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Notre-Dame-des-Landes: Face à Nantes en colère, les provocations gouvernementales
La manifestation nationale contre le projet d'aéroport à Nantes ce 22 février a été marquée par une forte participation, la préfecture elle-même annonçant 20 000 manifestant-e-s (en fait il y en avait deux ou trois fois plus). Pourtant depuis la fin de la manif les médias et le gouvernement titrent sur le "saccage" ou les "débordements"… en oubliant que celui qui a "dérapé", c'est d'abord le gouvernement.
Samedi 21 février, 13 heures : les manifestant-e-s, de tous âges et de tous horizons, souvent assez jeunes, se rassemblent tranquillement en face de la préfecture. Des bus (plus d'une soixantaine) arrivent des quatre coins de la France. L'atmosphère est militante, festive et joyeuse : gavotte militante, chants et chorales, salamandre géante (voir photo), etc. Mais beaucoup de personnes présentes sont déjà irritées par les comportements de la préfecture et de la police.
De la provocation à l'affrontement
C'est que deux jours avant, la préfecture a refusé le parcours initialement choisi pour la manifestation (passage par le centre-ville). Il s'agit paraît-il d'éviter des tensions et dérapages : mais la première tension ne vient-elle pas de là, à savoir imposer un parcours ubuesque pour un grand cortège qui rassemble bien au-delà des milieux militants radicaux ? En effet la diversité de la foule est évidente, nous avons affaire à une manifestation familiale et paisible, avec des mères promenant leur enfant en poussette, etc… et pourtant, le parcours de manif en centre-ville en passant par le cours de 50 otages est un grand classique qui a toujours été accepté.
Outre le coup de force de la préfecture à propos du parcours, la présence policière est non seulement massive mais aussi ostensible, des passant-e-s sur le boulevard sont apostrophé-e-s et fouillé-e-s comme si nous étions en période de guerre.
Mais il est vrai que peut-être dans l'esprit de l'État, justement c'est le traitement guerrier de la contestation sociale qui est à l'ordre du jour. La tension est donc déjà installée.
Le cortège commence, grossi au fur et à mesure, passe devant une succursale de Vinci qui en fait les frais (jet de peinture et démontage) – mais à quoi s'attendre d'autre quand on impose un parcours passant justement à cet endroit ? – et devient une imposante manifestation, avec une multitude d'organisations politiques (libertaires, Front de Gauche, NPA, EE-LV) et d'associations écologistes. Le monde syndical est peu présent, si ce n'est SUD et le SNUITAM-FSU (1). Quand quelques dizaines de manifestant-e-s s'en prennent à des symboles (banques, chantier de destruction d'un espace vert), la répression d'État entre en scène.
Une population contre l'arbitraire d'État
De l'aveu même de la préfecture, les échauffourées ont duré longtemps : de 13h30 à 21h30.
Si les conflits avec la police ont duré, c'est pour une raison simple : contrairement aux discours de Valls repris en boucle par les medias, ce n'est pas d'une minorité venue pour en découdre de manière organisée avec la police et hors sol par rapport au reste des manifestant-e-s, qu'il s'agit.
Non, en réalité, ce sont des milliers de personnes, pas forcément des militant-e-s acharné-e-s ni des militant-e-s d'extrême-gauche, qui sont révolté-e-s par cet aspect de la politique gouvernementale, d'autant plus quand on leur impose un parcours de manifestation sans queue ni tête.
Depuis quelques semaines, les organisations du mouvement ouvrier déplorent que la colère et la souffrance sociales soient exprimées dans la rue par les mouvements réactionnaires et d'extrême-droite. Eh bien là nous avons une colère progressiste, orientée contre une politique au service des grands groupes privés, qui prend un caractère de masse – et radical – contre la politique du gouvernement. C'est incontestablement un élément positif dans une situation difficile pour le mouvement social.
Black blocs ?
C'est la trouvaille du ministre Valls : ce seraient les Black Blocs venus de l'étranger (pratique pour nier la réalité profonde du mouvement) qui auraient planifié des actes de vandalisme.
Il y avait une atmosphère un peu irréelle : sur la place de la petite Hollande (un nom prédestiné !) où la manifestation s'était arrêtée, il y avait des prises de parole, de la musique, des badauds attablé-e-s aux cafés… un environnement festif et calme. Mais il suffisait de remonter 300 ou 400 mètres pour se retrouver face à la police, dans la fumée des lacrymogènes et sous le feu des canons à eau… le long du cours des 50 otages.
Si la police a été mise en difficulté, c'est justement parce qu'il n'y avait pas une muraille de Chine entre ces deux mondes de manifestant-e-s. Nous sommes allés dans la zone "chaude" : il était facile de constater qu'il n'y avait nulle part de "Black blocs". La réalité est celle de quelques dizaines de jeunes improvisant des moqueries face au dispositif policier : quelques jets de peinture, la brigade des clowns de la ZAD faisant un numéro… où est la violence délibérée dont on nous parle ? De même, de nombreux adultes de tous âges étaient là, exprimant une sympathie muette face aux plus "jeunes" mais manifestant aussi un autre sentiment : le rejet de l'appareil policier répressif cherchant à provoquer, à dégager brutalement les opposant-e-s, et même à mutiler.
C'est pourquoi les policiers ont été "débordés" ("Une" de Presse Océan du 23 février) : ils n'avaient pas affaire à quelques dizaines de personnes venues pour en découdre, mais à une population importante manifestant sa solidarité face à la répression.
De quel côté est la violence ?
Parce qu'il faut quand même rétablir quelques faits, quand certains brocardent l'agressivité des manifestant-e-s- et leurs dégradations. D'un côté quelques jets de peinture, la destruction d'une succursale de Vinci et d'un bureau de la régie des transports nantais, la TAN (2). Les autres actes sont largement le fait de réactions aux actes des forces de répression, mêlant des manifestant-e-s ordinaires révolté-e-s et des militant-e-s plus jeunes.
De l'autre les canons à eau, les flashball qui ont encore mutilé (un jeune aurait à nouveau perdu un œil), les lacrymogènes envoyés dans des groupes de manifestant-e-s comprenant des personnes âgé-e-s, des femmes avec leur enfant, etc. (ayant nous-mêmes suffoqué sous les lacrymogènes, nous avons pu constater cette volonté délibérée de semer la terreur).
Mais les forces de l'État ne se sont pas arrêtées là, dans leur volonté de "nettoyage" : après avoir repoussé les manifestant-e-s du cours des 50 otages, et contrairement à ce que tout le monde pensait, la police a continué à charger les manifestant-e-s, sur la place de la petite Hollande, au bord de la Loire, où la manifestation s'était arrêtée. Ainsi de paisibles client-e-s des bars ont suffoqué dans les lacrymos, dont le gaz envahissait les rues du centre de Nantes (il est à noter que les manifestant-e-s n'ont dégradé aucun commerce).
La lutte peut être gagnée !
Les discours gouvernementaux ne sauraient cacher ce fait : la manifestation est la plus importante depuis le lancement du mouvement contre l'aéroport. Le rejet du projet par la population locale s'amplifie.
Et maintenant les suites seront une question de rapport de forces face à un pouvoir défendant ici comme ailleurs les intérêts du capitalisme. C'est aussi un autre enseignement de la manifestation : oui, elle a été le lieu d'affrontements sans précédent à Nantes. C'est le reflet d'une stratégie de l'Etat donnant le primat à la répression pure et simple, mais qui se heurte à la ténacité d'un mouvement social prenant un caractère de masse et posant la question de la rupture avec la politique menée.
D'autres manœuvres sont à prévoir. Ainsi certains aujourd'hui ciblent la ZAD (3) comme responsable des violences, quasiment comme un repaire de terroristes. Ce qui peut préfigurer l'emploi de la manière forte pour en déloger les occupant-e-s. Mais d'un autre côté, le gouvernement voit bien à quelle résistance il se heurtera s'il persiste dans sa volonté, puisque le mouvement grossit et prend la dimension d'une révolte de masse.
C'est pourquoi la solidarité active avec la lutte de Notre-Dame-des-Landes est un enjeu pour tout le mouvement ouvrier. Et cela commence maintenant, en agissant pour que la responsabilité des policier-e-s, et de leur hiérarchie, responsables de violence, soit clairement pointée. Plus que jamais, il faut s'impliquer de manière active dans la lutte.
Emmanuelle & Quentin
(syndicalistes FSU/Emancipation qui ont participé à la manifestation)
(1) Syndicat FSU des ministères de l'écologie et de l'agriculture.
(2) Si la solidarité avec les conducteurs de tramway ou de bus de la TAN, dont les conditions de travail sont très difficiles, va de soi… il n'empêche que la direction de l'entreprise emploie des méthodes inacceptables face aux usager-e-s, notamment jeunes et issu-e-s de l'immigration. D'où sans doute cet acte.
(3) Zone à Défendre, située sur le territoire du projet d'aéroport, et où se trouvent les opposant-e-s du territoire concerné.