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    Malgré la victoire électorale du NFP, Macron a gagné la première bataille institutionnelle

    Par Tristan Daul (31 juillet 2024)
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    La séquence ouverte par la victoire du NFP aux législatives s’est refermée provisoirement la semaine dernière, avec d’une part l’interview de Macron le 23 juillet et, d’autre part, la cérémonie d’ouverture des JO le 26. Celle-ci, à laquelle nous consacrons un autre article, à permis un rayonnement international de la France et, par extension, à Emmanuel Macron en tant que président. Le pouvoir macroniste à pu être donné en spectacle aux chefs d'États du monde entier et au grand patronat qui a investi des milliards d'euros dans les infrastructures, dans la surveillance de masse et dans la publicité. Sans oublier bien sûr le milliard de téléspectateurs qui a assisté à l’évènement.Mais il faut revenir également sur l’interview du 23 juillet, durant laquelle Macron a sifflé – provisoirement – la fin des espoirs parlementaires de la gauche en reprenant la main, c’est-à-dire en rappelant que, conformément aux institutions de la Ve République, c’est bien lui qui garde l’essentiel du pouvoir.

    En l’absence de mobilisation populaire, le chef de l’État gagne du temps.

    Dans son interview de mardi 23 juillet, Macron a énoncé 3 éléments majeurs. Le premier, c'est qu'il ne nommera pas de gouvernement avant la mi-août. Il conserve le pouvoir en constatant la faiblesse structurelle du NFP dont la base sociale n'est pas prête - pour l'instant - à la mobilisation autre qu'électorale. Il peut compter pour cela sur la docilité des directions syndicales, y compris de la CGT qui a de fait préféré la trêve à la grève. S'il est vrai qu'une partie de la population est en congés il serait faux de croire qu'aucun rapport de force ne peut être créé dans la situation. Rien qu'à Paris, au moins 3 corps de métiers ont une capacité de blocage énorme et immédiate : la RATP, la SNCF, les éboueurs, les énergéticiens. Imaginons, rien qu'un instant, l'impact qu'aurait eu une grève des transports publics alors que les transports privés sont quasiment interdits à la circulation. En se concentrant - à juste titre - momentanément sur les élections, la CGT de Sophie Binet ont naïvement cru que le président respecterait le résultat du scrutin. Il n'en est rien mais, plutôt que d'organiser le combat (nous avions 20jours, ce qui est certes court mais pas insignifiant), la CGT s'est contentée de commenter, puis de donner rendez-vous à la rentrée. La principale difficulté n'était pas tant de préparer une grève mais de la spécificité de cette grève précise. En effet, il ne s'agissait pas de faire une grève économique, concernant les conditions de travail ou les salaires, mais une grève politique, pour contraindre Macron à nommer un.e 1er ministre du NFP et donc un gouvernement NFP.

    Le deuxième élément annoncé est un mensonge. Macron fait croire que les désistements parfois réciproques qui ont eu lieu lors du deuxième tour des législatives étaient un accord politique. Pour lui, les électeurs se sont mobilisés sur des bases politiques, en considérant que les désistements étaient la preuve d'un certain nombre d'accords de fond pour construire des majorités, même momentanées. Sa logique est claire : "puisque vous avez réussi à vous désister l'un pour l'autre, alors vous pouvez faire des efforts à l'assemblée et travailler l'un avec l'autre". Ce serait même ce que les français ont compris selon lui. Comme en 2022, il fait mine d’ignorer le sens que les électeurs donnent au « barrage », à savoir le simple fait d’éviter le pire, en attendant de trouver une alternative. Il modèle le réel selon ses intérêts propres, lui permettant d'une part de justifier son coup de force antidémocratique et d'autre part de se dédouaner.

    Enfin, le troisième élément, est la prise en compte de la puissance électorale du RN et de l’adversaire que cela représente. Il constate : 11 millions de personnes ont voté pour le RN. Jamais il n'en prend la responsabilité et jamais il n'analyse cela en termes de résultat, en partie, de sa politique. Or, si le caractère structurellement raciste d’une partie significatrice de l'électorat RN est une réalité, la brutalité de la répression des gilets jaunes, des mobilisations sociales et de la gestion du COVID (entrave aux déplacements, contrôle de masse de la population plutôt que de contrôle épidemique...) a renforcé la mobilisation de l'électorat RN, sur fond de crise économique et d'inflation. Le vote RN est à la fois un vote identitaire (raciste et islamophobe, dans un contexte de crise historique de la conscience de classe) et un vote contestataire (contre Macron mais aussi peut-être en partie contre la gauche, contre les mouvements sociaux qui perdent et donc par extension les syndicats et leurs directions). Or ces millions d'électeurs/trices ne sont pas encore des soldats de l'extrême droite : ça, Macron le sait. Il a donc besoin d'en attirer une partie notamment avec des alliances parlementaires avec la droite pour pouvoir maintenir, autant qu’il se peut, son pouvoir. Il n'est pas seul maître à bord, reste conscient de ses fragilités et cherche donc quelques espaces de stabilité. Il fait appel à la "responsabilité", renvoyant aux parlementaires, le bon soin de mettre en pratique des ponts pendant que lui s’occupe des charges supérieures de la nation (international, liens avec le grand patronat et représentation des intérêts de la France en tant que puissance de second ordre).

    Le bonapartisme de Macron passe à la vitesse supérieure.

    Affaibli, Macron accentue encore les aspects bonapartistes du régime. En termes marxistes, le bonapartisme désigne une forme de régime bourgeois autoritaire, qui, à la manière du régime de Napoléon III, se place en apparence au-dessus des conflits de classes et de parti, au-dessus des corps intermédiaires, pour mieux maintenir un ordre menacé, pour contenir l’explosivité de la situation en stabilisant et renforçant le pouvoir exécutif et la répression, sans supprimer pour autant toutes les « libertés fondamentales » propres à la démocratie bourgeoise. Face à la menace d’un coup d’État militaire et à la guerre d’indépendance en Algérie en 1958, les institutions de la Ve République ont été façonnées par De Gaulle selon ces nécessités. Depuis 2017, Macron et ses gouvernements successifs utilisent amplement les traits bonapartistes de la Ve République (ordonnances, 49-3…), mais la dernière séquence pousse cette logique à son paroxysme : malgré la fragilité de son propre bloc, Macron profite de la fragilité des autres ainsi que de l’absence de mobilisations sociales pour s’imposer comme unique prétendant au palais. Affaibli politiquement, il pousse encore plus loin les moyens légaux permis par la Vᵉ République pour garder le pouvoir, tout en s’appuyant sur deux éléments essentiels qui dépassent la question constitutionnelle.

    D’abord, c’est de disposer d’une force de frappe conséquente. C'est en cela qu'il déclare avoir agi « en conscience » lorsqu'il a choisi de dissoudre l'Assemblée. Il a pris un risque et fait un pari, qui a échoué. Heureusement pour lui, ceux qui ont été contraints de suivre n'étaient pas trop forts : certains se sont renforcés, d'autres se sont stabilisés ou affaiblis mais aucun n'a hérité d’une majorité absolue. Lui-même a perdu beaucoup de jetons. Mais il sait qu'il peut encore compter sur ce que les autres joueurs ne maîtrisent pas : celui qui distribue les cartes (le croupier/l'appareil d'état), celui qui fournit les jetons (la banque/la bourgeoisie) et, surtout, celui qui peut décider la fin de la partie et ordonner à tout le monde de rentrer chez soi (le vigile/la police et l'armée). En mobilisant rien qu’à Paris, à l’occasion des JO, 45.000 policiers et gendarmes, 600 membres des forces spéciales, en quadrillant les airs sur 150 km à la ronde et une grande partie de la ville grâce à la vidéo surveillance et les techniques de pointe de sécurité il peut, en conscience, prétendre garder le pouvoir. Enrichi des expériences précédentes [1], il reprend la main et annonce implicitement : après moi, ça sera toujours moi. Quoique réduit au chef des jeux faute d’être un vrai chef de guerre, Macron montre sa force au monde, à ses pairs criminels, exploiteurs et autoritaires (des rois, des émirs, des présidents et vice-presidents, des génocidaires...) et réaffirme sa maxime préférée "s'ils ne sont pas contents, qu'ils viennent me chercher".

    L’autre élément essentiel est que Macron a capitalisé sur ses victoires contre le mouvement social et fait le constat que les directions syndicales n’engageraient pas frontalement une bataille contre lui. La séquence ouverte pas la campagne électorale jusqu’à aujourd’hui peut se décomposer en trois temps. Premièrement, la CGT s’est engagée, à juste titre, à faire campagne pour le NFP, en soutenant les mesures sociales du programme et en se mobilisant contre la possibilité d’un gouvernement RN. La CGT a alors contribué à l’objectif commun : que le RN ne prenne pas le pouvoir. Ensuite, Sophie Binet à fait mine de vouloir construire un rapport de force en appelant à la mobilisation le 18 juillet (dans la suite de la CGT cheminots) pour contraindre Macron à respecter le résultat des urnes. Or, en ne cherchant pas à mobiliser réellement (pas de réunions d’instances, pas d’assemblées générales ni de réunions publiques par exemple), elle a simplement compté (ou fait mine de) sur une disponibilité abstraite des masses à la mobilisation. Si l’initiative était juste en soi, elle était vouée à l’échec sous cette forme-là, étant donné le contexte : un appel bureaucratique du sommet, déconnecté de la base et de toute dynamique de préparation, ne pouvait espérer surmonter les difficultés liées à la période de congés pour une partie de la population, à la fatigue des électeurs/trices après le constat des difficultés politiques internes au NFP et en particulier pour celles et ceux qui se sont engagé.e.s dans la campagne. Enfin, le troisième temps a été celui de la trêve olympique, actée par la participation de Bernard Thibaut et donc de la CGT au parcours de la flamme olympique, confirmée ensuite le rendez-vous donné à la rentrée. Ce faisant, la direction de la CGT informe Macron qu’elle ne se mobiliserait pas contre lui, ni pour le NFP. Elle lui a donc, une fois de plus, laissé les mains libres pour garder le pouvoir.

    En somme, ce sont donc principalement le déploiement de l’appareil répressif permis par les JO et la politique timorée des directions syndicales qui permettent à Macron de passer par-dessus le résultat des élections, ce qui fait plus que jamais de son pouvoir actuel un pouvoir suspendu en l’air, qui prétend s’élever au-delà des clivages. Un bonapartisme donc, mais avec une base sociale encore plus réduite qu’en 2022.

    Discordance des temps

    Le temps institutionnel et parlementaire n’est pas toujours le même que le temps social. Depuis les élections européennes, le temps parlementaire a saturé et surplombé tous les autres. L’accélération de la situation par la dissolution de l’Assemblée Nationale a contraint la quasi-totalité des forces politiques et sociales à se focaliser sur cette question précise, éclipsant le reste. A l’inverse, le temps social s’est complètement assoupi, aidé en cela par la première période de congés qui s’ouvrait, l’occupation progressive de l’espace par les JO et l’absence d’horizon en dehors du très court terme. La « trêve olympique » apparaît donc comme un arrêt forcé du temps parlementaire et du temps social. De fait, un gouvernement du NFP ne pourrait appliquer son programme qu’à condition d’être soutenu dans la rue et dans les mobilisations ce qui n’est clairement pas à l’ordre du jour actuellement.

    La question qui se pose alors est celle de trouver les moyens pour renforcer maintenant, malgré les difficultés, la composante de rupture du NFP, à savoir LFI, afin qu’elle puisse avoir un poids plus important dans les prochaines échéances à venir et, en premier lieu, à la rentrée sociale. De fait, Macron est redevenu maître du temps, car nous avons perdu deux occasions importantes : celle de proposer un.e Premièr.e ministre dès que possible, en profitant de l’engouement populaire, et celle de construire une mobilisation offensive de soutien à un gouvernement NFP. Les directions social-libérales du NFP portent la responsabilité de l’échec de la première occasion, les directions syndicales et en particulier celle de la CGT portent celle du second. Il est temps pour les révolutionnaires de prendre au sérieux ces deux obstacles et de les affronter fermement.

    Notes

    1 - Répression des gilets jaunes, opération Wuambushu à Mayotte, répression des émeutes, couvre-feu en Kanaky, écrasement du mouvement écologiste, écrasement du mouvement social, contrôle, surveillance de masse et quadrillage de l'ensemble du territoire pendant le COVID, gouvernance sans légitimité ni majorité parlementaire à l'aide des outils constitutionnels de la Vᵉ République.

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