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Une analyse des résultats du premier tour de l’élection présidentielle
Triste issue pour ce premier tour de la présidentielle : le PS et les Républicains sont balayés, ne réunissant qu'un quart des voix... C'est en soi une bonne nouvelle. Mais la mauvaise est que la décomposition du système politique en place engendre deux monstres : Le Pen, la candidate de la haine et Macron, la créature du CAC 40 pour remplacer le PS et LR discrédités. La bourgeoisie se frotte les mains et ne cache pas sa jouissance obscène : le CAC 40 a flambé de 4% lundi 24 avril, avec un bond de 8% pour les valeurs bancaires. Ils ont réussi leur coup électoral, en écartant (de justesse) Mélenchon du second tour. Et désormais, ils veulent nous imposer leur « front républicain », remake de 2002, derrière leur créature, mélange de télé-évangéliste et d'animateur télé pour gogos. A vomir !
Analysons lucidement les résultats de ce premier tour, et préparons nous à la suite. Le combat sera rude car ce système est de plus en plus barbare à mesure qu'il agonise.
Les résultats du premier tour de l'élection présidentielle
Moyenne sur la base des enquêtes de l'Ifop1, Ipsos2, Bva3, et Odoxa4
Une participation plus forte que prévue qui cache d'importances disparités
Les instituts sondages prévoyaient une abstention historique, supérieure à 30% et donc au record de 2012 (28,4%). Elle est finalement de 22,2%. Elle est supérieure à celle de 2012 (20,5%) et de 2007 (16,2%). Il faut également ajouter les votes blancs et nuls (2,6% des votants), en plus grand nombre qu'en 2012. Au total 11,5 millions d'inscrit.e.s sur 47,6 qui ont refusé de voter pour l'un.e des candidat.e.s en présence. A ceux-là, il faut ajouter les quelque 3 millions de non inscrit.e.s. Signalons aussi la question des électeurs.trices radié.e.s des listes électorales parce qu’ils et elles n’ont pas signalé leur déménagement à leur mairie et que celle-ci leur a envoyé une carte d’électeur (revenue avec la mention « n’habite plus à cette adresse »). Cela pose un double problème : les électeurs/trices apprennent leur radiation le jour du vote (et n’ont alors plus de possibilité de se retourner) ; d’autre part, les mairies peuvent choisir qui elles radient parmi ceux qui ont déménagé en fonction par exemple de l’orientation politique supposée de l’électeur/trice.
Comme on le remarque habituellement, les catégories populaires s'abstiennent davantage : 27% des ouvrier.e.s, 31% des plus pauvres (dont le revenu du foyer est inférieur à 1 500 €) se seraient abstenu.e.s. Près d'un.e jeune sur trois se serait abstenu.e, ce qui a pénalisé Mélenchon. En revanche, les retraité.e.s se sont fortement mobilisé.e.s... mais cela n'a pas suffi à Fillon !
Le Pen accède au second tour, mais le FN régresse en pourcentage par rapport à 2014 et 2015
Le Pen accède au second tour. Elle gagne 1,3 millions de voix par rapport à l'élection présidentielle de 2012, ce qui montre sa forte progression depuis 5 ans. Elle gagne 1,7 millions de voix par rapport aux élections régionales de 2015, en raison de la plus forte participation. Mais le FN est en net reflux en pourcentage (21,5%) par rapport aux élections européennes de 2014 (24,9%), départementales de 2015 (25,2%) et régionales de 2015 (27,7%). Pourtant, l'élection présidentielle est habituellement celle où le FN réalise ses meilleurs scores. L'électorat du FN ne s’homogénéise pas, bien au contraire. Le Pen progresse particulièrement au Nord et à l'Est, de 9 points par exemple dans l'Aisne ou le Pas de Calais. Elle progresse fortement dans les campagnes alors qu'elle régresse dans les grandes métropoles (Paris, Lyon, Bordeaux, Toulouse...). Son électorat est toujours aussi clivé socialement : elle obtient 40% chez les ouvriers contre seulement 10% chez les cadres. Néanmoins, Mélenchon parvient à lui disputer une partie de l'électorat populaire, mais il reste encore largement derrière elle chez les ouvrier.e.s et employé.e.s.
Le contexte aurait du être davantage porteur pour le FN avec le discrédit du candidat de LR et l'impopularité du gouvernement. Mais Le Pen a fortement régressé dans les dernières semaines de campagne, notamment suite à l'interpellation de Philippe Poutou lors du grand débat. Sans la fusillade à Paris à 4 jours de l'élection, Le Pen aurait-elle accédé au second tour ? On peut en douter : un sondage5 indique que 4% des votants ont changé leur vote après l'attentat du 20 avril. Mais c'est le cas de 10% des électeurs/trices de Le Pen qui sont venu.e.s à elle à cause de l'attentat. Sans cela, elle aurait peut être été devancée par Mélenchon dont la dynamique a été stoppée nette par le contexte sécuritaire.
Macron : le candidat des gagnants de la mondialisation et de ceux qui les envient
Macron est donc parvenu à arriver en tête au premier tour, avec 24% des voix. En cachant son programme, avec un discours creux composé de mots clés « positifs », il a fait le plein dans les couches supérieures du salariat urbain : 36% chez les cadres. Ce banquier sponsorisé par l'ensemble des élites financières et médiatiques, conseiller puis ministre de Hollande, a osé faire campagne sur « l'alternance véritable » et la « rupture avec le système ». Il a rassemblé les pires opportunistes de gauche et de droite autour d'un programme de contre-réformes exigé par l'Union européenne. Il a malheureusement réussi à abuser une partie des ouvrier.e.s (15%) et des employé.e.s (18%), dépolitisé.e.s, séduit.e.s et trompé.e.s par l'aspect neuf du personnage. La désillusion sera rapide. Il a aussi énormément bénéficié d'un vote « utile », étant mis en avant comme le candidat le plus capable de faire barrage à Le Pen. Car l'épouvantail Marine Le Pen sert à faire avaler bien des couleuvres.
Dès dimanche soir, Macron a festoyé dans un restaurant parisien huppé (La Rotonde). Son conseiller économique a rassuré une quinzaine de grands patrons : il y aura une réforme du travail dès cet été. Nous sommes prévenus : Macron tapera vite et fort. Dès le second tour, avec un score probablement très élevé de Le Pen, nous verrons que Macron est le meilleur agent électoral de Le Pen, un véritable repoussoir pour les catégories populaires.
Fillon échoue lamentablement alors que l'élection était « imperdable »
Les Républicains avaient tous les atouts en main pour gagner l'élection : record d'impopularité du gouvernement ; vieillissement de la population ; victoire aux élections intermédiaires. En décembre, Fillon était donné à 32%. Mais patatras : son programme ultra-libéral de destruction de la Sécurité sociale a fait fuir la base populaire sarkozyste ; et les affaires ont révélé au grand jour la pourriture du personnage qui voulait se faire passer pour un parangon de vertu. Avec tout juste 20%, il se fait donc éjecter du second tour d'une élection théoriquement « imperdable ».
Fillon est très fort chez les retraité.e.s (36%) mais il est très faible chez les actif/ves, avec des niveaux dérisoires dans les catégories populaires : 6% chez les ouvrier.e.s et 10% chez les employé.e.s. Les prières des catholiques pratiquants (qui ont voté à 46% pour lui6) n'ont donc pas suffi !
La percée spectaculaire de Mélenchon qui échoue aux portes du second tour
Mélenchon a réussi sa campagne : des foules immenses sont venues écouter le « tribun du peuple ». Il a suscité l'enthousiasme et l'espoir de millions de personnes autour d'un projet progressiste de rupture avec les politiques libérales d'austérité et avec les traités européens. Il a pris le pas sur le candidat du PS qui s'est effondré à 6%. Nous nous réjouissons de ce résultat, et notamment du début de reconquête de l'électorat populaire autour d'un projet progressiste de rupture avec le libéralisme. Mélenchon a rassemblé près d'un quart des ouvriers et des employés, et près de 30% des jeunes de 18-25 ans. Il cartonne également chez les musulman.e.s (37%) et chez les athées (28%)7. Cette percée du réformisme (Mélenchon propose de rompre avec l'austérité mais sans toucher à la propriété ni aux institutions capitalistes) est à double tranchant : d'un côté, sa campagne a permis de politiser tout un certain nombre de jeunes notamment, qui se sont mis à faire campagne, à s'emparer des arguments, bref à devenir des militant.e.s. Et il est clair aussi que son élection aurait changé l'ambiance générale dans le pays, que des luttes auraient pu s'enclencher pour que les promesses de campagne soient tenues. Mais il ne doit pas nous échapper que dans cette période où le capitalisme apparaît aux yeux des masses dans toute sa monstruosité, ce réformisme une impasse. La VIè république ne nous ferait pas sortir du système capitaliste. Les beaux – très beaux – discours sur l'humanité, la joie, la solidarité, en même temps qu'ils remettent au centre du débat des valeurs essentielles, font aussi croire, en dernière instance, que ces valeurs pourraient exister sans toucher aux fondements du système.
Élu ou pas élu, les illusions qu'il sème chez toute une partie des militant.e.s – syndicaux, associatifs – de ce pays vont être à combattre. Et si elles sont aujourd'hui un rempart à l’extrême droite, pourront être demain une entrave à la mobilisation de masse.
Au soir du second tour, Mélenchon a refusé d'appeler à voter Macron et a préféré lancer une consultation des 450.000 « Insoumis » sur le choix de vote au second tour. Tous les éditocrates lui sont tombés dessus : comment osait-il ne pas choisir ? Beaucoup relevaient le paradoxe d'avoir refusé le débat démocratique autour de sa candidature et de le choisir pour ce vote. Mais peut-être parce qu'envion la moitié de son électorat se refuse à voter pour Macron ! Pierre Laurent (PCF) et Clémentine Autain (Ensemble) ont de leur côté donné satisfaction aux « antifascistes » d'opérette en appelant à voter Macron, refusant de voir qu'on ne combat pas le « fascisme » avec l'ultralibéralisme. Il est probable que la base de Mélenchon refuse majoritairement de voter pour Macron, rejoignant ainsi Poutou et Arthaud dans leur refus de se rallier à cet ennemi des travailleurs/euses, à ce pyromane qui ne fera qu'alimenter le vote FN.
Alors que la percée de Mélenchon est spectaculaire, son discours au soir du premier tour était un discours de défaite. On peut comprendre sa déception, mais on peut craindre que cela ne provoque une démoralisation de ses partisans, ce qui pourrait être un frein au mouvement social, plus nécessaire que jamais face aux attaques qui se profilent.
L'extrême gauche fait un score très faible qui doit permettre une remise en question
L'extrême-gauche fait exactement le même score qu'en 2012 : 1,7%. Poutou fait 1,09% (en très légère baisse par rapport à 2012) et Arthaud 0,64% (en très légère hausse). Rappelons que l'extrême gauche rassemblait 5,7% des voix en 2007 et 10,4% en 2002. Pour l'anecdote, saluons quand même la performance de Philippe dans le petit village de Lichans-Sunhar, où il arrive en tête ex aequo avec Mélenchon avec 14 voix et 25% des suffrages8 ! En fin de campagne, la fusillade de Paris et le « vote utile » pour Mélenchon ont réduit le score de Philippe.
La candidature Poutou a joué un rôle incontestable dans la campagne. D'ailleurs même au plus fort de la pression au « vote utile » Mélenchon, la présence de Philippe ne nous a jamais été reprochée. Son « amateurisme » a montré en creux combien la professionnalisation de la politique, jamais questionnée, était problématique. Ses « buzz » contre Fillon ou Le Pen ont aussi permis d'enfoncer un peu plus l'idée que décidément, Marine Le Pen n'a rien d'une candidate anti-système.
Mais évidemment, être ouvrier, être le seul à faire taire Marine Le Pen, ne saurait suffire à convaincre ni tenir lieu de programme. La période ouverte par ses élections doit permettre d'avancer sur le projet du NPA. Continuer d'être le porte-parole des luttes, mais pas seulement. Les travailleurs recherchent légitimement des solutions à leurs problèmes, et pas simplement un représentant pour exprimer leur colère. Il nous faut être capable d'articuler un projet d'ensemble cohérent de rupture avec le capitalisme. C'est d'autant plus nécessaire que se radicalisent tous les espoirs de réforme du système, portés par Mélenchon.
1 http://www.ifop.com/?option=com_publication&type=poll&id=3749
2 http://www.ipsos.fr/decrypter-societe/2017-04-23-1er-tour-presidentielle-2017-sociologie-l-electorat
3 https://staticswww.bva-group.com/wp-content/uploads/2017/04/Sondage-Jour-du-vote-POP2017-23-avril-2017.pdf
4 http://www.odoxa.fr/sondage/cles-de-comprehension-1er-tour-de-lelection-presidentielle-2017/
5 http://www.ifop.com/?option=com_publication&type=poll&id=3749
6 http://www.pelerin.com/A-la-une/Sondage-exclusif-Vote-et-religions
7 http://www.pelerin.com/A-la-une/Sondage-exclusif-Vote-et-religions
8 https://www.lefigaro.fr/elections/resultats/pyrenees-atlantiques-64/lichans-sunhar-64340/