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Face au bloc macro-lepéniste, l’urgence n’est pas de réveiller le cadavre de la NUPES, mais la construction d’un bloc populaire rassemblant les antilibéraux et les anticapitalistes

Photos de Luc Raisse, militant de la TC

Le vote de la « loi immigration » par le parlement marque un tournant du quinquennat : la convergence du bloc d’extrême-centre et du bloc d’extrême-droite se matérialise sur le terrain privilégié de l’extrême-droite (l’immigration) et sur les positions de l’extrême-droite : la préférence nationale pour les prestations sociales (allocations familiales et allocation logement) ; la possibilité de déchéance de nationalité pour les binationaux ; la remise en cause du droit du sol ; la remise en cause de l’aide médicale d’État ; l’instauration d’un délit de séjour irrégulier ; le refus de l’hébergement d’urgence pour les personnes sous OQTF ; l’obligation de verser une caution pour les étudiants étrangers (pour financer les frais de leur éventuelle future expulsion !)… Cette loi scélérate marque la « victoire idéologique » du RN comme l’a souligné, jubilante, Marine Le Pen. Dans un premier temps, les Républicains ont repris à leur compte le programme du RN sur l’immigration, en prétendant se distinguer du RN par leur « compétence ». Puis, les macronistes ont dû rallier au forceps, sur ordre de l’Élysée, ces propositions.

Cet épisode marque le naufrage politique et moral du macronisme, qui a tenté piteusement de sauver la face par différents artifices. Pour acheter le vote des députés macronistes hésitants, Macron a prétendu qu’il ne promulguerait pas la loi si celle-ci était adoptée grâce aux voix du RN. Or, bien que la loi n’eût pas été adoptée si le RN s’y était opposé, le gouvernement a fait machine arrière et la loi sera bien promulguée. A l’heure actuelle, les macronistes se drapent du manteau de la légalité et nous expliquent que le Conseil constitutionnel va certainement censurer certaines, mesures tellement celles-ci sont racistes, mais qu’il fallait quand même les adopter car, selon eux, « les Français demandaient cette réforme ». C’est évidemment une totale hypocrisie : d’une part, les Français n’ont rien « demandé », n’ont pas débattu collectivement et n’ont pas été consultés ; et, d’autre part, si l’on veut suivre les sondages, on se rappelle que « les Français » demandaient le retrait de la réforme des retraites, sans que Macron, son gouvernement et ses député-e-s les écoutent.

Les différentes forces de gauche ont imploré les député.e.s macronistes de ne pas voter cette loi scélérate. Peine perdue : il est vain de compter sur les forces de l’extrême centre radicalisé pour s’opposer à la dérive raciste et autoritaire. De façon minable, le président du groupe Modem (Mattei), qui voulait que son groupe s’oppose à la loi, a cédé à la pression. Plusieurs ministres ont menacé de démissionner pour finalement faire machine arrière (sauf Aurélien Rousseau, récent ministre de la santé), la palme revenant à la ministre de l’enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, qui a expliqué ne pas pouvoir démissionner car on avait refusé sa démission ! Pauvre Retailleau, retenue ministre contre sa volonté ! Faire croire que les député.e.s macronistes, malgré la fronde de certain.e.s d’entre eux, auraient simplement perdu la raison au moment de ce vote est une duperie : les intérêts politiques et identitaires convergent entre l’ensemble des composantes de droite de « l’arc républicain ». Un homme incarne cette convergence : Vincent Bolloré, qui œuvre à rapprocher macronistes, LR et RN, et met ses médias au service de cette stratégie. Dans un long portrait publié par Le Monde le 22 décembre, Bolloré explique à ses visiteurs LR : « Ils [RN] s’occuperont de régler le problème de l’immigration et vous tiendrez l’économie ». Christine Lagarde est d’ailleurs présentée comme la candidate idéale d’une convergence entre les macronistes et LR sur le plan économique.

Les dirigeants de la France insoumise cherchent aujourd’hui à réanimer la NUPES en prétextant la gravité de la situation. Ils en appellent à une réunion d’urgence des forces de la NUPES, et remettent sur la table leur proposition d’une liste unitaire conduite par une tête de liste écologiste. Ils font le calcul qu’ils bénéficieront, collectivement, d’un certain « vote barrage » contre le RN. Pourquoi s’acharner à réactiver la NUPES alors que le PS, les écologistes et le PCF ne veulent pas défendre le programme de la NUPES ? D’ailleurs, toutes ces forces ont à nouveau concentré leurs coups sur Mélenchon, qui a osé établir un lien entre la marche commune des macronistes et du RN contre l’antisémitisme et leur vote commun de la loi immigration. Il est en effet insupportable pour cette gauche bourgeoise d’établir un tel lien puisqu’elle a participé à cette marche contre l’antisémitisme aux côtés des macronistes et du RN.

Par ailleurs, les dirigeants de la France insoumise expliquent partout que sans l’unité de la NUPES aux européennes, aucune force politique ne sera capable de concurrencer le RN et les macronistes. Alors que le résultat de la présidentielle de 2022 a prouvé le contraire, les dirigeants de LFI théorisent désormais qu’il n’y a pas de salut sans unité de la gauche ! Or, cette unité de la gauche ne pourra pas se faire sur les bases du programme de la France insoumise. Dans la foulée de la présidentielle, ces forces ont consenti tactiquement à la NUPES pour sauver leur appareil et leurs élu.e.s, mais elles n’ont jamais adhéré au programme de la NUPES, et leur obsession a été d’attaquer la France insoumise et de se renforcer au détriment de la France insoumise. Aujourd’hui, le PS et les écologistes ne se cachent plus pour défendre leur véritable programme : celui du social-libéralisme. Ce n’est pas par hasard que Cohn-Bendit et les éditorialistes du Monde soutiennent désormais la figure de Glucksmann, probable tête de liste du PS aux européennes. Ce n’est pas par hasard non plus que les écologistes se félicitent du soutien de l’essayiste anciennement ultra-libéral récemment converti à « l’écologie », Gaspard Koenig. Il est affligeant que Ruffin en appelle (sur France inter le 22 décembre), sans aucun contenu programmatique, à « l’unité de la gauche » qui serait une « condition nécessaire » à toute perspective de succès face au bloc réactionnaire. Il affirme que la gauche de Glucksmann et celle de Mélenchon ne sont pas « irréconciliables » et qu’il suffirait de « baisser le ton » pour que la belle unité puisse se faire !

La stratégie de la NUPES est une impasse totale. Il est temps d’en sortir clairement et définitivement. L’urgence est de structurer notre classe sociale au sein d’un parti politique antiraciste, ouvert et démocratique, en rupture complète avec le bloc macro-lepéniste et la gauche bourgeoise. La France insoumise doit se donner selon nous comme objectif de construire la mobilisation contre la loi Darmanin, en interpellant toutes les forces du mouvement ouvrier pour construire un front de classe pour l’abrogation de la loi. En ce sens, le réveil tardif de la direction de la CGT est une bonne nouvelle : elle inscrit dans le paysage la perspective d’une grande manifestation dimanche 14 ou 21 janvier. Sophie Binet a par ailleurs appelé à la « désobéissance civile et à la multiplication d'actions de résistance contre cette loi ». Mais ce dont ont besoin les travailleurs et travailleuses, ce n’est pas de déclarations abstraites appelant à des « actions multiples », c’est d’un plan coordonné pour imposer un rapport de force pour obtenir le retrait de cette loi scélérate !

Sur le plan purement politique, La France insoumise devrait aussi lancer selon nous un appel à toutes les forces vives de notre classe sociale pour qu’une vaste « Union populaire » se matérialise en transformant LFI en un grand parti des travailleurs et des travailleuses.

LFI a tout à fait raison de se positionner pour une dissolution de l’Assemblée nationale. Mais il faut arrêter de tergiverser et faire des choix stratégiques clairs qui permettront de mobiliser les catégories populaires autour de la France insoumise. Lors des prochaines élections européennes, la France insoumise doit défendre un programme de rupture avec l’Union européenne : l’UE est un carcan institutionnel qui vise à empêcher toute politique de rupture avec le néolibéralisme. Il faut donc assumer clairement la nécessité de rompre avec la BCE, avec l’euro et avec tous les carcans mis en place par l’UE. La « désobéissance » est une pirouette qui esquive cette alternative. Comment désobéit-on à la BCE ? En réquisitionnant la Banque de France et en reprenant le contrôle de la politique monétaire, ce qui implique de sortir de l’euro. La mise en place de mesures de rupture avec l’ordre établi amènerait immédiatement à une confrontation avec les institutions européennes et ne saurait être qu’anticapitaliste : elle exigerait donc la mobilisation massive et l’auto-organisation des travailleurs/se-s. Il ne peut y avoir que deux choix possibles : la capitulation (à l’instar de l’expérience Syriza en Grèce) ou la rupture, Il faut parler clairement. C’est la condition pour mobiliser le fameux « quatrième bloc » (celui des abstentionnistes) et aussi pour disputer l’électorat populaire au RN. L’enjeu électoral des européennes n’est pas d’élire un maximum de député.e.s au parlement européen, mais de transformer ce scrutin en un combat national, dans lequel un bloc populaire rassemblant les antilibéraux et les anticapitalistes soit en capacité de tenir la ligne face aux offensives du bloc réactionnaire et identitaire.

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