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"Rompre" sans "sortir" de l’UE : une orientation incohérente
Contribution pour le bulletin de discussion du NPA sur l'Europe
La majorité est toujours tétanisée par la question européenne. Peur de se fâcher avec une gauche européiste bien-pensante qui assimile toute sortie de l'UE à une dérive nationaliste et xénophobe. Du coup, elle louvoie et entretient les ambiguïtés, au lieu de définir une stratégie claire. Nous pensions naïvement que la majorité avait infléchi sa position en évoquant la nécessite de « rompre avec l'UE ». Puis elle est revenue à la seule « rupture avec les institutions et avec les traités », comme si cette rupture n'impliquait pas la rupture avec l'UE en tant que telle. Mais surtout les camarades de la majorité nous ont expliqué qu'un gouvernement anticapitaliste devrait rompre avec l'UE... mais sans sortir de l'UE !
Mais que peut bien signifier rompre sans sortir de l'UE ? Cela veut dire « désobéir ». C'est précisément ce que nous expliquent les antilibéraux qui ne veulent pas passer pour de vulgaires Tsipras. Et cette « stratégie » a été défendue en commun par des camarades de l'ex pfU et des dirigeants de la France insoumise (comme Coquerel) dans le texte « Les défis pour la gauche dans la zone euro » (http://www.cadtm.org/Les-defis-pour-la-gauche-dans-la). Sur le plan monétaire, il faudrait « rompre » avec l'euro (car on est radical !) mais sans « sortir » de l'euro (car on est internationaliste !). La solution : créer une « monnaie complémentaire ». Mais un réformiste aussi modérée que l'économiste Sterdyniak s'est moqué de ce « projet farfelu » (https://blogs.mediapart.fr/henri-sterdyniak/blog/230718/un-projet-farfelu-la-monnaie-fiscale-complementaire). Il n'est pas étonnant que des réformistes cherchent des bricolages institutionnels dans le cadre des institutions (car la monnaie est une institution) bourgeoises. Mais il est déplorable que des anticapitalistes cautionnent ce type de « solution » qui fait juste l'impasse sur la lutte des classes !
Il est impossible de « désobéir » tout en restant dans l'UE et dans l'euro. Un gouvernement anticapitaliste n'aurait strictement aucune marge de manœuvre pour entamer le début d'une transition vers le socialisme. Le nier, c'est faire abstraction de la réalité et de la lutte de classes, et nager dans les eaux du socialisme utopique. Faire croire qu'une monnaie complémentaire pourrait cohabiter avec l'euro, c'est faire croire que les logiques socialistes et capitalistes ne sont pas antagoniques. Si un gouvernement voulait réellement désobéir, la BCE l’asphyxierait immédiatement et il serait alors contraint soit de sortir de l'euro, soit de se soumettre. Il n'y a pas de troisième voie : si un gouvernement lançait réellement une nouvelle monnaie, ce ne serait pas une monnaie « complémentaire », mais une monnaie qui se substituerait à l'euro, une monnaie qui serait inconvertible sur les marchés financiers pour éviter toute spéculation et attaque.
Agiter le spectre d'une possible désobéissance dans le cadre de l'UE, c'est soit renoncer à rompre réellement avec l'UE et capituler, soit mentir sur ce qu'on veut faire réellement pour ne pas « effrayer » le travailleur supposé être terrifié à l'idée de sortir de l'UE. Mais les travailleurs/ses vomissent massivement l'UE, et l'urgence n'est pas de les embrouiller en leur faisant croire qu'on peut satisfaire leurs besoins en restant dans l'UE, mais de leur présenter un projet clair de rupture anticapitaliste avec l'UE.
Nous pensons qu'il faut défendre ouvertement et précisément un projet de rupture avec le capitalisme. Ce projet est radicalement internationaliste : nous devons pousser à la convergence des luttes à l’échelle internationale et européenne, et s’appuyer sur celles-ci pour en finir avec la tyrannie capitaliste et construire l’Europe des travailleurs et des peuples. Mais pour simplement être en mesure de voir le jour, ce projet nécessite d'avoir un discours clair sur l'UE : un gouvernement des travailleurs/ses devrait immédiatement sortir de l'UE et de l'euro, mettre en place une monnaie inconvertible (sur les marchés financiers) et un contrôle strict des échanges de marchandises. Renoncer à ces mesures immédiates, c'est se condamner à l'échec, c'est renoncer à tirer les leçons de toutes les expériences passées. Car une économie de transition doit se protéger des marchés capitalistes et de la loi de la valeur internationale. Sinon, les contradictions s'accumulent très vite et conduisent à l'échec (déficit commercial abyssal, spéculation sur la monnaie, etc.). C'est la condition indispensable pour rendre viable une économie de transition dans un environnement capitaliste.
On peut bien sur ne pas poser ces problèmes, décréter que la révolution sera instantanément mondiale car les économies sont désormais interconnectées. Mais ce serait faire fi de problèmes réels tels la dimension asynchrone des mobilisations. C'est le choix d'une partie du NPA qui renonce à poser concrètement la question du pouvoir, et fait une propagande abstraite pour le communisme. Si nous ne voulons pas être une secte qui parle du communisme comme d'une religion et si nous ne voulons pas aller sur le terrain sur le réformisme « désobéissant », nous devons avoir un discours clair et concret sur l'Union européenne : sortie anticapitaliste de l'UE !