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    La restructuration manquée de la France insoumise : transformer la FI en parti pluraliste et démocratique, une urgence !

    L’assemblée représentative du samedi 10 décembre devait représenter une étape importante dans la construction de la France insoumise. Il s’agissait de présenter aux militant-e-s et d’adopter un plan de restructuration du mouvement. C’est notamment la base même de l’organisation, composée en particulier de militant-e-s ayant participé activement à la campagne présidentielle, qui a porté auprès de la direction une telle revendication. Le mode de fonctionnement de l’Union populaire, structuré autour de groupes d’action chargés de mettre en œuvre la campagne au niveau local (diffusions, porte à porte, organisation de réunions publiques, etc.), avait été largement accepté dans la perspective des élections, mais il ne permettait pas de garantir aux militant-e-s de base de véritables droits politiques au sein de leur organisation : les espaces de débat politique n’existaient pas ou alors de façon marginale, le programme ou les grandes orientations stratégiques étaient décidées par en haut et s’imposaient aux militant-e-s, aucune procédure de contrôle des porte-paroles et figures publiques n’était prévue, etc. Après avoir consacré tant d’énergie aux campagnes présidentielles puis législatives, la base du mouvement a revendiqué à juste titre le droit de faire véritablement de la politique au sein de sa propre organisation, qui ne disposait alors d’aucune structure destinée à cela.

    Depuis la fin de la campagne présidentielle, la question de la structuration était donc posée à l’intérieur de la FI. Au niveau local, dans les groupes d’action d’abord : de plus en plus de groupes ont essayé de se « reconvertir », en organisant des réunions consacrées à la discussion politique de fond en parallèle des réunions strictement pratiques qui avaient prédominé pendant la période électorale. Mais ces espaces de discussion ne sont évidemment pas suffisants : il ne s’agit pas de discuter pour discuter, pendant que toutes les décisions politiques et stratégiques se prennent en haut, par l’entourage direct de Jean-Luc Mélenchon, hors de tout contrôle démocratique. Il fallait donc une refonte des cadres même de l’organisation, pour permettre l’expression de véritables droits démocratiques au sein de la FI. Lors des amphis d’été, la question a été explicitement posée. C’est Manuel Bompard, l’ancien directeur de campagne, qui devait manifestement prendre en charge le dossier de la restructuration. Il a présenté ses premières propositions samedi, et le moins que l’on puisse dire est que le compte n’y est pas.

    Une restructuration qui suscite la colère des cadres écarté-e-s

    Le plan de structuration présenté par Manuel Bompard prévoit la constitution de deux grandes instances de direction en marge du groupe parlementaire :

    • La coordination des espaces (qui existe déjà) est un conseil restreint d’une vingtaine de personnes chargé de décider et de mettre concrètement en œuvre les campagnes de l’organisation. Alors que les cadres de LFI se sont jusqu’ici relativement désintéressés de cette instance, ils pressentent que cette coordination deviendra la véritable direction du mouvement, qui se réunira chaque semaine. Ce sont les membres de ces « espaces » (et non l’ensemble des militants de LFI) qui ont désigné leurs représentant-e-s à la coordination
    • Le conseil politique, instance qui n’était pas prévue dans le plan initial mais qui a été rajoutée pour tenter de calmer les critiques. Cette instance serait plus large que la coordination puisqu’elle intégrerait des personnalités du parti et des représentant-e-s d’organisations qui participent au « mouvement » de la France insoumise (POI, Parti de gauche, REV ou encore la Gauche écosocialiste d’Autain). Ce conseil discuterait une fois par mois des grandes orientations stratégiques, mais serait seulement consultatif.
    • En parallèle, LFI se dote également d’un nouvel institut de formation pour ses propres cadres, sous la responsabilité d’universitaires : l’Institut La Boétie.

    Ce plan a d’ores et déjà fait couler beaucoup d’encre, au point qu’il n’est pas illégitime de parler de crise au sein même de la FI : voir https://tendanceclaire.org/breve.php?id=42299. C’est principalement la composition de la coordination des espaces qui a suscité le mécontentement de figures importantes de l’organisation : les membres de la coordination ont été nommé-e-s en écartant les personnalités les plus connues (des fidèles de Mélenchon comme Coquerel, Garrido, Corbière ou des personnalités plus autonomes comme Ruffin ou Autain) au profit de la jeune garde la plus proche de Jean-Luc Mélenchon. Clémentine Autain, François Ruffin ou encore Alexis Corbière, Raquel Garrido et Éric Coquerel ont publiquement mis en cause, de façon plus ou moins véhémente, la manière qui a présidé à la composition de cette instance, en évoquant par exemple un « rétrécissement » au lieu d’un « élargissement » démocratique (François Ruffin sur LCI). Clémentine Autain, pour sa part, a clairement dénoncé dans Libération une manœuvre bureaucratique destinée à mettre à la marge de l’organisation les sensibilités les plus éloignées de Jean-Luc Mélenchon, au lieu d’assumer démocratiquement l’existence d’oppositions au sein du parti : elle parle ainsi de « marginalisation de ceux qui ont une parole différente du noyau dirigeant actuel ». Alexis Corbière a dénoncé le fait que cette direction regroupait avant tout des parisien-ne-s CSP+, laissant peu de place aux catégories rurales et populaires. Mais il ne veut pas de la transformation de la FI en « parti », estimant qu’il fallait simplement produire un « consensus » autour de la direction, autrement dit un accord au sommet. Alors que Raquel Garrido est celle qui a fourni la critique la plus radicale du fonctionnement actuel de la France insoumise, elle n’en tire pas non plus des conclusions claires, même si elle fait un pas important pour réhabiliter la notion de parti.

    Garantir aux militant-e-s leurs droits politiques

    Ces critiques sont justifiées mais peinent à atteindre le fond du problème, car elles mettent l’accent sur les cadres écartés davantage que sur l’éviction de la base des militant-e-s. Autain, Ruffin ou encore Corbière et Garrido se plaignent du manque de démocratie pour autant qu’ils ou elles n’ont pas obtenu la place qui leur semblait leur revenir de droit. La plupart ont été bien silencieux/ses avant, ce qui affaiblit la portée de leurs critiques. Pourtant, s’il ne fait pas de doute qu’on a bien essayé d’écarter bureaucratiquement certaines figures incarnant une certaine forme de dissidence, la présence de Ruffin ou d’Autain dans la coordination des espaces ne changerait rien au problème démocratique de fond : qu’on l’« élargisse » ou non, on a là une direction entièrement cooptée, autorisée à prendre les décisions politiques et stratégiques en dehors de tout contrôle militant. À aucun moment, la base de l’organisation ne peut intervenir pour décider. À aucun moment, les débats politiques ne sont soumis à l’ensemble des militant-e-s et tranchés démocratiquement sous la forme d’un vote de congrès. À aucun moment la possibilité n’est offerte aux militant-e-s de proposer une ligne politique dissidente par rapport à celle de la direction non élue, et de la soumettre aux suffrages de l’ensemble de l’organisation. Tout l’enjeu pour Manuel Bompard est en vérité de verrouiller la ligne politique décidée en haut lieu, en contournant le vote des militant-e-s.

    D’ailleurs, le nouveau dirigeant ne s’en cache pas : il reconnaît lui-même qu’il s’agit ici d’éviter le débat entre des positions divergentes au sein du mouvement, en expliquant que la FI fonctionne au consensus et non au vote : « La démocratie ne passe pas juste par des votes », explique-t-il en disant préférer que les cadres soient désignés au consensus ; et il poursuit : « Nous voulons nous protéger au maximum de l’affrontement entre une majorité et des minorités ». C’est bien entendu une formidable arnaque rhétorique : il n’est pas de consensus réel là où le dissensus n’a de toute façon aucun espace pour s’exprimer ; le consensus est présupposé par la direction qui impose ses décisions à l’ensemble de l’organisation, il n’est pas éprouvé par la seule procédure démocratique susceptible de l’attester : le vote. Le consensus sert ici à étouffer les oppositions qui existent de fait, au lieu de les assumer en jouant le jeu du débat démocratique. Pris à partie par une auditrice sur France Inter, qui lui fait à juste titre remarquer qu’il n’a pas été élu pour diriger la FI, Manuel Bompard n’hésite pas à répondre : « Nous avons des formes de désignation de nos équipes de direction qui ne sont pas les mêmes que les autres, ça ne veut pas dire qu’elles sont moins collectives ou moins démocratiques. » Mais on ne voit pas en quoi sa nomination a été l’objet de quelque procédure collective ou démocratique que ce soit ! Manuel Bompard, comme les autres membres de la direction, a été coopté par un consensus au sein de quelques cadres dirigeants eux/elles-mêmes jamais élu-e-s, et en aucun cas par un consensus de l’ensemble des militant-e-s. En définitive, les propos de Manuel Bompard sont explicites : il reconnaît explicitement que la direction du mouvement ne tolère pas l’expression d’orientations politiques divergentes au sein de l’organisation. Affirmer qu’il faut éviter les majorités et les minorités, c’est en vérité assumer d’interdire toute expression minoritaire, et donc d’étouffer tout le débat démocratique.

    Combattre la direction pour transformer la FI en véritable parti démocratique

    Ainsi, ce qui devait être l’occasion d’une avancée importante dans la structuration de la FI en véritable parti démocratique représente finalement une impasse. Il faut que la base de l’organisation profite de la crise ouverte par les déclarations des figures publiques écartées pour continuer à mettre la pression sur la direction, et la contraindre à reconnaître de vrais droits démocratiques aux militant-e-s. Cela implique en particulier le droit de voter régulièrement pour décider eux/elles-mêmes des grandes orientations stratégiques du mouvement et pour élire une direction représentative des différentes positions qui existent bel et bien au sein de l’organisation. Cela implique également le droit de constituer différentes tendances au sein du parti, pour que les militant-e-s puissent élaborer collectivement leurs positions, fussent-elles dissidentes, et les soumettre au débat démocratique. Contrairement à la musique récurrente que nous fait entendre la direction de la FI (comme, du reste, l’ancienne direction du NPA, qui vient de scissionner le parti), le droit de tendance est une garantie démocratique fondamentale, et non une faiblesse. Il permet que les désaccords se débattent en toute transparence et soient tranchés par les militant-e-s de façon ordonnée. En l’absence de tendances, les désaccords tournent aux règlements de comptes personnels et se règlent dans le dos des militant-e-s entre cliques et courtisans… jusqu’à ce que cela craque. C’est mortifère, comme on le voit actuellement. Il n’est pas acceptable que la direction actuelle puisse continuer à assumer publiquement de vouloir empêcher l’expression d’oppositions au sein du parti. En particulier, nous appelons pour notre part à la constitution d’un grand courant communiste révolutionnaire au sein même de la FI/UP : voir en ce sens notre contribution aux débats du dernier congrès du NPA

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