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    Mettre le mouvement de lutte contre la réforme des retraites de Macron dans une perspective historique (2/3) - Quelques particularités du mouvement social actuel depuis le 19 janvier 2023

    Par Collectif (28 mars 2023)
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    Depuis le 19 janvier 2023, la France vit à l’heure d’une mobilisation sociale majeure contre le nouveau projet de « réforme » des retraites voulu par Emmanuel Macron. Le rejet du projet est massif, une intersyndicale unie a dirigé les mobilisations depuis le mois plus de deux mois, mais le texte est toujours là, extrêmement menaçant. De quoi interroger la stratégie de lutte en place au vu, notamment des précédents des mobilisations sociales ayant existé depuis une vingtaine d’années. Précisons que ces articles ont été rédigés juste avant le recours gouvernemental à l’article 49.3 de la Constitution pour imposer son projet.

    Par Pepe Garralda, Gaston Lefranc, Michaël Lenoir, Luc Raisse, Mario Toukour

    Texte soutenu par la Tendance Claire du NPA et la Ligue Internationale des Travailleurs

    Des points forts en faveur du mouvement de 2023…

    En premier lieu, il faut saisir – ou rappeler – que la question des retraites est l’une des questions sociales majeures de nature à unifier dans le combat une fraction nettement majoritaire de la population, avec une vaste portée intergénérationnelle et interprofessionnelle. C’est pourquoi – comme nous l’avons noté dans l’article précédent – ce sujet a souvent fait descendre dans la rue des masses humaines particulièrement nombreuses.

    En second lieu, force est de reconnaitre que depuis le 19 janvier, la plus grande partie du mouvement d’opposition à la nouvelle attaque contre nos retraites a baigné – pendant un long moment à tout le moins – dans une douce euphorie, et dans une série d’illusions qui faisaient système. Lesquelles et pourquoi ? Dans notre camp social, il faut d’abord mentionner l’opposition ultra-majoritaire – à des niveaux jamais vus, et qui se sont élevés ces dernières semaines – de l’opinion publique, tout particulièrement au sein de la population active salariée. Il n’y a que parmi les retraité.es que les pour et les contre s’équilibrent à peu près. Les sondages qui se succèdent depuis le début de l’année confirment cette opposition, qui est de nature à donner confiance à celles et ceux qui veulent lutter.

    En troisième lieu, cette fois-ci, contrairement au projet de réforme macroniste de 2019-2020, le front syndical est uni, incluant en particulier la CFDT – la première centrale syndicale nationale française globalement (tant en termes de nombre d’adhérent.es que par sa représentativité aux élections professionnelles), et la plus implantée dans le secteur privé – et ce front ne s’est ni disloqué ni même divisé depuis le début de la mobilisation. L’intersyndicale soudée dans son opposition à cette réforme, c’était dès janvier un atout pour donner confiance aux travailleurs/ses, pour qui la question de l’unité d’action reste une condition majeure de la mobilisation. Qui plus est, dans toute la première phase de la mobilisation, c’est-à-dire du 19 janvier au 7 mars, la participation aux manifestations s’est maintenue à un niveau très élevé, comparable à la grève de novembre-décembre 1995, avec des cortèges impressionnants notamment dans les petites et moyennes villes du pays.

    En quatrième lieu, on a pu constater l’accumulation de signes de faiblesse et de fébrilité dans le camp des attaquant.es : le gouvernement et son camp parlementaire. Une majorité relative à l’Assemblée très peu désireuse d’aller prêcher la bonne parole macroniste dans les circonscriptions ; quelques divisions au sein du bloc gouvernemental ; un ministre du travail en charge du dossier, Olivier Dussopt, qui traine une vilaine casserole de favoritisme dans son ancienne municipalité d’Annonay et qui a lui-même torpillé le discours mensonger de son propre gouvernement sur le caractère prétendument social de la réforme à propos du plancher de retraite à 1 200€ ; des dérapages verbaux grotesques du porte-parole du team-Macron, Olivier Véran ; une incapacité à négocier même avec des partenaires politiques et syndicaux susceptibles de lui fournir le soutien nécessaire… Nos ennemis sont vraiment médiocres et il faut en déduire que si, en fin de compte, ils parviennent à gagner, ce sera plutôt dû aux faiblesses de notre camp social.

    Certes, il est nécessaire de relever les points forts ci-dessus, les atouts du mouvement social depuis le début de cette bataille – c’est bon pour le moral ! – mais à condition de reconnaitre en même temps ses points faibles, et de ne pas les perdre de vue. Il est d’ailleurs utile de relever ceux-ci en contrepoint des éléments encourageants listés plus haut.

    … Mais des points forts qui ont leurs limites

    Sur le premier point, nous avions déjà pu constater – comme nous l’avons rappelé dans notre article précédent – la massivité de la lutte lors des précédentes échéances des attaques gouvernementales contre nos retraites : en 2003, en 2010, en 2019-2020. Et pourtant, ces luttes ont perdu et ce sont les menées réactionnaires qui ont prévalu.

    Sur le second point, nombre de « réformes » - on devrait plutôt parler de contre-réformes – ont été adoptées contre la volonté d’une majorité de la population. C’est justement le cas des diverses mesures gouvernementales contre les pensions de retraite aux dates précitées. Si celle de Balladur en 1993, élevant la durée de cotisation de 37,5 annuités à 40 dans le secteur privé, était passée avant tout inaperçue et n’avait guère soulevé d’opposition, celle de Chirac-Raffarin-Fillon sur le même thème dix ans plus tard avait fait descendre beaucoup de gens dans la rue, mais avait échoué empêcher l’alignement la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle du privé. Celle de Sarkozy et de Woerth en 2010 avait également été très majoritairement contestée et avait provoqué de fortes mobilisations largement soutenues par l’opinion publique. Et la première tentative de Macron en 2019-2020, avec le gouvernement d’Edouard Philippe, pour casser encore davantage nos retraites, n’avait été mise au placard que du fait de l’arrivée de la pandémie de Covid-19, le mouvement gréviste ayant été préalablement vaincu.

    De plus, le fait de nous retrouver dans un refus ultra-majoritaire ne suffirait à nous faire gagner que si nous vivions dans une démocratie réelle ! Hélas ! Les institutions sont-elles faites pour exprimer la volonté de la majorité du peuple ? Poser la question, c’est déjà commencer à y répondre, et l’on constate qu’elles offrent plutôt un cadre de gouvernabilité à une « élite » sociale qui n’aura pas à pâtir d’une réforme comme celle-ci – sa richesse l’en préserve – mais qui y gagnera en termes de rentabilité des capitaux et d’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers. Sur ce plan, l’acharnement de Macron à refuser un référendum sur le sujet est d’ailleurs un signe qui ne trompe pas ! En laissant jouer la démocratie comme loi du nombre, il perdrait à coup sûr, et c’est pourquoi il n’a eu de cesse de se retrancher derrière une constitution qui lui permet de s’imposer tout en étant fortement minoritaire.

    Sur le troisième point, l’article n°1 de cette série a montré que nous avons déjà connu des phases d’unité syndicale, y compris très large, y compris dans des luttes en défense des retraites. Certes, pour s’en tenir à cette thématique, l’intersyndicale avait éclaté au beau milieu de la bataille de 2003 vu le ralliement pro-gouvernemental de la CFDT. En 2010, par contre, le front de l’intersyndicale avait tenu bon face à Sarkozy pendant environ deux mois, mais le mouvement social avait fini par s’épuiser et refluer, et le gouvernement de l’époque était parvenu à imposer sa « réforme », repoussant l’âge minimal de départ à la retraite de 60 à 62 ans et l’âge de pensions sans décote de 65 à 67 ans. Le cas de 2010 suffit donc à montrer que l’existence et le maintien dans l’opposition d’une intersyndicale qui n’éclate pas n’est pas la condition suffisante d’une victoire sur un terrain comme celui des retraites. En 2010 les cortèges étaient très fournis – peut-être pas autant qu’en ce début d’année 2023, mais non loin de cela – et la mobilisation, soutenue par une majorité de la population, avait tenu bon pendant près d’un mois et demi, avant de faiblir et de céder.

    Sur le quatrième point énuméré plus haut, nous avons certes déjà été confronté.es à des gouvernements de branquignols, mais cette fois-ci, les records sont battus. Signe, sans doute, de la médiocrité promptement croissante des politicien.nes qui défendent ce système. Toutefois, est-ce là un élément si déterminant que cela ? Car au sommet de la pyramide étatique, nous avons affaire à un président qui joue son second mandat sur cette affaire, et qui le fait savoir. L’hôte de l’Elysée est sans doute un grand malade, mais il saisit clairement que c’est un quitte ou double : soit il parvient à s’imposer, face à un peuple très hostile à sa « réforme », et il pourra ensuite continuer à lui asséner les coups dont la classe dominante a besoin ; soit il échoue, et comme l’a laissé entendre un de ses supporters, il n’a plus qu’à repartir au Touquet. En conséquence de quoi, Macron – contrairement à beaucoup de ses proches – n’a pas manifesté la moindre inquiétude en regardant sur les écrans des manifestations monstres d’opposant.es à la mesure phare du début de son second mandat.

    Ainsi, nous pouvons constater que, depuis le début de la mobilisation, les points forts du mouvement social actuel ont été d’une force relative, et non pas absolue.

    … Et des faiblesses qui perdurent à travers les années

    L’article n° 1 de cette série a servi à planter le décor. Pour comprendre nos faiblesses actuelles, il a fourni un matériau permettant de mettre en perspective, à travers l’histoire des mobilisations sociales depuis vingt ans, les contextes  syndicaux et les stratégies mises en œuvre, et les résultats auxquels nous étions parvenus. Concrètement, comprendre pourquoi nous avons perdu lors des précédentes luttes doit nous aider à comprendre pourquoi nous pourrions perdre à nouveau maintenant, et peut-être, nous permettre d’éviter un nouvel échec. Car il est indispensable et urgent de briser le cercle des défaites répétées. Tentons donc d’extraire, au-delà des circonstances et des thématiques diverses, quelques constantes qui ont marqué le panorama des luttes des vingt années écoulées.

    Les constantes dans les luttes de masse des vingt dernières années

    Que l’on songe aux mobilisations contre les réformes des retraites de 2003, 2010 et 2019-2020, ou que l’on se penche sur les mouvements de 2009 et 2016, on observe des caractéristiques permanentes.

    Des intersyndicales plus ou moins larges à la tête des mouvements

    Pour ce qui est des constantes que possèdent tous ces mouvements, la première est que les chefs d’orchestre de toutes ces vagues de luttes étaient toujours les directions syndicales, regroupées dans des intersyndicales plus ou moins larges selon les cas – la question en termes numériques revenant au fond à : avec ou sans la CFDT ? – même si à côté des centrales syndicales plus ou moins unies il existait des formes d’action diverses.

    Des séries de journées d’action plus ou moins espacées

    La seconde constante à tous les exemples détaillées dans l’article 1 – et ici cela vaut également dans le cas plus complexe de 2006, et le seul couronné de succès – est le fait que ces directions syndicales, quel que soit le degré de leur unité, que la CFDT y soit incluse ou pas, offrent toujours le même schéma stratégique : une série de journées d’action, constituées généralement – si c’est en semaine – d’un appel à une grève interprofessionnelle de 24 heures et à des manifestations de rue, presque toujours décentralisées.

    Toujours des courants à gauche des directions syndicales, mais pour quoi faire ?

    La troisième constante ne ressortait pas très clairement dans l’article précédent, mais nous devons à présent en parler. Elle consiste en ceci : à la gauche des directions syndicales qui contrôlent ces mouvement sociaux, on trouve toujours une mouvance assez hétérogène, qui se fait remarquer, parfois de manière « physique » (notamment avec des affrontements avec la police, des vitrines de banques brisées, etc.), parfois de manière plus politique (via la proposition d’orientations de lutte alternatives, à travers des critiques politiques et syndicales, etc.). Mais cette mouvance politique et syndicale, à la gauche des directions syndicales majoritaires, reste minoritaire et ne parvient jamais à prendre la direction de ces mouvements. Les raisons en sont diverses et complémentaires : ce qui prévaut dans cette sphère militante, c’est à la fois l’hétérogénéité ; la non-coordination et même souvent le sectarisme ; et aussi un manque d’orientation et de direction claires.

    Posons-nous donc la question : qu’est-ce qui cloche ?

    Tentons de faire une première synthèse de ce qui précède, dans le précédent article et dans celui-ci, pour formuler, à ce niveau, plusieurs questions. Tous les cas étudiés précédemment, quel que soit le degré d’unité syndical – et hormis la lutte contre le CPE en 2006, dont nous avons tenté d’expliquer les particularités – ont débouché sur des échecs et des défaites de notre camp social. Dans cinq des six grandes luttes, menées sous la houlette de directions syndicales, et qui ont jalonné les vingt dernières années, il faut déplorer des échecs. Cette accumulation de défaites subies par les travailleurs/ses, qui en paient le prix, à la fois par des reculs sociaux qui s’accumulent, et par des coups répétés portés à la confiance de notre classe en ses propres forces, doit nous interroger.

    Quelle est la constante stratégique qui ressort ici ? C’est celle des journées d’action « saute-mouton ». C’est donc cette stratégie qu’il faut remettre en cause et critiquer si nous voulons enfin sortir de l’ornière et triompher. Pour cela, posons une série de questions, auxquelles l’article 3 tentera de donner des réponses, afin de mieux nous orienter, si possible dans la présente lutte, et tout au moins à l’avenir :

    1. Pourquoi la stratégie des directions syndicales mène-t-elle des échecs répétés ?
    2. Pourquoi les directions syndicales majoritaires, quelle que soit l’ampleur de leur unité d’action, reproduisent-elles systématiquement une stratégie qui conduit à l’échec ?
    3. Est-il possible d’espérer des directions syndicales une stratégie plus offensive et laquelle ?
    4. Quelle attitude les révolutionnaires doivent ils/elles adopter dans des luttes de masse et face aux directions syndicales?

    Précisons que ces questions stratégiques se posent dans le monde entier, en des termes souvent voisins, mais la suite de cet article s’en tiendra au cas français, avec le paysage syndical tel qu’il est devenu dans ce pays.

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