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Les élections parlementaires en Iran, ses enjeux et ses ramifications

Le week-end dernier, les élections parlementaires en Iran ont eu lieu dans un climat d’incertitude de part en part. D’une part le président actuel, Hassan Rohani, avait réussi à signer un accord important (et très populaire en Iran) avec les États Unis sur le dossier nucléaire iranien, rendant ainsi possible la levée des sanctions économiques étouffantes qui avaient été imposées contre l’Iran depuis plusieurs années et qui avaient mis l’économie iranienne dans un état très fragile. D’autre part, le Conseil des gardiens de la Constitution (représentant les intérêts du guide suprême et le corps des Gardiens de la révolutions islamique, à savoir les parties les plus puissantes dans la politique iranienne), qui est censé contrôler la validité des candidatures pour les élections parlementaires, avait bloqué les candidatures d’une grande partie des « réformistes ».

Il ne faut pas oublier que, depuis les répressions très fortes contre la gauche à la fin des années 80, la politique gouvernementale iranienne s’est développée suivant un modèle plutôt américain, au sens où l’on a deux partis dont l’identité politique demeure toujours assez vague (par exemple, aux États Unis, qu’est ce que les deux termes « républicain » et « démocrate » veulent dire ?) de telle sorte qu’il est difficile d’avoir recours aux termes de type « gauche » ou « droite » pour marquer leurs différences. Cela fait que les termes « réformistes » et « conservateurs » tendent à être plus aptes à expliquer ces deux tendances politiques à l’intérieur du régime iranien. Et le terme « réformiste » désigne donc ceux qui veulent réformer le régime iranien en s’appuyant sur un discours propre à ce régime, et dont le programme est entièrement différent du programme de ceux qui ont été appelés, dans l’historie de la gauche internationale, les réformistes.

De plus, à la suite du soulèvement postélectoral qui suivit l'élection présidentielle iranienne de 2009, l’aile la plus radicale des réformistes (qui sont plutôt les libéraux politiques et qui insistent beaucoup plus sur la liberté politique que sur la liberté économique) a été totalement marginalisée à l’intérieur du régime politique, beaucoup de ses figures importantes étant encore aujourd’hui en prison. Cela a permis à l’aile la plus conservatrice des réformistes, représentée par le président actuel (qu’on peut considérer comme un néolibéral, à savoir un libéral économique), de prendre le contrôle effectif de la ligne politique des réformistes.

Vu les deux développements décrits plus haut, il n’était pas du tout facile d’anticiper la réaction du peuple à l’égard des soi-disant élections. Cependant, pendant les jours précédents, les réformistes ont décidé de créer une liste commune avec les éléments les moins réactionnaires parmi les conservateurs. Ce faisant, les réformistes ont défini leur programme électoral dans des termes purement négatifs : empêcher les éléments les plus réactionnaires au sein des conservateurs de pouvoir entrer au Parlement. Néanmoins, parmi les conservateurs, ajoutés à la liste des réformistes, figuraient des personnages politiques qui, bien que moins réactionnaires que les éléments les plus réactionnaires au sein des conservateurs, ont été responsables, dans le passé, de beaucoup de crimes contre les militant-e-s de gauche et les libéraux. Cela a fait que même si les éléments les plus réactionnaires des conservateurs sont vivement méprisés par la majorité du peuple en Iran (qu’il s’agisse des classes populaires ou moyennes), beaucoup pensaient, à juste titre, que voter pour la liste des réformistes n’était pas du tout acceptable.

Le jour des élections, on a observé plusieurs tendances différentes à travers le pays. Dans la capitale, Téhéran, la liste des réformistes a pu gagner tous les 30 sièges du parlement, de sorte que personne de la liste des conservateurs, y compris leurs personnages les plus renommés, n’a pas pu entrer au Parlement de Téhéran. Pourtant, la participation a été très forte dans les quartiers prospères de Téhéran, alors que dans les quartiers populaires, les gens se sont largement abstenus de voter. C’est un développement assez positif étant donné que dans le passé, les gens dans les quartiers populaires votaient souvent pour les conservateurs.

Dans les autres villes, les résultats sont assez mixtes. Il semble que le programme des réformistes n’a pas eu tant de succès dans les autres villes. C’est probablement lié au fait que les moyens de communication des réformistes sont beaucoup plus limités, étant donné qu’il y a beaucoup moins de liberté politique et sociale dans les autres villes du pays. Cependant, même si la liste des réformistes (composée de réformistes non radicaux et de conservateurs moins réactionnaires) n’a pas pu remporter tous les sièges dans les autres villes, elle a pu gagner une quantité adéquate de sièges pour que, dans l’ensemble du pays, la liste des réformateurs soit plutôt dominante. Au total, presque un tiers des sièges ont été remportés par la liste des réformistes, un tiers par les conservateurs et un tiers pas les candidats qui n’étaient affiliés à aucune liste mais qui tendent à être plus proches à la liste des réformistes.

Quelles seront les conséquences de ces élections ? En un certain sens, au moins immédiatement, pas grand-chose. Cependant, vu que presque tous les réformistes radicaux avaient été exclus des élections, le résultat est plutôt positif pour les réformistes. Il va surtout renforcer la position du président sur le plan international et économique (surtout plus d’ouverture par rapport du capitalisme mondial) et il a montré, encore une fois, que sur le plan idéologique, les conservateurs n’ont plus autant d’influence qu’auparavant sur la société iranienne. Ces élections incarnent donc une sorte de pas en avant pour les libéraux en Iran. Pour ce qui concerne la gauche, elle n’a aucune présence dans la politique institutionnelle en Iran. Un des leaders des manifestations de 2009 (le fameux « mouvement vert ») incarcéré depuis lors, était peut-être le personnage politique le plus à gauche à l’intérieur du régime politique. Mais depuis la répression brutale contre ces manifestations, cette tendance au sein des libéraux s’est beaucoup marginalisée.

Il semble que la gauche en Iran, pour se reconstituer, doive trouver un moyen de dialoguer avec la partie radicale des libéraux pour qu’au moins une partie des militants libéraux, surtout ceux qui viennent des milieux ouvriers, puissent se joindre à la lutte menée par la gauche. Les libéraux radicaux sont économiquement plutôt sociaux-démocrates (keynésiens). En outre, pour pouvoir pénétrer plus au sein des classes populaires, la gauche a besoin de penser et de repenser son attitude à l’égard de l’Islam politique. Dans le passé, la gauche en Iran a souvent partagé deux positions extrêmes vis-à-vis de celui-ci : soit une fascination non critique, soit une aversion forte. Développer une critique efficace de l’Islam politique provenant de la gauche est une nécessité actuelle en Iran (qui pourra, par ailleurs, beaucoup aider les camarades de gauche dans le reste du Moyen-Orient, voire en Europe). Malgré toutes les difficultés, il n’est pas illusoire de dire que la gauche en Iran a déjà vécu son moment le plus terrible (dans les années 90 et au début des années 2000). Ce n’est pas du tout le moment d’être pessimiste ou nihiliste aujourd’hui. La lutte vient de recommencer.

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