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    Immigrés de force – les travailleurs indochinois en France (1939-1952)

    Par Wilbur Schäffer (14 janvier 2013)
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    Le livre de Pierre Daum est construit autour des témoignages de 25 anciens travailleurs indochinois qu'il a recueillis en France et au Vietnam entre 2006 et 2007 et c'est ce qui fait sa force. Témoignages très précis, parfois émouvants, drôles, toujours lucides.

    Journaliste à Libération en Languedoc-Roussillon, l'auteur a découvert fortuitement l'histoire des 20 000 travailleurs indochinois en s"intéressant à la culture du riz en Camargue. Culture que les Camarguais s'approprient, affichant fièrement les emblèmes de leur région sur les paquets de riz. Pierre Daum découvre dans un petit musée privé local sur l'histoire du riz en Camargue une photo sur laquelle figurent des Asiatiques dans des champs de riz. De là, il va mener une première enquête qui le conduit à publier un article pour un mensuel régional, puis il va poursuivre et étendre son travail jusqu'à rencontrer les derniers survivants de cette page d"histoire honteuse de l'impérialisme colonial français.

    Les ONS (Ouvriers Non Spécialisés) indochinois ont été plus de 20 000 à être forcés de venir travailler en France. Environ 1000 sont morts pendant les années passées à travailler pour la France de Daladier (celui qui mit en place ce recrutement de la MOI (Main-d"Œuvre Indigène) « au service de la nation » dès mai 1939), puis de Vichy, à force de mauvais traitements, de maladies, etc. D'autres sont restés en France, la plupart a fini par réussir à rentrer au Vietnam après une très longue attente malgré les promesses faites d'un retour rapide.

    Sur la base d'un pseudo-volontariat, la machine coloniale, impitoyable, implacable, va recruter de force ces jeunes hommes pour les faire travailler essentiellement dans l'industrie de l'armement, poudreries, etc., dans le sud de la France et en région Rhône-Alpes.

    Puis quand l'Allemagne nazie va occuper l'ensemble du pays, ces travailleurs vont être affectés dans les travaux agricoles et, entre autres, à la réimplantation du riz en Camargue (que les agriculteurs locaux n'avaient pas su rendre viable depuis le 19e siècle !).

    Le livre décrit dans plusieurs chapitres thématiques la vie des travailleurs indochinois durant toutes les années de guerre, puis un peu après. Tous les thèmes sont abordés : conditions de travail, relation avec les populations locales, organisation des camps, vie privée, etc., à travers les témoignages d'anciens travailleurs et différents documents d'archive. On y comprend comment le système colonial exploitait, réduisait littéralement à l'esclavage des travailleurs qui pourtant, pour beaucoup, avaient accepté de venir en France pour fuir le régime colonial en Indochine (insupportable), croyant à une France métropolitaine plus humaine...

    Les camps de travail aménagés spécialement pour les ONS de la MOI, passés sous silence par la mémoire « républicaine » française, étaient monstrueux. Les travailleurs y étaient organisés en sections, comme à l'armée, et n'avaient quasiment aucun droit. Pas de tenues de travail (certains ont porté la même tenue pendant plus de 2 ans), très peu de nourriture, des « salaires » d'1 à 5 francs par jour, des brimades, des punitions (cachot), des coups. Les travailleurs indochinois ont subi plus de 5 ans durant les humiliations de toutes parts (administration, mais aussi population locale, etc.) tout en fournissant un travail surhumain (d"autant que l"on considérait les « indigènes » indochinois comme des sous-hommes incapables d'assurer les tâches d'hommes « normaux »)... Ils ont surmonté l'impossible.

    Après la guerre, nombreux sont ceux qui sont rentrés dans leur pays devenu indépendant en 1954. Certains se sont mariés en France, ils ont fini par gagner la confiance des locaux.

    L"auteur fait aussi le portrait des 25 ex-ONS qu'il a rencontrés. Cela donne au livre une dimension de vérité très poignante. Il y a notamment le portrait d'un de ses témoins, le dirigeant trotskyste Hoang Khoa Kh^oi, camarade décédé en 2009 (1). Tout un chapitre est consacré à ce qui s'est passé après guerre, quand un vent de révolte souffla sur les camps vietnamiens, en même temps que la question de l'indépendance du Vietnam secouait le monde. Les travailleurs vietnamiens en France s'organisèrent alors avec d’un côté les communistes staliniens, minoritaires, partisans d’un État vietnamien participant à l’Empire colonial français, de l’autre les trotskystes, majoritaires (le groupe compta jusqu’à 500 membres), partisans de l’indépendance nationale immédiate. Le conflit entre les deux courants fut d’une grande violence, avec des batailles rangées dans les camps qui firent plusieurs morts. Le livre de Pierre Daum porte sur la place publique cette page d'histoire occultée par la mémoire officielle marquée au double sceau du colonialisme et du stalinisme.

    Pierre DAUM Immigrés de force – les travailleurs indochinois en France (1939-1952) – Éditions Solin / Actes Sud – 2009 – 273 p.


    1) Hoang Khoa Kh^oi : http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=30 — Cf. aussi, sur le camarade Nguyên Khanh H^oi : http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=395 Sur l'histoire du groupe trotskyste vietnamien de France, cf. l"article de Hoang Khoa Kh^oi lui-même paru dans Le CRI des travailleurs n° 17, mars-avril 2006 : http://groupecri.free.fr/article.php?id=109 — Cf. enfin l'article de Quôc-Tê Phan sur les trotskystes en Indochine dans les années 20 et 30 : http://groupecri.free.fr/article.php?id=32

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