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    NPA : quand commencerons-nous à défendre une analyse marxiste de la crise et un vrai projet anticapitaliste dans les médias ?

    Par Gaston Lefranc (18 janvier 2014)
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    Notre principal porte-parole, Olivier Besancenot, était invité à l'émission de France 2 « Des paroles et des actes » jeudi 16 janvier à 20h 45[1]. C'était une occasion de défendre à une très large échelle (plusieurs millions de travailleurs/ses) nos idées anticapitalistes.

    Olivier était face à quatre personnages qui célébraient le « pacte de responsabilité » de Hollande : deux patrons, Michel Sapin (ministre du travail) et Laurent Berger (dirigeant de la CFDT). Olivier a pu apparaître comme le seul défenseur des intérêts des travailleurs/ses, et il a notamment très bien mouché Berger qui a réservé ses attaques, non pas aux patrons ou au gouvernement, mais au NPA. Olivier a aussi rappelé, ce qui est très important, que les cotisations sociales n'étaient pas une « charge pesant sur le travail », mais la partie socialisée de notre salaire, et qu'il fallait combattre ce « pacte » scélérat.

    Néanmoins, Olivier a repris une série d'arguments erronés utilisés par le Front de gauche, qui alimentent les illusions d'une autre politique dans le cadre du capitalisme, au lieu de convaincre de la nécessité de rompre avec le capitalisme pour en finir avec l'austérité :

    1) Il a expliqué que le « pacte de responsabilité » était « inefficace » (du point de vue de la croissance et de la création d'emplois) et que tout le monde devrait en convenir. Olivier reprend la grille de lecture keynésienne standard : le « pacte de responsabilité » va entraîner une baisse des salaires, et donc une baisse de la demande solvable qui fera que les entreprises ne parviendront plus à écouler leurs marchandises. D'où une aggravation de la crise et une hausse du chômage. A contrario, une augmentation des salaires permettrait de sortir de la crise de surproduction en augmentant le niveau de la demande.

    Cette grille de lecture est erronée d’un point de vue marxiste et elle est diamétralement opposée au texte de notre dernier congrès que nous avons débattu et adopté à une très large majorité :

    Pour « sortir de la crise », certains préconisent des mesures « keynésiennes », censées dynamiser la demande et relancer l’accumulation. Ils s’opposent aux politiques d’austérité au nom de leur « inefficacité ». En fait, la crise n’est pas due à des politiques économiques « absurdes », mais à la baisse des taux de profit menant à la crise généralisée (…) Nécessairement, la «  solution  » capitaliste à la crise passe donc par le redressement des  taux de profit, combinant destruction de capital et augmentation du taux d’exploitation[2].

    Le « pacte de responsabilité » de Hollande est une réponse tout à fait rationnelle à la crise de rentabilité du capital, car elle vise à augmenter le taux de profit. Les mesures « keynésiennes » (hausses des salaires et des dépenses publiques) ne feraient que déprimer le taux de profit, et donc aggraveraient la crise. C'est toute la monstruosité de ce système : la sortie de crise ne peut que passer par une dégradation du niveau de vie des travailleurs/ses, puisque la restauration du taux de profit est une condition sine qua non d'un redémarrage de l'accumulation du capital.

    C'est cela que nous devrions expliquer (conformément à ce qui a été décidé collectivement lors de notre congrès, et que la direction refuse obstinément de défendre) : la seule alternative aux politiques d'austérité, c'est la rupture avec le capitalisme. Il n'y a pas de troisième voie possible, il n'y a pas de potion magique antilibérale qui pourrait nous sortir de la nasse dans laquelle nous sommes. La relance keynésienne de 1981 a lamentablement échoué, et le tournant austéritaire était inéluctable à partir du moment où le gouvernement PS-PC avait renoncé à rompre avec le capitalisme.

    2) Olivier a expliqué que la France était un pays attractif pour les capitalistes, puisqu'elle attirait plus que jamais les investissements directs étrangers (IDE). Pourquoi affirmer cela ? A quel objectif cela correspond-il ? Cela vise à défendre l'idée que le taux de profit est élevé en France et que donc il y a du grain à moudre pour augmenter les salaires. Mais c'est faux. Et d’ailleurs, les IDE ne correspondent pas forcément à des créations d’entreprises. Par exemple, une entreprise qui changerait de main chaque année, de groupe étranger en groupe étranger, serait chaque année considérée comme un IDE !

    Mais surtout, si les capitalistes du monde entier se précipitaient en France pour développer de nouvelles capacités de production, la croissance serait très forte et de nombreux emplois seraient créés. Or, ce n'est pas le cas. Le taux de marge (la part des profits dans la valeur ajoutée) est à son plus bas depuis 1985, et la France est en « retard » par rapport aux autres pays qui ont mis en place des contre-réformes beaucoup plus dures contre les travailleurs/ses (en Allemagne au début des années 2000, en Europe du Sud depuis 2008-2009). Avec son « pacte de responsabilité », Hollande veut se mettre « à niveau » des autres pays européens, augmenter le taux de marge des entreprises pour augmenter le taux de profit et donc la croissance. C’est une condition pour que les entreprises françaises retrouvent un niveau de compétitivité satisfaisant pour les capitalistes.

    3) Olivier a pris l’exemple de la création de la Sécu en 1945 pour indiquer que, si de telles avancées sociales étaient possibles au sortir de la guerre, cela prouve qu’on pourrait en obtenir de nouvelles aujourd’hui car la France est incomparablement plus riches. Mais ce qui peut sembler intuitivement évident est un parallèle trompeur. Personne ne conteste que la France était bien plus pauvre en 1945 qu’aujourd’hui. Mais ce n’est pas la richesse d’un pays, à un moment donné, qui détermine la marge de manœuvre dont disposent les capitalistes pour céder sur des revendications ouvrières tout en maintenant un taux de profit élevé permettant une accumulation soutenue. En effet, au sortir de la guerre, en raison de la destruction des forces productives (et donc d’une grande quantité de capital), la rentabilité du capital était très élevée, si bien que les capitalistes ont pu lâcher du lest sans que cela ne pèse trop sur leur taux de profit. Les gouvernements bourgeois n'ont pas créé la Sécu pour mieux faire fonctionner le capitalisme mais pour des raisons politiques, en raison de l'énorme pression du mouvement ouvrier qui les obligeait à faire d'importantes concessions, condition pour que les travailleurs/ses acceptent de « reconstruire la France » comme le voulaient aussi les réformistes et le PCF stalinien.

    Aujourd’hui, la France est bien plus riche, mais le taux de profit est bien plus bas. La crise est profonde et les marges de manoeuvre sont nulles : c’est pourquoi un développement des luttes ouvrières est si dangereux pour le capital. Si les capitalistes devaient céder des acquis importants, la crise s’aggraverait et poserait directement la question du remplacement du capitalisme (en plein effondrement) par un autre système. C’est pourquoi les capitalistes sont déterminés à utiliser tous les moyens pour empêcher le développement des luttes, et c’est ce qui explique les dérives autoritaires dans les pays les plus touchés par la crise (notamment la Grèce).

    L’état de l’économie capitaliste fait que l’alternative se résume à : aggravation historique de l'austérité ou rupture avec le capitalisme. Cette analyse conforte notre projet anticapitaliste puisqu’il apparaît comme la seule façon d’éviter des mesures de plus en plus monstrueuses nécessaires pour la survie du système. Et il est paradoxal qu’Olivier entretienne les illusions sur ce qu’il est possible d’obtenir dans le cadre du capitalisme, alors que toute notre intervention devrait être guidée par la nécessité de convaincre qu’il faut rompre avec le système pour sortir de la crise « par le haut ».

    Il n’y pas d’issue à la crise possible dans un capitalisme « social », humanisé, qui serait à la fois plus « efficace » et plus « juste ». Ce sont des illusions propagées par les réformistes qui ne veulent tirer aucune leçon des expériences passées (et notamment de l’échec de la relance de 1981).

    Si nous nous battons sur la base de mots d’ordre visant à la satisfaction des besoins de la grande majorité de la population, ce n’est pas parce que leur application serait plus efficace que les politiques d’austérité, c’est uniquement parce qu’ils correspondent à nos aspirations. Et c’est précisément parce que la pleine réalisation de ces mots d’ordre est incompatible avec l’ordre capitaliste, que nous sommes anticapitalistes, et que nous devons expliquer quel est, en positif, le contenu de l’alternative que nous proposons. Nous devons mettre au centre de notre intervention publique la nécessité d’un gouvernement des travailleurs/ses pour exproprier les capitalistes et prendre les commandes. Et, tout en participant de toutes nos forces contre les plans de licenciements, pour la convergence des boîtes en lutte, pour une manifestation nationale « pour l’interdiction des licenciements », nous devons mettre en avant l’objectif politique de l’expropriation des entreprises qui licencient et de leur nationalisation sous le contrôle des travailleurs/ses.

    [1] Cf. http://www.france2.fr/emission/des-paroles-et-des-actes/diffusion-du-16-01-2014-20h45

    [2] Cf. http://npa2009.org/sites/default/files/CR%202e%20congres-web.pdf

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