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      Tirer des leçons politiques des élections européennes

      Par Gaston Lefranc (28 mai 2019)
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      Une abstention populaire en recul, mais qui reste très importante

      L’abstention a reculé par rapport aux élections de 2014, passant de 57,6 % à 49,9 % (-7,7 points). C’est significatif, mais il ne faut pas oublier qu'un électeur sur deux n’a pas voté. Le surplus de participation a sans doute bénéficié au FN, puisqu’on observe un surcroît de participation plus important sur les terres ouvrières où le FN est fort (comme le Pas de Calais).

      Comme d’habitude, l’abstention n'est pas uniforme, loin s'en faut (données extraites de deux sondages effectués le jour du vote : Elabe et Ipsos) : 30 à 40% des moins de 35 ans ont voté, contre plus de 65% des plus de 65 ans. Les catégories supérieures ont voté à 50-55%, contre 40% des catégories les moins aisées. Les électeurs de Mélenchon de 2017 sont ceux qui ont le moins voté : 45 %, contre 60 % des électeurs de Macron et 57 % des électeurs de Le Pen.

      Le RN s’impose malheureusement comme l’alternative à Macron dans les catégories populaires

      Avec 23,3 %, le RN réalise un bon score, néanmoins en deçà de ce qu’annonçaient les derniers sondages et ce que le regain de participation dans ses bastions pouvait lui laisser espérer. L’effet « vote utile » pour infliger une défaite à Macron a bénéficié au RN, en mobilisant des abstentionnistes, ainsi que des gilets jaunes qui hésitaient à voter pour d’autres mouvements, notamment la France insoumise.

      Le RN se consolide dans ses bastions populaires du nord et de l’est de la France. Le RN réalise de 40 à 50 % chez les ouvriers, près de 30 % chez les employés, et un peu plus de 10 % chez les cadres. Ainsi, par rapport à 2017 où le RN était concurrencé par la France insoumise, l’hégémonie du RN se renforce dans les catégories populaires. Alors que le mouvement des gilets jaunes est dominé par les aspirations sociales et démocratiques opposées à ce qui est porté par le RN, c’est le RN qui rafle la mise parmi celles et ceux qui se déclarent « très proches » des gilets jaunes : parmi celles et ceux qui ont voté, 44 % l’ont fait pour le RN, 20 % pour la France insoumise.

      L’effondrement de LR, menacé de disparition

      Avec 8,5 %, LR voit son électorat aspiré majoritairement par « En Marche », et secondairement par le RN. LR ne peut même pas se consoler par un taux d’abstention élevé des électeurs de Fillon. LR fait un score dramatiquement bas chez les actifs (autour de 5%), le cœur de son électorat étant constitué de retraités. L’espace politique entre « En Marche » et le RN tend à se rétrécir. Les cadres et les bourgeois de droite, conscients de leurs intérêts, n’ont pas beaucoup de peine à voter « utile », c’est-à-dire pour En Marche : le programme économique est à peu près le même. Dans les villes très ancrées à droite, le transfert de voix est en effet massif.

      En Marche limite la casse en mobilisant l’électorat traditionnel de la droite

      Grâce à l’implication de Macron dans la campagne pour rejouer le match retour de la présidentielle de 2017, En Marche a bénéficié d’un vote utile à droite, et beaucoup moins à  « gauche ». Près de 30 % des électeurs de Fillon en 2017 ont voté pour En Marche. Sans surprise, l’électorat de « En Marche » est riche et vieux. Plus de 30 % des cadres et des retraités ont voté pour En Marche, alors que moins de 15 % des ouvriers et employés ont fait ce choix. La coupure de Macron avec les catégories populaires est profonde et sans doute définitive. Pour se maintenir au pouvoir, Macron fait tout pour faire du RN son adversaire dominant. C’est intelligent, mais risqué, car si la présidentielle de 2017 se rejouait aujourd’hui, le score serait beaucoup plus serré. Macron n’a pas d’autre choix que d’agiter la peur du spectre RN pour tenter de gagner les élections.

      Il n’en demeure pas moins que le score de En Marche (22,4%) est en deçà du score de Macron à la présidentielle (24%), et très largement inférieur au score d’En Marche aux législatives où le taux de participation (32%) était similaire.

      L’effondrement de la France insoumise : en modérant son discours, la FI se coupe des catégories populaires

      Nous avons déjà analysé la trajectoire récente de la France insoumise (ICI). Les résultats confirment l’analyse que nous faisions il y a quelques jours. Il est en effet important de comprendre comment la France insoumise est passée de 7 millions de voix à la présidentielle… à 1,4 millions de voix aujourd’hui (6,3%). Après la trahison de Syriza en 2015, le Parti de Gauche a revu son logiciel, en assumant la nécessité de rompre si nécessaire avec l’UE (« L’Europe, on la change ou on la quitte ») et en se démarquant de la vieille « gauche », discréditée dans les catégories populaires. Son programme, l’Avenir en commun, est apparu comme crédible et enthousiasmant. Il a permis à Mélenchon de réaliser près de 20 % à la présidentielle, en entamant l’hégémonie du RN dans les catégories populaires, puisque Mélenchon a obtenu environ 25 % chez les ouvrier·e·s et les employé·e·s. Après le débat catastrophique d’entre deux tours de Le Pen et la crise du FN qui s’en est suivie, la France insoumise avait un boulevard pour s’imposer comme la principale force d’opposition institutionnelle à Macron. D’ailleurs, pendant plusieurs mois après la présidentielle, Mélenchon était, de très loin, perçu comme le principal opposant à Macron.

      Mais Mélenchon a opéré un virage stratégique, en cherchant à refaire une union de la gauche sous son leadership. Pour cela, il a vidé de son contenu son plan B, qui devenait une « sortie des traités » sans sortie de l’UE, c’est-à-dire une fumisterie. Mais c’était le prix à payer pour débaucher la gauche du PS (Maurel et Lienemann) et pour tenter de conquérir les « classes moyennes sachantes », désignées comme cible prioritaire à gagner. En revenant en fait au vieux programme du Front de gauche, Mélenchon a perdu en cohérence et il a perdu sur tous les tableaux : l’électorat populaire qui l’avait rejoint en 2017 l’a quitté. Et les « classes moyennes sachantes » préfèrent des partis plus lisses comme EELV. En revenant au vieux programme du Front de gauche, il se retrouve avec le même score que le Front de gauche en 2014 : autour de 6 %.

      Il est faux d’imputer le mauvais score de la France insoumise à son « populisme » et à son hostilité à l’Union européenne ! Manon Aubry n’est pour rien dans le mauvais score de la FI : elle n’a fait qu’incarner correctement la nouvelle ligne de la FI, qui a eu beaucoup de peine à se distinguer des autres discours fumeux de la gauche éparpillée : « Europe sociale », « harmonisation sociale », « justice climatique », « Smic européen », autant de slogans en commun avec Jadot, Glucksmann, Brossat… Si c’était la ligne « populiste » de la France insoumise qui était responsable de son effondrement, alors Brossat aurait du en profiter : or, le PCF fait un score très faible (2,5%). En fait, la France insoumise ne s’est pas adressée centralement aux catégories populaires, aux gilets jaunes, qui ont préféré s’abstenir ou voter RN. Si la ligne populiste de gauche n’est pas la nôtre (le peuple contre l’élite), elle met au cœur de la stratégie une certaine conflictualité, même ambiguë. Si la stratégie populiste a eu un large écho en 2017 – en dehors d’un contexte spécifique (PS décrédibilisé par le mandat de Hollande, PCF et EELV absents, participation supérieure…) – c’est aussi parce qu’elle était adossée à un programme (que nous avions critiqué ICI) écosocialiste qui se voulait avancé, notamment sur les questions féministes, LGBTI, antiracistes.

      Des débats importants vont sans doute traverser la France insoumise. Deux lignes stratégiques sont désormais possibles pour la FI : soit devenir une composante d’une « union de la gauche » sous domination de EELV (c’est la ligne que commence à défendre Clémentine Autain), soit renouer avec sa ligne de 2017, en se posant comme une force anti-UE et anti-système. Dans le deuxième cas , si elle veut pouvoir se reconstruire comme étant cette force anti-système et comme première opposition à Macron, cela ne doit pas se faire en abandonnant ou en secondarisant les questions antiracistes, féministes, LGBTI comme le proposent certaines figures du courant « souverainiste » (comme le groupe « République souveraine » autour de Kuzmanovic désormais hors de la France insoumise).

      EELV s’impose comme la première force d’une « gauche » coupée des catégories populaires

      Le succès d’EELV (13,5%) n’avait pas été anticipé par les sondages. Donné à environ 8-9 %, il était jugé très friable, beaucoup de ses électeurs et électrices déclarant pouvoir changer d’avis. Alors que la campagne a été dominée, surtout dans les derniers jours, par l’écologie, EELV en récolte les fruits : plus qu’un vote d’adhésion au programme d’EELV, c’est un vote insistant sur l’importance de la thématique devenue centrale de l’écologie. C’est un vote marqué socialement, puisque EELV réalise environ 20 % chez les cadres et professions intermédiaires. C’est aussi marqué par l’âge, puisque EELV est le premier parti chez les moins de 35 ans. Beaucoup de gens qui hésitaient entre plusieurs listes de gauche ont finalement voté pour EELV, moins clivant. Si on additionne les autres listes écologistes, on arrive à plus de 17 % des voix.

      La France insoumise a centré sa campagne sur la thématique écologique pour tenter de maintenir son leadership à gauche. Mais elle l’a fait sans réussir à se démarquer clairement de EELV, si bien que cela a profité à EELV. La France insoumise a échoué à donner un réel contenu à la « planification écologique », ce qui aurait nécessité d’assumer un discours en rupture avec les lois du marché et l’Union européenne.

      Le nouveau leadership de EELV à gauche est salué par les éditorialistes du grand capital, heureux de la victoire d’une « gauche » qui menace aussi peu leurs intérêts. EELV n’est pas un parti réformiste : c’est un parti bourgeois favorable à la destruction des droits sociaux et du statut de la fonction publique. C’est une forme de macronisme de gauche, même si Jadot est réticent à utiliser le mot « gauche », bien conscient que cela évoque pas grand-chose de positif dans son électorat le plus jeune. Il faut se souvenir que Jadot a relayé la fake news macroniste de « l’attaque » de l’hôpital de la Pitié Salpétrière

      Glucksmann n’a pas réussi à relancer le PS

      Le PS parvient à franchir la barre des 5 % (6,2%), mais cette élection confirme que la crise du PS est structurelle. C’est aujourd’hui une sorte de PASOK français, démonétisé durablement. Il est probable que le PS cherche à construire une alliance avec les Verts en vue des échéances de 2022. Le PS a un appareil et des élu·e·s à sauver, et il n’a plus vraiment l’ambition de jouer les premiers rôles au niveau national. Il cherchera à monnayer son soutien pour des sièges et des postes dans une nouvelle formule de la « gauche plurielle ». Cambadélis, de retour ce dimanche soir sur les plateaux télé, théorisaient la « social écologie » qui devrait unifier la « gauche ».

      Le PCF ne parvient pas à sortir de sa marginalité

      Brossat y a cru jusqu’au bout : il créerait la surprise et dépasserait les 5 %. Le résultat est cruel : moins de 2,5 %, ce qui aura des conséquences financières pour un parti qui a fait une campagne active et coûteuse. Brossat a du talent, s’exprime clairement, mais le choix du maire adjoint d’Hidalgo ne pouvait pas attirer les ouvrier·e·s et les employé·e·s. Même si les médias de la bourgeoisie ont salué la bonne tenue de ce communiste « new look » au discours si lisse, cela n’a pas suffi à doper les performances du PCF. Les dirigeant·e·s du PCF, incapables de la moindre auto-critique, chercheront sans doute à négocier une place dans une nouvelle formule d’union de la gauche. Mais le PCF garde de nombreux/ses militant·e·s qui sont attaché·e·s à construire un véritable projet communiste.

      Lutte ouvrière : un communisme millénariste qui la condamne à la marginalité

      De façon prévisible, LO réalise moins de 0,8 %. Alors que le NPA ne se présentait pas et appelait à voter LO, ce score montre que LO est complètement à la ramasse. Répétant inlassablement les mêmes discours, expliquant que l’Union européenne est une « diversion », LO n’a rien à proposer aux travailleurs/ses. Elle leur demande juste de « témoigner ». Sauf que les travailleurs/ses ont besoin d’un programme concret, pas de « témoigner » de leur attachement à une révolution abstraite. La posture de LO est à l’opposée de la logique de la défense d’un programme de transition, partant des aspirations des masses pour porter un programme concret de rupture le capitalisme pour la construction d’une société débarrassée de l’exploitation et des oppressions !

      Disputer l’hégémonie au Front national dans les classes populaires ! Construire un parti communiste du 21ème siècle

      Avec le bon score de EELV, les appels à une union de la gauche pour faire face à Macron et au RN vont se multiplier, sous une forme ou une autre. Cette union de la gauche ne pourrait se constituer que sur une matrice sociale-écolo-libérale et pro Union européenne. Elle ne peut être qu’un repoussoir pour les ouvriers et employés, et une aubaine pour l’extrême-droite.

      Il faut redonner des perspectives à notre classe sociale. Cela passe par l’élaboration d’un programme communiste de rupture concret avec le système capitaliste. C’est en partant du mouvement des gilets jaunes, de ses acquis, de ses discussions, de ses élaborations, de ses aspirations, qu’une telle force pourra émerger, ancrée dans les milieux populaires, et balayer les raclures fascisantes du RN. Écrire un programme communiste actualisé, c’est partir des revendications des gilets jaunes, et expliquer les moyens à mettre en œuvre pour les satisfaire : cela passe par le renversement du pouvoir des capitalistes sur nos vies : nous devons exproprier les capitalistes pour contrôler collectivement et démocratiquement les moyens de production. Il n’y aura pas de vraie démocratie tant que nous n’aurons pas le pouvoir sur l’économie. Chacun·e doit bénéficier d’un statut de producteur/productrice et citoyen·ne qui lui garantit un salaire à vie et un pouvoir concret sur les décisions politiques et économiques : Quoi produire ? Comment produire ? Voilà où réside la vraie « souveraineté », la souveraineté populaire, qui n’est pas un gros mot, mais une aspiration légitime qui est détournée par les nationalistes xénophobes et haineux qui cherchent à diviser les travailleurs/ses sur des critères de « race » pour mieux assurer la domination des capitalistes.

      Le programme communiste que nous devons mettre en discussion au sein des gilets jaunes devra en finir avec les formules toutes faites. En particulier, dans le contexte européen, il devra assumer la nécessité de rompre immédiatement avec l’Union européenne, sa monnaie, de contrôler les échanges pour rendre viable une rupture concrète avec l’ordre capitaliste. Il devra refuser tout repli national, pour mettre en place de nouvelles structures de coopération, car un processus révolutionnaire qui ne cherche pas à s’étendre est un processus déjà mort ou dégénéré.

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