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Face à la gestion autoritaire et capitaliste de l’épidémie : se mobiliser, réorganiser la société et planifier l’économie
Sur fond d’une crise économique majeure catalysée par le premier confinement et qui n’en finit pas de faire sentir ses effets, nous faisons maintenant face à la deuxième vague de l’épidémie. Les membres du gouvernement français ont tantôt joué les surpris, tantôt ceux qui auraient tout mis en œuvre pour éviter ce qui est bel et bien arrivé. Alors que le conseil scientifique jugeait en juin dernier « hautement probable 1 » la survenue d’une deuxième vague épidémique à l’automne, Emmanuel Macron a martelé à la télévision le 28 octobre : « Nous avons tous été surpris par l’accélération de l’épidémie, tous ! ».
Dans l’impréparation quasi-totale, il a décrété une nouvelle fois le confinement général, «plus souple » dira-t-on, mais dont la logique générale reste en vérité inchangée : plus explicitement encore que lors du premier confinement, il s’agit d’interdire toute activité qui ne rentre pas dans le cadre du travail, de la (re)production de valeur, tout en restreignant au passage les libertés publiques. À mesure que la mécanique du « métro-boulot-dodo » continue de tourner, le sens du mot « confinement » perd peu à peu de son sens… À nouveau, les nécessités de l’accumulation du capital rentrent en contradiction avec celles de la lutte contre le virus. L’histoire se répète, sous la forme d’une énorme farce, mais une farce tragique et désenchantée.
Malgré la multiplication des attentats de l’extrême-droite religieuse se revendiquant de l’Islam, la magie de l’unité nationale qui imposait début mars le silence sur la gestion calamiteuse de la crise ne semble plus opérer en ce qui concerne la crise sanitaire. Après avoir été remercié-e-s lors de la première vague, les travailleurs-ses essentiel-les ont eu le temps de redevenir des « gens qui ne sont rien ». Les « héros » des hôpitaux n’ont reçu que quelques miettes du sommet de Ségur, et remontent à nouveau « au front sans armes ». Beaucoup l’ont compris, et se sentiraient mal de continuer à applaudir aux balcons dans ces conditions-là2 . Après avoir tiré les rideaux sans broncher lors de la première vague, des petit-e-s commerçant-e-s s’insurgent aujourd’hui et laissent leurs commerces ouverts malgré la loi. La minute de silence pour Samuel Paty est à peine terminée que des lycéen-ne-s bloquent dans toute la France, et des profs se mettent en grève. La situation sanitaire reste assez mauvaise malgré l’amélioration des chiffres, des éléments de crise politique et sociale refont leur apparition : il y a de l’explosivité dans l’air… Un an et demi avant le cirque électoral qui se prépare, le régime macroniste ne sortira pas renforcé de cette crise. Nous, le mouvement social, la jeunesse et le monde du travail devons trouver la voie d’une riposte d’ensemble pour réorganiser rationnellement la société, planifier la production pour faire réellement face à la propagation du coronavirus mais aussi de toutes les autres épidémies qui risquent de se déclarer dans les décennies à venir3.
La vague et la digue : planifier, réorienter la production
Au moment où ces lignes sont écrites (18 novembre 2020), le pic du printemps a déjà été dépassé (en nombre d’hospitalisations), avec près de 33 000 hospitalisations et 5 000 malades en réanimation. La deuxième vague semble marquer un cap en France (et ailleurs en Europe également, où elle a aussi frappé très violemment). Le taux de reproduction du virus étant probablement passé à 0,8, l’épidémie devrait amorcer un lent reflux de plusieurs semaines. Le nombre de cas recensés quotidiennement est passé de 60 000 il y a trois semaines à 9 000 et 12 000 les deux derniers jours, (le nombre de cas réels est sans doute plus du double, bon nombre d’asymptomatiques non testés passant sous les radars). Il est difficile de dire s’il y a plus de cas qu’en mars, étant donné qu’il n’y avait quasiment aucun test en France à cette époque (même si des estimations rétrospectives ont évalué entre 300 000 et 500 000 le nombre de cas quotidiens au 17 mars, jour du début du premier confinement). Le taux de positivité des tests est passé depuis le début du reconfinement de 20 à 16 %, et le taux d’incidence (nombre de malades pour 100 000 habitants) de 450 à 250.
Cette deuxième vague de l’épidémie vient frapper un hôpital public français qui n’est pas sorti de sa crise malgré le discours sur « leçons à tirer » après la première vague, alors que la grève des urgences avait tiré la sonnette d’alarme à l’été 2019. Résultat de l’application du New Public Management à l’hôpital public pour répondre aux nouvelles contraintes budgétaires de l’État qui venait de renflouer les banques et les grands groupes capitalistes après la crise de 2008, le manque de personnel et de moyens se fait sentir plus que jamais aujourd’hui. Les jeunes soignant-e-s nouvellement formées fuient massivement l’hôpital public à la sortie de leurs études. Il faut dire que pour un-e jeune ESI envoyé-e en « renfort-covid » avec des indemnités ne dépassant parfois pas 1€ de l’heure, le voyage ne laissera pas un bon souvenir…
Signés avec les directions du secteur de la santé des syndicats FO, la CFDT et l’Unsa Santé en juin dernier pour enterrer la mobilisation des soignant-e-s, les accords « Ségur de la santé » servent maintenant de caution à Macron pour brandir « 8 milliards d’euros investis dans l’hôpital4 », qui ne représentent en fait qu’une revalorisation salariale des personnels soignant-e-s de… 183 euros chacun-e. 8 milliards d’euros, c’est aussi le chiffre des économies faites sur les dépenses de l’assurance maladie (première source de financement de l’hôpital public) de 2010 à 20195 ! Les caisses de l’assurance maladie sont remplies par les cotisations sociales prélevées sur les profits capitalistes. On comprend donc que lorsque le gouvernement multiplie les exonérations de cotisations sociales comme il le fait aujourd’hui, il doit le faire payer aux malades : dès septembre 2020, les urgences seront rendues payantes à travers un « forfait » de 18€ pour les visites qui ne débouchent pas (heureusement !) sur une hospitalisation, y compris pour les femmes enceintes et personnes atteintes de maladies chroniques.
Tout cela alors que hôpitaux et services de réanimation ne vont pas connaître de pause tout de suite, en raison du décalage entre les premiers symptômes de la maladie et son aggravation. L’ensemble des problèmes de sous-effectif, manque de moyens et burn-out généralisé des soignants vont demeurer, avec la menace d’une éventuelle 3ème vague en fin d’hiver-début du printemps. En huit mois d’intervalle entre les deux vagues de l’épidémie, le gouvernement n’a fait progresser les capacités d’accueil en réanimation que de 1000 lits supplémentaires, de 5000 en mars à 6000 octobre. C’est sans parler du fait que parmi les 10 000 respirateurs produits en urgence par une alliance industrielle entre Air Liquide, PSA, Schneider Electric et Valeo, 8 500 étaient inadaptés aux services de réanimation et sont, de l’aveu même du ministère de l’Économie, gardés en réserve pour n’être utilisés qu’en situation d’« extrême urgence et en renfort »6. C’est principalement cette trop faible adaptation des moyens qui a conduit à la décision d’un deuxième « confinement » par dépit pour éviter la saturation et une trop forte mortalité.
On peut aussi légitimement douter de la capacité et de la volonté du gouvernement Macron à enfin mettre en place un système de tests-traçage-isolement efficace et en mesure de casser les chaînes de contamination, à l’image de ce qui se fait au Japon, en Corée du Sud ou à Taiwan. En septembre dernier, des professionnel-le-s de laboratoires évoquaient déjà une pénurie relative de réactifs nécessaires à l’interprétation des tests PCR, entraînant un allongement de la durée de délivrance des résultats7. Si les capacités de test ont augmenté durant les dernières semaines en raison de l’accélération critique de la propagation du virus, le gouvernement a beaucoup trop tardé à mettre les moyens nécessaires à une politique de testage massive, dans l’idée que l’épidémie était sous contrôle.
L’origine de toute cette impréparation, qui est souvent perçue comme une « incompétence des gouvernants », est en fait l’absence de réorientation profonde de l’appareil productif au service de la lutte contre le virus, pour préserver les profits des capitalistes dans un contexte de crise économique majeure. En ce sens, nous sommes bien loin d’une « économie de guerre8 » sur le plan sanitaire… Une planification démocratique de l’économie basée sur des caisses socialisées d’investissements redirigeant – par l’extension de la cotisation sociale – la valeur produite dans les secteurs essentiels à la lutte contre le virus (l’industrie de la santé, la recherche & développement pour le vaccin, l’hôpital…) permettrait cette réorientation.
Réorganiser le travail et la vie pour en finir avec le confinement comme mode de gestion policière de l’épidémie
Il est clair qu’on ne peut pas défendre l’inaction comme réponse à la crise sanitaire. Sans mesures pour endiguer la circulation de l’épidémie, celle-ci ne fera que s’étendre, aggravant la saturation du système de santé. Outre l’épuisement des soignant-e-s, cette saturation va empêcher à terme un accès et une continuité des soins pour tou-te-s les malades, covid et non-covid.
Ensuite, la stratégie consistant à laisser le virus se propager librement pour atteindre au plus vite le seuil d’immunité collective relève d’un cynisme inacceptable pour les victimes du virus. Les discours niant la gravité de l’épidémie au nom de l’âge moyen et de l’état de santé des personnes décédées sont pour nous moralement inacceptables et expriment en fait une moralité toute capitaliste, celle qui mesure la valeur d’un individu à sa productivité dans le système économique. De plus, les plus touché-e-s par le virus font partie des classes les plus exploitées. Nos mamies et nos papis valent plus que leurs profits, et d’ailleurs la vie vaut bien plus la peine d’être vécue sans exploitation qu’avec ! Le cas de la Suède, qui avait parié sur une circulation à basse intensité et continue du virus en évitant le recours au confinement, doit être l’occasion de tirer certains enseignements. La Suède a 10 fois plus de morts pour 100 000 habitant-e-s que ses pays voisins ; parallèlement, l’immunité collective se développe moins rapidement que prévu : la Suède espérait atteindre 40% d’immunité collective à Stockholm dès avril, mais fin juin elle n’était mesurée qu’à 11,4% (résultat des tests aléatoires d’anti-corps9). On comprend dès lors que pour éviter le confinement tout en limitant autant que possible le nombre de morts, il faut se donner tous les moyens politiques de protéger au mieux sa population : or, quand bien même certains facteurs contingents peuvent avoir joué un rôle dans la surmortalité que connaît la Suède par rapport à ses voisins (inégale répartition des clusters dans la région, dates des vacances décalées qui ont conduit à un plus grand brassage de populations, etc.), force est de constater que le gouvernement suédois n’a pas été à la hauteur, au moins sur un certains nombre de terrains clés dans la gestion de l’épidémie : par exemple, comme le gouvernement a lui-même été amené à le reconnaître, la Suède a très mal protégé ses EHPAD, en particulier au début de l’épidémie ; de la même façon, la politique de contact-tracing a été manifestement conduite de façon trop nonchalante, alors même qu’il s’agit d’un levier crucial pour contrôler la propagation du virus sans entraver la liberté de circulation de tous les habitant-e-s.
Il faut donc se donner les moyens de mener une politique sanitaire consistante, à la fois protectrice et tenable sur le long terme. Premier point : les mesures sanitaires du gouvernement Macron, tant celles prises lors de la première que de la deuxième vague, ont un effet sanitaire momentané indéniable. Mais deuxième point : elles sont insoutenables pour une partie de la population, court-termistes et dangereuses car elles s’inscrivent dans la montée de la répression des mouvements sociaux et des libertés publiques. On se retrouve donc face à un dilemme : que choisir, entre soutenir le confinement qui semble être la réponse pragmatique et morale à la crise sanitaire, et s’opposer au confinement qui semble être la réponse aux attaques sur nos libertés publiques, contre la répression, pour toutes les personnes, dont les plus pauvres, souffrant du confinement ?
On l’a vu lors de la première vague, le confinement, dans la mesure où il ne s’accompagne pas d’un ensemble de dispositifs d’aides à la hauteur des effets provoqués, porte avec lui son lot d’effets désastreux : sur les psychologies, sur la perte d’emploi et de revenus, pour les femmes vivant avec des conjoints violents, pour les jeunes LGBTI vivant dans des familles violentes, pour les soignant-e-s surchargé-e-s, pour les malades non-covid qui voient leur traitement s’interrompre etc. Un premier pas pour sortir de ce dilemme pourrait être de défendre un « autre confinement » : un confinement non liberticide, s’accompagnant de mesures de soutien des populations.
Mais le problème, c’est qu’indépendamment des conditions du confinement, la logique même de gestion de la crise sanitaire aboutissant à un deuxième confinement est délétère : la logique du gouvernement Macron est court-termiste, et dans le cadre d’une crise sanitaire qui risque de s’étaler sur le long terme, il nous faut apporter des réponses de long terme. Il faut sortir des mesures uniquement réactives arrivant toujours trop tard et tout à l’inverse défendre des mesures structurelles. Il faut sortir du cycle circulation de l’épidémie / épidémie hors contrôle / mesures de confinement : pour cela, il faut dégager des moyens pour s’assurer que l’épidémie reste toujours à un taux bas de circulation. C’est la seule politique viable, tant d’un point de vue sanitaire que politique. Le confinement est ainsi un pis-aller à une absence de politique sanitaire solide et réellement à la hauteur de la situation. La crise sanitaire nous plonge dans un dilemme auquel il n’y a pas de bonne réponse : on ne peut ni réellement exiger le confinement, ni totalement le refuser. Nos points d’appuis politiques solides se situent ailleurs.
Ces points d’appuis sont les jalons déjà posés lors de la première vague : exiger une politique de test à la hauteur, la distribution gratuite de matériel de protection, une véritable campagne de formation sur le virus (dans les écoles, les lieux de travail, les quartiers), des moyens financiers et humains pour les services publics hospitaliers, la ré-organisation des services publics pour les garder accessibles et avec un minimum de risques sur la circulation du virus, en particulier les transports en commun. Il faut de plus un respect strict des mesures sanitaires sur les lieux de travail : il est inacceptable que des individus se mettent en danger du fait que leur survie dépende de leur travail10. Il faut mettre en place des pauses et baisser le temps de travail des travailleur/ses obligé-e-s de porter le masque en continu. La mobilisation des enseignant-e-s et lycéen-ne-s actuelles va dans le sens de la réorganisation du travail.
Faut-il pour autant abandonner l’idée de fermetures des certains secteurs de travail ? Le débat secteurs essentiels et non-essentiels pose problème au moins pour deux raisons : d’abord, un même emploi peut répondre à des besoins qu’on peut considérer essentiels et d’autres non-essentiels (par ex. les emplois qui aident à faire circuler des marchandises) ; ensuite, il implique de faire un partage en blocs entre les secteurs qu’on considère être « essentiels » ceux que l’on considère « non-essentiels », nous entrainant dans des débats non-contextualisés et dépolitisants.
Bien sûr, la crise sanitaire est l’occasion d’insister sur la fermeture de secteurs qui nous semblent inessentiels aux besoins de la population, quelle que soit la situation : la publicité, la production d’armes, de voitures neuves, d’avion etc. Nous avançons notre programme concernant ces industries, comme celui de la reconversion des industries polluantes. Mais indépendamment de la fermeture de ces secteurs, il nous faut imposer des normes sanitaires plus strictes sur les lieux de travail et dans la vie de tous les jours (tests gratuits, partout et pour tous, distribution de masques FFP2 dans les usines et services, effectifs réduits), permettant une adaptation de nos vies sans confinement « dur ». Pour autant, il est inacceptable que le coût de ces mesures pèse injustement sur les salarié-e-s : ainsi, s’il faut porter le masque en continu, alors il faut des pauses et des masques gratuits. Mais pour imposer de telles mesures il faut construire des mobilisations par la base, par les salarié-e-s et la population : il est clair aujourd’hui que l’Etat n’imposera pas au patronat des mesures de protection à la hauteur de la situation dans nos lieux de travail et dans les services publics : c’est à nous de construire un rapport de force pour les imposer. D’autre part, les travailleur-ses sont les mieux placé-e-s pour savoir ce dont elles et ils ont besoin, et pour distinguer au sein même de leur activité ce qui peut être mis en suspens et ce qui ne peut pas l’être. Là encore, notre programme doit être articulé avec la nécessité de l’auto-organisation des travailleurs et des travailleuses.
Essentiel et non-essentiel : l’exemple de La Poste Le distinguo entre production essentielle ou non-essentielle est parfois très complexe à faire, y compris au sein de la même entreprise. La Poste est un bon exemple de cette complexité. Entreprise à statuts aujourd’hui privés, mais possédée à 100 % par des capitaux publics (État pour 34%, Caisse des Dépôts pour 76%), elle exerce toujours une mission de service public. En son sein, on retrouve différentes activités :
Il n’est donc pas possible de revendiquer un arrêt total de cette entreprise, même en temps de pandémie. Lors du premier confinement du printemps, les syndicats ont demandé (sans y parvenir) la réduction de l’activité à l’essentiel, afin de réduire le temps de travail sur site des salarié-e-s et ainsi leur exposition au virus. |
Tout en revendiquant de vraies mesures sur les lieux de travail, de vraies campagnes de test à la hauteur des besoins, et des plans d’information pour la population, il faut s’opposer à toute mesure visant à interdire aux individus de se voir dans un cadre non-professionnel, car nous savons aujourd’hui que de simples mesures (se retrouver en extérieur, ouvrir la fenêtre, porter un masque quand on ne mange pas, faire régulièrement des tests) diminuent nettement les contaminations interindividuelles. La restriction des libertés publiques et le développement de l’arbitraire policier qu’engendrent ce type de contrôle des déplacements individuels sont de plus totalement inacceptables. Les dispositions de l’état d’urgence sanitaire ainsi que la loi sur la « sécurité globale » dont l’article 24 entraînera la restriction de la liberté de filmer et de diffuser des images de violences policières, enfoncent encore le clou d’un glissement vers la forme aboutie d’un régime autoritaire. Mais au-delà de l’article 24 sur lequel les attentions sont beaucoup focalisées, cette loi vient donner des pouvoirs étendus (visionnage direct des caméras de vidéos surveillance notamment) à la police municipale qui est, en tant que “police de proximité”, la première ligne de la répression dans les quartiers populaires dont une partie de la jeunesse s’était mobilisée au printemps dernier contre les violences policières. Les agents de police nationale se voient arroger le droit, au même titre que ceux de la gendarmerie, de porter leur arme dans les lieux publics. Le confinement sert alors de support pour le régime pour accentuer la répression ordinaire dans les quartiers populaires, là où le confinement est le plus mal vécu. Il se prépare aussi à réprimer les futures mobilisations sociales, et notamment étudiantes, avec l’inscription dans le droit pénal d’une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour les occupations d’universités.
Les lycées aux avant-postes d’une possible riposte d’ensemble face au « confinement » sauce MEDEF ?
Tout comme la réouverture des écoles et lycées à la sortie du premier confinement, leur non-fermeture dans ce second confinement est une satisfaction énorme pour le MEDEF et le grand patronat en général : les enfants restent pris en charge la journée par l’Éducation Nationale pour que les parents puissent continuer à travailler pour les capitalistes sans travail reproductif domestique (garde, cuisine, aide aux devoirs, équilibre psychique…) supplémentaire. Cela est particulièrement vrai pour les crèches, et les écoles primaires, et dans une moindre mesure pour les établissements du secondaire (collèges et lycées). C’est pourquoi ces derniers seraient les premiers à fermer si le gouvernement décidait de fermer des établissements.
Mais globalement, la fermeture des établissement aurait un impact indirect sur la production : elle ferait baisser la productivité horaire des travailleur-ses, et/ou leur pouvoir d’achat s’ils et elles sollicitent des services de garde payants, et serait potentiellement source de mécontentement supplémentaire dans les entreprises, la charge de travail habituelle étant ressentie comme plus lourde lorsqu’elle s’ajoute à une charge mentale importante. La crise du coronavirus rend plus que jamais centrales pour l’accumulation capitaliste les activités de reproduction11 de la force de travail, de care, quelles qu’elles soient, à commencer par l’école primaire qui apparaît de plus en plus clairement comme la « garderie du MEDEF ».
La mobilisation inattendue des lycéen-ne-s, des professeurs et des AED/AESH à la rentrée de novembre a été une bonne surprise, même si elle a été très inégale. Elle pourrait ouvrir la voie pour la contestation générale de ce confinement sauce patronale et casse objectivement la tentative d’Union Sacrée islamophobe derrière la commémoration de l’assassinat de Samuel Paty12 : il faudrait dans cette perspective qu’elle parvienne à mettre en place des structures d’auto-organisation localement et nationalement, et à élaborer une plateforme revendicative nationale unificatrice, permettant d’abord de regrouper personnels et lycéen.ne.s, et ensuite de converger avec le monde du travail.
Dès lundi 2 novembre, les personnels, surtout enseignant-e-s se sont mobilisé-e-s pour imposer le maintien d’un hommage digne de ce nom à Samuel Paty. Là où les directions ont refusé de céder, il y a eu des débrayages et des grèves, y compris sur d’assez nombreux établissements d’habitude assez peu mobilisés. Le mardi 3 novembre, une centaine de lycées en France sont bloqués par les lycéen-ne-s qui parfois tiennent courageusement tête aux forces de répression comme dans la cité scolaire de Saint-Nazaire ou au lycée Colbert, où les lycéen-ne-s ont même offensivement chargé la police. La mobilisation conjointe des professeurs-ses et des élèves a contraint le ministre de l’Éducation Nationale Jean-Michel Blanquer à annoncer le « renforcement » du protocole sanitaire. Les modalités de ce renforcement étant laissées au libre arbitrage des directions d’établissements, il n’en est rien dans beaucoup d’établissements. Cette manœuvre gouvernementale a pour objectif de calmer la colère, de pousser au renfermement de la contestation sur les proviseur-e-s, autour de revendications limitées à l’échelle de l’établissement comme le dédoublement des cours. Il a aussi concédé l’annulation des E3C (épreuves de bac organisées au cours de l’année de 1ère et de Terminale) ; mais cela implique que la part du contrôle continu passerait de 10% à 40% dans l’obtention du bac. Il a en revanche maintenu les épreuves de spécialité pour mi-mars, sans aménagement de programme, mais avec 2 sujets au choix. Et les groupes de spécialité instaurés par la réforme Blanquer du lycée multiplient le brassage des élèves, qui est problématique sur le plan sanitaire. Cependant ces concessions ont eu pour effet d’affaiblir la journée de grève nationale du 10 novembre, qui a été surtout suivie dans les écoles (où les enseignant-e-s sont épuisé-e-s, car il n’y a plus du tout de remplaçant-e-s et où le protocole sanitaire est inapplicable, notamment du fait des interactions avec des jeunes enfants), pas mal dans les collèges (où il n’y a presqu’aucun changement sur le plan sanitaire et un refus des demi-groupes) et peu dans les lycées, sauf pour les AED/AESH, en première ligne dans la gestion de la crise, et pour certains bahuts militants. Dans ce contexte, il est nécessaire d’exiger des mesures nationales afin de garantir l’égalité entre élèves et personnels sur tout le territoire : un protocole sanitaire national avec des demi-groupes alternant présentiel et distanciel ; le recrutement de personnels statutaires et la titularisation des précaires ; des épreuves nationales et anonymes pour le bac en juin afin de revenir à un bac national, ce qui exige au bout du compte l’abrogation de la réforme Blanquer. D’ailleurs, l’étau se resserre sur ce ministre, qui, en plus d’être détesté par une grande partie des personnels de l’Éducation Nationale, est désormais empêtré dans un scandale de détournement de fonds ministériels au profit d’ “Avenir Lycéen”, un “syndicat lycéen” qu’il aurait lui-même créé et modelé à sa sauce. Le gouvernement ne recule alors devant aucune manipulation pour rattraper son manque d’implantation et de relais dans la société. Il y aura évidemment toujours quelqu’un pour remplacer Blanquer, mais sa démission serait sans aucun doute un élément supplémentaire de déstabilisation de l’appareil d’État qui serait toujours bon à prendre.
Surtout dans le contexte post-attentat où les travailleurs-ses de l’éducation ont un fort potentiel d’hégémonie et de reconnaissance sociale, le salut de cette mobilisation ne peut venir que de sa capacité à dépasser les limites corporatistes dans lesquelles le « dialogue social » entre le gouvernement et les centrales syndicales l’enferment, à formuler des revendications qui parlent à l’ensemble de la population. L’issue des négociations du « Ségur » de la santé en juin dernier donne un avant-goût de ce que pourrait être le « Grenelle » sur les salaires des professeurs-ses envisagé par le ministère. Ensuite, l’auto-organisation des lycéen-ne-s est un préalable primordial à ce bond en avant, et il faut prendre en compte ses conditions matérielles de possibilité : dans les conditions actuelles de fort autoritarisme républicain dans les établissements scolaires, le blocage peut dans certains cas être une tactique indispensable au fait de rendre disponible l’ensemble des lycéen-ne-s à la lutte. Cette tactique ne doit pas être envisagée comme le support d’une subversion diffuse et non-coordonnée, mais plutôt considérée dans la perspective – certes pas immédiate – de la grève générale. Mais il ne s’agit pas de fétichiser le blocage, puisque d’autres modes d’actions comme les manifestations dans les couloirs ou encore des sit-in ont pu voir le jour parmi les lycéen-ne-s, dans un contexte de confinement policier ou les actions extérieures peuvent facilement être réprimées. S’il ne s’essouffle pas, le mouvement lycéen pourrait se constituer en coordination nationale pour pouvoir d’une part dépasser les sectarismes d’appareils (par exemple entre le syndicat lycéen UNL et la CLAP) qui paralysent l’avant-garde lycéenne, et d’autre part, s’adresser clairement à l’ensemble des salarié-e-s d’entreprises et aux secteurs du mouvement social qui cherchent une politique alternative à la collaboration de classe des directions syndicales.
La question des petits commerces : le cas des librairies
Les médias ainsi que certain-e-s politicien-ne-s bourgeois-ses se sont faits écho des difficultés du secteur du livre autour de la question de l’ouverture des librairies au public. Réclamée par une pétition initiée par François Busnel, présentateur de La Grande Librairie, cette ouverture est présentée comme décisive dans le combat « pour la culture », « contre l’obscurantisme » et dans la lutte contre le concurrent Amazon. Il est à noter que celle-ci est plutôt portée par le sommet de la filière : le Syndicat National de l’Édition (représentant des maisons d’édition et notamment des plus grosses), le Syndicat des Librairies Françaises (représentant des dirigeants et gérants), ainsi que des écrivain-e-s et essayistes qui vendent le plus d’ouvrages et/où qui ont le plus facilement accès aux médias. Il est ainsi significatif que parmi les « 4 propositions » pour la reprise des activités des librairies13, l’on retrouve « Proposer des horaires élargis pour donner le choix de venir tôt le matin ou plus tard le soir », bien entendu sans compensation financière prévue pour les salarié-e-s obligé-e-s de se lever plus tôt et/ou de rentrer plus tard chez eux, au détriment de leurs vies de famille. Il n’est ainsi pas surprenant de voir ces propositions soutenues aussi bien par les « grosses » maisons d’édition (Albin Michel, Groupe Gallimard, Média Participations), par les grandes chaînes (FNAC, Cultura, Leclerc, etc.) que par des personnalités comme Caroline Fourest, Alexandre Jardin ou Yann Moix…
Dans le même temps, certain-e-s salarié-e-s du secteur ont rappelé qu’ils n’ont pas besoin que les librairies restent ouvertes pour travailler, notamment au travers du click and collect. Ils ont dénoncé leurs conditions de travail et leur mise en danger sur le plan sanitaire en cas d’ouverture dans les mêmes conditions qu’avant le confinement14.
Un clivage se fait donc entre d’une part, les patrons et indépendants du secteur qui ont intérêt à la réouverture des librairies, et d’autre part, les salarié-e-s qui ne l’ont pas ou moins (à condition que leur salaire et leur poste soient maintenus, ce qui, dans le contexte actuel de crise du capitalisme, est quand même incertain). C’est un point à ne pas oublier quand on évoque la question des petits commerces. Aucune revendication de réouverture au public de ces structures, quelles que soient les modalités définies, ne doit ainsi se faire au détriment de la santé et de la sécurité des salarié-e-s du secteur. Réciproquement, aucune fermeture ne doit dégrader les conditions matérielles de ces mêmes salarié-e-s (perte de salaire, perte d’emploi, dégradation des conditions de travail à distance et/ou lors de la reprise de l’activité, etc.).
Au-delà de la question de la réouverture, nous revendiquons l’annulation totale des dettes et des loyers de ces petits commerces. Nous appuyons la mise en réseau et autres initiatives de coopération des établissements pratiquant le click and collect, à l’image des plateformes de commande des librairies indépendantes comme placedeslibrairies.
La montée des conspirationnismes : clarifier le caractère de classe de la gestion sanitaire
Le discrédit de la parole officielle ne touche aujourd’hui plus seulement les hommes politiques ou les grands médias, mais également le monde scientifique. Comme l’explique Antoine Bristielle à Regards15, « Avant le début de l’épidémie, le taux de confiance dans les scientifiques était de 95% – ils étaient considérés comme une autorité supérieure à laquelle on pouvait s’en remettre. Et il y a une telle controverse scientifique qui a parfois été artificiellement construite dans les médias, qu’aujourd’hui on est à 75% de confiance dans les scientifiques ». Aux yeux du grand public, le monde scientifique est largement personnalisé, et notamment via les médias. Or il est tout à fait normal de douter des scientifiques en tant que personnes (lesquelles, bien sûr, ne sont pas infaillibles), et comme les débats scientifiques sont résumés à des débats d’opinion sur les plateaux télévisés, il est tout à fait compréhensible de rester critique vis-à-vis de tels discours. C’est aux méthodes scientifiques qu’il faut apporter du crédit, tout en gardant à l’esprit que “la science” n’est pas toujours le lieu d’un consensus, mais est aussi un espace de recherche et donc de débats. Il faut ainsi continuer à se battre pour que les scientifiques aient les moyens de pratiquer les sciences, dans des conditions matérielles optimales et en toute indépendance (moyens toujours plus réduits par les gouvernements successifs).
Les succès de figures comme Didier Raoult ou d’un documentaire comme « Hold-Up » avec son lot de faussaires et de mensonges sont une illustration éclatante de cette fragilisation de la parole scientifique16. Ces succès doivent être suivis avec attention car ils imprègnent notre camp social et participent du renforcement des extrêmes-droites17. Ils posent également des problèmes de santé publique puisque décrédibilisant la parole scientifique, la méthode scientifique, ils favorisent le développement des « médecines alternatives », au mieux inefficaces pour lutter contre les maladies et au pire toxiques et mortelles.
Le gouvernement comme les médias qui ont appuyé sa politique ont beau jeu aujourd’hui de se plaindre du conspirationnisme. C’est le gouvernement qui est le premier responsable de la montée de ces idées à cause de ses atermoiements et de ses mensonges à propos de la gravité de l’épidémie, de l’utilité des masques, de l’ampleur de la seconde vague. Nous devons dialoguer sans sectarisme avec l’ensemble des personnes qui autour d’elles cherchent légitimement à remonter la chaîne des responsabilités de la catastrophe dans laquelle nous nous trouvons. Mais la réponse conspirationniste a tendance à enfermer l’esprit dans un certain fatalisme passif, puisqu’elle découle d’une vision déterministe de l’histoire qui serait façonnée par la seule action d’une minorité organisée, et non pas par les antagonismes de la lutte des classes, et c’est pourquoi elle doit être combattue. Il est de notre responsabilité de démontrer que nous pouvons bousculer ce système par la mobilisation, et que la lutte paye quand elle est bien menée, lorsqu’elle comprend qui sont ses ennemis et ses ami-e-s.
1. Avis du conseil scientifique du 2 juin 2020
2. “La première vague, on pensait que c’était pour les encourager, mais au final ils n’ont rien eu, les pauvres, il n’y a toujours pas assez de médecins, toujours pas assez de lits pour eux” explique par exemple une habitante d’un immeuble de Boulogne-Billancourt connu pour avoir été au rendez-vous des applaudissements lors du premier confinement. Source : Reportage du journal de 20H de France 2 du 9 novembre 2020.
3. Lire Rendre le pangolin familier. Pour une lecture anticapitaliste des pandémies
4. Discours de Macron à la télévision le 28 octobre 2020
5. Plus précisément, il s’agit du chiffre cumulé des objectifs d’économies fixé par les budgets annuels successifs, objectifs qui ont été en réalité largement dépassés pour atteindre un total de 11,7 milliards d’économies en 10 ans ! Source : Marianne, “11,7 milliards d’économies en 10 ans : comment l’Etat a dépouillé l’hôpital”, 17/04/2020.
6. Le Figaro, “Polémique autour d’une commande de 10 000 respirateurs par l’Etat”, 23/04/2020.
7. Ouest-France, “Coronavirus. Test PCR : vers une pénurie de réactifs ?”, 28/09/2020
8. “Economie, de guerre, économie de pandémie ?” (Chronique radio).
9. Voir : https://www.theguardian.com/world/2020/nov/12/covid-infections-in-sweden-surge-dashing-hopes-of-herd-immunity et https://coronavirus.jhu.edu/data/mortality
10. Revendication importante qui fait largement consensus chez les postiers par exemple : que l’ensemble des unités de production soient testées de manière cyclique (tous les 7 à 15 jours), avec isolement immédiat et à 100 % du salaire pour tout cas contact ou symptomatique. Des précaires sans possibilité de se faire arrêter se retrouvant à travailler en tant que malades ou cas contacts.
11. C’est ce que souligne Aurore Koechlin dans cet article publié lors du premier confinement.
12. “Sur l’assasinat de Samuel Paty et sa récupération politique“, Alternative Révolutionnaire Communiste.
13. https://www.actualitte.com/article/monde-edition/4-propositions-concretes-pour-que-les-librairies-reprennent-leur-activite/103668
14. https://www.frustrationmagazine.fr/employees-librairies-covid
15. http://www.regards.fr/la-midinale/article/antoine-bristielle-avec-la-crise-on-est-passe-de-95-de-confiance-dans-les
16. https://www.franceculture.fr/medias/hold-up-a-partir-de-faits-le-documentaire-est-bati-comme-une-vraie-entreprise-de-desinformation
17. https://www.mediapart.fr/journal/france/171120/hold-les-qanon-et-l-extreme-droite-en-embuscade?onglet=full