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Face aux fermetures de site, plans sociaux, chantages patronaux... Se battre pour la nationalisation sous contrôle des travailleurs/ses des entreprises !
La liquidation de GM&S illustre une fois de plus la faiblesse programmatique de l'extrême gauche anticapitaliste. Depuis le début de la lutte des salariés de GM&S, LO et le NPA se sont contentées de relayer les revendications syndicales et de dire « vive la lutte » ! Pourtant, les syndicats ont mené ici encore les salariés droit dans le mur. Il est consternant que l'extrême-gauche ne fasse aucune analyse critique de ce que font les syndicat, n'avance aucune perspective immédiate alternative pour les salariés, ne cherche pas à construire un pont entre les revendications immédiates et notre projet de société communiste. Ce faisant, l'extrême-gauche ne fait pas avancer d'un iota la conscience anticapitaliste. Se contenter de dire « vive la lutte », « seule la lutte paie », alors que tant de luttes débouchent sur des défaites, est pour le moins insuffisant. Il faudrait d'une part faire une analyse critique de la façon dont les directions syndicales organisent la (dé)mobilisation. Et il faudrait aussi s'interroger sur les revendications qu'elles mettent en avant. Ce bref article est consacré à ce dernier point.
Quand les syndicats adaptent leurs revendications à la logique capitaliste
GM&S est une entreprise créée en 1963 qui a compté jusqu’à 700 salariés sur le site de La Souterraine dans la Creuse. Elle n'en compte plus que 280 aujourd'hui. GM&S vend des équipements aux grandes firmes automobiles. Grâce à un syndicat majoritaire CGT combatif, les salariés bénéficiaient d'acquis sociaux comme des primes de vacances ou un 13e mois. GM&S a été placée en liquidation judiciaire, affaibli notamment par une baisse des commandes des constructeurs automobiles depuis 2012.
Dès lors, la CGT, syndicat majoritaire dans la boîte, a mis en avant à juste titre la nécessité de sauver les emplois. Mais elle a d'emblée accepté les règles du jeu capitaliste : à savoir qu'il fallait faire pression pour que le repreneur éventuel garde tous les emplois. C'était d'emblée se tirer une balle dans le pied, car si l'entreprise est mise en liquidation, c'est précisément parce que l'entreprise n'est pas viable avec tous ses employés dans une logique capitaliste. Et il est donc absurde de penser qu'un patron voudra reprendre une entreprise pour minimiser son profit ou faire des pertes !
La CGT a aussi demandé à l’État de faire pression sur les grands groupes automobiles (notamment PSA ou Renault où l’État est actionnaire très minoritaire) pour augmenter leurs commandes sur GM&S. Bien entendu, une hausse des commandes peut permettre de sauver davantage d'emplois, mais cela revient à conditionner le nombre d'emplois sauvés aux aléas du marché.
Fort logiquement, le repreneur pressenti (GMD) a indiqué qu'il ne comptait conserver que 120 emplois sur les 280. La CGT a alors abandonné l'idée que tous les emplois pourraient être sauvés, et a simplement demandé à ce que plus d'emplois soient sauvés (grâce à une hausse des commandes) et que les salariés licenciés puissent avoir des indemnités extra-légales.
Le 5 juillet, les salariés de GM&S ont bloqué à 150 pendant deux jours le site de PSA Sept-Fons dans l'Allier pour faire pression sur la direction de PSA. Ils ont d'ailleurs eu la mauvaise surprise de voir le syndicat FO de PSA se placer du côté de leur direction contre les salariés de GM&S. Ensuite, le gouvernement s'est fâché et a ordonné la levée du blocage. Alors que la CGT avait promis de rester sur le site qu'une fois ayant obtenu satisfaction sur des engagements fermes1, elle a fait lever le blocage en ayant obtenu... un ordre du jour détaillé pour le prochain rendez-vous avec le gouvernement ! Difficile de faire passer cela pour une grande victoire...
Depuis, malgré l'annonce d'une hausse des commandes de PSA et de Renault suite à la rencontre avec le ministre Bruno Le Maire le 11 juillet, GMD maintient qu'il ne reprendra pas plus de 120 salariés et qu'il ne versera en outre pas de prime extralégale aux salariés licenciés.
Le piège de la lutte pour un « bon repreneur » se referme sur les salariés de GM&S. Il n'y a pas de bon repreneur : il n'y a que des patrons qui cherchent à maximiser leurs profits et dans un contexte de crise structurelle du capitalisme, cela passe par des suppressions d'emplois.
L'extrême-gauche n'a aucune perspective à proposer aux salariés de GM&S
Le NPA et LO ont bien entendu soutenu et popularisé la lutte des GM&S, mais sans leur faire la moindre proposition. Ils ont appuyé tacitement la politique de la CGT, tant sur les modes d'action que sur les revendications. On peut comprendre à regret que des syndicats tendent à adapter leurs revendications à l'ordre capitaliste. Mais le suivisme de l'extrême-gauche anticapitaliste est consternant, incompréhensible… bien qu'il faille néanmoins tenter de le comprendre.
LO et le NPA répètent à l'envie que le capitalisme est en crise et que les profits sont plus élevés que jamais, exorbitants. C'est pourtant absurde : quand le capitalisme est en crise, c'est que les profits sont au plus bas ! Plus les profits sont élevés, plus l'investissement est élevé, et plus la croissance et les créations d'emplois sont importantes. Mais LO et le NPA croient être radicaux en s'échinant à démontrer que les profits sont au plus haut... mais que les patrons sont méchants et qu'ils ne veulent plus investir. C'est absurde : les patrons n'investissent pas par philanthropie mais parce qu'ils doivent le faire pour rester compétitifs. On observe d'ailleurs que la part des profits réinvestis est globalement stable, et la faiblesse des investissements et de la croissance découle tout simplement et logiquement de la faiblesse des profits. Si nous insistons sur cette erreur d'analyse, ce n'est pas pour le plaisir du débat intellectuel, c'est parce qu'elle a des conséquences politiques lourdes. En effet, puisque les profits seraient très élevés, il en découle qu'il serait possible de préserver tous les emplois... Il « suffirait » de lutter et faire pression sur les patrons pour qu'ils réinvestissent leurs profits au lieu de dilapider leurs profits en dividendes ou en spéculation. Autrement dit, à partir d'un raisonnement économique faux (et même aberrant), on fait croire aux travailleurs/euses qu'on peut éviter les suppressions d'emplois en restant dans le cadre de la propriété privée et des lois du marché, à condition bien sur de lutter.
Dans une vidéo récente2, Philippe Poutou exprime sa solidarité avec les salariés de GM&S... et met en avant le fait qu'il faut imposer au repreneur « les meilleures garanties sociales ». Autrement dit, il faut faire pression pour qu'il y ait le plus d'emplois sauvés et les plus grosses indemnités pour ceux qui ne seront pas repris. C'est exactement ce que défend la CGT.
Une seule solution : la nationalisation sous contrôle des travailleurs/euses
Prétendre sauver les emplois sans remettre en cause la propriété privée des moyens de production, la logique du profit et de la libre concurrence est une impasse, et cela l’est encore davantage dans un capitalisme en crise. Pour sauver les emplois, il n’y a qu’une solution : imposer la nationalisation, car seul l’Etat peut garantir le maintien des emplois. Bien sur, l’Etat ne pourra pas faire tourner à perte toutes les entreprises en difficulté. C’est pourquoi il est important de compléter la nationalisation par des mesures qui permettent l’écoulement de la production à des prix assurant la viabilité de l’entreprise ou de la filière nationalisée. Il faut pour cela sortir assumer la nécessité de rompre avec la loi du marché.
Nos revendications à ce sujet devrait être claire : nationalisation des entreprises automobiles et de leurs fournisseurs, « protection » de leur production du marché capitaliste. Il serait en effet hors de question de les mettre en concurrence avec les entreprises capitalistes étrangères, et il faudrait donc revendiquer des mesures protectionnistes pour garantir la viabilité des entreprises nationalisées sous contrôle des travailleurs/ses.
Mettre en avant la nationalisation sous contrôle des travailleurs/euses, couplée avec des mesures de rupture avec la libre concurrence, c’est revendiquer une perturbation des règles du jeu capitaliste (propriété privée des moyens de production et libre concurrence) et cela permet de faire le pont avec la défense de notre projet de société communiste. Cela permet aussi d’expliquer que seule la remise en cause de la propriété capitaliste peut permettre de satisfaire nos revendications dans un capitalisme en crise. Ces victoires ne pourraient être que partielles et fragiles en l’absence d’une révolution engageant la transition vers une économie communiste. Mais elles montreraient le chemin, celui d’une révolution où les travailleurs/euses exproprieraient les capitalistes et prendraient le contrôle des moyens de production pour satisfaire leurs besoins fondamentaux.
La différence fondamentale entre les réformistes antilibéraux et les anticapitalistes révolutionnaires n’est pas la différence entre celles et ceux qui privilégient le terrain des élections et celles et ceux qui privilégient le terrain des luttes. On peut très bien se situer uniquement sur le terrain des luttes et être englué dans le réformisme le plus intégré au système. Les réformistes adaptent leurs revendications à ce qu’il est possible d’obtenir dans le cadre des règles du jeu capitaliste. Et dans un capitalisme en crise, on ne peut pas obtenir grand chose, et c’est pourquoi on peut parler aujourd’hui de « réformisme sans réformes » : les réformistes ne peuvent que mener les mêmes politiques (d’austérité) que les libéraux à partir du moment où ils ne veulent pas remettre en cause les règles du jeu capitaliste. Les anticapitalistes révolutionnaires définissent leurs revendications en fonction des besoins humains et des aspirations, et comme ces revendications sont impossibles à satisfaire en respectant les règles du jeu capitalistes, nous en tirons la conclusion qu’il faut remettre en cause la propriété capitaliste et le libre marché. C’est ce que le NPA devrait faire et c’est ce qu’il ne fait pas. L’anticapitalisme proclamé apparaît alors comme totalement abstrait, déconnecté des luttes immédiates.
Gaston Lefranc
1Cf. http://www.frontsyndical-classe.org/2017/07/les-gm-s-font-le-point-de-leur-lutte.html