais d'un point de vue démocratique), et s'oppose aux investissements étrangers sur l'île, que ce soit sous forme de prêts ou d'investissements directs. Il se prononce pour le contrôle de la population sur l'économie et sur les échanges avec l'extérieur.

      3Un rapport parlementaire de 2015 très intéressant (signé par un membre du parti du congrès) préconisait une réforme radicale du système monétaire, donnant le monopole de la création monétaire à la banque centrale. Ce rapport a bien sur été enterré.

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