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Après le 1er Mai
Environ 142 000 personnes ont défilé en France à l'occasion de la journée internationale des travailleur-se-s. C’est légèrement plus que lors des dernières années, mais ce n’est pas un très bon chiffre.1 C’est moins que par exemple en 2009 où Sarkozy avait fait le plein contre lui (450 000 manifestant-e-s), et c’est bien moins qu’en 2002 où plus d’un millions de personnes avaient défilé, mobilisées par la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour.
À Paris, le dispositif policier était immense : la préfecture avait fait déployer 2000 CRS et gardes mobiles accompagnés de canons à eaux et de grilles anti-émeutes pour mettre sous pression la manifestation. Dès la veille, des interdictions de manifestations furent envoyées a des militant.e.s et plusieurs arrondissements furent mis sous surveillance policière étroite : les sacs et les véhicules pouvaient être fouillés, les contrôles d'identité furent amplifiés. Des affrontements ont éclatés, et de nombreux militant.e.s furent blessé.es, certain.e.s grièvement et durent être évacué.e.s par les secours.
Marine Le Pen tenait ce même 1er mai son dernier meeting à Villepinte, avec son rallié Nicolas Dupont-Aignan. Et de son côté Jean-Marie Le Pen a rendu son traditionnel hommage à Jeanne d'Arc, devant 200 fascistes lançant leurs sinistres slogans «la France aux Français» ou « islam hors d'Europe ». Malgré les divisions avec la nouvelle direction du FN, il souhaite bien évidemment la victoire de sa fille. C’est en marge de ce même rassemblement « pour Jeanne d’Arc » que le 1er mai 1995, 4 nazillons avaient tué Brahim Bouarram en le jetant dans la Seine. Pour se faire passer à peu de frais pour un rempart contre l’extrême droite, Emmanuel Macron est donc allé faire un petit tour devant la plaque commémorative en fin de matinée. On peut malheureusement être certains que si rien ne vient gripper le système, le futur président Macron aura à la fin de son mandat de nombreux crimes policiers racistes sur les mains…
On ne peut que constater qu’il n’y a pas eu de sursaut de mobilisation comparable à l’occasion du 1er mai 2017. La banalisation du Front national par des années de politique de plus en plus sécuritaire et raciste y est sans doute pour beaucoup. Si un gouvernement PS met en place et renouvelle l’Etat d’urgence, pratique le 49.3 pour faire passer en force ses réformes, couvre les meurtres et viols policiers, malheureusement les discours alarmistes contre le danger de l’extrême droite s’en trouvent émoussés. Mais surtout, face à Le Pen se trouve sans doute l’adversaire dont elle pouvait rêver. Alors que le FN prospère depuis des décennies sur le rejet croissant de « l’UMPS », de ces alternances qui ne font qu’approfondir la même politique libérale, Emmanuel Macron émerge au milieu des débris de l’UMP/LR et du PS. Il n’y a pas de meilleur moyen d’incarner le « système ». Sa position au centre envoie clairement le signal du statu quo, mais plus que cela, il s’agit en réalité d’aller encore plus franchement vers l’ultralibéralisme, sans être gêné par des restes de références à des idéologies (socialisme, gaullisme…). La possibilité que Laurence Parisot (ex patronne du Medef) soit sa future première ministre symbolise parfaitement ce capitalisme décomplexé.
Ce 1er mai était donc marqué par la lutte contre le FN, mais aussi marqué par le désarroi de voir Macron se retrouver en face de Le Pen. Certains syndicats comme la CFDT et l’Unsa n’ont pas hésité à appeler à voter Macron. Laurent Berger (CFDT) passe beaucoup de temps à discuter avec Macron depuis un moment, et Nicole Notat (ancienne dirigeante de la CFDT) avait carrément annoncé le 17 avril son ralliement. La CFDT avait déjà apporté son soutien à la Loi de l'ancien ministre de l'économie de Hollande… Il s’agit clairement de la branche pourrie du syndicalisme… La division a conduit la CFDT et l’Unsa à faire leur propre rassemblement parisien à 11h, avec seulement quelques centaines de personnes.
Les autres centrales syndicales (CGT, FO, FSU, Solidaires) ont tenté de maintenir une ligne plus critique, en appelant plus ou moins à « faire barrage » au FN, tout en annonçant qu’elles combattront la régression sociale que prépare Macron.
Construire une réelle indépendance du mouvement ouvrier par rapport aux capitalistes et à leurs représentants politiciens est une condition pour qu’il puisse se reconstruire et inverser le rapport de force. La tâche est immense, et elle implique à la fois de récréer des équipes combatives dans toutes les entreprises où elles n’existent pas ou plus, et de renouveler complètement les directions syndicales qui passent plus de temps dans les salons des « partenaires sociaux » qu’avec leur base. Il va falloir ouvrir très vite la lutte contre les ordonnances de Macron, et même s’il est parti pour frapper vite et fort, il ne faudra pas l’appeler à « revenir » au « dialogue social », mais lui déclarer la guerre. Ce n’est qu’en s’appuyant sur le profond rejet de toute la classe qu’il représente que nous pourrons enfin déclencher la puissante mobilisation, en particulier la puissante grève qui est nécessaire pour faire plier un gouvernement capitaliste. Une grève qui fasse réellement peur, une grève générale, reconductible.
L’enjeu va bien au-delà de résister aux prochaines attaques de Macron sur le code du travail. Il s’agit aussi pour le mouvement ouvrier de reprendre l’initiative, pour que le Front national cesse d’incarner l’opposition au « système ». Le parti des Le Pen n’a pas actuellement la politique que préfère le CAC40, mais il fait partie de ce système : par les affaires de corruption qui le touchent aussi, par la fortune de la famille Le Pen2, par sa politique économique pro-capitaliste (baisse des « charges » et du « coût du travail »…). Marine Le Pen fera certainement des déclarations hypocrites contre les réformes Macron, mais elle n’encouragera pas les grèves, voire elle les condamnera comme elle le fait régulièrement. Elle aspire elle aussi à défendre les intérêts du patronat (surtout « bien français »), et elle serait prête à réprimer durement les salarié-e-s qui protesteraient en cas d’accession au pouvoir.
Les luttes du mouvement ouvrier ont la possibilité de mettre en échec les politiques au service des patrons, mais elles ont aussi la possibilité d’y mettre définitivement un terme. C’est possible et cela devient urgent à mesure que ce système s’enfonce dans sa crise et ne nous offre plus que des formes de régression. C’est pour cela que les travailleur-se-s ne doivent plus seulement exercer un contre-pouvoir dans la rue, mais saisir tout le pouvoir qu’ils ont entre leurs mains : réquisitionner les entreprises, produire pour les besoins de tous-tes, et en finir avec le profit de quelques uns.
1 http://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/1er-mai-une-mobilisation-tres-loin-des-chiffres-de-2002-mais-aussi-de-2012-01-05-2017-6906048.php
2 Comme Philippe Poutou a pu l’exprimer largement lors du grand débat : http://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/video-grand-debat-de-la-presidentielle-la-charge-de-poutou-contre-fillon-et-le-pen-04-04-2017-6825108.php