Agenda militant
Ailleurs sur le Web
![S’abonner au flux RSS [RSS]](images/rss.jpg)
- Action de mise à l’arrêt d’une usine de pesticides interdits : "bloquons BASF" (04/12)
- Organisation du Travail et Communisme - Bernard FRIOT & Frédéric LORDON (02/12)
- La « peur rouge » aux États-Unis, hier comme aujourd’hui (02/12)
- Le service militaire. - La chronique de Pierre-Emmanuel Barré (30/11)
- Décès d’Henri Benoits (30/11)
- Guerre et service militaire : les médias sonnent le tocsin (29/11)
- La meute médiatique, le retour ? Manuel Bompard, Rima Hassan et Paul Vannier publient leurs réponses à Belaich et Pérou (29/11)
- Le capitalisme comme totalité : une introduction rapide à son histoire (27/11)
- L’État contre les associations. Extrait du livre d’Antonio Delfini et Julien Talpin (27/11)
- SONDAGE MÉLENCHON - BARDELLA : C’EST PIRE QUE CE QUE VOUS CROYEZ !! (27/11)
- Contre-enquête sur le fiasco du Louvre (25/11)
- Mélenchon : Magouilles et trahisons à tous les étages (25/11)
- Face à la crise du capitalisme : la militarisation de l’enseignement (24/11)
- Russie. Depuis sa cellule, entretien avec Boris Kagarlitsky (24/11)
- Abdourahman A. Waberi, Autoportrait avec Mélenchon : l’homme qui a sauvé la gauche (23/11)
- Glucksmann le loser (23/11)
- Convention Municipales de LFI - LE DIRECT (23/11)
- Ce journaliste a enquêté sur les liens secrets entre les grands patrons et le RN (23/11)
- Commission anti-LFI, agences de renseignements privées, sondages bidons, général bavard. (22/11)
- La critique marxiste de Rosa Luxemburg (21/11)
- Comment la gestion de la dette publique appauvrit l’État au profit du secteur privé (20/11)
- Moscou ne croit pas aux larmes : l’ambiguïté de la condition de la femme soviétique (20/11)
- Sexualités et politique : le pari du flou. Réponse de Houria Bouteldja à Sandra Lucbert (19/11)
- La fierté de Gaza. Entretien avec Emmanuel Dror (19/11)
- Mélenchon : Arcelor, Europe, Malbouffe, PS autobloquant (17/11)
10 septembre, 18 septembre et après... Quel est l’objectif du mouvement ?

Après le succès de la mobilisation « Bloquons tout » le 10 septembre et alors que nous préparons la journée de grève et de manifestations du 18, la question de savoir quel est l’objectif du mouvement doit être discutée. Pour la première fois depuis longtemps, en effet, il ne s’agit pas d’une mobilisation visant au retrait d’une mesure particulière (comme ce fut le cas des principaux grands mouvements sociaux dirigés par les syndicats de 1995 à 2023), mais d’une mobilisation plus générale contre la politique de ceux qui nous gouvernent. S’il est né d’un appel à refuser les mesures annoncées cet été par Bayrou (suppression des deux jours fériés, budget d’austérité, menaces d’augmenter le temps de travail...), le mouvement a d’emblée pris la physionomie d’un rejet plus global des politiques que nous subissons depuis des années et dont Macron est aujourd’hui la principale incarnation.
Combinaison d’un mouvement type « Gilets jaunes » et d’une mobilisation syndicale
De ce point de vue, la lutte ressemble à celle des Gilets jaunes, d’autant qu’elle est partie elle aussi des réseaux sociaux et que la journée du 10 septembre a été largement préparée par leur intermédiaire. À la clé, des centaines d’actions et de manifestations ont eu lieu (près de 1000 selon la police), auxquelles ont participé des centaines de milliers de personnes (entre 200 000 selon la police et 500 000 selon LFI). Certes, il ne s’agit pas exactement des mêmes catégories sociales qu’à l’automne 2018 : il y a eu beaucoup moins de gens des milieux populaires périurbains, ruraux, abstentionnistes voire votant RN, et beaucoup plus de milieux plus urbains, plus jeunes et plus proches des syndicats de lutte, de l’extrême gauche et de LFI – car ces organisations, à la différence de l’automne 2018, ont d’emblée soutenu l’appel au 10 septembre. Toutefois, la spontanéité, l’auto-organisation des actions, les centaines de blocages (malgré leurs démantèlements rapides par la police) assurent une continuité indéniable avec le mouvement des Gilets jaunes, tout comme la fébrilité du pouvoir, que tout le monde a remarquée. La crainte de la répression, clairement annoncée, explique d’ailleurs sans doute en partie que bien des anciens Gilets jaunes, traumatisé-e-s par les violences policières subies en 2018-2019, ne se soient pas mobilisé-e-s. Mais surtout, le choix d’appeler au 10 septembre, un mercredi, alors que les grandes manifestations des Gilets jaunes avaient lieu les samedis, limitait la participation de celles et ceux qui, pour diverses raisons, ne peuvent pas faire grève. On peut en tout cas espérer que le succès du 10 et la réussite prévisible du 18 redonnent envie et espoir à celles et ceux qui hésitent encore à se joindre au mouvement.
Ce jeudi 18 aura donc lieu une grande journée de grève et de manifestations à l’appel de l’intersyndicale nationale. Au départ, elle a fixé cette date pour contourner l’appel au 10 septembre, car elles ne voulaient pas d’un mouvement protéiforme et radical qu’elle aurait eu du mal à contrôler. Si Solidaires a appelé rapidement au 10 septembre, FO et la CFDT s’y sont refusé, tandis que les directions de la CGT et de la FSU ont fini par y appeler à reculons sous la pression d’une partie de leurs bases. Cependant, au-delà des intentions de l’intersyndicale nationale, cette date a été considérée d’emblée par les participant-e-s au 10 septembre comme « l’acte II » du mouvement. De fait, nous avons affaire pour la première fois à une combinaison entre un mouvement de type « Gilets jaunes » (malgré les différences indiquées avec l’automne 2018) et une mobilisation syndicale classique (mais déjà imprégnée par le succès du 10 septembre, qui la fait hériter de sa dynamique spontanée et de ses tendances radicales). C’est ce cocktail qui rend ce début de mouvement particulièrement prometteur. Alors qu’elle a à peine commencé, la mobilisation a déjà obtenu deux victoires significatives : elle a précipité, par sa seule préparation, la chute de Bayrou [1], et obtenu le renoncement, officialisé ce week-end par Lecornu, de la suppression des deux jours fériés. Si l’on compare avec n’importe quelle autre mobilisation des dernières années, il est clair que nous n’avons jamais été dans une situation aussi favorable : commencer à obtenir des victoires dès le début d’une lutte ne peut qu’encourager à la poursuivre ! À cela s’ajoute le fait que Macron se livre à une nouvelle provocation en nommant son clone Lecornu à Matignon, c’est-à-dire en décidant de persister et de signer, en refusant de changer sa politique même de façon superficielle, comme le lui proposait le PS en lui présentant servilement ses offres de service... Cette rigidité de Macron (qui exprime les impératifs aigus de la bourgeoisie française dont la force ne cesse de se réduire dans la compétition capitaliste internationale) ne peut qu’attiser encore plus la haine dont il est objet et la colère sociale.
Mettre au centre l’objectif de chasser Macron
Cependant, le mouvement ne pourra obtenir d’autres victoires que si nous nous fixons un objectif clair, capable de l’unifier, de le massifier et de le faire rebondir après le 18 septembre. Les directions syndicales et les partis de gauche hors LFI se fixent l’objectif d’un meilleur budget : d’une manière ou d’une autre, ils espèrent que, sur la base de la mobilisation, leurs discussions avec le nouveau Premier ministre permettront de limiter les coupes dans les dépenses publiques et d’imposer quelques mesures fiscales pour les plus riches... Peut-être même qu’ils appelleront à une ou plusieurs journées d’action dans ce but... Mais en aucun cas ils ne veulent que le mouvement aille plus loin que cela. Or obtenir éventuellement de Lecornu un budget un peu moins terrible que celui envisagé par Bayrou ne serait en aucun cas une victoire ! Et ce n’est évidemment pas ce que veulent les centaines de milliers de grévistes et de manifestants du 10 et du 18, ni la majorité de la population. Malheureusement, la ligne du RN est en quelque sorte plus « appropriée » à la situation : il exige la dissolution de l’Assemblée nationale car il sait que la plupart des gens ne croient pas à la possibilité d’obtenir des changements de politique dans la configuration actuelle. Tactiquement, il pense avoir tout à y gagner : outre sa volonté de faire valider par le Conseil constitutionnel l’éligibilité de Marine Le Pen malgré la décision judiciaire du printemps, le RN espère que la division des partis du NFP ne l’empêcheront pas, cette fois, d’arriver en tête et de gouverner dans le cadre d’un cohabitation avec Macron jusqu’en 2027. À l’inverse, le PS veut à tout prix éviter une dissolution car il sait que, sans l’accord NFP qu’il a décidé de fouler aux pieds, il perdrait une bonne partie de ses député-e-s.
Face à ces calculs politiciens, beaucoup de syndicalistes combatif/ve-s et de camarades d’extrême gauche, influencé-e-s par l’anarchisme, l’autonomie politique ou simplement peu habitué-e-s par les luttes des dernières décennies à penser la possibilité d’une victoire qui ne serait pas simplement le retrait d’une mesure, croient que l’essentiel est d’être en mouvement, de pousser pour que plus de travailleur/se-s le rejoignent, de multiplier les actions, voire de les radicaliser. Pourtant, au-delà des militant-e-s, les gens ne se mobilisent pas sans objectifs précis. On ne se met pas à faire grève ou à participer à des actions plus ou moins risquées seulement parce qu’on est en colère – ou du moins on ne le fait pas alors avec la détermination et la volonté suffisantes pour construire un rapport de forces décisif. En fait, alors que nous avons déjà fait chuter Bayrou et n’attendons pas le retrait d’une mesure particulière, les gens ne se joindront massivement au mouvement que s’il se fixe un objectif politique qui soit à la fois précis et décisif. Cet objectif, c’est évidemment le départ de Macron. LFI a raison de le fixer, mais ce n’est pas et ce ne doit pas être seulement l’objectif de LFI : ce mot d’ordre exprime la volonté de la majorité des travailleur/se-s ! Jamais un président n’a été aussi impopulaire : selon un sondage publié le 4 septembre dernier, 64% des français seraient favorables à la démission de Macron. Tout le monde sait qu’il est le principal responsable de la situation par la politique qu’il mène depuis 8 ans au service du grand patronat et du capital financier – politique qui est responsable même de l’aggravation considérable de la dette publique, puisqu’elle passe par une chute des recettes fiscales de l’Etat et donc une aggravation du déficit. Quant à une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, ce ne serait pas une victoire car elle ne changerait pas grand-chose : Macron resterait président et le Parlement ne serait guère plus gouvernable qu’aujourd’hui, voire compterait plus de député-e-s RN.
Il faut donc unifier le mouvement en lui donnant l’objectif simple, clair et précis de chasser Macron. Cela n’aura évidemment pas lieu par une démarche parlementaire de destitution, mais par une lutte prolongée qui finisse par réellement « tout bloquer ». Mettre au centre un tel objectif permettrait au mouvement d’entraîner plus largement, par exemple toute une partie des travailleur/se-s qui hésitent encore à nous rejoindre, à commencer par les anciens Gilets jaunes. Des jeunes des quartiers populaires, qui ne s’intéressent évidemment pas aux questions budgétaires et aux calculs parlementaires, pourraient entrer eux aussi dans la lutte, avec toute leur colère accumulée. La position du RN serait dans un premier temps affaiblie, car il devrait soit appeler lui aussi à chasser Macron, au détriment de sa recherche de respectabilité aux yeux de la bourgeoisie, soit révéler à ses partisan-e-s qu’il le protège et ne pense qu’à ses propres calculs politiciens.
Pour un programme revendicatif et une « AG des AG »
La nécessité de fixer l’objectif de chasser Macron ne veut évidemment pas dire qu’il ne faille pas avoir d’autres buts. Cet objectif doit fonctionner comme celui du retrait de la réforme des retraites en 2023, de la loi travail en 2016, du CPE en 2006, etc. : il permet d’unifier, de massifier et de faire durer le mouvement ; mais, comme lors de ces mouvements, c’est aussi la condition pour élaborer nos autres revendications, discuter entre secteurs peu habitués à se mobiliser ensemble, décider ensemble des formes de lutte et des actions les plus pertinentes, critiquer et interpeller les directions des syndicats et des partis, mettre en cause les institutions et des bases mêmes de notre société... Plus précisément, nous devons combiner l’élaboration d’un programme revendicatif et une forme d’organisation qui permette de nous structurer démocratiquement sur le plan national.
En ce qui concerne le programme, parce que nous ne nous contentons évidemment pas de vouloir limiter les attaques budgétaires, nous devons formuler et chiffrer nos besoins, secteur par secteur comme d’un point de vue global. Cette formulation, le débat sur les moyens de financer la satisfaction de nos revendications, sur les mesures à prendre contre les capitalistes et les riches, mais aussi pour la transformation de l’économie, sa mise au service des besoins, sa planification, le contrôle conscient et démocratique des travailleur/se-s, pourra alors se déployer dans le cadre commun de la mobilisation. Du reste, les mesures du programme du NFP, de LFI, des organisations d’extrêm gauche, comme les propositions des anarchistes ou des autonomes, pourront évidemment être discutées et confrontées. C’est aussi en intégrant dans un tel programme revendicatif commun les revendications des différents secteurs de la population, notamment les plus opprimés (sans-papiers, jeunes des quartiers, femmes employées aux travaux reproductifs...), que le mouvement et l’auto-organisation pourront les motiver à entrer eux aussi dans la lutte.
Quant à la forme d’organisation dont nous avons besoin, elle peut être reprise de celle qui avait été mise en œuvre par le mouvement des Gilets jaunes, quoique trop tardivement : une « AG des AG », c’est-à-dire une AG nationale réunissant des délégué-e-s des AG locales, pourrait cette fois être convoquée rapidement pour discuter ensemble des suites du mouvements, de ses objectifs et de ses revendications. Cela permettrait que la lutte soit contrôlée par celles et ceux qui la font, notamment si nous voulons parvenir à un réel blocage du pays, ce qui suppose de nous coordonner et de faire grève tous ensemble sur la durée – c’est ce qu’on appelle la « grève générale ». Cette indispensable auto-organisation ne s’oppose pas, du reste, au fait que les syndicats et les partis qui le veulent construisent le mouvement. Au contraire, ce serait un moyen de leur faire savoir à tous les niveaux ce que veulent les travailleur/se-s, de leur rappeler que les organisations sont des outils qui doivent défendre nos revendications et lutter pour obtenir enfin de vraies victoires. C’est ce que ce début de mouvement permet d’espérer. C’est à cela que nous devons nous atteler dès maintenant pour construire la suite indispensable du 18 septembre.
[1] Bayrou a lui-même avoué qu’il sollicitait un vote de confiance suite aux appels à bloquer le pays : “J’ai fait ça parce qu’il était en train de se passer dans le pays quelque chose dont j’ai conclu que ce mouvement m’empêcherait à coup sûr de conduire la politique nécessaire pour le pays”, a-t-il déclaré dans l’émission C à vous le samedi 6 septembre dernier.








(1).jpg)