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Pour la rupture anticapitaliste avec l’Union européenne !
Le prochain CPN devra décider du contenu de notre campagne pour les élections européennes. Un débat traverse les rangs tant de la gauche réformiste que de la gauche révolutionnaire : faut-il ou non rompre avec l’Union européenne ? Notre conviction est qu’en refusant de mettre en avant la nécessaire rupture anticapitaliste avec l’UE (sous prétexte que la question ne se pose pas ou que le simple fait de la poser ferait le jeu du FN), nous nous condamnons à l’incantation abstraite alors que les travailleurs/ses attendent légitimement qu’on leur propose une alternative concrète et qu’on n’esquive aucune question. Cette démission ouvre un boulevard à l’extrême droite qui parvient à incarner une certaine forme de radicalité alors que son programme est un concentré d’attaques anti-immigrés, anti-sociales et anti-démocratiques contre les travailleurs/ses et leurs organisations.
Dans cette contribution, nous poursuivons la discussion lancée au sein de la Commission Europe et nous voulons montrer notamment pourquoi la position défendue par Yvan (dans son texte « Sortir de l’euro, refonder l’Europe ou la révolutionner ? », cf. http://npa2009.org/content/sortir-de-leuro-refonder-leurope-ou-la-revolutionner-y-lemaitre) est selon nous abstraite et donc erronée.
L’enjeu est important. Par exemple (parmi bien d'autres) : dans une interview de Philippe sur France Info le 17 janvier (http://www.dailymotion.com/video/xnukn8_interview-de-philippe-poutou-sur-france-info-le-17-01-2012_news), le journaliste pose la question suivante : « Si par hasard vous n'étiez pas suivi par d'autres pays européens, pourrait-on imaginer une sortie de France de la zone euro ? », et Philippe répond : « Non, non, on n'est pas du tout pour cela ; on est pour une Europe sociale ». Ainsi, au lieu de porter un programme anticapitaliste concret, on botte en touche sur la question de l'euro et de l'UE ! Du coup, le programme anticapitaliste du NPA ne peut qu'apparaître comme une posture abstraite, une incantation, qui refuse de voir les obstacles réels dressés sur sa route et en l’occurrence de se prononcer sur l’une des questions centrales de la vie politique.
L'UE, l'euro, et les catégories populaires
Le rapport à l'UE n'a jamais été aussi clivant socialement, et les catégories populaires (ouvriers et employés) n'ont jamais été autant hostiles à l'UE qu'aujourd'hui. Selon la dernière enquête Ipsos de janvier (http://www.franceinter.fr/sites/default/files/2014/01/20/821768/Lfichiers/Barom%C3%A8tre%20nouvelles%20fractures_2014%20vDEF.pdf), 33% (+5% par rapport à 2012) des personnes interrogées sont pour une sortie de l'euro : 6% (-12%) des cadres supérieurs le sont et 52% (+8%) des ouvriers !
Cette hostilité à l'UE ne doit pas être vue avec effroi et horreur. Évidemment, cette hostilité peut faire le jeu de l'extrême droite et alimenter le nationalisme. Ce danger est réel. Mais l'extrême droite capitalisera d'autant plus si les forces d'extrême gauche font l'erreur d'associer hostilité à l'UE et FN. Nous ne devons pas expliquer aux catégories populaires qu'elles ont tort de vouloir « sortir » de cette Union européenne, mais nous devons au contraire nous appuyer sur cette hostilité pour l'incarner dans un projet de rupture avec le système capitaliste, en expliquant pourquoi cela inclut la rupture avec l'UE capitaliste.
Cette hostilité à l'UE et à l'euro est en effet aujourd'hui captée par le FN, qui affiche un profil anti-UE et pour une sortie de l'euro. En réalité, le positionnement du FN est ambigu, pour une sortie concertée et négociée de l'euro (et non une rupture), mais à une échelle de masse (et en raison du traitement journalistique caricatural), il apparaît comme totalement opposé à l'UE. Avec ce discours anti-UE, le FN a bien compris qu'il pouvait élargir son audience dans le prolétariat en apparaissant à bon compte comme « anti-système ».
Syriza et le positionnement à l'égard de l'UE et de l'euro
Cette hostilité grandissante à l'égard de l'UE, notamment dans les catégories populaires, est une tendance européenne, y compris en Grèce où les partisans de la sortie de l'euro représentent environ 40% de l'électorat (contre moins d'un quart il y a deux ou trois ans). Dans sa contribution sur la « sortie de l'euro », Yvan fait le lien entre le plus grand succès de Syriza par rapport à Antarsya à sa position sur l'UE et l'euro. C'est à notre avis une erreur d'interprétation : le succès de Syriza tient avant tout à sa promesse de rompre avec les politiques d'austérité et à sa relative crédibilité qui repose sur le fait que Syriza n'a pas encore géré les affaires de la bourgeoisie. Et nous sommes en complet désaccord avec l'appréciation d'Yvan sur la caractérisation du positionnement de Syriza sur l'UE ; pour Yvan, la position de Syriza est « plus avancée » que celle d'Antarsya, car Syriza, en refusant d'envisager la rupture avec l'UE/l'euro, serait plus internationaliste.
En réalité, ce positionnement révèle le refus de Syriza de se donner les moyens de rompre avec l'austérité. Après avoir longtemps utilisé un slogan ambigu (« pas un seul sacrifice pour l'euro »... qui pouvait laisser entendre qu'il était pour rompre avec l'euro si nécessaire... mais tout en refusant de le dire clairement comme si la rupture avec l'UE était une option parmi d'autres), Tsipras dit maintenant clairement qu'il n'est pas question de rompre avec l'UE : il acte donc dès aujourd'hui sa capitulation et son renoncement à réaliser ses promesses. C'est tout sauf un hasard si le clivage au sein de Syriza se fait sur la question européenne, et il n'oppose pas les gentils internationalistes aux méchants souverainistes. Il oppose ceux qui veulent avant tout donner des gages à la bourgeoisie, autour de Tsipras, et ceux qui veulent rester fidèles au programme de Syriza, autour de la gauche de Syriza, notamment les différents courants trotskystes en son sein : le positionnement à l'égard de l'UE en découle logiquement !
Le Front de gauche et l'Union européenne
Pendant longtemps, les différentes composantes du Front de gauche ont refusé d'envisager une rupture quelconque avec l'Union européenne. Il s'agissait de réformer l'UE, de changer les traités, de changer les statuts de la BCE (pour permettre une politique monétaire plus expansionniste préférant l'emploi à l'inflation), de démocratiser les institutions européennes. En un mot, peser à l'intérieur de l'UE afin de construire une prétendue « Europe sociale ».
Il y a une contradiction flagrante entre défendre un programme anti-austérité et refuser de rompre avec l'UE. En effet, un gouvernement anti-austérité au sein de l'UE se condamnerait à capituler d'entrée de jeu : impossible de mener une politique anti-austérité si on ne contrôle pas sa monnaie, si on ne peut rien faire contre la liberté de circulation des capitaux et des marchandises, et si, de façon générale, on reste dans les clous de Maastricht et Lisbonne. Dans un contexte de crise de rentabilité du capital (crise de suraccumulation), l'alternative keynésienne ou antilibérale est une impasse, mais cette impasse est d'autant plus criante quand on refuse de rompre avec l'UE.
Si le PC n'évolue pas d'un pouce sur la question européenne, les dirigeants du PG perçoivent bien le déficit de crédibilité lié à leur positionnement sur l'Europe. Pendant longtemps, Mélenchon a expliqué qu'une fois élu, il ferait plier tous les dirigeants européens (Merkel en premier) et que les institutions européennes seraient mises au service de la « révolution citoyenne ». Il a bien compris que cette posture était grotesque et, en politicien avisé, il a infléchi son discours. Dans l'émission « On n'est pas couché » du samedi 1er février, Mélenchon a envisagé l'hypothèse où il ne parviendrait pas à imposer ses vues à Merkel, et il a précisé qu'il convoquerait dans ce cas un référendum pour rompre avec l'euro et se donner des marges de manœuvre pour appliquer sa politique. Cette sortie de Mélenchon faisait suite à des « confidences » de Jacques Généreux (un économiste très proche de Mélenchon) à Marianne, où il racontait que dès la campagne 2012, le PG avait poussé, au sein du Front de gauche, pour une sortie de l'euro, mais qu'il y avait eu un veto du PCF qui ne voulait pas en entendre parler, non bien sûr par « internationalisme », mais... pour ne pas rompre les ponts avec le PS.
Cela faisait un moment que des militants à la base poussaient pour une clarification du Parti de gauche sur la question de l'UE et de l'euro. Un livre d'Aurélien Bernier (« La gauche radicale et ses tabous »), un groupe intitulé « gauche d'opposition » (http://www.gaucheopposition.fr/) vont aussi dans ce sens. Et dans sa résolution du 16 février (http://tendanceclaire.npa.free.fr/breve.php?id=7410), la direction du Parti de Gauche se positionne « pour la rupture avec l'actuelle UE », et affirme que « ces ruptures sont possibles en France immédiatement, en désobéissant, sans attendre l’illusoire Europe sociale à laquelle plus personne ne croit ». C'est une inflexion nette, qui vise à sortir le Front de gauche de ce qui, même dans une logique keynésienne, apparaît aux anti-libéraux les plus sérieux comme une impasse stratégique.
Quelle analyse de l'Union européenne capitaliste ?
Nous avons un gros désaccord avec Yvan, quand il se dit d'accord avec la position de LO de 1992 selon laquelle « l'Europe bourgeoise qui se dessine n'est en elle-même ni un bien ni un mal pour les travailleurs ». Logiquement, LO avait alors appelé à l'abstention en 1992 lors du référendum sur le traité de Maastricht, estimant que le rôle des révolutionnaires n'était pas de combattre cette Europe (soit dit en passant, l’écart de 540 000 voix entre le « Oui » et le « Non » était inférieur au nombre de suffrages – 600 000 – d’Arlette Laguiller en 1988...)
Or, nous pensons au contraire que la construction européenne capitaliste, depuis 1957 et le traité de Rome, est une stratégie des bourgeoisies nationales à la fois pour peser davantage dans la concurrence mondiale et pour disposer d’armes juridiques et politiques contre les travailleurs d’Europe. La CEE, puis l'UE, ont été construites sur les bases de la concurrence libre et non faussée, le libre échange, la liberté de circulation des capitaux, qui visent à mettre les travailleurs en concurrence pour comprimer les salaires. Les bourgeoisies européennes ont très bien compris l'utilité de mettre en place ces institutions supranationales pour imposer avec plus de facilité des attaques contre les travailleurs.
Derrière les discours fumeux sur la paix et l’amitié entre les peuples (d’autant plus hypocrites les premières mesures sont contemporaines de la guerre d’Algérie et que les suivantes le sont de multiples interventions françaises, britanniques, etc., dans les pays dominés), la vraie raison d’être de l’UE est la mise en place d’un cadre facilitant l’exploitation de la force de travail par les bourgeoisies européennes :
- Le traité de Rome en 1957 a permis la création d’une zone de libre échange, en levant les restrictions à la libre circulation des marchandises à l’intérieur de la communauté européenne (réduite alors à l’Allemagne, la France, l’Italie et les pays du Benelux). Puis, avec la signature de l’Acte unique (1986), les gouvernements européens ont levé toutes les entraves à la libre circulation des capitaux. Ces processus ont mis en concurrence directe les travailleurs des différents pays.
- La mise en place puis le renforcement des institutions européennes ont aidé les différents gouvernements à mettre en place des contre-réformes au nom de l’« idéal européen » (utopie de substitution pour intellectuels déboussolés), en se mettant d’accord ensemble lors de sommets européens, les parlement nationaux se contentant ensuite de traduire dans les législations nationales les différentes décisions. Ce nouveau dispositif institutionnel, complexe obscur, et échappant à tout contrôle, est un recul démocratique par rapport aux principes mêmes de la démocratie bourgeoise. En s’émancipant de ces règles trop encombrantes, et compte tenu du fait que le prolétariat n’est pas organisé au niveau européen, les bourgeoisies sont parvenus à anesthésier la démocratie sans provoquer de révolte populaire.
- Le traité de Maastricht (1992), qui a donné le coup d’envoi de l’Union monétaire, a dépossédé les États de leur souveraineté monétaire et permis aux pays les plus compétitifs (en premier lieu l'Allemagne) d'accumuler les excédents commerciaux pendant que les pays de l'Europe du sud (qui ne pouvaient plus dévaluer leur monnaie) accumulaient les déficits. Dans le cadre de l'euro, la seule variable d'ajustement est le salaire ; l'utopie réactionnaire de la concurrence libre et non faussée prenait pleinement forme. Alain Madelin a très bien résumé l'intérêt du traité de Maastricht pour la bourgeoisie : « Le traité de Maastricht agit comme une assurance-vie contre le retour à l’expérience socialiste pure et dure » (Alain Madelin à Chalon-sur-Saône, 4.9.92). L'intérêt de la construction européenne réside ainsi dans la réduction de la capacité des masses à pouvoir influer sur le cours des choses.
- Enfin, deux nouveaux traités (qui n'en font en réalité qu'un seul) complètent aujourd'hui l'édifice en liquidant la souveraineté budgétaire nationale : le TSCG (traité sur la stabilité, la coordination, et la gouvernance dans l'UE) impose la « vertu » budgétaire (la fameuse « règle d'or ») aux États avec un système de sanctions automatiques pour les mauvais élèves. Le MES (mécanisme européen de solidarité) permet l'octroi de prêts aux pays en difficulté à condition qu'ils se conforment au TSCG.
Le tour de force de la bourgeoisie a été de faire passer tous les opposants à sa construction européenne pour des affreux nationalistes d'extrême droite, culpabilisant les travailleur-se-s de plus en plus hostiles à cette Europe. Et en érigeant le FN comme seul représentant de l'opposition à l'UE, la bourgeoisie a alimenté le vote frontiste.
Si l'Europe est un formidable levier pour le grand capital, c'est d’une part parce que les bourgeoisies nationales ont besoin de nouer des alliances entre elles dans le cadre de la concurrence mondiale. D’autre part, le prolétariat n'est pas organisé au niveau européen, mais au niveau national. C'est pour cela que les capitalistes voient l'intérêt de se coordonner à l'échelle européenne pour mieux détruire nos acquis. L’UE offre un ensemble de mécanismes politiques et juridiques permettant de démanteler progressivement, dans chaque pays, les acquis reconnus par les États dans le cadre des rapports de force variables entre les classes hérités de l’histoire.
Il est donc clair que la construction européenne a été imposée aux peuples pour la défense des intérêts de classe de la bourgeoisie. Le « sentiment européen » des capitalistes repose sur un calcul froid, que Sarkozy exprimait clairement en 2005 : « Je suis européen parce que l'Europe est un formidable levier pour faire des réformes en France ».
Mais Yvan persiste à ne pas voir l'Europe bourgeoise comme un « mal » ! L'ennemi, c'est le capitalisme, pas l'Europe de Maastricht, nous dit-il. Mais on pourrait dire la même chose de l’État en général : faudrait-il opposer le combat contre le capitalisme au combat contre l’État ? Évidemment pas, puisque l’État, sous des formes historiques déterminées notamment par les rapports de forces entre les classes, organise la domination de classe de la bourgeoisie.
De même, l'Europe de Maastricht est l’œuvre consciente de la bourgeoisie pour organiser sa domination et pour porter des coups décisifs au prolétariat. Mais Yvan nous dit que l'euro est un « instrument » (confondant un instrument neutre avec un une institution politique) qui ne serait responsable de rien « en soi », puisque la faute est au capitalisme. En outre, Yvan nous explique que l'imposition d'une monnaie unique n'est pas pire pour les travailleurs que les dévaluations monétaires. Certes, une dévaluation monétaire renchérit le prix des biens importés, mais elle n'est pas équivalente à une baisse des salaires. Pour le comprendre, imaginons que la productivité en Allemagne augmente de 10% pendant une période donnée et que la productivité en Grèce reste stable. Dans le cadre de la monnaie unique, les salaires grecs doivent baisser de 10% par rapport aux salaires allemands pour compenser cet écart de productivité et garder la même compétitivité. En revanche, si la Grèce pouvait dévaluer, elle dévaluerait de 10% pour compenser cet écart de productivité. Mais cela ne se traduirait pas par une baisse de salaire de 10%, car si le prix des biens importés augmente, le prix des biens produits en Grèce reste le même. Il y aurait donc une baisse du salaire réel, mais largement inférieur à 10% !
Une monnaie unique pour des pays qui ont des niveaux de productivité différents, et en l'absence de transferts budgétaires, est un dispositif qui oblige les pays les plus faibles à baisser leurs salaires (et ceux qui ne le font pas accumulent alors les déficits, retardant le moment de l'ajustement qui n'en sera alors que plus brutal). Si l'euro favorise les bourgeoisies les plus puissantes, les autres y trouvent également leur compte. Comme l'a indiqué Panagiotis Sotiris (dirigeant d'Antarsya en Grèce) lors de journée de débats d'Antarsya à Paris le 2 mars, « les pays de la zone euro cèdent leur souveraineté monétaire en vue de profiter d’une pression compétitive constante pour des reformes capitalistes. On trouve ici la raison pour laquelle les bourgeoisies des pays moins compétitifs ont consenti à cette perte de souveraineté monétaire »[1].
Yvan nie cela en expliquant que le problème n'est pas l'euro, mais les « choix politiques » qui ont accompagné la mise en place de l'euro, notamment l'interdiction pour la BCE de financer directement les États. Yvan s'attache ici à la surface des choses, car si le financement direct des États aurait pu limiter la spéculation, il n'aurait pas remis en cause la nécessité d'ajuster les déséquilibres (en l’absence de transferts budgétaires) par les salaires. Une dévaluation permet au contraire aux pays les plus faibles de rendre leurs produits plus compétitifs sans avoir à baisser les salaires.
Si Yvan met les choses sur le même plan, c'est qu'il conçoit fondamentalement tout dépassement du cadre national comme progressiste, comme un pas en avant vers l'Europe socialiste de demain. C'est avec ce point de vue mécanique et dogmatique qu'il faut rompre : nous ne pouvons pas être « neutres » sur les dispositifs que met en place la bourgeoisie pour nous attaquer. Il n’y a pas de « progrès » en soi, mais l’histoire montre que le « progrès » capitaliste se nourrit très souvent de la régression pour les travailleurs/ses ! Comme disait Marx, le « progrès » bourgeois « ressemble à cette hideuse idole païenne qui ne voulait boire le nectar que dans le crâne de ses victimes »...
D’ailleurs, si Yvan ne veut pas combattre le libre échange, doit-on comprendre qu'il refuse de s'opposer au traité de libre-échange UE/USA qui vise à baisser encore davantage les droits de douane ?
Il ne faut pas laisser la dénonciation du libre échange ou de l'euro au FN. L'internationalisme ouvrier n'a rien à voir avec la défense du libre échange ou des unions monétaires dans le cadre du capitalisme. Loin de participer au renforcement des liens entre prolétaires des différents pays (comme l'espérait naïvement LO pour justifier son refus de combattre Maastricht), l'Europe capitaliste les oppose les uns aux autres. L’UE est-elle en train de rapprocher les travailleur-se-s de Grèce et d’Allemagne ? L'internationalisme prolétarien se construira dans la lutte collective et internationale contre ce cadre européen qui facilite les attaques contre les travailleur-se-s, et pas dans l'indifférence (encore moins le soutien) vis-à-vis de ce cadre. Ce combat contre l’UE n’implique évidemment pas d’adopter une vision étapiste : la sortie de l’euro d’abord, et la rupture avec le capitalisme ensuite. Nous ne combattons pas l’UE pour revenir à un capitalisme national avec le retour du franc. Si nous voulons rompre avec l’UE, c’est parce que nous voulons rompre avec le capitalisme et construire le socialisme.
Un gouvernement des travailleurs devrait forcément rompre avec l'UE !
Si nous voulons que notre perspective politique soit crédible, nous ne pouvons pas prétendre qu'un gouvernement des travailleurs-ses s'imposera d'emblée au niveau européen. Marteler que le changement ne doit se produire qu'à l'échelle de l'Europe, c'est rendre abstraite toute perspective de pouvoir pour les travailleurs/ses. Nous ne savons pas quelle configuration exacte pourra prendre un processus révolutionnaire victorieux (à quelle échelle géographique il commencera), mais nous devons être clair sur le fait que, dans n’importe quel pays, la rupture avec le capitalisme nécessiterait d'emblée de rompre avec l'UE et l'euro. L'annulation de la dette publique, l'expropriation des grands groupes capitalistes, l'interdiction des licenciements sont incompatibles avec le maintien dans l'UE du capital. L'objectif prioritaire d'un tel gouvernement serait bien évidemment l'extension géographique du processus révolutionnaire. Mais dès la prise du pouvoir, il devrait créer une banque publique unique et une nouvelle monnaie, inconvertible et inutilisable sur les marchés internationaux pour empêcher la fuite des capitaux. Il n’est pas crédible une seconde de prétendre qu’il pourrait rester dans l'UE et continuer à utiliser l'euro, tout en lançant un « processus constituant au niveau européen », comme si ce processus pouvait conduire à l'édification d'une Europe socialiste !
Même si Yvan met l’accent sur le fait que la rupture doit s’envisager avant tout à l’échelle européenne, il ne peut esquiver complètement la question de ce que devrait faire un gouvernement « anti-austérité » à l’échelle nationale. Yvan y apporte une réponse ambiguë : un tel gouvernement devrait d’un côté dénoncer les traités européens, mais devrait aussi refuser de sortir de l’euro parce que « nous sommes pour une monnaie unique » et que l’euro est un simple « instrument ». Autrement dit, un tel gouvernement devrait se battre « dans le cadre de la zone euro ». Il s'agirait donc de « désobéir » aux règles de l'UE tout en restant dans l'UE : par exemple (nous supposons, car Yvan reste très abstrait) en faisant émettre des euros par la Banque centrale autant que de besoins, en s'asseyant sur les dispositions des traités (sur la concurrence libre et non faussée, etc.).
Le but serait alors de subvertir les institutions européennes en espérant que « l'exemple » fasse tâche d'huile, et, si cela ne marche pas, de forcer les autres pays à exclure le pays doté d’un « gouvernement anti-austérité ». Notre internationalisme serait intact et nous n'aurions pas cédé aux diktats capitalistes.
Cette tactique (qui est aussi celle développée par Michel Husson à l’intérieur du Front de gauche) nous semble erronée pour plusieurs raisons :
- Elle minimise les réactions qu'une telle politique entraînerait. Il est par exemple illusoire de croire que la Banque de France pourrait imprimer des euros en dehors du contrôle de la BCE. De façon instantanée, la valeur des euros imprimés en France (et dont une des faces est identifiable comme « française ») serait déclarée comme nulle par la BCE, et le gouvernement français devrait alors faire un choix immédiat : accepter ou non de se soumettre aux institutions européennes.
- Elle néglige le fait que, en restant dans l'UE, les pressions seront très fortes pour s'adapter et repousser les mesures à prendre aux calendes grecques... au nom de l'internationalisme et du refus de l'isolement.
- Surtout, si cette tactique peut se discuter au sein de la famille politique « antilibérale », elle est inacceptable, sur le plan des principes, pour les anticapitalistes révolutionnaires. Un gouvernement des travailleurs devrait rompre avec l’UE au moment même où il commencerait à mettre en œuvre son programme. Entretenir l’incertitude sur ce point, c’est jeter un doute sur notre détermination à rompre réellement avec le capitalisme, alors que nous devons avoir en tête que la gauche au pouvoir a toujours justifié ses reculs par la contrainte européenne.
Il ne suffit pas de dire abstraitement qu’on est idéalement pour « en finir avec l'UE ». Si nous voulons faire réellement de la politique, un tel objectif ne peut pas être affiché sans dire un mot sur les moyens pour y parvenir. La crédibilité de notre projet se joue sur la capacité à présenter un chemin, à répondre concrètement à des questions concrètes. La perspective d'en finir avec l'UE tombe à plat si cela se conjugue avec le refus de rompre avec l'UE.
Il s'agit donc d'élaborer non un vague « programme d’urgence » qui ne dise rien des mesures que prendrait le pouvoir que nous voulons, mais un véritable programme de transition qui articule les revendications aux moyens à mobiliser pour les traduire dans la réalité : l'expropriation des grands groupes capitalistes, mais aussi le monopole du commerce extérieur, la création d'une nouvelle monnaie non librement convertible avec les monnaies capitalistes. Le programme de transition part des revendications immédiates pour tracer un chemin que la classe mobilisée devrait emprunter pour parvenir à rompre concrètement avec le système capitaliste. Dans cette acception du programme de transition, la nécessaire rupture avec l'UE y a toute sa place : ce serait l’une des premières mesures que prendrait un gouvernement des travailleurs/ses.
[1] Cf. http://lastingfuture.blogspot.gr/2014/03/la-gauche-face-lunion-europeenne.html