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Législatives : tirer toutes les leçons de la défaite de Macron, de l’échec de la NUPES et de la poussée du RN
Le second tour des élections législatives a livré les verdicts suivants :
1. L’abstention est encore plus massive qu’au premier tour, malgré l’incertitude qui planait sur l’issue du scrutin. Avec les votes blancs et nuls, moins de 43 % des inscrit-e-s ont exprimé un vote. Ce sont les jeunes et les catégories populaires qui se sont le plus abstenu-e-s : près de 70 % des moins de 35 ans n’ont pas voté, de même que plus de 65 % des ouvrier/ère-s et employé-e-s !
2. Macron subit une lourde défaite : avec 246 députés, il est très loin de la majorité absolue (289). Phénomène spectaculaire : ce sont les anonymes de la macronie qui s’en sont le mieux tiré-e-s. Les têtes d’affiche ont suscité un vote de rejet cinglant, qui a entraîné la chute de Ferrand, Castaner ou de Montchalin. Même la première ministre, dans une circonscription en or, a failli passer à la trappe ! La macronie est vomie par les jeunes et les catégories populaires. Seule la forte abstention l’a sauvée d’une déconfiture encore plus grande.
3. La NUPES ne profite pas de la déroute des macronistes. Elle n’obtient que 142 sièges alors que les sondages projetaient en moyenne 180 sièges. Elle perd beaucoup de duels avec le RN et échoue, souvent de très peu, dans la majorité de ses duels avec LREM. À l’intérieur de la NUPES, la France insoumise est la perdante : elle n’obtient qu’un peu plus de la moitié des sièges de la NUPES alors qu’elle était présente dans les deux tiers des circonscriptions.
4. Le RN réalise une percée spectaculaire et inattendue avec 89 député-e-s. Il progresse de façon impressionnante entre les deux tours. Le « front anti-Macron » est bien plus efficace que le « front républicain », et le RN a bénéficié de la voix de beaucoup d’électeur/trice-s de la NUPES du premier tour dans ses duels face à LREM.
Même si la « gauche » progresse fortement en sièges par rapport à 2017, ces élections marquent un échec de la stratégie de la NUPES. La France insoumise avait promu cette alliance pour porter Mélenchon à Matignon. Mais cette stratégie a échoué dès le premier tour : avec un peu plus de 25 %, elle faisait 5 points de moins que le total de la gauche à la présidentielle. Au second tour, même si elle a bénéficié d’un assez bon report des électeurs du RN (30 % ont voté NUPES contre 18 % pour LREM), cela n’a pas été suffisant pour entraîner suffisamment les jeunes et les catégories populaires. En fait, la NUPES a répondu aux aspirations d’une partie des couches supérieures du salariat qui se revendiquent d’une gauche modérée. Mais elle n’a pas été une incitation au vote pour une grande partie des jeunes et des catégories populaires qui s’étaient tournés vers Mélenchon à la fin de la campagne présidentielle, sur une base de rupture avec le système. Quand Mélenchon est passé de 10 % à 22 % dans les dernières semaines, ce n’est pas essentiellement l’électorat traditionnel du centre gauche qu’il a aspiré (Jadot et Hidalgo étaient déjà très bas) : ce sont des jeunes étudiant-e-s, ouvrier/ère-s, et employé-e-s, souvent assez éloigné-e-s de la politique, qui ont voté pour un programme radical de rupture avec le système. L’alliance avec les sociaux-libéraux ne s’adressait pas aux catégories populaires, et peut même représenter un signal inquiétant à court terme : les catégories populaires ne sont pas dupes et n’attendent rien du PS et des accords d’appareils politiciens en général. Cette alliance a donc été une erreur stratégique : elle a délaissé la construction d’un véritable « bloc populaire » au profit d’une « union de la gauche » qui est une main tendue aux sociaux-libéraux et à leur électorat.
Dès le départ, nous avons critiqué cette stratégie de la NUPES, qui nous semblait à la fois erronée sur le fond politique, et pour le moins incertaine sur le plan électoral. Fort de ses 22 %, Mélenchon aurait pu, si difficile que cela soit, travailler à élargir l’Union populaire aux syndicalistes de lutte, aux associations, aux gilets jaunes, dans l’idée de consolider son ancrage auprès des classes populaires. Des sondages après la présidentielle donnaient la France insoumise à 19 %. Cela ne laissait certes que peu d’espoir de devenir premier ministre, mais c’était un socle très solide, qui permettait d’espérer à la fois la conquête de nombreux sièges de député-e-s et la marginalisation définitive du PS et de EELV. Sur le fond politique, cet objectif politique était à moyen terme le plus important, car il permettait de consolider l’hégémonie d’une gauche de rupture, là où l’union de la gauche a plutôt permis de ressusciter les partis sociaux-libéraux et d’estomper les frontières entre un réformisme conséquent et une gauche au service de la bourgeoisie. Sur le plan strictement électoral, cette stratégie ne permettait certes pas de gagner immédiatement les législatives, mais la preuve a été donnée que la NUPES non plus : dès lors, le résultat est que de nombreux sièges laissés à EELV et au PS auraient pu être remportés par la FI, si bien qu’en définitive la FI a pris le risque de s’affaiblir politiquement au nom d’une chance largement surévaluée d’obtenir immédiatement une majorité – en un mot, les coûts assurés excédaient largement les bénéfices espérés.
L’enjeu stratégique de ces élections était d’amener les classes populaires à voter, afin d’essayer de disputer l’électorat ouvrier et populaire au RN. Au lieu de cela, le « bloc populaire » s’est en fait mué en « Union de la gauche », remettant en selle les appareils du PS et de EELV. De façon logique, les résultats de la NUPES sont médiocres dans les zones rurales post-industrielles en dehors des métropoles où le RN est plus hégémonique que jamais. Au lieu de chercher à conquérir l’électorat de la gauche bourgeoise, la France insoumise doit se concentrer sur l’électorat ouvrier et populaire qui s’abstient massivement ou qui s’est tourné vers le RN. Mélenchon a tenté beaucoup de choses avant la campagne présidentielle pour capter cet électorat, avec un succès partiel : en revanche, la construction de la NUPES ne permettait pas de travailler en ce sens.
La France insoumise piégée par sa créature (la NUPES)
La France insoumise est aujourd’hui dans une impasse :
- si elle maintient la NUPES, elle se met dans la position de devoir négocier des compromis permanents avec les sociaux-libéraux. Si le PS et EELV ont signé un « programme partagé » pour éviter la banqueroute, leur orientation réelle est opposée à celle de la France insoumise sur des points essentiels. Donc le maintien de la NUPES ne peut se faire que sur la base d’une orientation de moins en moins en « rupture » avec le système. Et désormais le rapport de force au sein de la NUPES n’est plus le même qu’au sortir de la présidentielle : les sociaux-libéraux ont 40 % des sièges de député-e-s de la NUPES… Le risque à moyen terme est donc, si l’alliance se pérennise, d’effacer la frontière que Mélenchon a difficilement réussi à tracer ces dernières années entre la gauche bourgeoise et une gauche anti-libérale de rupture ; or, c’est cette frontière qui permet de définir un bloc populaire en opposition nette au bloc bourgeois.
- si la NUPES éclate rapidement, la France insoumise sera, au moins à court terme, plus affaiblie que si cette alliance n’avait jamais existé. En effet, soit si la France insoumise se dégage elle-même de la NUPES au risque d’apparaître comme la diviseuse et ses anciens partenaires lui en feront payer le prix maximal ; soit ce sont les sociaux libéraux qui vont abandonner l’alliance, mais alors Mélenchon leur aura permis de se requinquer pour faire vivre leur ligne, tandis que l’éclatement de la NUPES paraîtra aux yeux de tou-te-s comme l’échec de la stratégie de Mélenchon. La NUPES devient donc un piège dont il sera difficile pour la FI de se dépêtrer.
Première incarnation de ce dilemme : la France insoumise se trouve poussée à se prononcer pour un groupe unique à l’Assemblée. Il faut dire que la réalité des urnes est cruelle, et le RN dispose de plus de député-e-s que la France insoumise. Pour apparaître comme la principale force d’opposition, la NUPES a donc besoin de constituer un même groupe à l’Assemblée. Mais les sociaux-libéraux (et le PCF) ont bien signifié à la France insoumise qu’ils voulaient leur groupe, pour faire leur propre politique. Déjà, certain-e-s député-e-s PS ou EELV commencent à expliquer qu’il ne faudra pas être dans l’opposition systématique à Macron, et refusent de s’associer à un projet de motion de censure de la FI. La FI se retrouve donc dans une situation de faiblesse par rapport à ses « partenaires », qu’elle n’aurait pas eu à affronter si elle ne leur avait pas donné l’occasion de gagner autant de circonscriptions.
Si la stratégie de la France insoumise passe avant tout par la consolidation de la NUPES, elle risque à moyen terme le naufrage politique. Aucune dynamique par en bas ne peut naître d’une telle alliance contre-nature entre des antilibéraux et des libéraux. La France insoumise pourrait alors perdre tout le capital politique construit grâce à la campagne présidentielle, à l’instar du reflux entre 2017 et 2021. Certes, celui-ci était largement dû à la nature des élections intermédiaires, qui désavantagent structurellement la FI pour des raisons sociologiques, institutionnelles et stratégiques diverses. Beaucoup de facteurs se conjuguent par exemple pour expliquer le faible score de la FI aux européennes de 2019 : néanmoins, on peut au moins en tirer la leçon que la stratégie consistant à mettre de l’eau dans son vin pour récupérer l’électorat de centre gauche (cf. l’abandon du plan B de rupture avec l’Union européenne) ne permet pas de se renforcer, car elle renonce à convaincre l’électorat populaire de se mobiliser (enjeu difficile dans le cadre d’élections européennes, mais qui doit être la tâche politique prioritaire). Cet échec de la France insoumise avait ainsi remis en selle les sociaux-libéraux (en l’occurrence EELV). Persister dans la NUPES reviendrait à commettre le même genre d’erreur dans une configuration différente.
Alors que les sociaux-libéraux sont discrédités, que le RN s’enracine de plus en plus, il est urgent que la France insoumise mette au second plan la NUPES et prenne une initiative forte pour construire un grand parti ouvrier et populaire, démocratique et pluraliste sur la base du score de Mélenchon à la présidentielle. C’est d’autant plus urgent que Macron est fragilisé et que la situation politique est de plus en plus chaotique et imprévisible. Il est temps d’en finir avec le « mouvement gazeux » et de construire un parti politique fort et solide capable de combattre le bloc bourgeois de Macron et le bloc facho de Le Pen. Des milliers de jeunes et de travailleur/se-s seraient prêt-e-s à répondre à un tel appel, à condition d’y trouver toute leur place. Cela implique d'une part de prendre des initiatives non seulement à l'Assemblée, mais d'abord et avant tout pour les luttes, à commencer par la préparation du combat contre les contre-reformes annoncées, contre les licenciements, pour les salaires et les services publics... Et, d'autre part, il faut organiser partout des réunions ouvertes de l'Union populaire, avec l'ensemble de ses composantes, mais surtout en invitant largement toutes celles et ceux qui ont voté Mélenchon, en les incluant dans une discussion politique permanente, afin qu'ils/elles s'approprient pleinement les différentes propositions programmatiques et stratégiques, les fassent vivre en les discutant, en les critiquant, en les faisant avancer et en se battant ensemble pour changer les choses.