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Plan d’urgence 93 : changer de tactique maintenant ou voir le rapport de force s’effondrer et le mouvement être défait

Par Tristan ( 1 mai 2024)
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Le discours de Gabriel Attal à Viry-Châtillon le 18 avril a donné les grandes orientations gouvernementale en direction de la jeunesse scolarisée des quartiers populaires en particulier. En effet, en proposant d’inscrire des mentions négatives aux élèves dits « perturbateurs » sur Parcoursup et en priorisant l’extension du temps de présence dans les établissements soclaires, Attal continue la politique d’extension du domaine carcéral au cœur de l’espace scolaire. Adossé à la logique de tri social dès le collège avec le choc des savoirs, c’est clairement la jeunesse des quartiers populaires qui est visée par ces mesures, pour d’une part accélérer leur orientation vers l’apprentissage et le marché du travail dès que possible et d’autre part leur faire payer le soulèvement de l’été 2023. En digne héritier de Sarkozy, Darmanin à fait mieux que son maître spirituel en réprimant plus fort et plus rapidement que lui les émeutes. Attal continue le travail en domestiquant davantage cette jeunesse populaire. Face à la fermeté des deux quinquennats Macron, la question du rapport de force doit être posée concrètement afin de réfléchir sur les possibilités de victoire. La stratégie que suit actuellement l’intersyndicale pour un Plan d’urgence du 93 ne nous semble pas être capable de répondre à cet objectif.

Un mouvement déclinant à la veille des vacances qui n’a pas pu préparer la rentrée.

La dernière Assemblée Générale a eu lieu quelques jours avant les vacances. Elle s’inscrivait dans le cadre d’une semaine d’actions qui mêlait journée de manifestation, opérations établissements déserts et actions coups de poings. L’AG appelait à la grève reconductible dès la rentrée (à partir du 22 avril) pour mettre la pression sur les rencontres prévues durant les vacances avec la ministre de l’Éducation Nationale Nicole Belloubet. Si ce rendez-vous, largement évoqué dans les discussions informelles qui ont eu lieu durant la fête très réussie des grévistes la veille des vacances, était attendu, son résultat a été sans appel : le ministère de l’Éducation a déclaré ne pas avoir les moyens, pas plus que Bercy. A cela s’est ajouté l’intervention de Macron qui a déclaré que des moyens supplémentaires étaient déjà investis dans l’Éducation Nationale, à travers le « pacte enseignant ». L’intersyndicale n’a de fait rien obtenu des négociations avec les ministres bien qu’elle ne cesse de déclarer qu’on a « gagné la bataille de l’opinion ». Le plus important dans la situation, c’est que malgré une mobilisation d’ampleur (qualifiée « d’historique » par l’intersyndicale), le gouvernement n’a rien lâché. Dès lors, l’appel à la grève pour le 22 avril, s’il s’inscrivait dans la dynamique du mouvement, semble largement déconnecté du niveau de conflictualité réel auquel sont disposés les collègues. La grève, à l’inverse du 26 février, n’a pas été préparée : l’on constate de faibles chiffres de grévistes (l’intersyndicale annonce 30 % dans le premier et second degré mélangé, moins de 17 % pour le ministère) et de manifestant·e·s (environ 1200 personnes). Pourtant, l’intersyndicale et l’Assemblée Générale du département font comme si le mouvement était toujours aussi fort : les collègues sont appelé·e·s à continuer la grève reconductible, à rejoindre des actions presque quotidiennement et des manifestations régulières. Or cela ne prend pas du tout la mesure de la situation, qui était celle d’un essoufflement relatif du mouvement après une longue bataille.

Une intersyndicale dans l’impasse et une avant-garde combative qui ne peut pas diriger le mouvement.

Nous avons toutes et tous intérêt à gagner le plan d’urgence pour le 93. D’une part cela serait un message très significatif pour l’ensemble des enseignant·e·s et, d’autre part, cela aurait des effets concrets pour les conditions d’enseignement et celles d’accueil et d’accès des élèves aux enseignements. Or nous devons, pour cela, faire front autour du programme de revendications matérielles avec une intersyndicale élargie dans la mesure du possible à d’autres syndicats tout en menant centralement la bataille démocratique, dans le cadre des AG. Les Assemblées Générales sont les poumons de la lutte, à conditions que celles-ci soient le reflet réel de la mobilisation. Or, actuellement, même les foyers de lutte les plus importants du 93 (en particulier l’AG Aulnay / Sevran) sont en demi-sommeil. La dernière AG de ce bassin n’a rassemblé qu’une petite quarantaine de collègues, majoritairement des militant·e·s. Si les Assemblées Générales de département ne sont pas portées et investies par des AG de lieux (établissement, ville, bassin….) et de degrés (écoles, collèges, lycées, lycées professionnels) différents, alors elles sont vidées de leur substance et deviennent, dans l’ensemble, des espaces d’affrontements d’appareils syndicaux et politiques. Elles n’ont la capacité ni d’attirer les collègues ni de devenir la courroie de transmission nécessaire pour élargir le mouvement.

Les directions syndicales nationales ont une responsabilité essentielle dans le pourrissement de la situation. En n’organisant aucune perspective de bataille sérieuse contre le choc des savoirs (ni contre les multiples attaques ouvertes par les différents gouvernements post-Blanquer), elles laissent s’éteindre le mouvement pour un plan d’urgence 93, ne donnant aucune chance à la lutte des personnels de collèges de s’étendre avec la même intensité sur tout le territoire. Plus globalement, depuis le dernier grand mouvement de 2005, c’est à une segmentation sectorielle des luttes à laquelle on assiste, à l’inverse du programme de Macron qui fait de l’Éducation nationale une question d’ensemble, pour la mettre au service des besoins du patronat français. Malgré cette logique d’ensemble, les gouvernements successifs ne ciblent pas tous les degrés et toutes les filières au même moment, ce qui amène les directions syndicales à mobiliser de façon séparée : grève dans la filière générale contre le bac Blanquer en 2018, grève des AED début 2021, éparses contre la réforme du lycée professionnel en 2023-2024. Certes, cette logique est parfois « inévitable » : la colère n’est pas souvent simultanée, et les attaques sont désynchronisées. Mais dans le même temps, on ne peut s’en satisfaire, d’autant plus que le calendrier des réformes s’accélère. Il ne s’agit pas de dire que, si chaque syndicat appelait le sous-secteur de l’Éducation nationale dans lequel il est majoritaire à une grève dure que cela serait forcément suivi des faits. Il ne faut cependant pas nier l’effet significatif que cela pourrait avoir si la colère est au rendez-vous parmi les personnels, et si les esprits ont auparavant été suffisamment préparés à penser les problèmes du point de vue global du secteur. A condition aussi qu’il s’agisse d’une mise au service des appareils syndicaux au profit du mouvement, avec une préparation sérieuse impliquant l’agitation synchronisée sur tout le territoire couvert par les syndicats, caisse de grève, calendrier et objectifs précis. Cela impliquerait une dé-segmentation des revendications pour en faire une première étape de reconquête des moyens pour l’Éducation Nationale. Le gouvernement marque aujourd’hui un tournant austéritaire pour réduire le déficit public et améliorer ses marges de manœuvre budgétaires dans l’objectif de soutenir le patronat français dans la concurrence internationale. Plus que jamais, des victoires ne peuvent être arrachées qu’à l’issue d’une lutte de l’ensemble du secteur. L’issue des négociations dans le 93 montre qu’une victoire de cette bataille « locale » était en partie conditionnée à l’extension nationale du mouvement. Les directions syndicales nationales doivent en prendre la mesure et sortir d’une conception localiste de la mobilisation (par département, académies…) et d’une conception corporatiste (par degré ou filière) de leurs propres organisations.

Opérer maintenant un tournant tactique et organiser le blocage des examens

Si l’on veut obtenir une victoire, même partielle, de la mobilisation pour un Plan d’urgence 93, nous devons adapter nos moyens de lutte. En attendant, au niveau du 93, il est nécessaire de réfléchir au deuxième assaut tout en constatant que le premier, malgré des acquis significatifs, s’est enlisé. Nous devons avoir une perspective, du temps de construction, un objectif bloquant. Il s’agit de la grève des examens : commencent bientôt le CAP, le brevet puis le bac.

Les organisations syndicales du 93 doivent proposer un tournant tactique en redéployant les forces sur un autre terrain d’opérations plutôt que de continuer à essayer de convaincre des collègues déjà récalcitant·e·s à faire grève et en épuisant des collègues fatigué·e·s par 6 semaines de lutte. L’heure est à organiser la riposte sur deux axes : continuer la bataille idéologique pour les moyens dans les 93 (« à département spécifique moyens spécifiques ») et organiser sérieusement le blocage (par la grève) des examens. Or l’intersyndicale n’adoptera pas cette orientation seule : c’est ici que la question des Assemblées Générales doivent avoir leur rôle à jouer. Ce sont les Assemblées Générales qui devraient être en mesure de proposer cette orientation à l’intersyndicale. Cependant, les AG sont très faibles et déclinantes. Deux axes devraient être défendus pour permettre un sursaut dans la mobilisation. D’abord, prioritairement, il faut restructurer l’avant-garde combative en payant les jours de grèves qui viennent d’être déduits, en laissant le temps aux collègues de reprendre des forces et de la motivation, en organisant des HIS et des AG, en informant largement sur ce à quoi s’exposent les collègues en faisant grève les jours d’examen. D’autre part, il faut préparer cet assaut contre les examens, convaincre les collègues, faire un état des lieux et des forces disponibles (par exemple en faisant voter cette mobilisation durant les HIS d’établissement).

Les mouvements sociaux sont traversés par des dynamiques parfois contradictoires. Notre objectif n’est pas d’être mobilisé en soi. Notre objectif est de gagner sur des revendications précises. Nous avons cherché, pendant 6 semaines, à intervenir dans et à analyser les dynamiques qui étaient en œuvre depuis le 26 février, en considérant que les aller-retours entre base / direction / avant-garde permettaient de construire un mouvement à la fois radical, largement démocratique et fort. C’est à partir de ces analyses que nous pensons aujourd’hui essentiel de réajuster la tactique, bien que cela soit déjà tard. Une défaite serait extrêmement préjudiciable, légitimant la politique de réorganisation autoritaire et de délaissement budgétaire de l’Éducation Nationale par Macron. L’urgence est d’être capable de nous réajuster face à cette situation, et le temps est déjà compté.

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