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Les principes du post-keynésianisme
Traduction du billet de blog de l'économiste marxiste Michael Roberts par Gaston Lefranc
Préambule
Il nous a semblé intéressant de traduire ce billet de l'économiste marxiste Michael Roberts, qui décrit les grands principes de l'économie postkeynésienne (hégémonique à « gauche de la gauche ») et explique en quoi elle se distingue de l'économie marxiste. L'économie postkeynésienne est la base théorique de toute une série de propositions politiques (État employeur en dernier ressort, garantie d'emploi, etc.) qui prétendent résoudre les principaux problèmes sociaux (chômage de masse, pauvreté...) sans sortie du capitalisme. Michael Roberts explique que cette théorie est erronée. Il donne également des éléments empiriques pour démontrer la pertinence de l'économie marxiste et la non pertinence de l'économie postkeynésienne.
À l'instar de l'économie marxiste ou dominante, l'économie keynésienne comporte plusieurs volets. Il y a une économie keynésienne qui s'inscrit dans les paramètres de l'économie d'équilibre général, où les variations des revenus et des dépenses, de la consommation et de l'investissement, des taux d'intérêt et de l'emploi, tendront vers un équilibre entre l'emploi et l'inflation, tant qu'il n'y aura pas de « chocs » exogènes affectant l’économie de marché. Si les salaires et les taux d'intérêt baissent suffisamment, le plein emploi et la croissance de l'investissement seront atteints.
C’est ce que Joan Robinson, disciple de Keynes, a appelé le « keynésianisme bâtard ». Il a supprimé toutes les caractéristiques radicales de l’économie keynésienne, qui, pour Robinson, politiquement quasi-maoïste, étaient que le plein emploi ne pouvait pas être automatiquement atteint dans les économies de « marché » modernes. Il y aurait plus vraisemblablement un équilibre de sous-emploi, et que cela serait dû au fait que les capitalistes font face à l’incertitude de l’avenir au moment de prendre leurs décisions d’investissement et à l’irrationalité des « agents » économiques comme les consommateurs et les capitalistes.
Cette vision radicale de l'économie keynésienne est désormais appelée post-keynésianisme (PK), ses principaux partisans étant des contemporains de Keynes comme Robinson et Michal Kalecki (marxo-keynésien), et plus tard Hyman Minsky (socialiste keynésien). Il y a maintenant toute une école d'économie post-keynésienne, avec des revues, des conférences et des groupes de réflexion.
L'économie PK domine et influence les points de vue et les politiques de la gauche du mouvement ouvrier des grandes économies (Corbyn, Sanders, etc.) — c'est l'aile radicale de l'économie keynésienne en général qui à son tour domine le mouvement ouvrier depuis Keynes (sauf, depuis les années 1980, pendant les périodes où les théories néolibérales dominantes du « marché libre » ont influencé les dirigeants du mouvement ouvrier).
Sur mon blog, j'ai passé beaucoup de temps à expliquer en quoi l'économie marxiste diffère de l'économie keynésienne dans tous ses domaines. Pour moi, une approche marxiste de l’économie et de la politique explique mieux la nature du capitalisme et quelles sont les bonnes politiques que le mouvement ouvrier doit adopter dans sa lutte contre le capital et pour une société meilleure pour tous. En effet, je pense que l'économie keynésienne est un détournement de cet objectif, principalement parce que son analyse du capitalisme est erronée. De plus, sa conclusion politique est que le capitalisme peut être réformé et permet de bénéficier à tous avec des ajustements politiques intelligents.
La théorie PK, parce qu'elle apparaît radicale (en ce qu'elle reconnaît que le capitalisme ne peut pas être facilement géré pour profiter à tous) et parce que beaucoup de ses représentants se considèrent socialistes (et même marxistes), est encore plus trompeuse car elle repose sur une vision radicale du keynésianisme alors que Keynes lui-même n'était pas aussi radical que les adeptes du PK le pensent.
Permettez-moi donc une fois de plus d'examiner les idées de base de l'économie post-keynésienne.
Pour ce faire, je m’appuierai sur un article récent intitulé « La vision du monde post-keynésien en cinq principes », basé sur un discours qu’un « Alex » a donné au Berggruen Institute sur zoom.
Alex nous parle d’abord de la popularité croissante du « post-keynésianisme » après le krach financier mondial et la crise du COVID. Alex estime que cette théorie est devenue populaire parce que « les marchés financiers l'adorent, car elle explique bien le fonctionnement de l'économie, ce qui est utile si votre rémunération dépend de la compréhension de l'économie »
Je ne suis pas sûr que le fait que les analystes financiers « adorent » apparemment le PK soit une raison suffisante pour valider cette théorie. Mais Alex poursuit en expliquant que le PK « donne de bonnes explications pour comprendre l'impact des flux financiers sur la production et sur l'économie en général. Le PK prône le réalisme quant à l’étude de l'impact de la politique gouvernementale sur les résultats économiques. La dette publique et la dette privée sont différentes, la masse monétaire ne provoque pas d’inflation, la dette privée doit finalement « rouler » (emprunter pour rembourser) pour éviter d’avoir des effets économiques néfastes ».
Ainsi, selon Alex, le PK nous dit mieux comment fonctionne l'économie moderne et pourquoi la dette (en particulier la dette privée) est un sujet majeur. Une branche du PK, la théorie monétaire moderne (MMT), nous a récemment tous éclairés sur le fonctionnement de la monnaie dans le capitalisme, estime Alex, et comme il le dit, « la MMT a émergé du programme de recherche post-keynésien et une grande partie de son modèle économique sous-jacent est toujours très post-keynésien dans sa structure ». Ma critique de la MMT s'applique donc également au PK.
Alex fait ensuite une déclaration intéressante. « Dans une économie capitaliste, la production est entreprise en vue de réaliser un profit et non pour satisfaire un besoin. En tant que telle, la valeur est généralement mesurée en utilisant la convention sociale de la comptabilité. La production se fait en anticipation des flux d'argent, tout comme l'investissement et la consommation. De ce point de vue, les choses valent plus ou moins leur valeur comptable et les acteurs économiques agissent sur la base de ces valeurs comptables. Ce que pensent les post-keynésiens, c'est que cela représente un bon point de départ pour la théorisation économique, pour utiliser les quantités que les acteurs eux-mêmes utilisent »
Qu'est-ce que cela veut dire ? Alex semble adopter le point fondamental de la loi de la valeur de Marx : à savoir que la production capitaliste est à but lucratif et non à usage social. Et nous devrions mesurer la valeur en termes d'argent comme le font les capitalistes. Cela semble prometteur. Mais ensuite, Alex parle directement des flux d'argent, des investissements et de la consommation. Il n'est plus question du rôle du profit, après nous avoir dit que la production capitaliste se fait pour le profit, pas pour l'investissement ou la consommation. À mon avis, c'est typique des adeptes du PK. Ils mettent de côté très vite le profit dans leurs explications théoriques, comme nous le verrons plus loin.
Après avoir renoncé au rôle du profit, Alex nous dit que nous devrions plutôt considérer les économies modernes d'un « point de vue basé sur le bilan comptable de l'économie dans son ensemble. Les acteurs individuels ont des actifs et des passifs, des revenus et des dépenses. L’actif de quelqu’un est le passif de quelqu’un d’autre, et vice versa. Tout est interdépendant à travers l’utilisation de ces conventions »
Ainsi, nous passons du moteur sous-jacent des économies capitalistes, le profit et l’évolution des profits et de la rentabilité, à « étudier le flux des paiements et l'accumulation des actifs, et non l'affectation de ressources rares à leurs fins les plus efficaces ». Alex continue : « L'un des principaux avantages de cette approche est qu'elle exclut certains résultats impossibles : tout le monde ne peut pas dégager un excédent commercial, s'il y a un déficit commercial, le secteur privé ou le secteur public doit enregistrer un déficit à financer ».
Nous sommes donc rapidement réduits à utiliser des agrégats comptables macroéconomiques pour analyser les économies. C’est-à-dire l’égalité revenu = dépenses ; les déficits et excédents des secteurs public et privé ; les balances commerciales, etc. Mais pas le profit ni les origines du profit.
« Notre principe suivant est que tout repose sur les anticipations ». Alex nous dit qu’un principe clé du PK est de se pencher sur les « anticipations » « Les anticipations déterminent les actions, et ces actions créent à leur tour la réalité. Peut-être que le modèle le plus simple du cycle causal keynésien est de dire que la demande anticipée stimule l'investissement, l'investissement stimule l'emploi, l'emploi stimule les salaires, les salaires stimulent la consommation, la consommation stimule la demande et la demande valide l'investissement. La demande anticipée stimule les investissements, car les entreprises n'investissent dans une capacité supplémentaire ou n'embauchent plus de travailleurs que lorsqu'elles pensent que plus de personnes voudront acheter leur produit à l'avenir qu'à l'heure actuelle. S'ils anticipaient la même demande, ou moins, il n'y aurait aucun besoin d'investir. Ils pourraient continuer à utiliser le même équipement »
Ainsi, l’investissement sous le capitalisme n’est pas déterminé par le profit ou la rentabilité, mais par des « anticipations », pas même par des profits futurs, mais par une « demande anticipée ». Cela stimule les investissements qui, à leur tour, déterminent les emplois et les salaires.
Mais est-ce bien cela la séquence causale de la production et de l'accumulation capitalistes ? Dans de nombreux articles précédents, j'ai mis en évidence les équations macroéconomiques fondamentales de l’économie keynésienne. Les voici une fois encore.
Revenu national = dépenses nationales
Revenu national = profits + salaires
Dépenses nationales = investissement + consommation.
Donc profits + salaires = investissement + consommation
Si nous supposons que les travailleurs dépensent tous leurs salaires pour la consommation et que les capitalistes investissent tous leurs profits, nous obtenons :
Profits = investissement
Selon la théorie PK, c'est l'investissement qui génère les profits, et non l'inverse. Et la « demande anticipée » détermine l’investissement (selon Alex) et l’investissement détermine les salaires et les profits.
Ou comme le disait Michel Kalecki : « les travailleurs dépensent (consommation) ce qu’ils reçoivent (salaires), et les capitalistes récoltent (profits) ce qu’ils dépensent (investissement) ».
À mon avis, il s'agit d'une vision manifestement erronée de l'économie capitaliste. Au lieu de l'investissement générant les profits comme indiqué ci-dessus, la réalité est que les profits déterminent l'investissement. Ainsi, l’investissement capitaliste n’est pas le résultat du niveau de « demande anticipée » ou d’une vision psychologique entièrement subjective des investisseurs ayant ce que Keynes appelait des « esprits animaux », mais l’investissement capitaliste est bien le résultat d’une mesure objective de la rentabilité antérieure de l’investissement. Mais comme chez Keynes, le PK ne veut pas mettre les profits en avant, mais les réduit à une conséquence de l’investissement (ou, en réalité, à les sortir complètement de l'analyse). Pour en savoir plus, lisez l'excellent chapitre 3 de Jose Tapia dans World in Crisis.
Alex fait référence aux travaux d'Hyman Minsky, un théoricien du PK qui s'est fortement appuyé sur les « anticipations » pour expliquer les décisions d'investissement. « Hyman Minsky en parle longuement : si vous pensez que le prix d’un actif va monter en flèche, vous commencez à l’acheter pour réaliser un profit. Vous pouvez même emprunter de l'argent et utiliser cet argent pour en acheter davantage. À mesure que le prix augmente, le montant sur lequel vous pouvez emprunter augmente également et le prix commence à s’envoler. Tout l'épisode de Gamestop le mois dernier était une illustration de cela, si ce n’est qu’il s’agissait d’options d’achats plutôt que de prêts, mais le principe est similaire. Le problème vient pour Minsky lorsque l’emprunt est interrompu : il n’y a plus rien pour soutenir les prix et tout s'écroule. Parfois, l’existence d’anticipations extrêmes peut créer une folie sur les marchés financiers qui peut avoir des conséquences désastreuses pour l’économie dans son ensemble »
Donc, selon Alex (et Minsky), les « anticipations extrêmes » créent une « folie sur les marchés financiers » qui entraîne l'effondrement de toute l'économie comme lors du krach financier mondial de 2008. Mais pourquoi tout cela s'effondre-t-il après avoir si bien fonctionné – en apparence en raison des « anticipations extrêmes » ? Mais c’est une réponse qui ne pose que la question de savoir pourquoi les attentes sont bonnes à un moment et ensuite « extrêmes » à un autre. Qu'est-ce qui les rend extrêmes ?
Il ne fait aucun doute que les partisans de Minsky citeront la célèbre phrase de Minsky selon laquelle « la stabilité engendre l’instabilité ». Mais encore une fois, ce n’est qu’une phrase intelligente pour cacher le fait que la théorie PK n’explique pas les crises financières, sauf en disant qu’elles se produisent lorsque les choses deviennent « extrêmes ».
À mon avis, la théorie économique marxiste a une réponse. Elle repose sur une vision objective des lois du mouvement sous le capitalisme, en particulier des changements dans la rentabilité du capital productif (où la valeur est créée). Si la rentabilité est faible dans les secteurs productifs, les capitalistes tentent de contrer cela de plusieurs manières, dont l'une consiste à investir dans ce que Marx a appelé le capital fictif. Mais les profits financiers dépendent toujours de la rentabilité des secteurs productifs et si la rentabilité tombe au point que la masse des profits ou la nouvelle valeur (salaires et profits) diminue, alors une crise s'ensuit dans le secteur productif qui se propage dans le secteur financier. Moi-même et d’autres spécialistes marxistes avons fourni de nombreuses preuves empiriques pour expliquer que les récessions et, en particulier, le krach financier mondial et la grande récession qui a suivi, n’étaient pas « un moment Minsky » où la stabilité financière se transforme soudainement en instabilité, mais un « moment Marx » où les profits chutent au point où la valeur des moyens de production et de la force travail doit être dévalorisée, comme la valeur des actifs fictifs.
En effet, comme l'a montré G. Carchedi (voir graphique ci-dessous), lorsque les profits financiers et les profits du secteur productif commencent à baisser, une crise économique s'ensuit. C’est ce qu’on a constaté pour toutes les récessions d’après-guerre aux États-Unis. Mais une crise financière à elle seule (mesurée par la baisse des profits financiers) ne conduit pas à une récession si les profits du secteur productif continuent à augmenter (voir Carchedi, pages 59-62, chapitre 2 de World in Crisis)
Gris foncé : baisse des profits financiers (en %)
Gris clair : baisse des profits réels (en %)
Néanmoins, Alex indique, en suivant la logique PK, que « la demande crée l'offre, en stimulant l'investissement. L'investissement crée alors à la fois l'épargne et le stock de capital tandis que le stock de capital crée à son tour des ressources ». Là encore, rien n'explique pourquoi la demande ralentit ou diminue, conduisant à un effondrement des investissements. « La consommation, et non l’épargne, stimule les investissements et aide la société à se préparer pour l'avenir », dit Alex. Mais les preuves empiriques indiquent le contraire. Dans presque chaque récession aux États-Unis depuis 1945, ce sont les investissements qui ont plongé en premier alors que la consommation n'a pratiquement pas baissé. Et de manière décisive, ce sont les profits qui ont fait plonger les investissements lors des crises et qui le font repartir lors des sorties de crise, et non l'inverse.
En bleu : évolution de la consommation une année avant le début de la récession
En vert : évolution de la consommation une année avant le début de la récession
Alex écrit : « Keynes cite de façon très célèbre la ’Fable des abeilles’ dans la Théorie générale. Pour faire simple, la fable raconte l'histoire d'une communauté qui proscrit le luxe et se trouve beaucoup plus pauvre maintenant que tous ceux qui travaillaient dans la production de luxe sont sans travail ». Nous avons ici l’argument ridicule avancé par Keynes et le pasteur réactionnaire du début du XIXe siècle, Thomas Malthus, selon lequel sans les dépenses des riches, il y aurait un « manque de demande » et les économies entreraient en crise. Ce sont des paroles apaisantes pour les oreilles des milliardaires propriétaires des GAFAM (en plus d'être empiriquement incorrectes, car de nombreuses études montrent que les riches ont tendance à épargner plus que les pauvres, comme ils l'ont fait pendant la crise du COVID).
Selon Alex, ce qui ne va pas avec les théories alternatives des crises, c'est qu'elles supposent que l'investissement doit provenir de l'épargne, de sorte que la consommation doit être réduite afin de permettre l'investissement. « Dans l'histoire ricardienne, qui est encore utilisée aujourd'hui par les marxistes et les Autrichiens, la principale source de l’investissement est l'épargne. L'hypothèse est que l'économie a une capacité maximale à laquelle elle fonctionne habituellement et que tout ce qui n'est pas consommé au cours d'une période donnée est épargné. Pour investir, l'épargne doit exister préalablement, il faut donc, ipso facto, réduire la consommation afin d'augmenter l'investissement ».
Alex estime que Keynes a réfuté ce point de vue avec son idée du paradoxe de l’épargne. « Si tout le monde essaie d'augmenter son taux d'épargne, cela signifie qu’ils réduisent leur taux de consommation. Si leur taux de consommation diminue, les revenus des personnes qui vendent des choses à consommer diminuent. Le problème est que la production totale est déterminée par la consommation et l'investissement. Si l'investissement reste constant et que la consommation diminue, la production totale diminue. Le taux d'épargne augmente, mais uniquement parce que tout le monde économise désormais le même montant en dollars grâce à un revenu inférieur en dollars »
Comme le dit Alex, Kalecki « défend la même idée du côté de l’entreprise, plutôt que du côté des ménages. Si les employeurs minimisent les coûts en minimisant les salaires dans leur ensemble, ils finissent par cannibaliser la base de consommation de l'économie dans son ensemble, ce qui ronge les profits. Si vous allez dans l'autre sens et laissez les salaires augmenter, le taux de profit augmente parallèlement ».
Il y a deux choses ici. L'école autrichienne pense peut-être que l’épargne est nécessaire pour investir, mais ce n'est pas le cas de l'économie marxiste. Ce n’est pas l’ « épargne » qui est impératif pour l’investissement, mais les profits ou l’épargne capitaliste. L'épargne des ménages n'est pas nécessaire pour lancer le processus d'accumulation capitaliste. Il s'ensuit que les profits mènent alors à l'investissement qui à son tour conduit à l'emploi, aux revenus et finalement à la consommation — l'inverse de la vision PK. Qui a raison ? J'ai déjà présenté les preuves.
En effet, il n'y a pas tant un « paradoxe de l'épargne » à la keynésienne mais un « paradoxe du taux de profit », à savoir que lorsque les capitalistes s'efforcent d'augmenter leur taux de profit individuel par des investissements dans des moyens de production et des licenciements, ils réduisent en réalité le taux de profit général de l’économie capitaliste et finissent par provoquer une crise.
Le deuxième point est que la théorie de Kalecki conduit à une vision éclectique des crises. Parfois, elles sont « provoquées par les salaires », c’est-à-dire que les salaires et la consommation sont trop faibles pour soutenir la croissance et parfois elles sont « provoquées par le profit », c’est-à-dire que les salaires sont trop élevés et les profits trop faibles pour soutenir la croissance. Mais les deux causes n’agissent pas simultanément. Il n'y a pas de théorie cohérente sur les causes des crises régulières et récurrentes tous les 8 à 10 ans ; parfois c'est une cause ; et parfois c’en est une autre.
Cela m'amène aux conclusions politiques du PK, telles qu'exprimées par Alex. Alex ne voit pas la nécessité de mettre fin au système marchand de la production et de l’investissement. C'est plutôt à l'État de réguler et de contrebalancer les échecs et les inégalités engendrés par l'économie capitaliste. Comme le dit Alex, « c’est conforme à la position de John Kenneth Galbraith selon laquelle l'État est censé être une ‘puissance compensatrice’ à l’agissement des entreprises sur le marché. Si l’État n’apprécie pas les conséquences sociales de la façon dont les entreprises se comportent sur les marchés, il est plus ou moins capable d'intervenir et de changer les choses. Il est impossible de dire que ce n’est pas légitime, car l’État est l’un des nombreux acteurs du marché, mais il n’est pas non plus particulièrement radical de dire que c’est légitime ». Oui, pas du tout radical.
Vous voyez pour Alex et le PK, « un marché n'est qu'une technologie administrative qui offre aux acteurs un lieu de coordination. Un signal de prix n'est que l'un des nombreux signaux que l'on obtient sur un marché qui fonctionne bien ». Vraiment, un marché «qui fonctionne bien » ? C’est censé être le point de vue du PK, vraiment ? Peut-être que c'est bien le cas.
Alex poursuit en réfutant une théorie en termes de classes sociales du capitalisme moderne : « L'idée qu'il existe une logique globale sous-jacente à toutes les structures de gouvernance de marché contingentes qui émergent à travers les processus ci-dessus, finit par condamner la plupart des analyses dominantes, mais aussi la plupart des analyses marxistes. Il n'y a pas de ‘logique’ unifiée sous-jacente au capitalisme, juste un certain nombre de structures de gouvernance concurrentes. Aucun comportement individuel ou de groupe ne peut être analysé en termes de comportement structurel ».
Alex veut rejeter l'idée marxiste qu'il existe des structures sociales spécifiques basées sur différents modes de production et des classes basées sur ces modes et ces structures. Pour lui, l'économie n'est pas une économie politique mais la mise en place d'une « technologie administrative » pour faire fonctionner le capitalisme pour tous.
Ainsi, lorsque nous arrivons à la fin de cette analyse théorique du PK, nous nous retrouvons avec la même vision pro-capitaliste que le «keynésianisme bâtard » ou même l’économie néoclassique dominante. L’objectif politique qui résulte du PK est de réguler le système capitaliste et d’utiliser l’État pour « compenser » ses échecs afin de produire un « marché qui fonctionne mieux ». Mais même Alex doit admettre à la fin de son explication des « principes » du PK, qu' « aucun système de régulation n’est jamais vraiment définitif, et le capitalisme n’est jamais vraiment sauvé d’affaire, le seul objectif est de passer au suivant ». En effet.