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      Solidarité avec les cheminots en lutte en Corée du Sud !

      Par OCEP (30 décembre 2013)
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      En Corée du Sud, 8 600 salarié-e-s de Korail (Korea Railroad, la SNCF coréenne) se sont mis en grève reconductible à compter du 9 décembre, suite à l'annonce d'un plan de privatisation d'une nouvelle ligne de chemin de fer par la direction. Il s'agit de la plus longue grève de l'histoire de Korail. Le syndicat des cheminots KRWU (Korean Railway Workers’ Union)[1] s'oppose au projet car il marque la première marche vers la privatisation générale du rail en Corée. Cette mobilisation s'inscrit dans un contexte de crise politique grave du gouvernement de PARK Geun-hye, et pourrait déborder sur des revendications plus larges.

      Un contexte de recul de la démocratie politique en Corée du Sud

      Il y a un an, le 19 décembre 2012, PARK Geun-hye a été élue première femme présidente de Corée du Sud. Mais sa légitimité a été remise en question dès son arrivé au pouvoir car les élections ont été truquées et manipulées par l’intervention illégale des services secrets (la NIS - National Intelligence Service) sur les réseaux sociaux. Les Coréen-ne-s ont commencé à protester dès cet été à Séoul en organisant des rassemblements pour une enquête approfondie et l’invalidation de l’élection présidentielle de 2012. Néanmoins, la réponse du gouvernement sud-coréen s’est traduite par une chasse aux sorcières, qui a été conclue par la dissolution du Parti Progressif Unifié (Unified Progressive Party[2]) et l’arrestation de son dirigeant. Dans la foulée, le 24 octobre 2012, le gouvernement a rendu illégal le syndicat des enseignants (KTU, Korean Teachers’ Union)[3]. Pour cette raison, lors de la visite de PARK Geun-hye en Europe en novembre et l’anniversaire de son élection corrompue en décembre, les Coréen-ne-s se sont réunis à Séoul mais aussi dans le monde entier y compris à Paris pour exiger sa démission et de nouvelles élections.

      La contestation de la privatisation des chemins de fer et la répression féroce du gouvernement

      Cette fois-ci, la polémique autour de la privatisation de KTX (Korea Train Express, l'équivalent du TGV français) a mis le feu aux poudres contre les politiques du gouvernement actuel. Le point de départ remonte au conflit entre le patronat de Korail et le syndicat KRWU sur ce sujet controversé. Le patronat voulait tenir un conseil d’administration le 10 décembre 2013 pour établir une nouvelle filiale « indépendante » pour exploiter la nouvelle ligne de KTX en provenance de Suseo. Cette ligne, encore en construction et prévue pour 2015, sera très rentable : elle avait été planifiée pour alléger la saturation des voies et améliorer ainsi le service de KTX. Le syndicat KRWU, qui considère ce dispositif comme le prélude à la privatisation de Korail, s’est opposé à cette décision et a lancé l’appel à une grève illimitée le 9 décembre 2013. 

      D’ailleurs, PARK Geun-hye ne s’en est pas caché lors de sa visite en France du 4 au 6 novembre. Elle a promis l’ouverture du secteur public aux pays européens y compris la France. Le 4 novembre elle a rencontré le président du MEDEF. Le lendemain, le 5 novembre, un projet de nouvel AMP[4] (Accord plurilatéral sur les Marchés Publics) de l’OMC était ratifié à huis clos lors du conseil de ministres sans même avoir été débattu au sein de l’Assemblée nationale. Cet accord comprend l’ouverture des marchés publics sud-coréens aux entreprises étrangères, y compris les chemins de fer. Comme ces entreprises étrangères possèdent des techniques et des savoirs-faire plus avancés par rapport à Korail, il est facile d’imaginer la suite : la privatisation et l'ouverture aux capitaux étrangers tels que Alstom France, Veolia et Siemens ne pourra qu’aggraver le niveau de vie de la classe dominée.


      PARK Geun-hye est reçue à l’Élysée, le 5 novembre 2013

      La colère des Coréens explose

      Les réactions du gouvernement et du patronat ont provoqué une colère générale des citoyens coréens. D’abord, la direction de Korail a prétendu que ce sujet n’était pas un objet de négociation entre le patronat et les syndicats car il ne traitait pas directement des conditions de travail. C’est pourquoi elle a déclaré illégale cette grève, puis elle a porté plainte contre 194 membres de la direction de KRWU et mis à pied les 8 600 travailleurs mobilisés en les menaçant de licenciement. Pour briser la grève, la direction a fait appel en urgence à des intérimaires, certains encore en formation. Cependant des accidents ont eu lieu fréquemment, menant ainsi à la mort d’une passagère dans le métro car le conducteur, un étudiant de 19 ans, n'était pas assez formé. PARK Geun-hye a affirmé sa détermination en persistant dans son principe de l’« intransigeance » contre « l’action illégale ». Par la suite, le parquet ainsi que le ministère du transport national, le ministère du travail et de l’emploi et la préfecture de police ont décidé d’envoyer des mandats d’arrêt contre 25 principaux organisateurs de cette grève. Après avoir fouillé les bureaux de KRWU et la section locale de KRWU Séoul, 4 000 policiers ont pris d'assaut sans mandat et saccagé le bureau central de KCTU à Séoul le 22 décembre sans réussir à arrêter sur place aucun syndicaliste de KRWU. Cependant, 130 membres de KCTU ont par la suite été arrêtés.


      Le saccage des locaux de KCTU, le 22 décembre 2013 

      Le gouvernement a complètement abandonné tout dialogue à la fois avec le syndicat et avec les citoyens. L’indignation des Coréens est en train d’exploser de manières différentes. Certain-e-s participent au rassemblement devant la mairie de Séoul pour soutenir la grève, mais aussi pour protester contre toutes sortes de privatisations dans la santé, l’électricité et l’eau. D’autres écrivent et affichent un dazibao[5] intitulé « Vous allez bien ? » qui a été commencé par un étudiant universitaire, pour dénoncer la réalité accablante où il n’existe que des compétitions féroces pour décrocher un emploi après les études.

      L’édification d’une société par actions, première étape de la privatisation

      La direction de Korail prétend que la création d’une filiale pour exploiter la nouvelle ligne KTX de Suseo n’a rien à voir avec la privatisation, car l’investissement du capital privé n’y serait pas autorisé. Cependant, le point de vue de KRWU est différent. Vu que cette nouvelle filiale sera une société par actions (SA), elle serait la première étape pour la vente au secteur privé. En effet, d’après KRWU, le conseil d’administration pourra ultérieurement modifier les règlements de cette SA pour permettre la vente de ses actions aux actionnaires privés au bout de quelques années. De plus, le syndicat affirme que cette nouvelle ligne de KTX aboutira à une réduction des recettes de Korail, déjà très endettée. En effet, elle récupérera une grande partie des usagers de KTX en provenance des villes suburbaines situées dans le sud de Séoul comme Sungnam où se concentre une forte population. Par conséquent, le déficit de Korail risque de s’accroître encore plus et devra être comblé par les impôts. Au bout du compte, ce qu’on peut constater à travers cette politique des dirigeants sud-coréens est un pas de plus vers la privatisation, car il s’agit toujours de la séparation en plusieurs secteurs tels que les transports, la maintenance, le service et bien d’autres.   

      Ce sont les dirigeants démocrates qui ont lancé la privatisation

      Ce qui se passe actuellement en Corée du Sud évoque le régime dictatorial oppressif du père de PARK Geun-hye, qui était à la tête du régime militaire dans les années 1960 et 1970[6]. L’indignation aujourd’hui des Coréens contre PARK Geun-hye est tout à fait légitime. Toutefois, il est indispensable de rappeler la vérité autour de la politique de privatisation du gouvernement sud-coréen. En fait, ce n’est pas le patronat actuel de Korail ou PARK Geun-hye qui a lancé ce projet. Ce dernier était déjà engagé sous les anciens présidents KIM Dae-jung et ROH Moo-hyun qui sont présentés pourtant comme les deux grands symboles de la démocratie sud-coréenne et de « l’espoir du peuple ». Plus concrètement, KIM Dae-jung a introduit les politiques néolibérales pendant la crise financière en Asie de 1998. Par exemple, il a mis en place la loi sur le travail intérimaire. ROH Moo-hyun a été l’acteur principal de la privatisation de Korail. Il a initié la séparation de la gestion des infrastructures et celle du transport. C'est également lui qui a introduit le principe de concurrence dans Korail à travers la participation de capitaux privés. Ainsi, la répression violente ne trouve pas ses racines dans le gouvernement actuel. En réalité, les précédents gouvernements qui étaient soi-disant « démocrates libéraux » étaient également répressifs, au service des profits capitalistes.

      Au delà de l’indignation contre le régime « dictatorial »

      Paradoxalement, la violence répressive des gouvernements dirigés par LEE Myung-bak et PARK Geun-hye a indéniablement contribué à donner corps à la contestation populaire. Aujourd'hui, le ras-le-bol social s'exprime principalement à travers la mobilisation des travailleurs du rail contre la privatisation des chemins de fer. Toutefois, cette lutte déterminée doit permettre d'ouvrir la voie à la remise en cause de la privatisation généralisée des services publics, très avancée en Corée du Sud. Un exemple frappant est le marché de l'éducation privée qui soumet les adolescents à des pressions de réussite scolaire si fortes qu'elles les poussent au suicide[7]. Çà et là, quelques mobilisations éparses mettent déjà en avant des revendications qui dépassent la question du rail. Elles montrent le début d'une prise de conscience plus générale, et laissent espérer la possibilité d'une extension de la lutte à d'autres secteurs de la population[8].


      La manifestation à l’appel de KCTU, le 28 décembre 2013

      Allant dans ce sens, la centrale syndicale KCTU a appelé à une grève générale élargie aux autres secteurs à partir du 28 décembre. D'après les premiers échos, entre 20 000 (selon la police) et 100 000 manifestants (selon KCTU) sont descendus dans la rue, incluant notamment des salarié-e-s de l'hôtellerie, de la distribution et de la métallurgie. Suite à un ultimatum posé par Korail, 2 000 salariés ont repris le travail, essentiellement dans le service à bord et l'accueil en gare (seulement 4 % parmi les conducteurs). Dans ce mouvement pour faire reculer le patronat et le gouvernement de PARK Geun-hye, il est impératif de commencer dès maintenant à soulever les problèmes fondamentaux du système d’exploitation, afin de mener une lutte large et radicale des classes dominées. C'est d'autant plus indispensable que certaines organisations, comme le parti démocrate, tentent de canaliser le mouvement uniquement vers l'exigence d'une nouvelle élection sans se battre réellement contre la privatisation.

      En France, le syndicat SUD Rail a organisé un rassemblement le 27 décembre 2013 devant l’ambassade de Corée du Sud à Paris pour soutenir les cheminots coréens qui sont en grève contre la privatisation des chemins de fer depuis le 9 décembre. Ce rassemblement de solidarité a réuni une cinquantaine de personnes, à la fois des cheminot-e-s et militant-e-s français-es et des Coréen-ne-s.  On peut souligner que des entreprises françaises tirent de gros profits de la marchandisation des transports publics en Corée. Ainsi, Alstom remporte des contrats juteux sur la fabrication des trains KTX en exportant sa technologie et son matériel. Veolia possède 80 % des actions de la ligne 9 du métro à Seoul. Il faut appeler les syndicats, et plus largement les organisations militantes en France à manifester leur solidarité à la lutte des travailleurs-ses sud-coréen-e-s, que ce soit par des communiqués ou des rassemblements.


      [1]    KRWU est membre de KCTU (Korean Confederation of Trade Unions), une confédération syndicale relativement radicale par rapport à FKTU (Federation of Korean Trade Unions), l'autre principale centrale du pays.

      [2]    Ce parti était soumis aux critiques à cause de sa tendance à défendre le régime nord-coréen et de son caractère stalinien. 

      [3]    La Fédération CGT de l'éducation, de la recherche et de la culture (FERC-CGT) a publié une motion de soutien au syndicat des enseignants coréens lors de son congrès du 6 décembre 2013 à Dijon, http://www.amitiefrancecoree.org/article-coree-du-sud-reaction-de-la-cgt-contre-l-interdiction-du-pr..., consulté le 28/12/13.

      [4]    GPA en anglais (Government Procurement Agreement).

      [5]    Dazibao est un mot chinois qui signifie un grand journal mural écrit à la main, soit par les propagandistes du pouvoir, soit par des contestataires.

      [6]    PARK Jung-hee était un dictateur de la Corée du Sud qui a pris le pouvoir par un coup d’État en 1961 et qui a été assassiné par le président des Services Secrets KIM Je-gyu en 1979.

      [7]    La Corée du Sud est un pays où le taux de suicide des adolescents est le plus élevé parmi les pays d’OCDE. Même si les élèves vont à l’école, ils finissent souvent leur journée après 22h dans un Hakwon, un institut privé qui pèse pour une part importante dans le budget d’un ménage.

      [8]    Cette partie a été rédigée en faisant références à l’article de KIM Gyu-hang, qui est directeur d’une revue pour enfants et adolescents « La Baleine nous l’a dit », http://www.gyuhang.net/2881, consulté le 28/12/13.

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