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« Travailler 1h par jour ! »
La formule parle à beaucoup de militant-e-s anticapitalistes. D’abord parce que la réduction massive du temps de travail fait partie de notre projet de société. Ensuite, parce que certain-e-s auront en tête un petit livre intitulé « Travailler 2 h par jour », écrit par un collectif d’extrême gauche il y a 40 ans1. Alors que nos chers patrons et politiciens parlent sans cesse de nous faire travailler plus, nous avons toujours besoin de ce genre de projet alternatif, qui rappelle que notre travail pourrait être organisé bien différemment.
Le livre de 1977 ne visait pas à donner un chiffrage précis de type « programme électoral », mais utilisait néanmoins des données bien réelles sur la production nationale, pour en tirer une estimation sommaire mais efficace de la réduction de temps de travail possible.
Certaines des pistes de réduction peuvent (évidemment !) être discutées, et de toute façon, les choix qui seront faits par les travailleur-se-s auto-organisé-e-s à tous les niveaux ne peuvent être décrétés à l’avance. Mais le cœur de la démonstration repose solidement sur une baisse de la production correspondant à la baisse du niveau de vie des riches (le tout en augmentant quand même au passage le niveau de vie des pauvres) et à la réduction d’un certain nombre de gâchis (une critique lucide du productivisme était déjà intégrée à la réflexion de ce collectif).
Tout en justifiant les hypothèses choisies sur le plan mathématique, le texte précise que l’hypothèse principale est « d’abolir le profit ». Et il ajoute : « Le capitalisme est bien là, prêt à se défendre. Les absurdités et les injustices que nous avons connues ne sont pas le résultat d'erreurs ou de maladresses : elles sont nécessaires à sa survie. »
En 2010, un autre collectif, s’auto-désignant comme altermondialiste, a repris une démonstration très similaire avec des chiffres actualisés… et a publié une brochure intitulée « Travailler 1 h par jour »2. La productivité a bien sûr nettement augmenté depuis toutes ces années. Le chômage également, et la répartition du travail entre tous et toutes devient central dans cette nouvelle version par rapport aux années 1970.
Tout cela vient s’ajouter à une riche tradition « socialiste » (au sens large), de critique du capitalisme, mais aussi d’utopie concrète (le mot est présent dans la brochure de 1977 comme dans celle de 2010). Dans Le droit à la paresse (1880), Paul Lafargue évoquait (sans l’étayer) l'idée de travailler 3 heures par jour. Et deux ans avant, Friedrich Engels écrivait que « la socialisation des forces productives, l'élimination des entraves et des perturbations qui résultent du mode de production capitaliste, celle du gaspillage de produits et de moyens de production, suffisent déjà, en cas de participation universelle au travail, pour réduire le temps de travail à une mesure qui, selon les idées actuelles, sera minime. »3
Pourtant, le mouvement ouvrier, et même l’extrême gauche traditionnelle, contribuent trop peu à la diffusion d’un projet de société alternatif. Souvent au nom d’une logique cantonnée à la résistance immédiate, et du report de la révolution à un horizon indéfini. Une des conséquences est que les groupes ou individus qui ébauchent des éléments de cette société future sans l’adosser à une stratégie révolutionnaire prennent facilement des chemins en impasse.
Ainsi dans le texte de 1977, on peut discerner une sorte d’illusion sur la possibilité de réduire massivement le temps de travail dans le cadre du capitalisme, pour augmenter le temps dédié aux activités non marchandes, permettant de sortir progressivement du capitalisme. Le texte de 2010, reflet de la période, est quant à lui moins marxisant et met plus l’accent sur la critique de la croissance, largement réduite à une idéologie, que celle du capitalisme en lui-même.
Mais là encore, pour convaincre, les marxistes ne doivent pas se contenter de discréditer les « socialismes utopiques ». Nous devons être capables de parler à la fois de notre projet de société (le communisme), et du chemin pour y parvenir (un programme de transition). L'agacement face à un marxisme « attentiste » – que le PCF incarnait sans doute largement dans les années 1970 – se dégage nettement de ce passage de la brochure de 1977 :
« Sans doute, des changements profonds et durables sont possibles uniquement dans une société différente. Mais si on se contente de théoriser en attendant « le grand soir », on risque des lendemains qui déchantent. »
Pour notre part, nous pensons que la réduction massive du temps de travail sera non seulement possible, mais sera un élément essentiel de la société future. D’une part parce qu’elle permettrait un large temps dédié à la délibération démocratique à tous les niveaux (sur le lieu de travail, d’étude, de vie…). D’autre part parce qu’elle mettrait au centre l’épanouissement individuel et collectif (loisirs, arts, culture…), en sortant de la logique consumériste dans laquelle le capitalisme nous pousse lors de nos courts « temps libres ».
On ne pourra pas réduire immédiatement le temps de travail moyen à 1 h par jour. La réorganisation totale de l’économie qui sera nécessaire, et les résistances des possédants, demanderont forcément une période de transition. La revendication de la semaine de 32h est nécessaire de ce point de vue. Mais les anticapitalistes doivent associer plus clairement cette bataille avec celle de partage du temps de travail pour travailler tous-tes, qui ne pourrait être réalisée que par un authentique pouvoir des travailleur-se-s.
1 Collectif Adret, Travailler deux heures par jour, 1977
2 Collectif Bizi, Travailler une heure par jour, 2010
3 Friedrich Engels, L’Anti-Dühring, 1878