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Conflit routier : qui signe, qui paie ?
La signature d’un accord le 11 décembre dernier entre les syndicats des chauffeurs routiers, des ouvriers et des cadres du transport et de la logistique (FGTE-CFDT, CGT, FO-UNCP, CFTC et CFE-CGC), et une organisation patronale (Fédération des entreprises de transport et logistique de France, TLF) a levé la menace d’une grève et de blocus d’entrepôts de manière particulièrement rapide. Notre camarade routier salarié revient sur le bilan de ce conflit désamorcé.
Dans ce conflit routier, on a frôlé le ridicule lorsque, pour débloquer la négociation, Dominique Bussereau, Secrétaire d’État aux Transports, a proposé aux fédérations patronales un allègement de 100 millions d’euros de la taxe carbone pour que les entreprises le répercutent dans les hausses de salaires. C’était une demande patronale et l’État était, en l’absence d’accord, dans l’impasse, avec la perspective de blocages dès dimanche 13 décembre au soir et l’économie des fêtes de fin d’année aurait été sérieusement désorganisée.
L’Unostra, un syndicat de petits patrons routiers, l’avait clairement affirmé : alors que les transporteurs bénéficient déjà d’un allègement de 36% de cette taxe, il réclamait qu’il soit porté à 75% comme pour les marins pêcheurs et les agriculteurs. En plein sommet de Copenhague, le gouvernement Sarkozy, qui prétendait être en pointe du combat contre le réchauffement climatique, a finalement montré, en reculant sur sa contribution climat énergie, sa facilité à céder aux caprices du lobby patronal routier, alors que l’action de ce gouvernement avec cette taxe devait consister au contraire à favoriser les modes de transports moins polluants que la route. Du moins, c’est la version officielle.
La vérité, c’est que tous les gouvernements européens ne savent que trop bien à quel point le transport routier, bien que polluant, est une des activités les plus génératrices de profits capitalistes car elle met en concurrence directement les salaires à minima garantis, comme en France, avec les plus bas salaires pratiqués en Union européenne, car c’est une activité mobile. Il est simple de s’en rendre compte au vu des autorisations spéciales de rouler que les préfectures donnent pour augmenter toujours et encore plus les PTRA (poids total roulant autorisé), permettant d’augmenter la productivité des entreprises mais mettant ainsi sur les routes de véritables bombes. Par exemple, l’article 130 de la Loi de Modernisation de l’Économie (LME) votée à l’été 2008 prévoit une pérennisation d’un dispositif jusqu’à ce jour dérogatoire, autorisant un tonnage de 52 tonnes pour le transport de grumes (bois rond) au lieu de 44 maximum pour le transport combiné (containers rail-route-mer).
De plus, des « mégacamions » mesurant plus de 25 mètres et pesant jusqu’à 60 tonnes, seront probablement bientôt en circulation sur nos routes. D’après certaines sources, un décret est dans les tuyaux courant 2010.
Autre exemple montrant la flexibilité et les ajustements sans fin que peut subir cette activité au nom du profit, la fameuse directive Bolkestein qui avait fait débat lors du référendum de mai 2005, prend ici tout son sens avec le transport routier : bien que ratifiée par le Parlement européen en février 2006, mais modifiée afin que le texte ne se réfère plus explicitement au principe du pays d’origine, l’activité du transport routier étant mobile, les États ont pu conjointement déréglementer le cabotage. C’est ainsi qu’un camion polonais, par exemple, peut effectuer un voyage Paris-Rennes et ce, autant de fois possibles dans la semaine de travail (60 heures maxi), du moment que le camion polonais amène du fret de Pologne et y retourne quinze jours après, les équipes polonaises se relayant par minibus entiers.
Un coup de pouce à 100 millions d’euros
C’était aussi une façon de faire porter à l’ensemble des travailleurs eux-mêmes le poids d’augmentations de salaires auxquelles le patronat routier ne voulait pas souscrire et d’ouvrir la porte à d’autres revendications catégorielles de même nature. En effet, le paquet fiscal, les exonérations de cotisations sociales accordées aux patrons en général, les salaires mirobolants que les banquiers se sont attribué sur l’argent prêté par l’État, la baisse d’impôt sur les bénéfices des entreprises, la suppression de la taxe professionnelle, les exonérations en tous genres, etc., font que c’est surtout sur l’imposition et la taxation directes et indirectes prélevées sur le plus grand nombre, c’est-à-dire les travailleurs, que l’État arrive désormais à financer ce qui aurait toujours dû rester payé par le patronat.
Toutefois, des associations pour la défense de l’environnement étaient montées au créneau pour que la fiscalité environnementale ne soit pas vidée de son sens. Et les syndicats de routiers avaient permis d’éviter le pire en refusant que cette disposition entre dans la balance.
Finalement, la taxe carbone ne fut pas écornée, mais les 100 millions sont restés sur la table sous forme d’exonérations de charges. La France n’a pas été montrée du doigt à Copenhague, mais les travailleurs français vont payer quand même pour les hausses en question. Les vrais gagnants de l’affaire ont été les clients des transporteurs — de l’industrie et de la grande distribution — qui ont vu l’État faire les frais d’une partie de ces revalorisations alors que, en toute logique capitaliste, les transporteurs auraient dû la répercuter sur le prix du transport. Mais il va sans dire que si cela avait été le cas, les clients des transporteurs eux-mêmes auraient répercuté cette hausse du prix du transport sur le prix des marchandises achetées par la population, donc par les travailleurs en grande majorité.
Discussions marathons pour sauver l’économie de Noël
Mais le gouvernement voulait aller vite. Bussereau s’était donné jusqu’au 12 décembre pour débloquer la situation et n’avait pas le temps d’appeler d’autres interlocuteurs à entrer dans le jeu. Refusant de lâcher du lest et pressées par les médiateurs de conclure, trois des quatre représentations patronales (FNTR, OTRE et Unostra) préférèrent quitter la table des négociations. Finalement, à l’issue de discussions marathons et « grâce » – entre autres — à l’enveloppe du gouvernement, la fédération patronale TLF et les syndicats de salariés se sont accordés vendredi 11 décembre sur un compromis (des hausses de salaires de 4% pour les plus bas salaires et 2,9% pour les plus hauts). Une mesure à 400 millions d’euros qui s’applique d’abord aux membres de la fédération signataire et qui devrait être ensuite étendue à l’ensemble de la branche, bien que les autres fédérations et syndicats patronaux, absents du dernier round de négociations, ne l’aient pas signée. Le débat, maintenant, va porter sur la représentativité du signataire patronal.
Quant aux autres points d’achoppement comme une remise à plat de la convention collective et un 13e mois, ils ont été renvoyés à des états généraux du transport routier qui, après ceux de la presse aujourd’hui terminés et ceux de l’industrie qui courent jusqu’à février, devraient se tenir à leur tour courant janvier 2010. De quoi reporter des décisions qui fâchent et d’éventuels nouveaux bras de fer après les élections régionales.
Dissensions patronales...
La signature par une seule fédération patronale d’un accord que d’autres refusent, reflète la grande diversité des entreprises dans le secteur du transport et de la logistique, et les intérêts parfois contradictoires de ces fédérations. TLF regroupe avant tout de grandes entreprises qui, pour la plupart, avaient déjà négocié des accords salariaux. Par ailleurs, bon nombre d’entre elles sont spécialisées dans les transports de messagerie et réalisent une part importante de leur activité au mois de décembre. Elles ne tenaient pas à voir le conflit se durcir si aucun accord n’était conclu. C’est pourquoi les représentants de TLF, sous la pression de ces groupes, ont maintenu le dialogue avec les syndicats de salariés. Avec mission d’aboutir pour sauvegarder le « business as usual ».
A l’inverse, la FNTR (fédération nationale des transporteurs routiers) a condamné cet accord. Et elle a menacé de s’opposer à l’extension. Mais cette fédération est parfois critiquée par sa base qui souhaiterait plus de virulence dans la défense des intérêts professionnels. En représentant une ligne dure dans la dernière négociation et en insistant sur la charge supplémentaire infligée aux entreprises d’un secteur déjà malmené par la crise (en 2009, le nombre de faillites a doublé dans le transport routier), la FNTR peut afficher un radicalisme de nature à lui rallier les suffrages de certains adhérents qui, jusqu’alors, la critiquaient. OTRE, autre syndicat, est d’ailleurs né d’une scission de certains d’entre eux avec la FNTR, mais reste toutefois minoritaire tout comme l’Unostra qui a perdu en influence.
Ainsi, même si un rapprochement entre TLF et FNTR semblait se dessiner au cours des derniers mois, les ponts sont à nouveau coupés, ce qui ne saurait déplaire à la deuxième qui peut ainsi se présenter comme le défenseur des intérêts des PME du transport, laissant à la première son image de fédération de grosses entreprises aux intérêts divergents.
... et des dossiers lourds pour les états généraux
Au-delà des clivages professionnels internes assez classiques, la négociation sur les salaires piétinait. «Depuis un an, on savait que la situation allait un jour déraper», commente Patrice Salini, économiste libéral spécialiste du transport. « Il fallait sortir de ce débat entre les chefs d’entreprises et leurs conducteurs pour pouvoir ouvrir d’autres dossiers et sortir des incohérences dans lesquelles les empilages successifs de réglementations ont placé le transport routier. Par exemple, le "cabotage routier" a été très largement déréglementé, et il est de toute façon incontrôlable. Il permet à des camions européens d’autres nationalités de concurrencer les camions français, même pour des transports effectués à l’intérieur de l’Hexagone. Après son déclin dans le transport international à cause d’une moindre compétitivité, le pavillon français (20% seulement des tonnages à l’international) risque de reculer maintenant en transport national. C’est à ce problème que les autorités doivent maintenant s’attaquer. »
Par ailleurs, les entreprises routières qui prétendent faire des efforts pour la sauvegarde de l’environnement, supportent mal le discours des pouvoirs publics qui placent les transporteurs au rang des plus gros pollueurs alors que l’outil de travail — le camion — est indispensable à l’économie et à la vie quotidienne. Les patrons routiers s’inquiètent des reports de trafic de la route vers le chemin de fer et le fluvial, moins émetteurs de CO2, mais c’est complètement aberrant au vu de la manière dont a été menée la liquidation du fret SNCF et du fret ferroviaire en général, ce qui a ajouté environ 100 000 camions de plus par an sur les routes de France (ce qui ne veut pas dire pour autant 100 000 emplois de chauffeurs créés en France, mais bien 100 000 camions à bas coût de main-d’oeuvre en plus par an).
Ils dénoncent les taxes vertes qui les pénalisent et la réglementation sociale, plus stricte en France qu’au niveau européen, est un frein à leur compétitivité face à une concurrence étrangère qui n’a pas les mêmes contraintes. Il est à rappeler que, jusqu’en 1989, une tarification publique routière obligatoire (TRO) garantissait un prix minimum du transport, ce qui contribuait à limiter la concurrence. Là encore, ce sont les entreprises les plus grosses qui ont appuyé pour l’ouverture à la concurrence et ce, malgré la réticence des plus petites entreprises. Cela a provoqué à la fois la faillite de petites et moyennes entreprises rachetées par les grandes et des suppressions d’emplois dans les entreprises domiciliées en France. C’est un effet inévitable des lois du capitalisme : les plus gros capitalistes écrasent les plus petits. On ne peut donc pas résoudre le problème en accédant aux demandes du petit patronat qui veut une plus grande exploitation (exonérations de taxe, de cotisations sociales, etc.) pour pouvoir survivre, car cela serait inévitablement au détriment des salariés. On ne peut le faire qu’avec un programme ouvrier luttant pour l’expropriation des grandes entreprises capitalistes sous contrôle des travailleurs.
Bref, autant de sujets qui devraient figurer au programme des états généraux dont le principe a été retenu dans l’accord conclu le vendredi 11 décembre dernier. Mais c’est là une position inacceptable des chefs syndicaux, car les états généraux sont un cadre où patrons, État et salariés seraient supposés chercher ensemble des solutions aux problèmes du transport routier français. Mais les intérêts des routiers n’a rien à voir avec ceux de leurs patrons. Nous nous battons notamment pour le 13e mois ou la constitution d’une mutuelle spécialisée. Cela ne peut se gagner que par la lutte.
Quid des syndicats de salariés ?
Il faut quand même rappeler quelles étaient les revendications de l’intersyndicale :
- Salaire revalorisé à 10 € de l’heure pour le coefficient 150 M (routier international) sans écrasement des grilles ;
- 4% pour les maîtrises et les cadres ;
- Frais de déplacement revalorisés de 4% ;
- Grille d’ancienneté identique pour tous ;
- Treizième mois pour tous ;
- Ouverture immédiate d’un calendrier social revendicatif.
Alors que la négociation salariale entre le patronat et les syndicats de routiers avait tourné court mercredi 9 décembre, deux jours avant la signature du protocole, les syndicats avaient accueilli avec colère la proposition, jugée insuffisante, du secrétaire d’État Bussereau de réduire de 100 millions d’euros la taxe carbone des entreprises du secteur afin de les encourager à faire des concessions aux salariés. Les syndicats avaient quitté la table des négociations salariales un peu avant minuit et après quelque 10 heures de discussions le mercredi. « On nous prend pour des cons, on va aller au conflit, c’est tout », avait déclaré Gérard Martinez de FO. Selon lui, les 100 millions proposés permettaient au patronat d’augmenter les salaires juste d’1%. « On a affaire comme d’habitude à des patrons qui se comportent comme des chasseurs de primes », qui « ne pensent qu’à une seule chose : se faire payer les salaires par quelqu’un d’autre », avait lancé Maxime Dumont, de la CFDT. « Ils n’ont fait aucune proposition, aucune concession (...). Les salariés ont fait des propositions, l’État en a fait, de l’autre côté on a un mur », avait-il déclaré.
Beaucoup de combativité apparente dans leurs propos, mais ils auront quand même levé vendredi 12 décembre en fin d’après-midi leur appel à bloquer les plates-formes de ravitaillement en produits frais à partir de dimanche 13 au soir, après avoir obtenu un accord salarial avec la principale organisation patronale, sous l’égide du gouvernement.
Après la levée, jeudi 11 décembre, des préavis de grève reconductible déposés par plusieurs syndicats de la SNCF à compter du week-end du 13 décembre, c’était alors la menace d’un conflit dur dans le secteur routier, à dix jours des fêtes de fin d’année, qui s’éloignait.
L’État a eu ce qu’il voulait
L’accord signé prévoyait notamment des hausses de salaires allant de 2,9% pour les plus hauts salaires à 4% pour les plus bas. En contrepartie de cet accord salarial, le patronat bénéficiait d’allégements de charges sociales pour un montant de 100 millions d’euros. Absolument rien à voir avec le cahier des revendications intersyndicales !
« Le gouvernement s’attachera à ce que cet accord entre très rapidement en vigueur », c’est à dire « dès le début de 2010 », avait déclaré Bussereau lors d’une conférence de presse en présence des syndicats et du patronat. « C’est l’accord du bon sens, et surtout l’accord du respect des salariés », s’était félicité le porte-parole de la CFDT, Maxime Dumont. « On est arrivé à un compromis acceptable. On regrette qu’une seule partie patronale ait participé jusqu’au bout », avait pour sa part déclaré Richard Jaubert (CGT).
En revanche, du côté des organisations patronales qui avaient refusé de s’associer à la fin des négociations et à la signature, le mécontentement dominait : « Finalement, cet accord qui se voulait historique au regard des réévaluations accordées et qui permettait effectivement aux rémunérations du transport routier de se détacher du SMIC, risque sans avancées concrètes au cours des futurs états généraux (...) de creuser la tombe d’un très grand nombre de PME du secteur dans les 12 prochains mois », avait ainsi estimé l’Organisation des transports routiers européens (OTRE) dans un communiqué.
Mais n’est-ce pas finalement profitable aux plus grands groupes de transport et de logistique que les PME s’asphyxient pour mieux les racheter ensuite tout en réduisant les effectifs au passage au mieux pour les plus rentables, et la liquidation pure et simple des autres, au pire ? C’est le cas du groupe Norbert Dentressangle, par exemple, qui après avoir racheté la Savam, Venditelli, Christian Salvesen (son principal concurrent) et le groupe Darfeuille, a annoncé dans l’Officiel des transports au début 2009 qu’il allait se séparer de 1500 camions sur une flotte de 6000 au niveau européen. On voit bien là, en même temps que les PME disparaissent — donc que les licenciements se multiplient — qu’il y a concentration du capital au sein des plus grands groupes. C’est tout le sens de la mise en concurrence libre et non faussée des entreprises entre elles et qui pousse à licencier des salariés pour accumuler toujours et encore plus de capital.
En tout cas, cela annonce les difficultés que vont rencontrer les syndicats de salariés à imposer leurs revendications lors des prochains états généraux et démontre la nécessité plutôt de boycotter ce cadre de collaboration de classe qui ne peut nullement faire aboutir les revendications.
De plus, aux dernières nouvelles (le 12 janvier), l’intersyndicale s’est mise d’accord pour discuter de la mutuelle conventionnelle qu’ils souhaiteraient pouvoir « à tout moment régir dans l’intérêt des ayants droits et ce dans le cadre du paritarisme », tout en précisant qu’« il n’est pas question que ce soit l’assurantiel ou des groupes privés qui gèrent notre social ». Encore une fois, les directions syndicales, qui ne sont pas à une contradiction près, par une grossière pirouette dont elles seules ont le secret, veulent nous faire accroire que la gestion « paritaire » (c’est-à-dire conjointement avec les patrons, donc le privé) d’une mutuelle conventionnelle éviterait l’entrée d’intérêts « assurantiels », donc privés, dans « notre social »
Conclusion
Pourquoi cette intersyndicale s’est-elle précipitée sur cet accord alors que la mise en place d’une première grève aurait stratégiquement constitué une vraie mise en garde pour la suite des discussions, forçant ainsi tout le corps patronal à discuter point par point les revendications ? Force est de constater qu’encore une fois les directions syndicales ont baissé la garde avant même de l’avoir levée.
Il ne pouvait en être autrement au vu des manigances dont a fait preuve l’ensemble des directions syndicales, du non soutien au LKP dans le conflit social guadeloupéen du début 2009, en passant par les épuisantes et stériles promenades République-Nation à répétition du premier semestre, jusqu’à l’isolement des conflits de l’Éducation nationale et de La Poste en fin d’année, malgré le résultat on ne peut plus parlant de la « votation citoyenne » concernant la transformation de celle-ci en société anonyme, c’est-à-dire sa privatisation.
Le fait est que les syndicats étant subventionnés par l’État lui-même, ils ne peuvent faire preuve d’indépendance vis-à-vis de lui et la politique de leur direction est de plus en plus celle d’une collaboration de classe éhontée.
Le gouvernement étant un gouvernement capitaliste, les syndicats subventionnés et intégrés par des multiples institutions à l’État ne peuvent que faire allégeance au capitalisme du fait de leur dépendance financière et de leur orientation consistant à accompagner les contre-réformes, notamment en reportant toujours aux calendes grecques les grèves qui feraient obtenir aux travailleurs des avancées sociales certaines.
Malgré les dissensions au sein même du patronat routier, ce front syndical salarial, qui pourtant ne s’était pas réuni depuis le dernier grand conflit routier en 97, montrant qu’il pouvait s’étendre à d’autres branches du fait de la concordance des dates des différents préavis de grève (SNCF notamment), s’est spectaculairement dissous alors qu’il laissait présager de se durcir et de porter un grand coup au gouvernement Sarkozy — comme les conflits de 95 et 97 avaient fait plier le gouvernement Juppé.
La motivation et le moral des travailleurs du transport n’étaient cependant pas au beau fixe comme la majorité des autres travailleurs et c’est sur ce point qu’on mesure toute la responsabilité des directions syndicales quant au bon déroulement des conflits.
Cette attitude des syndicats, qui risque de devenir la norme courant 2010, où des conflits particulièrement âpres risquent d’éclater (une note du Pôle emploi estime qu’en 2010 les personnes qui auront épuisé leurs droits à indemnisation devraient être un million — un chiffre alarmant qui laisse pourtant muet Laurent Wauquiez et ses services) nous force à poser ces questions : le problème de la satisfaction des besoins immédiats des salariés du transport et de la logistique, mais aussi de la grande majorité des travailleurs et de la population n’est-il pas d’abord et avant tout un problème politique bien plus que syndical ? Si ce problème est politique, n’est-il pas du devoir et du pouvoir du parti anticapitaliste de le mener à son terme du fait qu’il est indépendant de l’État et des syndicats, notamment en intégrant dans son programme les mots d’ordre de nationalisation des transports pour la satisfaction des besoins sociaux et de rationalisation des transports pour la satisfaction des besoins environnementaux sous contrôle des travailleurs ? Pour arriver à ces fins, le parti anticapitaliste ne doit-il pas tout mettre en oeuvre pour prendre le pouvoir et ne jamais se détourner de ce but ?
Il est à noter que l’organisation des transports est complètement anarchique car régie par les lois libérales du marché basées sur le moins coûtant donc d’abord et avant tout sur la baisse du coût du travail en tant que seule variable d’ajustement permettant toujours plus de profit pour les capitalistes.
Est-il besoin de rappeler que les conducteurs français sont mis en concurrence avec des chauffeurs de pays dont le SMIC ne dépasse pas 500 euros comme au Portugal, voire 300 en Pologne ou en Lituanie ?
Personnellement, je me suis vu plusieurs fois effectuer un transport au départ de l’usine Corrs, par exemple, à Sheffield en Angleterre et acheminer un complet de bière — que je n’ai jamais vue dans les étals français, du reste, et destinée uniquement au marché anglais — à Calais pour qu’elle y soit entreposée 48 heures et détaxée, et la ré-acheminer à son point de départ, permettant au producteur de réaliser une plus-value certaine sur la détaxe malgré le prix du transport.
Et c’est sans parler des fameuses crevettes pêchées au Danemark, acheminées au Maroc pour être décortiquées et ramenées ensuite au point de départ, ou du porc ukrainien acheminé en Italie à Aoste pour qu’il prenne l’AOC...
La vérité est que les salariés du transport routier et de la logistique n’ont pas seulement besoin d’un réajustement de leurs grilles des salaires et des frais de déplacements. Ils ont surtout un besoin impératif de planification de leurs activités. Tout comme l’ensemble des autres travailleurs de cette planète, d’ailleurs !
Or, cette planification n’est possible que si un gouvernement des travailleurs prenait la décision courageuse de nationaliser tout le transport routier et ses activités annexes sous contrôle des travailleurs. Même une nationalisation bourgeoise, comme celle des transports ferroviaires accomplie par le Front populaire avec la création de la SNCF en 1937, a montré, malgré les limitations croissantes imposées par le cadre capitaliste, les potentialités des nationalisations (statut pour les agents de la SNCF, réseau national étendu, rapidité, sécurité, etc).
Une nationalisation des transports routiers au niveau national – sous contrôle des travailleurs — poserait directement la question du statut spécifique des chauffeurs et des ouvriers de la logistique dont le nombre dépasse encore aujourd’hui le million, et donc une hausse globale des salaires et un plafond d’heures travaillées maximal car la concurrence disparaîtrait.
L’organisation séculaire de La Poste au niveau de la distribution du courrier nous montre aussi à quel point une planification nationale rationalisée de la distribution des marchandises et des denrées par route et par rail pourrait éviter le gaspillage de carburant et limiter les émissions de CO2 et surtout le nombre des camions (à considérer – bien sûr — que les récentes restructurations des centres de tris postaux n’aient pas eu lieu).
Bien sûr, le Front populaire a pris ce type de mesure pour canaliser la poussée révolutionnaire des masses dans le cadre du capitalisme, en opposant la nationalisation à l’expropriation sous contrôle ouvrier. Ces nationalisations se sont produites sans que le capitalisme, dont la propriété privée (ou propriété nationale de l’État bourgeois) qui en est le pendant, soit abolie. Il était hostile au contrôle ouvrier de ces entreprises, seul moyen d’arriver à ce que l’économie tout entière ne soit plus dédiée qu’au seul service et à la seule satisfaction des besoins de l’humanité. Et tout cela ne sera possible qu’avec la prise du pouvoir par les travailleurs auto-organisés.