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    Ordures capitalistes: les incinérateurs

    Suite de la série sur les déchets. (Cf. précédant : Ordures capitalistes: les sacs plastiques)

    Nous avons évoqué le problème des décharges, cette façon la plus basique - et scandaleuse - de se débarrasser des déchets. Parmi ceux qui ne finissent pas enfouis, une grande partie est brûlée dans des incinérateurs… Est-ce mieux pour l’environnement ?

    Non. Une décharge reste en général un problème local, et dans le meilleur des cas la pollution du sol peut être évitée. À l’inverse, les déchets brûlés entraînent d’emblée des risques plus larges:

    • une production de gaz à effet de serre : 5 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de 2,3 millions de voiture1
    • des émissions toxiques de toutes sortes : oxydes de souffre, oxydes d’azote, acide chlorhydrique, métaux lourds…

    Les rejets polluants

    Les effets des principaux polluants sont connus et surveillés : irritations et problèmes respiratoires, des dégâts sur le système nerveux ou les reins, des cancers… Mais les ordures ménagères qui sont brûlées sont d’une telle diversité (plastiques, métaux, piles, articles de toilette, substances chimiques, appareils électriques, etc...) que de nombreuses substances sont émises sans être surveillées, et sans qu’on connaisse leur effet. Seule une vingtaine de polluants sur plus de 2000 molécules recensées en sortie de cheminée sont ainsi réglementées. Des études épidémiologiques ont montré des surmortalités aux alentours des incinérateurs sans qu’on sache toujours les expliquer.2

    Parmi les polluants émis les plus dangereux se trouvent les dioxines. Ces sympathiques substances se diffusent dans l’environnement et se retrouvent en particulier dans l’alimentation, et causent des cancers du foie, du tube digestif et du sang, des troubles hormonaux, dermatologiques, cardio-vasculaires, hépatiques… Un incinérateur avait été contraint de fermer en 2001 à Gilly-sur-Isère, au milieu d’un scandale de grande ampleur (champs contaminés sur 20 km à la ronde, cas de cancer alarmants, pressions politiques et hauts fonctionnaires orduriers et sexistes3…).

    Heureusement, les réglementations plus sévères et les filtrages plus performants des fumées ont permis de réduire les émissions des principaux polluants. Ainsi par exemple, la quantité de dioxine mesurée en moyenne dans le sang humain a nettement diminué depuis les années 1980.

    Mais malgré la présence de réglementations, la logique du capitalisme fait toujours planer des risques sur notre santé, et particulièrement sur celle des riverain-e-s d’incinérateurs.

    Pour réduire les coûts, les entreprises sont tentées de rogner sur l’investissement ou l’entretien des procédés de traitement des fumées avant rejet à l’air libre. Elles sont tentées également de limiter les mesures des émissions… vu qu’un constat de dépassement par l’administration les obligerait à se mettre en conformité. Il est par exemple arrivé que des entreprises truquent délibérément les mesures, ou présentent aux inspecteurs/trices4 des écrans de contrôle bidon. D’autres n’hésitent pas à faire de « grands nettoyages » (avec de grandes pollutions) sans mesurer les émissions, puisque ce sont des « phases d’arrêt »...

    Même avec des personnes de bonne foi, la segmentation et l’externalisation des services, exacerbées depuis les décennies néolibérales, engendrent régulièrement des problèmes de mesure. Les appareils de mesure sont complexes et nécessitent d’être contrôlés et étalonnés régulièrement pour que la mesure reste fidèle. Or la multitude d’intervenants différents (l’exploitant, les constructeurs des fours, les créateurs du logiciel d’acquisition des données, le bureau d’études techniques…) nuit souvent au suivi et à une bonne connaissance. Quand l’exploitant ne maîtrise pas lui-même réellement l’ensemble de la chaîne, on peut sans peine comprendre les limites de la vérification par les inspecteurs/trices…

    Et au bout du compte, même si elle réduit drastiquement le volume, l’incinération génère des résidus dangereux (mâchefers et résidus d’épuration des fumées) qui finissent… en décharge.

    « Valorisation énergétique » et autres miracles

    Cela fait des années que l’incinération des déchets, comme la mise en décharge, n’a plus la côte. Les objectifs officiels (notamment depuis le Grenelle de l’environnement) sont de diminuer ces pratiques au profit du recyclage. Mais dans la réalité, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on n’assiste pas à un changement fulgurant.

    Le nombre d’incinérateurs, comme le nombre de décharges, diminue depuis les années 1990, mais essentiellement parce qu’il s’agit de plus en plus d’installations géantes (générant donc aussi plus de transports) et privatisées5 (contrôlées principalement par les groupes Veolia et Suez). C’est toujours un bon tiers des déchets qui sont incinérés6.

    Avec ses 126 usines d’incinération, la France détient le record d’Europe.7 Grâce à cela, nous avons aussi, sans doute, le lobby des patrons d’incinérateurs le plus puissant, et celui-ci s’emploie activement à promouvoir le secteur et redorer son image.

    Premièrement, ils ont historiquement obtenu des avantages financiers et fiscaux qui encouragent les collectivités à faire le choix de l’incinération.8

    Deuxièmement, une fois qu’une usine est implantée, et en particulier les grandes usines, elle devient un véritable « aspirateur à déchets ». Les procédures d’arrêt et de mise en route sont lourdes et la rentabilisation de l’investissement impose un apport constant de déchets. Par conséquent, les politiques de réduction des déchets ne sont pas incitées, et au contraire en cas de baisse du « gisement » (sic) les exploitants incitent d’autres collectivités plus éloignées à éliminer les déchets dans leur usine. C’est pour cette raison que la quantité maximale de déchets pouvant être incinérée a dû être fixée réglementairement pour chaque usine. Ce phénomène est si important que des pays comme les Pays-Bas ou la Suède importent même des déchets pour « nourrir » leurs incinérateurs...9

    Troisièmement, les usines simples ont laissé place aux usines connectées à des réseaux de chaleur pour récupérer les calories produites. Les industriels et l’administration ont saisi l’occasion de mettre en avant ce seul aspect… Étant donné que la plupart des incinérateurs sont désormais associés à de la récupération de chaleur, on ne dit plus qu’un tiers des déchets sont incinérés, mais qu’ils sont orientés vers la « valorisation énergétique ». Cela fait bien, vu que dans le jargon de ce milieu la « valorisation » englobe aussi bien la « valorisation énergétique » que la « valorisation matière » (recyclage, réutilisation…), et cela permet de se distinguer de la catégorie « élimination » dans laquelle on ne laisse plus que les décharges.10 Les syndicats patronaux11 du secteur n’hésitent pas aujourd’hui à se revendiquer sans rire comme des « acteurs indispensables de la gestion durable des déchets », et autres grossières ficelles de greenwashing.12

    Pourtant l’immense majorité des déchets qui sont « valorisés » par le feu auraient pu et auraient dû avoir un autre cycle de vie : soit ne pas être produits, soit être triés pour être réutilisés ou recyclés. Lorsque l’on brûle des plastiques, il faut à nouveau en produire à partir de pétrole qui doit être extrait, transporté, etc. Recycler les plastiques en de nouveaux objets consomme beaucoup moins d’énergie et de matière. Quant à la réutilisation directe des objets, c’est évidemment la solution qui cause le moins d’impact environnemental. Mais cela suppose une logique de durabilité dès la conception et de coûts de réparation qui se heurte à la logique capitaliste.

    C’est pourquoi les luttes contre les incinérateurs doivent être soutenues, au delà de leur aspect local, comme faisant partie d’une lutte contre « l’incinération13 et son monde ».


    Autres articles de la série Ordures capitalistes :


    1 http://cniid.fr/IMG/pdf/20090930_DP_Cniid_Incineration_rechauffe_climat-5.pdf

    2 http://www.synec-doc.be/alt/bempt/diox03.html

    3 http://www.liberation.fr/societe/2005/04/11/dioxine-d-albertville-passe-droit-refuse_516008

    4 Inspection des installations classées

    5 La gestion déléguée ou privée représente 92 % des usines et plus de 94 % des tonnages.

    6 Hors secteur du bâtiment et travaux public

    7 http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/8223_enquete_itom-donnees2012_web.pdf

    8 http://blog.francetvinfo.fr/ma-vie-zero-dechet/2015/10/30/la-france-championne-de-lincineration.html

    9 http://ecologie.blog.lemonde.fr/2012/09/22/a-force-de-trop-recycler-la-suede-doit-importer-des-dechets/

    10 http://cniid.fr/Valorisation-energetique,334

    11 SVDU et son site incineration.org

    12 http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2011/04/21/cercle_34660.htm

    13 Voir par exemple sur le site du CNIID, Lutter contre l’incinération

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