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Sport populaire et sport capitaliste : émanciper le football de sa contradiction
Amour populaire et emprise du capital
Des milliards de téléspectateurs, des millions de joueurs dans des centaines de pays… Le football est un des sports les plus populaires du monde. La Coupe du monde de football, si elle n’a pas manqué de susciter de nombreuses polémiques, a cette encore été l’événement sportif le plus suivi avec les Jeux Olympiques. Pourquoi un tel succès ? Le foot rassemble des supporters au-delà des classes sociales et des pays. Devenir joueur professionnel est un rêve partagé par les enfants de tous les milieux (surtout – encore - les petits garçons…). Gagner la Coupe du monde est une ambition qu’ont en commun de nombreux pays indépendamment de leur PIB, même si ce sont les Européens qui ont remporté la majorité des éditions avec 12 victoires sur 22 – les 10 autres victoires étant concentrées sur 3 pays (Brésil, Argentine et Uruguay). Du point de vue de la classe, il s’avère que les joueurs sont principalement issus des classes populaires – la banlieue parisienne est la première région productrice de joueurs professionnels dans le monde. Une grande enquête de l’institut de sondages Cluster17 confirme qu’en France, le foot est le sport dont les fans ont la composition la plus interclassiste : il est suivi par 54% des ouvrier-e-s et 46% des cadres et professions intellectuelles supérieures, tandis que le rugby est davantage suivi par les retraité-e-s et le tennis principalement par les cadres et professions intellectuelles supérieures. En termes idéologiques, même si les catégories de l’institut sont parfois douteuses (les « sociaux-démocrates », les « libéraux », les « multiculturalistes », les « réfractaires », les « eurosceptiques »…), on peut globalement retenir que le foot est le sport le plus ouvert au public de gauche, là où le rugby et le tennis sont davantage suivis par les « clusters » plus à droite.
Seulement, avec un tel succès populaire (qui va en plus en augmentant), le foot est aussi par excellence le sport de l’argent. C’est la contradiction principale dans laquelle, au sein des rapports sociaux de la société actuelle, le football se trouve pris. Des stades bondés, des pics d’audience TV, des joueurs aux salaires mirobolants, le foot professionnel est complètement intégré dans le capitalisme mondial. La FIFA, association pour le développement du football dans le monde et organisatrice de la Coupe du Monde, annonce 7,2 milliards d’euros de revenus sur la dernière édition organisée cette année au Qatar. Ce chiffre est en croissance par rapport à la dernière Coupe du Monde et bien supérieur à ce qui était prévu initialement. Le jackpot concerne aussi d’autres acteurs, comme les sites des paris en ligne : 615 millions d’€ de mise ont été enregistrés en France (contre 366 millions lors de la dernière coupe du monde).
Des institutions capitalistes corrompues
La FIFA a son siège en Suisse et regroupe aujourd’hui 211 pays membres répartis en 6 confédérations (selon les continents), ainsi qu’un Comité Exécutif de 24 membres. Ces derniers, alors qu’ils jouissent de fait d’un pouvoir économique et politique démesuré, sont nommé-e-s par cooptation. Une association basée en Suisse qui gère l’événement sportif le plus populaire du monde, qui brasse des milliards, et à la tête de laquelle les présidents restent entre 15 et 25 ans… Il n’est pas étonnant qu’elle soit corrompue. Evidemment, les pots de vin et magouilles des dirigeants de la FIFA augmentent parallèlement au succès du foot. La dernière coupe du monde en a présenté l’exemple le plus spectaculaire. On sait désormais, après les enquêtes de Mediapart en France et d’autres journaux internationaux, que l’octroi de la Coupe du monde au Qatar a été permis par une vaste entreprise de corruption.
Le Qatar avait assurément le plus mauvais dossier des 5 pays candidats pour accueillir la Coupe du Monde, et il a pourtant été choisi à l’issue du vote des 24 membres du Comité Exécutif. Un mauvais dossier peut toujours être compensé par un bon compte en banque. Platini, président de la Confédération européenne du football (UEFA), a opportunément donné son vote au Qatar, alors qu’on sait qu’il considérait au départ le dossier comme mauvais, à la suite d’un déjeuner avec le président Sarkozy et le prince héritier du Qatar durant lequel ont été négociés des accords commerciaux entre la France et la Qatar. Son fils, Laurent Platini, prendra la tête d’une des plus grandes chaînes d’hôtels au Qatar construits pour la Coupe du Monde 2022… Coïncidence ?
Le problème est qu’après, il faut construire en dix ans de quoi accueillir une Coupe du monde dans un pays qui possédait très peu d’infrastructures et qui ne fait même pas la moitié de la Wallonie. Il a donc fallu construire sept nouveaux stades, des routes, hôtels, métros et autres infrastructures. Pas évident… Heureusement, le capital permet de faire des miracles quand on a le bon porte-monnaie. Pour relever le défi, le régime qatari a bénéficié d’une main-d’œuvre à bas coût qu’il a exploité au prix monstrueux de milliers de morts de travailleurs venus des pays voisins (le chiffre exact est difficile à évaluer : on parle parfois de 6500 morts sur les chantiers, ce qui est en fait le chiffre total de l’ensemble des non qataris morts-e-s dans le pays entre 2010 et 2021 selon un dénombrement du Guardian ; la Confédération syndicale internationale avait quant à elle estimé en 2013 à 4000 le nombre d’ouvriers morts au Qatar d’ici le début de la Coupe du monde ; voir à ce sujet l’article du Monde. Il faudrait encore parler des conséquences écologiques liées à la construction massive d’infrastructures souvent climatisées, en nombre démesuré par rapport aux besoins réels du pays à moyen terme, pour accueillir les spectateurs/trices et les matchs. En tout, c’est près de 200 milliards qui ont été investis dans de grands travaux inutiles : on mesure à quel point la logique capitaliste est indifférente à la satisfaction des besoins humains fondamentaux.
Pour une émancipation communiste du football
S’il suscite la passion des supporters dans plus de 200 pays dans le monde, c’est bien parce que c’est un sport accessible et intéressant auquel tout le monde peut jouer. La corruption au sein de la FIFA n’enlève pas l’émulation de voir une équipe comme le Maroc détrôner tour à tour la Belgique, le Canada, l’Espagne et le Portugal et d’être la première équipe africaine en demi-finale de la Coupe du monde. L’enjeu ne peut pas consister à blâmer les amateurs/trices de foot pour avoir regardé la Coupe du Monde. Ce serait moralisateur et paternaliste. C’est plus fondamentalement l’emprise générale du capitalisme sur ce sport qui doit être combattue : les fans de foot ne sont pas des êtres immoraux, ils sont captifs des rapports sociaux capitalistes qui ont investi le sport qu’ils aiment. Il n’y a aucune fatalité à ce que le football soit approprié par des intérêts financiers et politiques dévorants, qu’il soit dirigé par des institutions corrompues qui brassent elles-mêmes des millions et se mettent au service de grands groupes capitalistes et de régimes en quête de soft power, qu’il soit le prétexte à la création périodique de gouffres financiers qui saignent les populations pour alimenter les profits, ou encore qu’il fasse l’objet de toutes les récupérations politiciennes par des élites qui cherchent à utiliser l’engouement populaire que ce sport suscite pour se légitimer ou faire diversion. Mais cela suppose, bien au-delà du monde du foot, une remise en cause radicale du pouvoir de la propriété capitaliste comme telle. Il ne s'agit pas de critiquer le foot en lui-même, et encore moins de mépriser celles et ceux qui l’aiment. Le foot tel qu’il existe reste un sport populaire ; il ne pourra être libéré de la contradiction dans laquelle l’emprise du capital l’enferme que par le changement communiste de toute la société.
La révolution communiste devra s’attaquer au sport professionnel, non pour le combattre, mais pour l’émanciper :
· À court terme, la remise en cause du foot capitaliste impose de soutenir des mesures partielles de redistribution de l’argent vers le monde du foot amateur, qui manque toujours plus de moyens : taxer les retransmissions télé, imposer à la FFF une politique plus redistributive de l’argent entre grands et petits clubs, entre clubs professionnels et clubs amateurs.
· Il faut dénoncer la corruption des institutions du foot professionnel comme la FFF ou la FIFA, qui accumule les scandales, en soutenant toute mesure qui promeut leur démocratisation. Cela ne signifie pas simplement attendre des réformes par en haut ou des renouvellements du personnel dirigeant : il faudra imposer l’institution d’assemblées souveraines des licencié-e-s au niveau local, l’élection pour tous les postes à tous les niveaux (élection directe par les assemblées locales de délégué-e-s pour un congrès régulier chargé d’élire une direction). En un mot, les institutions du football doivent fonctionner selon les méthodes de la démocratie ouvrière !
· Mais tout cela impose, en dernière instance, de combattre, comme dans tous les autres secteurs de l’économie, le pouvoir de la propriété qui transforme aujourd’hui les clubs de foot en entreprises privées. Il faudra donc que le mouvement révolutionnaire exproprie les actionnaires. Les clubs de foot, même professionnels, redeviendront des associations sportives, financées par des caisses d’investissement démocratiquement gérées sous contrôle des travailleurs/ses. Cela, bien sûr, implique de purger largement le milieu du foot des débauches de capitaux qui y circulent aujourd’hui, avec ses rémunérations mirobolantes, ses bénéfices records mais aussi sa masse de capital fictif (car l’économie du foot fonctionne largement comme une bulle financière, dont les quelques réformes de « régulation » des dernières années n’ont pas empêché l’expansion). Comme dans d’autres secteurs de l’économie, la production devra de façon générale décroître dans le secteur du foot professionnel, car il n’y a pas besoin d’autant d’argent pour garantir la formation et la juste rémunération de sportifs et sportives professionnel-le-s performant-e-s. Bien sûr, comme cela est vrai de façon plus générale pour tous les secteurs de l’économie, une telle remise en cause de la propriété capitaliste devra faire face à la concurrence des autres puissances capitalistes, et devra dans ce cadre se protéger du libre jeu du marché international.