Zohran Mamdani, un "socialiste" bientôt à la mairie de New-York ?

Alors que les élections municipales de mars 2026 approchent en France, ce qui se joue aux États-Unis lors des élections municipales de New-York du 4 novembre prochain mérite que l’on tourne les regards outre Atlantique. Au terme d’une efficace campagne de terrain reposant sur le porte-à-porte et l’inscription sur les listes électorales, ainsi qu’une communication dynamique sur les réseaux sociaux et une forte mobilisation de la frange la plus jeune de l’électorat, le socialiste Zohran Mamdani a réussi l’exploit de remporter le 24 juin dernier la primaire démocrate face à Andrew Cuomo, l’ancien gouverneur de l’état de New-York, largement décrédibilisé par sa gestion de la crise covid, durant laquelle il avait délibérément sous-évalué le nombre de morts dans les maisons de retraite. Cela n’a pas empêché ce dernier d’obtenir le soutien de milliardaires de Wall Street, mais aussi des organisations d’investisseurs-ses immobiliers comme la New York Apartment Association, qui aurait versé plus de 2,5 millions de dollars pour financer sa campagne. Né d’une mère indienne (sa mère est la célèbre cinéaste Mira Nair) et d’un père ougandais, Mamdani est depuis 2020 élu à l’assemblée de l’état de New York et fait partie des Socialistes Démocrates d’Amériques (DSA), parti politique qui agit comme un courant du Parti Démocrate, dont les membres les plus connus en France sont Bernie Sanders et Alexandria Occasio-Cortez. Le maire sortant Eric Adams, empêtré dans des affaires de corruption, s’est retiré de la course, et les pressions de Trump pour pousser le candidat républicain, Curtis Sliwa, à se retirer, afin que Cuomo puisse être élu sans l’étiquette du parti démocrate en fédérant toutes les voix anti-Mamdani et les milieux d’affaires autour de sa candidature, se sont montrées inefficaces pour l’instant auprès du principal concerné. À moins d’un désistement de dernière minute de Sliwa, Mamdani semble donc bien parti pour devenir le prochain maire de New-York.
Alimentée par une forte mobilisation notamment chez les jeunes, cette percée électorale remarquable a immédiatement mis en branle un rouleau compresseur politico-médiatique d’attaques visant à le faire apparaître, en raison de son engagement pro-palestinien et de son combat pour la réduction des inégalités sociales, comme un dangereux islamiste ou encore comme un « communiste taré » (la formule est de Donald Trump). La perception de la candidature de Mamdani dans les médias français mainstream, propriétés de milliardaires, pourrait également prêter à sourire, signe que sa percée suscite une certaine fébrilité dans la classe dominante des deux côtés de l’Atlantique : L’Express reprend ainsi le vieil épouvantail de la fuite des riches et s’interroge sur la crédibilité de son programme, le Parisien le présente quant à lui comme un candidat « d’extrême-gauche ».
Les attaques extrêmement violentes qu’il subit depuis sa victoire aux primaires ne font que s’intensifier alors que la campagne entre dans sa dernière phase. Elles ne l’ont pas empêché de capter une part significative (43%) des intentions de vote des New-Yorkais juifs et, en dépassant les clivages ethniques, de conquérir tant l’électorat des classes moyennes supérieures éduquées que celui des classes populaires. Son succès repose sur un programme centré sur le renforcement des services publics, mais aussi et surtout la réduction des inégalités de logement. Dans une ville où se loger à un prix abordable est la première préoccupation des New-Yorkais (un tiers des locataires new-yorkais consacrent la moitié de leur salaire au logement), la mise en avant de cette question est clairement l’un des facteurs déterminants de la popularité de Mamdani. Parmi les principales mesures du programme de Mamdani, on peut citer : le gel des loyers dans les logements à prix régulés (ce qui concernerait environ 1 million de logements), la création de supermarchés publics pour combattre l’insécurité alimentaire, la gratuité des transports publics et les crèches gratuites pour les enfants de moins de cinq ans. Le financement de ces mesures serait assuré par un impôt local additionnel de 2% sur le revenu des New-Yorkais les plus riches (au-dessus d’1 million de dollars de revenu annuel) et une hausse de l’impôt sur les sociétés au niveau de l’Etat de New York (qui est donc conditionnée à l’accord de l’establishment démocrate…).
Un tel programme a le mérite d’apporter des réponses concrètes à certains besoins des classes populaires, mais il reste insuffisant. Par exemple, pour juguler la crise du logement, c’est une reconfiguration d’ensemble de l’usage du foncier et de l’immobilier qui s’impose, ce qui nécessiterait la socialisation d’une grande partie de la propriété foncière et immobilière. Sans même parler de cela, au-delà du gel des loyers sur les logements déjà régulés, aucune extension du contrôle des loyers n’est prévue, mis à part sur les logements supplémentaires qui seraient construits (200 000 unités supplémentaires sur 10 ans) à partir de fonds publics.
Si minimal et réformiste qu’il soit, le programme d’urgence de Mamdani devra néanmoins faire face à toutes les forces qui s’opposeront vigoureusement à toute tentative de limiter l’aggravation des inégalités : la gouvernance de l’état de New-York par l’establishment démocrate (qui ne se précipite pas pour lui témoigner son soutien), aux magnats de l’immobilier, et au capital financier étatsunien en général dont New-York est l’un des principaux bastions. Depuis sa victoire à la primaire, ces forces exercent déjà leur pression sur Mamdani, qui donne en retour, avant même d’avoir été élu, de plus en plus de signes de tempérance et d’ouverture dans le sens de rassurer les grands propriétaires, minorer certains aspects de son programme. Il aurait notamment déjà annoncé en coulisse qu’il était ouvert au compromis sur la question de la taxation des plus riches, qui est pourtant la pierre angulaire du financement de son programme… C’est donc bien à la condition qu’une mobilisation populaire suffisante vienne en soutien de sa politique, et comme une pression pour qu’il applique son programme que l’élection de Mamdani peut constituer un point d’appui dans la situation politique américaine actuelle. Elle permettrait à la fois d’incarner une alternative face à l’adaptation du Parti démocrate au néolibéralisme, et à la fois de redonner espoir à New York et au-delà, dans un contexte où, derrière le mot d’ordre « pas de rois » (« No kings ») une partie des travailleurs-ses américain-e-s commencent à relever la tête contre le durcissement autoritaire du régime trumpiste.
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