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    Pertinence du mouvement autonome ? Réflexions générales à partir de l’exemple du camp VMC à Bure en août 2015

    Par Blaze (25 novembre 2015)
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    Nous avons participé à cet évènement avec intérêt et sympathie. Cependant, nous trouvons souhaitable de faire un retour critique sur la chose, d’en tirer des analyses à prétentions plus générales quant à ce genre de mouvements et quant à leur pertinence en vue du renversement du capitalisme.

    Dans ce but, il est peut-être utile de commencer par poser une distinction, quitte à la remettre en cause plus tard. En effet, des événements comme Notre-Dame-des-Landes, Sivens, ou bien le camp de Bure précité, semblent engendrer des lieux d’extériorité au capitalisme : il s’agirait plus alors d’ « a-capitalisme que d’anticapitalisme, ce puisque ces lieux ne sont pas du tout structurés par la logique capitaliste (autogestion, absence du salariat etc.). A l’inverse, nous pourrions peut-être poser que l’anticapitalisme, du moins dans sa version traditionnelle, celle du mouvement ouvrier, se situe à l’intérieur du capitalisme, qu’il ne cherche pas à créer des espaces en dehors de lui mais à le contrer par la lutte au sein de ses structures. Cette distinction devient sans doute plus claire si l’on se souvient que la capitalisme n’est rien d’autre que la propriété privée (de la terre, des ressources naturelles, des moyens de production), de laquelle découle l’obligation pour ceux qui sont exclus de cette propriété de vendre leur force de travail afin d’assurer leurs besoins (salariat, et donc exploitation du travail). Dans la première optique, il s’agirait simplement de déserter le capitalisme, d’aller rebâtir ailleurs une autre société, dont les occupations (les ZADs, mais pas seulement) seraient une sorte de préfiguration. Nous savons cependant que ce n’est là qu’une description trop vite généralisante, tant les individus impliqués constituent bien plus une nébuleuse (pluralité informe) qu’un mouvement unifié avec des doctrines déterminées. Dans la seconde optique, il s’agirait plutôt de se réapproprier ce que le capital a confisqué, et qui fut pourtant le fruit du travail et de la sueur du prolétariat. Or, de ce point de vue, la lutte ouverte contre le capital doit à l’évidence passer par la destruction de son bras armé, l’Etat, et implique donc une lutte qui ne peut que devenir révolutionnaire devant la résistance violente que les nantis ne manqueront pas d’opposer. Cependant, il faut bien souligner, au passage, que la société nouvelle visée par les uns ou les autres peut être identique dans ses grandes lignes : démocratie, autogestion, collectivisme, écologie, épanouissement humain… ; ce du moins si nous laissons de côté les deux extrêmes du spectre, celui qui tend vers l’apologie d’un modèle « primitiviste » de société sans état  (Cf. P. Clastres), donc d’une vie plus simple et plus rustique, et celui qui tend au contraire vers un centralisme adossé à la technique (léninisme aveugle).

    Or, le mouvement ouvrier traditionnel est entré dans un long sommeil. Il n’est pas dans notre propos ici d’examiner les causes de cet état de coma profond, mais seulement de le constater. Les luttes ne sont plus que luttes de défense d’acquis, et enregistrent défaite sur défaite. Surtout, elles ont perdu leur caractère politique pour n’être plus que syndicales, elles ne portent plus l’idéal d’une autre société, elles cherchent à composer au mieux avec l’existant, et force est de reconnaître que ce « au mieux » équivaut à un « pire », n’en déplaise aux syndicats et partis qui prétendent fallacieusement défendre les intérêts du travail. Un tel état de fait ne peut qu’engendrer le découragement, et l’envie d’aller voir ailleurs. C’est pourquoi il est d’autant plus important de réfléchir à partir des expériences de lutte récentes, précisément celles qui sont menées en dehors du cadre traditionnel des luttes sociales.

    Par ailleurs, il faut remarquer que, s’il est vrai que les occupations des lieux se font sur la modalité d’une certaine extériorité par rapport à la société capitaliste, elles n’en sont pas moins souvent engendrées à l’occasion de luttes contre des « grands projets inutiles » et autres réalisations nuisibles telles que CIGEO à Bure. Il ne s’agit donc pas de simplement partir élever des chèvres dans le Larzac comme cela pouvait se faire dans les années 70 : il y a opposition concrète aux folies des capitalistes, eux qui ne pensent qu’au profit, qui méprisent l’intérêt général et continuent de multiplier les nuisances. Cet aspect remet en partie en cause la distinction faite plus haut, ou du moins exige qu’elle soit nuancée : certes, il y a « migration » vers un ailleurs, mais cet ailleurs sert aussi de base pour s’en prendre à certaines manifestations du capitalisme. D’autre part, les gens sont lucides, et comprennent bien que leur « ailleurs » doit être relativisé. En effet, les « camps » vivent le plus souvent de récupérations diverses, et sont donc plus hétérotrophes qu’autotrophes[1]. De fait, dans les conditions actuelles, on ne peut jamais être tout à fait à l’extérieur de la société capitaliste, et c’est pourquoi les non-capitalistes conséquents sont aussi anticapitalistes, bref ne se contentent pas d’aller poser leurs pénates dans un ailleurs qu’ils savent illusoire : être dans la marge, c’est encore être à l’intérieur, or le système ne nous laisse rien d’autre qu’une marge, qui plus est toujours précaire. Pour autant, cela ne remet pas en question la véritable hétérogénéité des dits camps sur le plan des relations sociales et de l’organisation. La question qui se pose dès lors est donc d’établir si cette hétérogénéité constitue un moyen de lutte suffisant en vue de l’abolition globale du système capitaliste.

    Si nous nous plaçons du point de vue du mouvement ouvrier traditionnel, la lutte contre ces manifestations particulières du capitalisme que sont par exemple les GPI revient à vouloir soigner un malade couvert de pustules en incisant ces derniers, sachant que pendant qu’on en supprime ainsi un, dix se développent plus loin. Le bon sens semble alors exiger de s’en prendre à la racine du mal, or, comme nous l’avons dit plus haut, le fondement du capitalisme réside dans la propriété privée, dans le Droit qui la protège, dans l’Etat qui fait respecter ce droit. Mais nous devons avouer que de telles considérations étaient parfaitement absentes des discussions et débats vécus par nous au camp VMC à Bure : la notion d’expropriation semblait parfaitement étrangère à l’ensemble des militants présents, et donc, avec elle, le paradigme révolutionnaire, pour ne rien dire de la lutte des classes. Il est possible que cela soit lié avec une population militante plutôt jeune, en rupture avec le salariat (refus bien compréhensible), mais du ainsi coupée de la réalité profonde de ce qu’est le capitalisme. Notre seul horizon anticapitalisme résiderait donc dans la lutte contre quelques projets ? Sans s’en prendre à la racine ni à la trame du système ?  Ce serait conclure trop vite. En effet, nous voulons ici insister sur le caractère à nos yeux positif de la vie qui s’épanouit en ces lieux d’occupation (ZADs et autres camps). La réalité effective de la solidarité, de l’autogestion, de l’horizontalité des rapports humains, dans la pratique comme dans les débats, ne saurait être niée. On peut sans doute considérer qu’il y a là un véritable laboratoire du vivre autrement, et aussi du penser autrement : se dépêtrer des habitus engendrés par la société capitaliste, c’est là une véritable tâche révolutionnaire, car nous ne devons jamais oublier que le capitalisme nous colonise aussi de l’intérieur, bref, nous formate. Non seulement cela faisait du bien d’être là, mai cela nous transformait aussi, et nous enrichissait. Pour autant, nous pouvons aussi regretter que tout cela ne concernait qu’une minorité de militants très engagés, et la question se pose alors de la possibilité d’entraîner une part plus large de la population dans de telles expériences. Or, le choix délibéré de la position marginale rend cette perspective assez problématique. Il est vrai, dans le même temps, qu’un effort réel a été fait en direction de la population locale, mais peut-être faudrait-il plus faire valoir que chaque lutte particulière se rattache à une lutte qui ne peut être que globale, puis que cette dernière peut aussi se décliner en différents combats : tout le monde souffre du capitalisme, et celui qui ne se préoccupe pas du nucléaire sera peut-être concerné par un autre aspect de l’aliénation générale. Hélas, outre des discours trop vagues, rien dans l’action ou dans l’organisation concrètes n’allait dans ce sens : le camp, qui se voulait anticapitaliste, est avant tout resté antinucléaire. Alors, certes, les militants de Notre-Dame-des-Landes ont fait savoir qu’ils soutenaient les employés d’Air France lors de « l’affaire des chemises », mais n’est-ce pas encore bien maigre ? Comment oublier que la majeure partie de la population s’inscrit dans la salariat, que c’est elle qui, potentiellement, contrôle l’ensemble de la société (sans en avoir suffisamment conscience, hélas), et que sans doute rien de décisif ne pourra se faire sans elle ?

    En guise de rapide conclusion, malgré les vertus réelles que nous soulignons plus haut, il nous semble donc que l’hétérotrophisme marginal ne peut constituer une solution à long terme. Faut-il aller vers une synthèse, importer les vertus autonomes en direction du mouvement ouvrier ? Les expériences d’usines autogérées comme FaSinPat (Zanon) en Argentine sont des exemples vivants que nous devons sans doute populariser davantage. Hélas, il n’est pas non plus très évident d’importer ce modèle en France, ce du fait d’un capitalisme français bien plus ancré et/ou d’un Etat plus fort. Par ailleurs, l’autogestion de la production ne saurait se suffire à elle-même si elle laisse survivre autour d’elle l’économie marchande, le droit bourgeois et l’Etat[2] : de ce point de vue, les SCOP nous semblent tout autant limitées si elles ne visent qu’à maintenir l’emploi, comme c’est hélas le plus souvent le cas[3]. Mais cela doit-il nous dissuader de travailler sur cette base, au moins dans le registre des revendications transitoires ? A ce titre, nous devons souligner l’impressionnante capacité auto-organisatrice manifestée pendant le camp VMC : il y avait là de véritables talents, une grande richesse de compétences diverses et variées : de quoi inspirer le mouvement ouvrier, peut-être le réveiller ?

    Remarque sur la stratégie du NPA :

    Une anecdote vécue sur le camp VMC nous amène à certaines réflexions. Les camarades de la T.C. ont gentiment été priés de démonter la table où ils présentaient leurs brochures, ce pour cause de "parlementarisme". Voilà donc la réaction qu'induit le sigle NPA chez des militants radicaux, mais aussi probablement dans une large frange de la population, à savoir que ce n'est là qu'un parti comme les autres, qui ne diffère en rien du reste de la clique politicienne. Que l'image du NPA soit telle dans les esprits doit à l'évidence nous poser question, d'autant plus si on la conjugue avec l'hémorragie militante que nous subissons depuis quelques années. Nous considérons que ce questionnement doit être radical, et que l'argument convenu qui met tout sur le dos de conditions historiques objectives défavorables ne peut suffire : un gars qui, sous la neige, se plaint du froid en oubliant qu'il est sorti vêtu de son seul slip est simplement ridicule. Le durcissement continuel des offensives du capital engendre, selon nous, un climat propice à la radicalisation. Il n'est que de voir la progression du FN, ou bien l'engouement pour Soral, pour le constater. Or il ne nous semble pas que le NPA cherche à occuper le terrain idéologique ouvert par ce climat de radicalisation : nous nous contentons de dénoncer telle ou telle infâmie, et nous envoyons dans le même temps un signal de servilité au système en plaçant en haut de la liste de nos préoccupations la question des alliances électorales avec le FdG. Comment alors s'étonner de notre image de parti institutionnel et par conséquent impuissant ? Nous concluons de tout cela que le bon sens exige de nous que nous révisions notre stratégie, pour nous orienter vers un discours qui porte de véritables propositions, si ce n'est révolutionnaires, du moins de transition : nous devons porter rien moins qu'un projet de société, ou bien nous condamner à l'insignifiance.


    [1] Un organisme autotrophe produit lui-même sa subsistance, un organisme hétérotrophe utilise des ressources produites par d'autres. Les ZAD restent dépendantes du reste de la société et de sa production basée sur le salariat.

    [2] Pour approfondir cette question : https://infokiosques.net/spip.php?article805 

    [3] L’exemple récent de Fralib le confirme.

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