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    Islande: les "pirates" islandais ratent leur abordage

    Par Gaston Lefranc ( 1 novembre 2016)
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    Des élections législatives anticipées suite au scandale des « Panama papers »

    Les révélations d'avril dernier sur les « Panama papers » avaient éclaboussé le gouvernement islandais de droite. Le Premier ministre (du parti du progrès) et deux ministres (parmi 600 Islandais de la classe dominante) avaient planqué leur argent dans des sociétés établies dans des paradis fiscaux. Ce scandale avait déclenché de grosses manifestations : le 4 avril, entre 8 000 et 20 000 manifestants s'étaient rassemblés à Reykjavik (capitale de l'Islande) devant le Parlement pour exiger la démission du gouvernement et des élections anticipées. C’était l’équivalent d’une manifestation de 2 à 4 millions de personnes à Paris  ! La colère était d’autant plus grande que trois anciens dirigeants de banques condamnés pour délits financiers venaient d’être libérés en ayant purgé moins d’un quart de leur peine. Suite à ces mobilisations, le gouvernement avait du accepter la tenue d'élections anticipées, qui se sont déroulées ce samedi 30 octobre.

    Des combats démocratiques et sociaux trahis par la gauche institutionnelle

    En 2008, l'Islande a été très durement frappée par la crise, suite à l'effondrement de son secteur bancaire hypertrophié. En janvier 2009, d’immenses manifestations avaient contraint le gouvernement de droite à la démission, et la gauche (le PS et les verts de gauche1) avait gagné les législatives du printemps, soulevant beaucoup d'espoir.

    Mais le gouvernement de gauche, au pouvoir entre 2009 et 2013, a trahi sur toute la ligne. Il a imposé l’austérité et a cherché à imposer le remboursement des créanciers étrangers. Néanmoins, par deux fois (en 2010 et 2011), les Islandais ont rejeté par référendum le remboursement de la dette de la banque Icesave à l’égard du Royaume-Uni et des Pays-Bas.

    Le gouvernement de gauche avait aussi enterré le projet de nouvelle Constitution. Une assemblée constituante avait été mise en place par tirage au sort de 950 personnes pour définir quelques principes. Puis une assemblée de 25 rédacteurs (élus par le peuple) avait rédigé une Constitution certes bourgeoise mais progressiste, actant la propriété publique sur les ressources naturelles ou l’extension du champ de la démocratie directe. Cette Constitution avait été largement adoptée (67 %) lors d’un référendum en octobre 2012. La droite était vent debout, et la gauche a renoncé à faire voter le Parlement. La nouvelle constitution a alors été enterrée.

    Toutes ces trahisons ont permis le retour de la droite en 2013, plus précisément un gouvernement de coalition entre le parti de l'indépendance (parti conservateur anti-UE) et le parti du progrès (parti d'origine paysanne, libéral et pro-UE depuis 2009).

    Une population à la pointe du combat féministe

    A l’appel de syndicats et d’organisations féministes, des milliers de femmes islandaises ont quitté leur travail lundi 24 octobre à 14h38, pour aller manifester dans les rues de la capitale islandaise. Pourquoi 14h38 ? En raison de la différence de salaires avec les hommes. Payées 14% de moins, les Islandaises estiment que tous les jours après 14h38, elles travaillent gratuitement. Ce mouvement a été massivement suivi, et il a une longue histoire. Le 24 octobre 1975, 25 000 femmes (sur une population totale d'environ 200 000 Islandais à l'époque) s'étaient rassemblées à Reykjavik,= et plus de 90% des femmes avaient participé à la grève contre les inégalités salariales. En 2005, les femmes avaient arrêté le travail à 14h08 et en 2010 à 14h25. Les inégalités salariales régressent certes, mais beaucoup trop lentement.

    Les pirates et la gauche, pourtant favoris, échouent à obtenir une majorité

    C'est le discrédit de l'ensemble de la classe politique qui a permis l'émergence spectaculaire du parti pirate. Après avoir obtenu 5% aux élections législatives de 2013, les pirates ont grimpé jusqu'à 40% dans les sondages début 2016. Ils militent pour la transparence de la vie publique, plus de démocratie participative, et la mise en place de la nouvelle Constitution (écrite et enterrée). Du point de vue économique, les pirates sont pour la réduction du temps de travail et pour un revenu universel, mais défendent aussi l'économie de marché et la propriété privée. Ils ont longtemps refusé de s'inscrire dans le clivage droite/gauche, avant de se prononcer récemment pour une coalition de gauche avec les verts de gauche, l'Alliance sociale-démocrate, et Avenir radieux (centriste libéral). Cela a suscité des tensions internes et une certaine normalisation des pirates, même si leur dirigeante, Birgitta Jonsdottir, punk revendiquée, décoiffe dans le paysage politique islandais.

    Alors que les sondages pronostiquaient une victoire des pirates alliés à la gauche, ce bloc est minoritaire. Les pirates (estimés à plus de 20% par les derniers sondages) ne réalisent pas la percée espérée avec 14,5%, derrière les Verts de gauche (15,9%), qui profitent notamment de l'effondrement de l'Alliance sociale-démocrate (5,7%). C'est un nouveau symptôme de la décomposition de la social-démocratie européenne, discréditée par son soutien aux politiques d'austérité et son apologie de l'Union européenne. Les pirates et la gauche ne recueillent donc que 36% des voix. Si on y ajoute le parti centriste libéral Avenir Radieux, cela ne fait pas une majorité une parlement (27 sièges sur 63). La progression de l'abstention (qui dépasse pour la première fois les 20%) est aussi un signe que les pirates et la gauche ne sont pas perçus comme une alternative désirable à la droite par beaucoup d'Islandais.

    Le parti de l'indépendance réalise une bonne performance en progressant par rapport à 2013 avec 29% des voix. Il bénéfice de la reprise économique (plus de 4% de croissance en 2015 et 2016, un taux de chômage autour de 3%). C'est le parti du progrès qui s'effondre (11,5%), en raison de son implication dans les « Panama papers » et pénalisé également par son positionnement pro-UE. Avec 29 sièges, la coalition entre le parti de l'indépendance et le parti du progrès n'est pas non plus majoritaire. Il lui faudra le soutien de Résurrection (10,5%), une dissidence du parti de l'indépendance (pro-UE, écologiste et libéral) pour avoir une majorité au parlement. C'est aujourd'hui le scénario le plus probable, malgré les tensions très fortes entre Résurrection et le parti de l'indépendance, à moins qu'une alliance contre nature se mette en place contre la coalition actuellement au pouvoir. 

    Elections législatives 2016 2013 2009 2007 2003 1999
    Abstention 18,6 14,9 16,4 12,5 15,9
    Parti Pirates 14,5 5,1
    Verts de gauche 15,9 10,9 21,7 14,4 8,8 9,1
    Alliance sociale-démocrate (PS) 5,7 12,9 29,8 26,8 31 26,8
    Avenir radieux (centre) 7,2 8,3
    Mouvement citoyen (anti élite) 7,2
    Résurrection (écologistes de droite) 10,5
    Parti du progrès (centre droit) 11,5 24,4 14,8 11,7 17,7 18,4
    Parti libéral 2,2 7,3 7,4 4,2
    Parti de l'indépendance (droite) 29 26,7 23,7 36,7 33,7 40,7
    Total gauche 36,1 28,9 51,5 41,2 39,8 35,9
    Total centre 7,2 8,3 7,2
    Total droite 51 51,1 40,7 55,7 58,8 63,3

    Les anticapitalistes islandais progressent !

    Le Front populaire islandais (https://en.wikipedia.org/wiki/People%27s_Front_of_Iceland) est une organisation anticapitaliste qui a été créée en 2013. Son influence politique est encore très modeste, mais elle a fortement progressé, passant de 118 voix en 2013 (0,06%) à 575 voix en 2016 (0,30%), avec une pointe à 0,9% dans le Nord est de l'île. Cette dynamique (certes à partir d'un niveau très bas) est porteuse d'espoir, et cette organisation porte un programme (qu'on peut lire en anglais ici : http://althydufylkingin.blogspot.fr/p/program-of-peoples-front-of-iceland-in.html) dont pourrait s'inspirer utilement d'autres organisations anticapitalistes.

    Le Front populaire islandais défend clairement la socialisation de l'économie et met en avant l'importance de la lutte écologiste et contre toutes les oppressions. Il s'oppose fermement à l'entrée de l'Islande dans l'UE, défend la « souveraineté nationale » (comprise non d'un point de vue nationaliste, mais d'un point de vue démocratique), et s'oppose aux investissements étrangers sur l'île, que ce soit sous forme de prêts ou d'investissements directs. Il se prononce pour le contrôle de la population sur l'économie et sur les échanges avec l'extérieur.

    Il n'y a pas d'extrême-droite puissante en Islande. La contestation du système se fait aujourd'hui sur des bases progressistes. L’Islande a connu une recrudescence des grèves en 2015, et la population rejette de plus en plus le personnel politique corrompu. En Islande comme ailleurs, il y a la nécessité de construire des partis politiques anticapitalistes et révolutionnaires, qui se donnent pour objectif d’établir un véritable pouvoir populaire basé sur l’auto-organisation des travailleurs. Les capitalistes doivent être expropriés et les travailleurs doivent prendre le contrôle des moyens de production, de la monnaie, et des échanges extérieurs.

    Gaston Lefranc

    1Le mouvement des « Verts de gauche » est membre de l’Alliance de la Gauche verte nordique, qui est associée à la « Gauche unitaire européenne ». Il est opposé à l'entrée de l'Islande dans l'Union européenne. Ce mouvement est plus proche idéologiquement du Front de gauche français que des Verts français.

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