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Les Grands de la planète, le coronavirus et nous. Episode 2 : Donald Trump (partie 2)
Tout comme Jair Bolsonaro, objet d’une précédente étude, Donald Trump se rattache à la catégorie des présidents corona-négationnistes, même si, tout à fait récemment, le président des Etats-Unis, alarmé par ses conseillers, confronté au mécontentement qui grandit, même dans son propre parti, et inquiet de l’apparence de plus en plus improbable de sa réélection en novembre prochain, a semblé changer enfin de ton, parlant avec plus de sérieux d’une pandémie qu’il n’avait cessé de minimiser depuis son irruption aux Etats-Unis.
Vu la densité de l’actualité des Etats-Unis ces derniers mois, l’analyse du « cas » Trump dans le contexte du coronavirus a été découpée en trois parties. Dans la première partie, cette étude présentait les chiffres de la pandémie aux Etats-Unis, examinait les réactions de Trump face à celle-ci, et montrait le plongeon économique ultra-rapide induit par la crise sanitaire, l’apparition immédiate d’un chômage de masse, et les tentatives de relance par injection monétaire massive.
Cette deuxième partie entre plus dans le détail des inégalités et montre que le coronavirus et sa gestion trumpiste ne touchent pas de la même façon les différents endroits du pays, et que ses victimes appartiennent surtout aux classes sociales défavorisées et communautés les plus opprimées. Face à cela, les premières résistances s’organisent.
L’impact différencié de la pandémie
Pour saisir la dynamique sociale induite par le Covid-19 aux Etats-Unis et ses retombées politiques, il faut comprendre que l’impact de la pandémie varie beaucoup, selon les endroits – certains Etats ruraux de l’ouest ou du midwest restent très peu touchés après cinq mois d’épidémie –, et selon les classes sociales et les origines ethniques.
Un impact différent selon les villes et les régions
Comme il n’est pas possible ici d’étudier la totalité des 50 Etats, quelques cas significatifs seront abordés ci-après. Dans la lutte contre la pandémie, la situation des Etats fédérés est compliquée par la concurrence qui s’exerce entre eux et avec le niveau fédéral quant à l’accès au matériel nécessaire[2]. Mais étant donné le refus de Trump d’assumer une gestion énergique de la pandémie – c’est bien un euphémisme ! – et le caractère fédéral des Etats-Unis, la crise sanitaire confère un poids accru aux gouverneur.e.s. Certain.e.s acquièrent d’ailleurs, par là-même, une stature nationale.
Le nord-est : New York au cœur de la tragédie
Andrew Cuomo, à la tête de l’Etat de New York, fait sans doute partie des personnalités politiques auxquelles s’applique la remarque ci-dessus. D’abord parce qu’il est confronté à un rude défi (tout comme le maire de la ville éponyme, Bill de Blasio) : avec ses plus de 32 000 morts, l’Etat, et particulièrement la ville en son sein (avec plus de 23 000), restent, et de loin, le lieu des Etats-Unis le plus meurtri par la pandémie cinq mois après son émergence. Andrew Cuomo révèle notamment des talents de communicant, en particulier avec ses conférences de presse quotidiennes. A posteriori, il n’est guère étonnant que New York, ville verticale de 8,6 millions d’habitant.e.s et qui multiplie les occasions de contamination, du métro aux ascenseurs des gratte-ciels, ait autant souffert. Ci-dessous, les courbes de l’évolution quotidienne des nouveaux cas et des décès dans l’État de New York montrent des chiffres élevés mais aussi une assez bonne maîtrise de l’épidémie, surtout à partir de mai. Le pic de décès début mai correspond à l’intégration de morts en dehors des hôpitaux.
Dans les jours et les semaines suivant le début du confinement, tous les reportages rapportent une mort omniprésente, qui rôde à travers New York. La ville « qui ne dort jamais », aux rythmes d’ordinaire si frénétiques, s’est en apparence presque complètement vidée de sa population. Les rues silencieuses ; les établissements scolaires – de la maternelle à la terminale – désertés jusqu’en septembre 2020 par ses 1,1 million d’élèves ; ces milliers de petits commerces clos ; ce métro qui, en temps normal, est emprunté chaque jour par près de 6 millions de passagers, qui voit sa fréquentation chuter de 92%[3], et où ne circulent plus guère que les SDF et les « travailleurs essentiels »[4]… Ce calme sinistre est brisé par des rumeurs émanant de files d’attente encore plus longues qu’à l’accoutumée – pouvant parfois atteindre des centaines de mètres – pour des soupes populaires souvent débordées[5] ; par l’afflux vers un surprenant hôpital de campagne constitué de tentes plantées dans Central Park[6] ; par la ronde des ambulances et le déplacement motorisé de ces cadavres dont la ville a du mal à se débarrasser, les stockant dans des morgues qui débordent les installations sanitaires, voire dans des camions frigorifiques comme celui qui a été filmé à attendre les dépouilles mortelles à l’extérieur d’Elmhurst Hospital (dans le Queens)[7] ; par des services funèbres débordés[8] ; et par les derniers trajets, aussi, de corps détruits par le coronavirus et non réclamés par des proches, qui s’entassent dans des cercueils sur Hart Island, la tristement célèbre « île des morts » située au nord-est du Bronx, et qui sert de fosse commune depuis 1869[9]. « En temps normal, peut-on lire, 25 personnes indigentes ou dont le corps n’a pas été réclamé par leurs familles sont enterrées chaque semaine sur l’île. Maintenant, c’est 25 par jour environ. Avant la pandémie, les familles avaient trente jours pour réclamer le défunt dans les morgues de la ville. Ce délai est tombé à quinze jours. Au-delà, le corps est enterré sur Hart Island »[10]. Mais, heureusement, le mutisme funeste de la mégapole est aussi rompu par la colère exprimée par les personnels hospitaliers, face à une surcharge de travail et à un sous-équipement parfois dramatiques.
La montée impétueuse des contaminations a pris à la gorge le système hospitalier new-yorkais, forcé à s’adapter. Pour Bill de Blasio, la ville nécessitait 65 000 lits de soins intensifs pour répondre aux besoins de toutes les personnes atteintes du Covid-19 en avril, ce qui signifiait « transformer tous les lits de nos hôpitaux en lits de soins intensifs »[11], et donc aussi trouver des lits pour les autres patient.e.s. Il a donc vite fallu convertir en centres de soins des lieux aussi improbables qu’un palais des congrès, une cathédrale ou le site de l’US Open de tennis de Flushing Meadows ! Sur le moyen et le long terme, on peut se demander si une partie de la population ne va pas s’exiler de la ville : pour les plus riches, l’exode est déjà visible. Et à Hudson Yards, un projet immobilier de luxe, semble complètement en rade[12]. Mais certains parient que New York saura rebondir, comme la ville l’a déjà fait dans les années 1970, après le krach boursier de 1987, après le 11 septembre 2001 ou encore la crise financière de 2008. Mais elle aura été transformée par le virus[13].
New York (l’Etat et surtout la ville) est tellement touché par le Covid-19 que les autorités y maintiennent le confinement plus longtemps qu’ailleurs, alors que le déconfinement – souvent irresponsable et précipité – est de mise ailleurs. L’Etat « rouvre » partiellement, mais pas la ville, dont le déconfinement va s’échelonner en quatre phases, débutant toutes les deux semaines, du 8 juin au 20 juillet[14]. À la mi-mai, il n’était pas possible d’aller à la piscine malgré la chaleur, et seulement deux parcs étaient ouverts, avec des rangers pour y distribuer des masques[15]. Et encore : la phase 4 n’empêche pas que les musées, les cinémas et les restaurants – hormis en terrasse – restent fermés jusqu’à nouvel ordre[16]. Les salles de Broadway, qui représentent 100 000 emplois, resteront closes au moins jusqu’au 6 septembre : certains spectacles sont annulés, d’autres reportés[17]. Mais, encore au 20 juillet, les autorités de l’Etat recommandent toujours le port du masque et le respect d’une distance de sécurité d’1,80 mètre, et elles imposent une quarantaine vis-à-vis d’une large part des autres Etats américains où la pandémie fait des ravages[18].
Dans la Grosse Pomme, l’inégalité dans la contamination est perceptible : elle est d’ordre social, hérite des disparités économiques monstrueuses qui se sont accrues ces dernières décennies tout en les aggravant, même si bien sûr les gens aisés sont aussi frappés par le virus ; d’ordre ethnique – selon le Département de la santé, les Noirs et les Hispaniques de New York meurent deux fois plus du Covid-19 que les Blancs et les Asiatiques ; géographique aussi : le Bronx et le Queens, quartiers où les populations s’entassent dans des petits appartements et fournissent une large part des « travailleurs/ses essentiel.le.s » sont les plus touchés. Et la politique d’arrestation et d’expulsion d’étranger.e.s sans papiers, voulue par Trump et qui se poursuit, n’a fait qu’aggraver les choses, y compris au plan sanitaire, en incitant « les sans-papiers malades à rester dans l’ombre plutôt que de se faire soigner », selon une militante de la cause des immigré.e.s[19].
L’Etat de New York a été l’épicentre étatsunien du début de la pandémie de coronavirus, mais, de manière générale, les Etats du nord-est ont été beaucoup affectés, surtout les plus urbanisés. En particulier, le New Jersey, deuxième Etat le plus touché à ce jour, avoisine les 180 000 cas et dépasse les 15 000 morts ; le Massachussetts se situe, respectivement, au niveau de 120 000 et 8 000 ; le Connecticut, près de 50 000 et environ 4 000…
L’ouest : confinement puis déconfinement en Californie
Le gouverneur démocrate de Californie, Gavin Newsom, un des tout premiers à ordonner des mesures de confinement à l’échelon d’un Etat, est également devenu une figure nationale. L’Etat californien dispose à l’arrivée de l’épidémie d’un atout que ne possèdent pas d’autres Etats : un gros magot de départ, du fait de son fort excédent budgétaire[20]. Deux semaines après les strictes mesures de confinement prises par Gavin Newsom, la Californie est parvenue à éviter une flambée épidémique aussi catastrophique qu’à New York. Pourtant, certains faits ont de quoi surprendre : la circulation dans la tentaculaire Los Angeles – la région la plus touchée de l’Etat en début d’épidémie – n’est pas bloquée par les tristement célèbres embouteillages, mais un mercredi à 11 heures du matin, les véhicules occupent largement les grands axes de la mégalopole, et il semble difficile de croire qu’il ne s’agit que de déplacements pour des activités essentielles ; pourtant, quelques jours avant, Eric Garcetti, son maire démocrate, a donné l’ordre de rester chez soi, d’éviter les supermarchés et les pharmacies : un ordre peu respecté et pas imposé par quelque autorité que ce soit[21]. Au soir du 11 avril, le Covid-19 a officiellement contaminé 22 173 Californiens, dont 1 132 sont en réanimation, et 630 sont décédés. Mais la courbe s’est déjà aplatie, permettant aux hôpitaux de gérer la situation[22]. Toutefois, la mise en concurrence, voulue par l’administration Trump, pour l’accès au matériel médical et aux équipements de protection, fait des ravages, en forçant les Etats à s’affronter en offres et contre-offres, ce qui fait dire à G. Newsom : « on revient au far west »[23]. Et la souffrance, aggravée par les lenteurs et les carences, est bien là, comme le dénonce une retraitée frappée par le virus : « J’ai été malade, avec tous les symptômes pendant 1 mois avant d’être testée. J’ai ensuite attendu les résultats pendant 10 jours et lorsqu’ils sont arrivés, négatifs, on m’a dit qu’ils n’étaient exacts qu’à 80 %. Du coup, je ne sais pas si je dois continuer de rester complètement confinée ou non. Quand je pense que nous sommes aux États-Unis ! »[24]. Et les tentes des sans-abris s’alignent dans le quartier de Skid Row, capitale des « homeless » aux Etats-Unis (au nombre de 5 000, et 60 000 pour tout le comté), et les sans-abris font de très longues queues pour prendre leur repas[25]. Difficile de faire respecter la distanciation sociale dans ce contexte ! La Californie recourt aux hôtels en crise pour héberger des SDF[26].
L’excédent budgétaire de l’Etat californien jusqu’au début 2020, a vite basculé vers un déficit – un trou attendu de 54,3 milliards de dollars en 2021, contre 28 milliards d’excédent en 2020[27] – conduisant à des révisions douloureuses. C’est que la Californie compte 165 milliardaires mais aussi 20% de pauvres[28], et la hantise des déficits a conduit Newsom à des coupes budgétaires (avec notamment la suppression de programmes éducatifs). De plus, le gouverneur, qui n’est pas tout à fait un révolutionnaire (!), a prévu de diminuer de 10% le salaire des fonctionnaires de l’Etat, et envisage le recours au chômage partiel au cas où il rencontrerait un problème syndical[29]. Ce qui coûte cher à la Californie, c’est bien sûr la santé, avec la pression de la pandémie, et 4,6 millions de résident.e.s inscrit.e.s au chômage depuis le 12 mars[30]. Et vu l’impact déjà dramatique du réchauffement climatique, l’Etat ne peut pas raisonnablement réduire ses investissements prévus en matière de lutte contre les incendies[31]. Newsom et quatre autres gouverneur.e.s démocrates de l’ouest (Jared Polis, Colorado ; Steve Sisolak, Nevada ; Kate Brown, Oregon ; Jay Inslee, Washington) ont écrit le 11 mai à Trump pour que l’Etat fédéral annule ces coupes budgétaires en attribuant une subvention globale d’un montant revendiqué de 1 000 milliards de dollars[32]. Trump avait déjà répondu par avance quelques jours plus tôt, refusant d’aider des Etats gouvernés par ses adversaires politiques : ce serait injuste pour les Etats républicains, comme le Texas ou la Floride, qui réalisent des merveilles d’équilibre budgétaire ; le président a ajouté que les subventions fédérales aux villes et Etats devraient être conditionnées à la conformité de leurs choix avec la politique impulsée par la Maison Blanche[33]…
Comme on le voit ci-dessous, et contrairement à l’Etat de New York, après le déconfinement pour lequel Trump a tellement fait pression, la courbe des nouvelles contaminations a grimpé en Californie, particulièrement en juin et juillet, avec un pic absolu de 12 807 le 21 juillet. Et le nombre des décès quotidiens a aussi augmenté en juillet, avec un pic de 219 morts le 31. Début juillet, Gavin Newsom disait s’en vouloir d’avoir cédé trop vite à la pression pour déconfiner, et mettait en cause les jeunes qui se croient « invincibles »[34]. Dans le sud de l’Etat, en particulier le comté républicain d’Orange, il y avait eu beaucoup de manifs en mai contre la fermeture des plages et des restaurants. Et début juillet, on a dû expédier des malades dans des hôpitaux du nord de l’Etat. Les « invincibles » représentaient la moitié des cas en Californie[35].
Le Sud : des cas de figure différents, mais une nette aggravation à partir du mois de juin
Rapidement, le sud des Etats-Unis a fait l’objet d’un certain nombre de reportages, car même si le virus y faisait globalement moins de ravages qu’à New York, il s’installait, et l’épidémie y revêtait des traits particuliers, avec toutefois des rythmes différenciés selon les Etats. Au début de la pandémie, c’est surtout la Louisiane qui était frappée, en particulier son prolétariat noir et pauvre. Face à la Louisiane meurtrie, le Texas voisin a rapidement décidé de protéger ses quelque 30 millions d’habitant.e.s en se barricadant contre la population louisianaise[36].
La situation en Louisiane était, d’emblée, particulièrement grave dans la « Cancer Alley », vaste zone pétrochimique le long du Mississippi entre La Nouvelle-Orléans et Baton Rouge, où elle dépassait même New York en termes de nombre de décès du Covid-19 rapporté au nombre d’habitant.e.s[37]. Ce phénomène est aggravé par une infrastructure hospitalière assez rare et mal équipée. C’est ce qui a conduit à transformer un vaste centre de conférences et d’expositions de la Nouvelle-Orléans en hôpital temporaire pouvant recevoir jusqu’à 2 000 lits. Mais à ce moment, Trump s’illustre à nouveau : le gouverneur (démocrate, précisons !) de Louisiane, John Bel Edwards réclame 5 000 respirateurs mais le président ne lui en envoie que… 150, estimant que cet Etat « dispose d’assez de respirateurs »[38] ! Après avoir supplié les habitant.e.s de rester chez eux, les autorités de Louisiane ont décrété un couvre-feu le 1er avril. On soupçonne le Carnaval de la Nouvelle-Orléans, entre début janvier et le Mardi-Gras (25 février), d’avoir « servi d’incubateur géant ». La maire (démocrate) de la ville, LaToya Cantrell, accusée parfois d’être laxiste, se défend ainsi : « Si nous avions eu des indications claires, j’aurais été la première à annuler le carnaval. » À cette époque, toutefois, Trump minimisait totalement la pandémie[39].
Les courbes ci-dessus font ressortir deux pics de contamination en Louisiane : le premier en début d’épidémie ; le second, plus fort, à partir de la mi-juin, effet vraisemblable du déconfinement. Le pic de mortalité a toutefois été atteint en avril.
D’autres Etats pauvres du « vieux Sud », possédant des caractéristiques sociales similaires, ont connu des courbes assez différentes. L’Alabama, le Mississippi et la Géorgie ont été moins affectés au début de l’épidémie, mais ont été touchés par une flambée de cas et de décès plus récemment, à partir du mois de juin.
Le cas de la Géorgie est intéressant : elle a des caractéristiques sociales proches de celles de la Louisiane, un système de santé à peu près aussi délabré, mais aussi un gouverneur républicain, Brian Kemp, qui a été l’un des premiers à assouplir les directives sanitaires.
Kemp rouvrait même, dès le 24 avril, des lieux tels que les clubs de gymnastique, les cinémas, les restaurants, les salons de tatouage et de massage. Au point que Trump lui-même a critiqué cette levée comme prématurée[40] ! Les courbes de la Géorgie (ci-dessus) révèlent clairement à quoi a mené cette politique : à une nette poussée des nouveaux cas à partir de juin, et à une flambée en juillet – alors que l’Etat connaissait une contamination moyenne jusqu’alors. Et les dents de scie de la courbe des décès révèlent de plus une mortalité qui s’est accélérée en juillet, atteignant et même dépassant légèrement le pic atteint en juin.
La Floride (environ 20 millions d’habitant.e.s) attire également une attention particulière en matière de coronavirus.
Munie d’un gouverneur, Ron DeSantis, qui figure parmi les proches de Trump, elle ne possède pas les mêmes caractéristiques démographiques et sociales que les Etats du Sud mentionnés plus haut. Peuplée notamment de plusieurs millions de retraité.e.s venu.e.s profiter du soleil, elle ne connaît pas de carnaval, contrairement à la Nouvelle-Orléans, mais la tradition du spring break s’y est bien installée : pendant les vacances de printemps, les étudiant.e.s y affluent pour boire et danser sur des plages bondées. Cette année, même chose, sans que DeSantis ne s’en émeuve ! Certaines plages ont certes été fermées, mais par les autorités de 30 comtés situés sur le littoral.
DeSantis a été très critiqué pour avoir tardé à prendre des mesures de protection, ce qui ne l’a pas empêché de déconfiner assez vite, avec toutefois quelques restrictions pour les restaurants, rouverts seulement au quart de leur capacité, et pour certains comtés parmi les plus touchés par l’épidémie, comme Miami-Dade ou Palm Beach, qui ont vu des mesures de confinement en place plus longtemps [41]. Ces choix ont conduit aux brillants résultats sanitaires que l’on constate à fin juillet : une envolée des contaminations (environ 520 000) et quelques 8 000 décès dus au Covid-19.
Dans cet État d’habitude républicain, DeSantis fait partie des gouverneur.e.s dont la popularité a le plus chuté ces derniers mois (avec 49% d’insatisfait.e.s de sa gestion, contre 45% satisfait.e.s, au lieu de 62% il y a un an), et son attitude calamiteuse face au coronavirus y est pour beaucoup[42]. Une action en justice avait été lancée contre lui en mai, pour le forcer à fermer toutes les plages de l’Etat. Il est également poursuivi par des enseignant.e.s pour son plan de réouverture des établissements scolaires. En juillet, la victoire de Trump en novembre ne semble plus du tout assurée en Floride.
Le phénomène de désaffection des gouverneur.e.s républicain.e.s particulièrement négligent.e.s et irresponsables dans leur gestion du coronavirus ne concerne d’ailleurs pas que la Floride. Il concerne aussi l’Arizona, la Géorgie et le Texas, où les sondages indiquent des taux de désaveu des gouverneur.e.s supérieurs à 55%. On saisit d’emblée que ces phénomènes sont inquiétants pour Trump, car ils affaiblissent grandement ses chances de réélection.
Au Texas, l’impact du coronavirus a été faible au début de la pandémie, comme on le voit sur les deux courbes ci-dessous. C’est à partir du mois de juin que les choses deviennent sérieuses, d’abord du point de vue du nombre des nouvelles contaminations, puis, dans une moindre mesure, avec le nombre de décès, qui devient très préoccupant surtout en juillet. Mais l’ambiance politique assez particulière qui règne dans cet Etat y joue un rôle important.
Début mai, le gouverneur du Texas, Greg Abbott reçoit, ainsi que d’autres « bons élèves » républicains, les félicitations de Trump. Pourquoi ? Il va vite pour déconfiner : il a rouvert les magasins et les restaurants depuis le 1er mai, même si c’est en limitant leur capacité. Toutefois, cette levée des restrictions sanitaires au Texas est alors considérée comme prématurée par de nombreux/ses expert.e.s médicaux/ales, notamment en raison du manque de tests fiables, un point pourtant considéré comme un critère de reprise des activités dans le plan « rouvrir l’Amérique » présenté par la Maison-Blanche[43]. Mais l’affaire est très politique et a commencé plus tôt.
Un article du Monde Diplomatique nous en raconte davantage sur les dessous du confinement et du déconfinement texans[44]. Le 6 mars, Stephen Adler, le maire démocrate d’Austin, capitale de cet Etat, décrète l’état d’urgence municipal et annule un festival international. Cet État, on le sait, ne manque pas de fascistes et de trumpistes véhéments, et dès le lendemain, le parti républicain du Texas utilise une église évangélique d’Austin pour lancer la contre-attaque[45]. En quelques semaines, les effets économiques de la pandémie ont changé la donne, et aident les réactionnaires à prendre temporairement le dessus : près de deux millions de Texan.e.s ont perdu leur job, et cette question semble plus sérieuse à beaucoup que le coronavirus qui, au 1er mai, n’avait pas encore frappé durement le Texas. Pourtant, à cette date, les conditions édictées par le plan présenté par Trump lui-même n’étaient pas réunies : on ne constatait pas un minimum de 14 jours consécutifs de baisse des contaminations, mais au contraire, une remontée de celles-ci[46]. Dans ce contexte, les réacs pro-Trump, galvanisé.e.s par les appels présidentiels à « libérer les Etats », entreprennent d’agir… à leur manière. Une centaine de manifestant.e.s (des « libertarien.ne.s », des militant.e.s nationalistes et des activistes anti-vaccination) se réunit devant le capitole d’Austin le 18 avril. Des patrons de bar ou de salon de tatouage ont aussi recours à des gros bras qui campent, armés, devant leur établissement, afin de braver les restrictions[47] voulues par le maire.
Le même article du « Diplo » raconte aussi une anecdote hautement significative sur l’ambiance très particulière qui prévaut dans cet État : selon un armurier d’Austin, « depuis 1871, il est tout à fait légal, au Texas, de marcher dans la rue sans permis avec une arme longue ». Face à un policier venu pour fermer son armurerie suite à une plainte, cet individu invoque le tristement célèbre deuxième amendement américain (le droit de porter une arme), et précise sa pensée : « en temps de crise, avec le risque d’émeutes, les Texans ont le droit de se protéger ». Un point de vue confirmé par le procureur général du Texas, qui a permis à cet armurier de rester ouvert pendant toute l’épidémie, et d’enregistrer un nombre record de nouveaux clients[48]. Les armes : une production « essentielle » au Texas !
Soutenue par le même armurier, une coiffeuse d’Austin est devenue célèbre dans tous les Etats-Unis, en luttant pour garder ouvert son salon, défiant les autorités, bravant les amendes et la prison, et ne lésinant pas sur le battage médiatique, y compris face au Tribunal de Dallas. L’armurier dévoile abruptement des mécanismes politico-idéologiques qui prévalent dans cet Etat : « la dernière chose que veulent les politiciens texans, c’est d’envoyer une femme blanche et blonde en prison »[49]. C’est ce qui a conduit presque tou.te.s les élu.e.s républicain.e.s à se rallier à la cause de cette coiffeuse, piétinant aussi le décret édicté par le gouverneur républicain lui-même. Trump en a rajouté une louche, rendant hommage au combat de cette femme. Greg Abbott, en visite à Washington le 7 mai, en a discuté avec le président, et a modifié son décret. La cour suprême du Texas a annulé la sentence contre la coiffeuse, et c’en était alors fini du confinement dans tout cet Etat. Moralité : au Texas, des hommes armés persuadés de représenter « la vraie Amérique », comme disent Trump et sa bande, peuvent violer la loi et faire reculer à la fois un gouverneur et la justice !
Une information permet de comprendre que la pression matérielle joue un rôle dans cette mobilisation « citoyenne » d’un genre assez spécial contre les mesures de confinement. Le Texas est l’État américain en tête de l’Union pour le nombre de citoyens ne bénéficiant pas d’une assurance-maladie[50]. Comme, de plus, cette couverture est souvent fournie par l’employeur, la poussée historique du chômage fait nécessairement des ravages supplémentaires à ce niveau. Mais au-delà de ces circonstances matérielles dramatiques, un reportage de PBS le 4 juillet nous montre des trumpistes texan.e.s fanatiques, qui assistent, sans masque et sans distanciation sociale, à un rodéo à Giddings (5 000 habitant.e.s). On en apprend sur la conception de la « liberté » qui prévaut parmi cette catégorie d’individus. Un spectateur d’une soixantaine d’année au chapeau de cowboy voit les choses ainsi : « Je suis américain et j’estime que je dois pouvoir faire ce que je veux. Je paie mes impôts, je vis libre et je veux être libre »[51]. Une spectatrice déclare de son côté, à propos du port du masque : «C’est contre nos droits constitutionnels. Le gouvernement ne devrait pas pouvoir dicter ce que je porte»[52]. L’individualisme forcené, le fanatisme religieux, et, bien sûr, l’exemple venu de la Maison Blanche font de gros dégâts au Texas… mais sans doute ailleurs aussi.
Néanmoins, les ravages de la pandémie et la gestion de celle-ci par les Républicains pourraient aussi poser des problèmes à Trump pour sa réélection.
Un impact différent selon les classes sociales et les origines ethniques
Comme l’écrit le New York Times, « on entend dire que le Covid-19 ne respecte ni races, ni classes sociales ni pays, qu’il ne fait pas de distinguo et touchera tous ceux qu’il peut. C’est vrai en théorie, mais en pratique, dans le monde réel, le nouveau coronavirus se comporte comme tous les autres et fonce en hurlant comme un missile thermoguidé sur les membres les plus vulnérables de la société »[53]. Cette inégalité concerne à la fois les classes sociales et les origines ethniques, ces deux domaines étant bien évidemment liés.
Les pauvres et les travailleurs en première ligne
L’historien Romain Huret explique que la mortalité due au Covid-19 vient s’ajouter et se combiner à un autre type de mortalité qui lui préexistait et allait en s’aggravant : celle d’une population d’âge moyen, pauvre et désespérée, qui s’autodétruisait par les opiacés et surtout les suicides. Il conclut : « Que l’on meurt du Covid-19 ou du désespoir, on meurt avant tout en fonction de son revenu mensuel aux Etats-Unis »[54]. Le coronavirus frappe plus les pauvres, tout en les rendant encore plus pauvres. Une partie de la population qui, avant le confinement, comptait sur les pourboires pour améliorer l’ordinaire, ne touchent plus ces derniers[55]. L’appauvrissement de la population déjà pauvre est frappant et transparaît notamment dans la situation des banques alimentaires et des cantines solidaires. Dès la fin mars, 92 % des banques alimentaires à l’échelle nationale notaient une fréquentation accrue, et certaines commençaient même à redouter une pénurie. Partout, les queues pour obtenir de la nourriture s’allongent – Le Monde évoque les cas de Pittsburgh, de la Floride, de San Antonio[56]… – et la situation des banques alimentaires se tend : alors que la demande explose, elles reçoivent moins de dons en nature des supermarchés, tandis que beaucoup d’associations peuvent compter sur moins de bénévoles – souvent des retraité.e.s – et constatent une augmentation de leurs frais[57]. Cette situation, en retour, n’est pas de nature à adoucir la vie des nécessiteux ! Et cela d’autant plus que fermer les écoles, c’est aussi fermer les cantines… alors que les gosses de pauvres ont faim !
Les populations infectées par le coronavirus appartiennent, plus que proportionnellement, aux milieux sociaux défavorisés : pauvres et salarié.e.s. Une première raison à cela n’a rien de particulièrement américain : les emplois qui ne peuvent pas être exercés en télétravail sont essentiellement exercés par des travailleurs/ses pauvres, des prolétaires, plus ou moins qualifié.e.s. C’est le cas pour une large part dans la santé, mais aussi dans les transports, dans l’industrie et dans de nombreux services… Comme ces métiers sont aussi les plus exposés à la contamination, il est logique que les pauvres et les salarié.e.s modestes soient plus touchés que les classes plus favorisées.
À cela s’ajoute un facteur plus particulièrement étatsunien : la précarité du salariat, et l’insuffisance des assurances sociales et de la couverture santé, qui poussent beaucoup de travailleurs/ses à travailler malades, et à limiter au maximum leurs dépenses de santé (visites médicales, achats de médicaments…). Environ 30 millions de personnes n’ont aucune d’assurance maladie aux Etats-Unis. C’est surtout vrai dans les classes populaires, notamment les migrant.e.s. Cela a mené à une baisse de l’espérance de vie depuis 4 ans. Pour beaucoup de salarié.e.s, les arrêts de travail pour maladie ne sont pas payés, et donc on entend des travailleurs/ses pauvres, comme cet emballeur d’UPS à Tucson (Arizona), déclarer : « Je continue à travailler alors que je suis malade, parce que j’ai peur de perdre mon emploi ou d’être sanctionné si je m’absente »[58].
Ajoutons un autre élément explicatif, sanitaire et social à la fois. L’impact du coronavirus sur la santé d’un individu dépend beaucoup de son état de santé préalable, en particulier des facteurs de risque. Or beaucoup de ces facteurs sont liés au mode de vie, différencié selon les classes sociales, et nettement en défaveur des pauvres et des classes laborieuses. Déjà facteur de surmortalité avec l’épidémie de H1N1 en 2009, l’obésité, souvent liée à d’autres pathologies, en particulier respiratoires et immunitaires, est un facteur de risque particulièrement préoccupant aux Etats-Unis : 39,8% de la population de ce pays est répertoriée comme obèse, et 31,8% en surpoids[59]. De plus, le traitement des patient.e.s obèses est plus délicat que la moyenne : il exige certains équipements (des lits particuliers, des conditions spécifiques de transport…) et des soins plus difficiles à réaliser (au niveau du diagnostic et du traitement, pour l’intubation)[60]. Or il est bien connu que l’obésité est inversement corrélée au niveau de revenu. En particulier, la malbouffe, à l’origine notamment de l’obésité, touche proportionnellement beaucoup plus les populations économiquement défavorisées que les personnes aisées. Il y a donc là un facteur additionnel qui conduit à la mortalité plus élevée du Covid-19 parmi les classes défavorisées.
Un impact différent selon les origines ethniques : Noirs et Latinos payent le plus lourd tribut
La pandémie n’est pas allée sans attiser les réflexes de haine raciste épidermique chez certaines personnes. En début d’épidémie, on a constaté une recrudescence de racisme à l’encontre de la communauté asiatique : des agressions verbales et physiques, des crachats au visage notamment. Avec un président qui pendant plusieurs semaines s’est acharné à parler de « virus chinois », ce n’est guère étonnant. Mais Trump n’a rien entrepris pour s’excuser ou calmer le jeu. Certain.e.s animateurs/rices de cette communauté parlent d’un retour en arrière après un début d’intégration[61].
Mais il y a aussi les inégalités raciales devant le coronavirus : celles-ci sont maintenant assez bien connues. En Louisiane, évoquée plus haut (4,7 millions d’habitant.e.s, dont 32% de Noir.e.s), dès le début avril, on a constaté que les Afro-Américain.e.s représentaient 70% des décès du Covid-19[62]. Cette triste réalité est vraie ailleurs. Dans le Michigan (où se trouve Detroit, cœur de l’industrie automobile aux États-Unis), les Noir.e.s (14% de la population de l’Etat) représentent 41% des décès et 33% des cas diagnostiqués[63]. Dans l’Illinois, les Noir.e.s forment 14% de la population mais 42 % des décès dus à l’épidémie[64]. Les Noir.e.s sont moins d’un tiers de la population de Chicago, mais les morts du Covid-19 y sont noires à 72%[65]. La disproportion la plus monstrueuse rencontrée dans cette étude est celle-ci : au 3 avril, « les Noirs représentaient 81% des décès dans le comté de Milwaukee, dans le Wisconsin, alors qu’ils ne constituent que 26% de la population de ce comté » [66]. Le 8 avril, les premiers résultats nationaux sur cette question ont été publiés, révélant que les Afro-Américain.e.s représentent 13% de la population, mais 33% des hospitalisations liées au Covid-19, tandis que pour les Blanc.he.s, les chiffres sont respectivement de 64% et 45%[67]. Au point que même Donald Trump n’a pas pu éviter de s’en alarmer officiellement, déclarant : « C’est disproportionné, ils sont très durement touchés »[68], et précisant : « Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour relever ce défi, c’est un énorme défi, c’est terrible, pour fournir un soutien aux citoyens afro-américains de ce pays qui sont particulièrement touchés »[69].
Fin mai, alors que l’épidémie avait déjà causé plus de 105 000 morts aux Etats-Unis, les disparités raciales en matière de santé dans l’ensemble du pays étaient mises en lumière par une étude du groupe APM Research Lab, qui révélait un taux de mortalité au Covid-19 au sein de la communauté noire environ deux fois et demie supérieur à toutes les autres. À ce stade de la pandémie, l’étude révèle que les 13% de la population étatsunienne constitués d’Afro-Américain.e.s comptent pour 25% des décès. Cette surmortalité ne surprend pas les expert.e.s, qui y voient le résultat de plusieurs facteurs : les comorbidités ; la proportion élevée de Noir.e.s vivant dans des quartiers où l’accès aux soins est insuffisant ; le manque de couverture santé[70]. Ces éléments méritent d’être développés.
Les Noir.e.s américain.e.s sont plus touché.e.s que d’autres salarié.e.s, parce que, plus que d’autres, ce sont des « petites mains », obligées de se rendre au travail : le télétravail est impossible si on est caissier.e, chauffeur.e-livreur/se, agent.e d’entretien. Et si l’employeur ne fournit pas les protections indispensables, ce qui est arrivé très fréquemment, on s’infecte d’autant plus facilement. Fin mars, un rapport de l’Economic Policy Institute notait : « moins d’un travailleur noir sur cinq et environ un travailleur hispanique sur six sont en mesure de travailler à leur domicile »[71], et précisait : « Seulement 9,2 % des personnes faisant partie du quart inférieur de l’échelle des rémunérations peuvent travailler à distance, contre 61,5 % des personnes appartenant au quart le plus élevé »[72].
De plus, comme les Afro-américain.e.s sont, plus que d’autres, touché.e.s par les maladies de pauvres qui en font des « sujets à risque » pour le Covid-19 (obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires), le coronavirus les tue plus que la moyenne. Cette triste réalité est largement reconnue. Elle l’était notamment lors d’un briefing officiel par Anthony Fauci le 8 avril, en ces termes : « Nous avons un problème particulièrement difficile d’exacerbation d’une disparité en matière de santé (…) Nous savons, littéralement depuis toujours, que des maladies comme le diabète, l’hypertension, l’obésité et l’asthme affectent de manière disproportionnée les populations minoritaires, en particulier les Afro-américains »[73], et ajoutant : « Malheureusement, quand vous regardez les antécédents de santé qui conduisent à un mauvais résultat avec le coronavirus, ce qui mène les gens dans les unités de soins intensifs, ce qui nécessite une intubation et conduit souvent à la mort, ce ne sont que ces mêmes comorbidités, qui, malheureusement, sont disproportionnellement répandues dans la population afro-américaine »[74].
La surmortalité des Noir.e.s est aggravée par le fait qu’ils et elles sont en outre plus nombreux/ses (proportionnellement) à ne bénéficier d’aucune couverture santé, ce qui en fait davantage des patient.e.s de maladies chroniques, tout en les empêchant d’avoir accès aux soins lorsqu’ils ou elles sont infecté.e.s par le Covid-19. « Business Insider (27 mars) estime à 73 000 dollars le coût d’une prise en charge d’un patient atteint par le virus, à sa charge s’il n’est pas assuré. Cela représente près de deux ans du salaire médian des Noirs aux États-Unis »[75]. La question de l’accès aux soins est donc cruciale. Or la proportion de Noir.e.s sans aucune couverture santé avait diminué de 18,9% en 2013 à 10,7% en 2017 mais, selon la NAACP, elle a remonté à 11,5% en 2018[76].
Les statistiques sanitaires par origine ethnique sont difficiles à obtenir mais le New York Times a pu obtenir un état des lieux avec des chiffres globaux qui indiquent que jusqu’au summer surge (la recrudescence estivale actuelle), les Noir.e.s et les Latinos avaient trois fois plus de risques de contracter le virus que les Blanc.he.s, et deux fois plus d’en mourir[77]. De plus, parmi toutes les causes d’inégalités de contamination, il semblerait que pour les expert.e.s, ce qui pèse le plus lourd, plus que la question des comorbidités plus fréquentes parmi les populations afro-américaines et latinos, c’est le statut économique. Autrement dit, les minorités ethniques – Noir.e.s, Latinos, et « autres personnes de couleur », comme les désigne la nomenclature officielle, attrapent plus le Covid-19 que la population blanche, avant tout parce qu’ils et elles forment un part décisive des travailleurs/ses « essentiel.le.s », comme dans les services de nettoyage, les transports ou l’alimentation[78].
Ajoutons encore à cela que le coronavirus sévit dans les prisons, avec notamment 500 cas identifiés début avril dans la prison du comté de Cook, à Chicago, tandis que le New York Times du 13 avril signalait 541 cas reconnus dans les prisons fédérales[79]. Or c’est une réalité bien connue que les Noir.e.s sont surreprésenté.e.s dans les prisons des Etats-Unis. Il n’est pas étonnant qu’il y ait eu de sérieux incidents à la prison fédérale d’Oakdale, en Louisiane. Un détenu y déclarait auprès de l’ACLU (Union américaine pour les libertés civiles) : « On est toujours entassés comme des sardines alors que certains toussent toute la nuit »[80]. Au 8 avril, sur les 1 600 détenus, 7 étaient décédés du Covid-19, et cela débouchait sur un violent affrontement entre surveillants et prisonniers[81]. Mais cet accrochage est loin d’être le seul, dans des prisons globalement surpeuplées, tout particulièrement dans cet Etat de Louisiane qui, selon Le Figaro, compte le plus fort taux d’incarcération au monde[82].
L’inégalité entre communautés apparait aussi en matière d’emploi, lorsque le déconfinement allège en partie le fardeau du chômage. Ainsi, le taux de chômage en mai est différencié selon les catégories de travailleurs/ses : en baisse chez les hommes et femmes adultes et chez les Blanc.he.s, en légère baisse chez les Hispaniques et les Latino-Américain.e.s, mais pratiquement inchangé chez les Afro-Américain.e.s (16,8%)[83]. En juin la reprise partielle de l’emploi se poursuit, mais elle reste très inégale selon les origines ethniques : les Blanc.he.s profitent le plus de la reprise partielle (avec un taux de chômage de 10,1% contre 3,1% en février), tandis que le taux est de 15,4% pour les Afro-Américain.e.s, contre 5,8% en février. Chez les Latinos, la situation est aussi très dégradée : 14,5% de chômage contre 4,4% en février. Ces dernier.e.s sont très frappé.e.s par la crise, notamment parce qu’ils et elles occupent de nombreux emplois dans la restauration et le BTP[84].
La population amérindienne, très durement touchée elle aussi
Aux confins de l’Utah, du Nevada et de l’Arizona, la nation navajo a beau occuper une des régions les moins peuplées des Etats-Unis, elle est rudement frappée par la pandémie. Au 22 avril, on comptait 1 360 personnes contaminées pour 156 000 habitant.e.s, à l’époque le troisième taux de contamination le plus élevé aux Etats-Unis après les Etats de New York et du New Jersey[85]. Quelques semaines plus tard, la nation navajo était passée devant ces deux Etats, et possédait le plus fort taux d’infection du pays, avec 4 840 cas positifs et 158 décès[86]. Dans cette réserve, le moins qu’on puisse dire est que beaucoup de choses manquent pour lutter efficacement contre l’épidémie. C’est d’abord un désert médical : une douzaine de centres médicaux manquant d’équipements sur tout le territoire, d’une taille comparable à l’Irlande. Une femme navajo en témoigne douloureusement : « Un de mes amis atteint du coronavirus est mort. Lorsque son état s’est aggravé, ses proches n’ont pas réussi à l’amener à temps à l’hôpital »[87]. Avec son habitat dispersé, la réserve est de manière plus générale sous-équipée et des besoins de base n’y sont pas couverts. 15 000 habitant.e.s sont sans électricité. Entre un tiers[88] et 40%[89] des foyers n’ont pas d’eau courante : comment, alors, se laver les mains régulièrement ? S’ajoute à cela le mode de vie traditionnel des Amérindien.ne.s, qui font cohabiter plusieurs générations, mais cela est aggravé par la pénurie de logements[90]. Les Navajo, et les Amérindien.ne.s en général, souffrent aussi des comorbidités évoquées plus haut : maladies cardio-vasculaires, obésité, diabète[91]. Pour ce qui est de l’enseignement à distance, les Navajo repasseront ! 60% des foyers n’ont pas de connexion internet. Seule la partie de la réserve située sur dans l’Utah a vu une solution partielle à ce problème, cet État équipant des parkings de lycées de quelque 200 hotspots WiFi[92].
À cette situation sanitaire et aux conditions qui y président, s’ajoute un contexte économique dramatique : la nation navajo – ainsi que d’autres nations amérindiennes – a perdu ses principales sources de revenus : le flux des touristes, disparu ; et les activités de casino, fermées pour causes de mesures sanitaires. La nation navajo ne semble pas compter sur le gouvernement fédéral, mais elle reçoit de l’aide d’ONG, comme MSF, qui y a envoyé une équipe de sept personnes soignantes, distribue des kits comprenant de l’eau, des masques et du gel hydroalcoolique, et propose aussi des formations aux équipes de santé sur place[93].
Les Navajo ne sont pas les seul.e.s Amérindien.ne.s touché.e.s par le Covid-19. Vers la fin mai, on notait que des tribus comme les Apaches (en Arizona), les Cherokees (en Oklahoma), ou les Pueblos (au Nouveau-Mexique) connaissaient également une contamination[94]. Vers la mi-juillet, le nombre de tribus amérindiennes touchées avait largement augmenté, selon le New York Times, qui propose la carte ci-dessous, mentionnant en jaune les comtés où vivaient d’importantes populations amérindiennes, et connaissant des taux de contamination supérieurs à 1 500 cas pour 100 000 résident.e.s[95].
Les Amérindien.ne.s ne font pas confiance à Trump. Ils et elles ont toutes les raisons pour cela. Avant même de siéger au Bureau Ovale, il affichait un mépris total pour ces populations, et notamment pour leur souci de préserver leur environnement, souvent détruit par des projets de ses amis pétroliers. L’initiative présidentielle pour le 4 juillet au mont Rushmore, dans la plus pure veine du colonialisme blanc, méprisante pour la population amérindienne (et aussi pour les consignes sanitaires face au coronavirus), est venue confirmer que ce président n’a que faire de ces populations, de leurs droits, de leur histoire, de leurs symboles. Et son arrogance n’a pas manqué de déchainer la colère des tribus Sioux locales, qui contrairement à Trump, considèrent le mémorial du mont Rushmore (représentant dans la roche les visages de quatre présidents américains), dans les Colines Noires (Dakota du Sud), non pas comme un Sanctuaire de la démocratie, mais comme un sanctuaire de l’hypocrisie[96]. En quelques mots, il faut savoir que ces terres avaient été reconnues comme appartenant aux Sioux Lakotas lors d’un traité signé en 1868, mais après la ruée vers l’or de 1874, cela a été oublié, et depuis lors, les autorités étatsuniennes ont toujours refusé d’appliquer le traité et de rendre ces terres à leurs occupant.e.s d’origine[97]. Trump n’en a que faire, bien sûr ! Il n’hésite pas à insulter ces populations, et ce au moment où elles paient un très lourd tribut au coronavirus que sa politique a laissé proliférer dans tout le pays.
Premières grèves et luttes populaires face à la crise sanitaire et sociale
En pleine pandémie, des luttes dans les boîtes et les administrations
De manière générale, les luttes des travailleurs/ses dans la période qui commence avec le début de l’épidémie de coronavirus sont très axées sur l’obtention de mesures pour travailler dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Aux Etats-Unis comme ailleurs, dans le secteur public comme dans les entreprises privées, le mépris de nombreux patrons pour la santé et même la vie de leurs salarié.e.s est manifeste. Souvent il faut lutter dur pour obtenir le minimum. Souvent aussi, les salarié.e.s mobilisé.e.s font l’objet de répression. Les luttes sont souvent spontanées et se comptent en centaines, mais certaines sont organisées syndicalement. Elles sont souvent d’une ampleur assez modeste, mais d’autres le sont beaucoup moins. Un secteur est très visible dans ce contexte, celui de la santé et des personnels hospitaliers.
Dans la santé : protéger la santé des personnels soignants
Dans le secteur de la santé, on observe rapidement des déclarations de personnels mobilisés et de syndicats, des dépôts de plainte, mais très peu de grèves. Le plus souvent, les travailleurs/ses mobilisé.e.s entament des luttes pour obtenir des garanties en matière de sécurité, et des équipements de protection, alors que des directions d’hôpitaux n’en fournissent pas ou pas assez. La mobilisation prend souvent la forme de rassemblements de protestation bruyants et de pancartes qui s’agitent devant les hôpitaux, pour réclamer des masques, des gants, des surblouses, des kits de test… « Le mercredi 1er avril et le jeudi 2 avril, le syndicat d’infirmiers NNU a ainsi organisé des manifestations dans quinze hôpitaux de six États. Il a déposé des plaintes contre plus de 125 hôpitaux auprès de l’administration de la santé au travail concernant le manque de matériel de protection »[98]. En début d’épidémie, un sondage est réalisé par ce syndicat national. Le 6 mars, on apprend que sur la base de « réponses récentes de plus de 6 500 infirmières dans 48 États (…) seulement 29% des infirmières ont déclaré que leur employeur avait mis en place un plan pour isoler un patient présentant une possible infection par Covid-19 »[99]. Un autre syndicat, le SEIU-UHW, dénonce aussi « la situation catastrophique dans les hôpitaux »[100] face au coronavirus.
Le 12 avril, « les syndicats d’infirmières et d’autres travailleurs de première ligne aux États-Unis expriment leur indignation face aux nouvelles directives des [CDC] qui permettent aux employés essentiels qui ont été exposés au nouveau coronavirus de retourner au travail plus rapidement »[101] dans des conditions dangereuses. A Providence (Rhode Island), « la direction de l’hôpital Providence Saint John’s Health Center a annoncé que les travailleurs de la santé de l’ensemble du système de Providence recevront des masques respiratoires N95 à porter lorsqu’ils prendront soin de patients Covid-19 »[102]. C’est une victoire qui vient après qu’« au moins quinze infirmières ont refusé de prendre des affectations de patients à moins d’avoir reçu des masques N95 et dix de ces infirmières ont été suspendues et renvoyées chez elles. L’hôpital avait des masques N95 en sa possession, mais refusait de les fournir aux infirmières »[103]. Les personnels de santé payent parfois de leur vie l’incurie des de leurs patrons. A cette époque, au moins 84 infirmières membres du syndicat New York State Association (42 000 membres) « ont été hospitalisées avec le virus, et au moins six infirmières sont décédées »[104]. Un syndicat d’infirmières de l’Ohio dépose plainte en déclarant que « des milliers de travailleurs » ont été exposés au coronavirus[105].
Le 1er mai, le NNU appelle à manifester « devant 139 hôpitaux de 13 Etats. Le syndicat demande plus d’équipements de protection individuelle lorsque les infirmières traitent des patients atteints de Covid-19. Plus de 60 infirmières à travers le pays sont mortes du virus »[106]. Le 7 mai, des infirmièr.e.s du NNU organisent une initiative assez médiatisée : ils et elles se rassemblent devant la Maison Blanche et déposent 88 paires de chaussures de leurs collègues déjà décédé.e.s dans la lutte contre le Covid-19, du fait du manque de matériel de protection. Les noms de ces 88 victimes sont lus. Jean Ross, présidente du NNU, déclare : « Vous dites à quel point [notre travail] est essentiel, à quel point il est nécessaire, à quel point vous êtes reconnaissant, et pourtant vous nous jetez aux loups. Vous nous envoyez sur un champ de bataille sans armure et plus nous nous plaignons plus nous constatons que rien n’est fait »[107]. L’exigence s’adresse à Trump, qui a nié publiquement le manque d’équipements de protection dans le pays : qu’il invoque le Defense Production Act (DPA) afin d’ordonner la production de masques, de ventilateurs et de kits de test. On observe qu’il y a eu fourniture d’équipements supplémentaires aux personnels soignants après cette initiative, au niveau fédéral, à celui des Etats, et par les directions d’hôpitaux[108].
Un cas de grève est signalé : fin avril, dans l’Illinois, le syndicat SEIU Healthcare Illinois, lance une grève d’une semaine sur 40 établissements, surtout dans la région de Chicago. Selon ce syndicat, « les employés des installations n’ont pas reçu d’équipement de protection individuelle amélioré, ni d’EPI »… Les personnels exigent aussi des augmentations de salaires, au-dessus de 15 dollars de l’heure[109]. Dans un autre cas, la menace de grève suffit : le 8 mai, « les infirmières de l’État de l’Illinois crient victoire suite à la signature d’une nouvelle convention collective. Elles avaient menacé de faire grève ce vendredi ». L’accord prévoit notamment un salaire de base d’au moins 15 dollars par heure pour toutes les employées.
Dans le secteur des transports
Les personnels des transports sont très touchés par la pandémie. Le 6 mai, l’Amalgamated Transit Union (ATU), syndicat combatif qui revendique quelque 200 000 membres parmi les salarié.e.s des transports aux États-Unis et au Canada, annonce « qu’un millier d’entre eux ont été contaminés et qu’une quarantaine sont morts »[110].
Au niveau des transports urbains, on note des grèves des chauffeur.e.s de bus à Detroit (Michigan), Birmingham (Alabama), Richmond (Virginie) et Greensboro (Caroline du Nord)[111]. À Detroit, le 17 mars, la grève des chauffeur.e.s de bus ne dure même pas 24 heures et leur permet d’obtenir des mesures de protection : des équipements, mais aussi le fait que les passager.e.s entrent par l’arrière du véhicule[112].
Parmi les camionneurs/ses (teamsters) aussi, on note quelques mobilisations. À Memphis, le 31 mars, un entrepôt est touché par une grève sauvage de travailleurs/ses afro-américain.e.s, membre de la section locale 667 de Teamsters. À l’origine, un camionneur a été testé positif au coronavirus[113]. Le 19 avril, on apprend que le Teamsters for a Democratic Union « a obtenu que les salarié·es mis·es au chômage soient indemnisé·es à 100% pendant huit semaines par leur assurance TeamCare. Par ailleurs, 15 000 employé·es d’UPS ont signé une pétition et ont obtenu deux semaines d’arrêt-maladie pour les victimes du virus »[114].
Dans le domaine de l’alimentation
On voit se multiplier les appels à la grève et des débrayages dans l’ensemble de la « filière bouffe », un secteur « essentiel » comme ailleurs. Cela concerne à la fois la restauration rapide, les chaines de distribution alimentaire, et les industries de transformation alimentaire. L’ensemble de cette filière est indispensable au ravitaillement, et elle est de plus particulièrement exposée à la contamination au Covid-19. Le 2 avril, on note des appels à la grève dans le secteur de la distribution alimentaire chez McDonald’s, Family Dollar, Food Lion, Walmart, Amazon, Whole Foods, Instacart… Les travailleurs/ses « protestent contre les conditions de travail et réclament, entre autres, plus de masques et de désinfectant pour les mains, un revenu de remplacement garanti pour les malades, l’accès à la couverture de soins pour tous les statuts, des tests systématiques et la fermeture des établissements en cas de contamination »[115].
Dans le secteur de la transformation des aliments, les grèves sauvages se multiplient. Ainsi, fin mars en Géorgie, des travailleurs/ses non syndiqué.e.s du secteur de la volaille abandonnent leur poste de travail pour protester contre la dangerosité des conditions de travail. Début avril, on voit dans le Colorado une grève de quelque 1 000 travailleurs/ses immigré.e.s syndiqué.e.s UFCW (UFCW (Travailleurs/ses uni.e.s de l’alimentation et du commerce). Le 4 avril, dans l’usine de volaille Pilgrim’s Pride à Timberville en Virginie, des salarié.e.s abandonnent la chaîne de fabrication après qu’un collègue a été testé positif. À Chicago, des travailleurs/ses majoritairement latinos, membres de l’UFCW, fabriquant du flan et de la gélatine, déclenchent une grève chez Raymundo Food[116]. Nous avons évoqué plus haut le problème des contaminations dans les abattoirs et usines de viande, notamment chez Smithfield. Pour le secteur de l’alimentation, il faut aussi ajouter la grève de centaines d’emballeurs/ses de fruit à Washington, à la fois pour la sécurité au travail et pour leurs rémunérations[117].
Dans la restauration rapide également, les salarié.e.s refusent souvent de voir leur santé sacrifiée pour le profit des patrons. À Portland (Oregon), le 24 mars, ce sont tou.te.s les employé.e.s du Burgerville de la 92e Avenue qui déclenchent une journée de grève pour lutter contre les dangers de la contamination au travail et contre les réductions de personnel. Le syndicat des travailleurs/ses de Burgerville (BVWU) publie une liste d’exigences pendant cette pandémie[118]. En Californie, le 10 avril, une grève de la restauration rapide regroupe des centaines de travailleurs/ses d’une trentaine de restaurants, « pour exiger un équipement de protection individuelle et des congés de maladie payés »[119].
Amazon, géant mondial du profit, de la contamination et du mépris
Les performances d’Amazon en pleine pandémie et l’enrichissement ultra-rapide de son patron Jeff Bezos ont été relevés plus haut. Tout cela se fonde sur un mépris criminel des gens qui produisent cette richesse. À l’entrepôt d’Amazon dans le Queens, les employé.e.s sentaient venir la contamination. Ils et elles essaient de prévenir la direction, de se prémunir autant qu’il est possible de le faire. Puis un salarié est testé positif, et ledit entrepôt ferme temporairement. Comme les travailleurs/ses remarquent l’absence de politique sanitaire de l’entreprise et la contestent, un collectif militant Amazonians United se crée aux Etats-Unis et organise la liaison entre les salarié·e.s[120]. Les travailleurs/ses d’Amazon aux Etats-Unis se sentent souvent encouragé.e.s par ce qui se passe ailleurs dans le monde, où d’autres salarié.e.s d’Amazon entrent en bagarre contre la boite : en France, avec des grèves et une action judiciaire qui sera victorieuse ; en Italie, où une grève a lieu au centre logistique de Castel San Giovanni ; dans une moindre mesure aussi en Grande-Bretagne où la colère monte contre les longues heures de travail ; et en Pologne, où les syndicats OZZ-IP Amazon et Solidarnosc demandent un chômage partiel pour mettre à l’abri les salarié.e.s (mais là, la direction accepte la mise en place des arrêts de travail, mais sans aucune indemnisation)[121].
Des grèves éclatent chez Amazon le 21 avril, avec des centaines d’employé.e.s qui protestent contre des conditions de travail jugées dangereuses, exigeant une meilleure protection sur le lieu de travail contre la pandémie de coronavirus. La coalition Athena, un groupe d’organisations de défense des droits des travailleurs/ses, commente : « Pendant des semaines, les travailleurs d’Amazon ont tiré la sonnette d’alarme sur les conditions dangereuses dans les installations », et indique les 130 entrepôts où les travailleurs/ses ont contracté le Covid-19, certains « avec plus de 30 cas confirmés »[122]. Des grèves se déroulent dans les installations d’Amazon à Staten Island (New York), Chicago et Detroit[123]. Le 28 avril, une lutte a lieu contre la répression : une cinquantaine d’employé.e.s d’Amazon dans un centre de distribution de Shakopee (Minnesota) déclenchent une grève spontanée suite au licenciement d’une travailleuse restée à la maison pour protéger ses deux enfants du coronavirus, et ils et elles obtiennent la reprise de leur collègue licenciée quelques jours après.
Une grève des charpentiers, quelques débrayages et des menaces
Dans les autres branches de l’économie, on note encore une vraie grève, d’environ deux semaines, dans le secteur de la construction. Face au danger de contamination, une grève des charpentiers est lancée le 5 avril dans le Massachusetts par le North Atlantic States Regional Council of Carpenters (un des syndicats de la construction, qui représente à peu près 10 000 salarié.e.s dans cet État). La grève est massive[124] et dure jusqu’au 20 avril[125].
Parmi les enseignant.e.s, on peut mentionner le cas de New York. Vers la mi-mars, alors qu’il devenait évident que les écoles publiques devaient fermer pour raisons sanitaires, que le maire, Bill De Blasio, tergiversait et que le syndicat majoritaire, l’UFT (United Federation of Teachers) ne se battait pas à la hauteur nécessaire, des enseignant.e.s ont menacé de se mettre collectivement en arrêt maladie pour obliger la ville à fermer les écoles[126].
Dans l’automobile, on note des arrêts de travail sauvages les 17 et 18 mars chez Fiat-Chrysler à Sterling Heights dans le Michigan, après la mise en quarantaine de deux ouvriers atteints de coronavirus. À cette époque, Rory Gamble, président de l’UAW (United Auto Workers), explique que les dirigeants de ce syndicat de l’automobile ont « demandé un arrêt des opérations de deux semaines pour protéger nos membres », mais que les constructeurs automobiles « n’étaient pas disposés à donner suite à cette demande »[127]. Mais l’UAW ne se montre guère combatif et capitule quand les patrons décident de rouvrir les usines et de relancer la production, même en cas de danger de contamination. C’est le cas dès le 5 mai : malgré l’absence de garanties réelles de protection de la santé des travailleurs/ses, l’UAW reconnaît le pouvoir patronal de redémarrer la production à General Motors, Ford et Fiat-Chrysler[128].
De manière générale, on peut déplorer le caractère timoré du mouvement syndical, et on observe le poids écrasant d’une bureaucratie syndicale qui n’a rien fait, ou pas assez, pour obtenir par la lutte de vraies garanties de sécurité pour les travailleurs/ses, à part quelques exceptions comme l’ATU dans les transports et les charpentiers du Massachusetts.
À General Electric (GE), des exigences particulières
Cette entreprise mérite d’être signalée pour le combat spécifique mené par ses travailleurs/ses. Carl Kennebrew, président de l’International Union of Electrical Workers-Communications Workers of America (IUE-CWA) déclare : « les travailleurs ne protestent pas seulement pour de meilleurs salaires et conditions de travail. Certains demandent aux entreprises de mieux utiliser leurs ressources pour soutenir l’effort national de lutte contre la pandémie. Les travailleurs de deux usines de GE souhaitent que l’entreprise convertisse ses usines de moteurs à réaction pour fabriquer des ventilateurs, car les travailleurs médicaux font face à de graves pénuries. Cette exigence a été lancée dans les installations d’aviation de GE à Lynn, dans le Massachusetts, et à son siège de Boston, où les membres du syndicat de la division industrielle des travailleurs de la communication d’Amérique (IUE-CWA) ont protesté en se tenant debout ou en marchant à un mètre l’un de l’autre »[129]. Le 9 avril, on apprend que les travailleurs/ses de GE ont lancé une action en demandant que l’entreprise reconvertisse sa production en respirateurs pour les services de réanimation. Un piquet s’est rassemblé devant les portes du site de Lynn (Massachusetts), en respectant la « distance sociale de 2 mètres ». Au même moment, des syndicalistes de l’IUE-CWA défilaient devant le siège de la compagnie à Boston. Quelques jours auparavant, la direction avait annoncé le licenciement de 2 600 salarié·es de sa branche aéronautique et la mise au chômage partiel de 50% de l’effectif des services de maintenance. La nouvelle intervient alors que le Congrès s’apprête à voter le renflouement de l’industrie aéronautique[130]. De quoi être en colère !
Une autre lutte populaire : la grève des loyers
Un mouvement de grèves des loyers prend de l’ampleur pendant le confinement. C’est à New York qu’il trouve son origine, la ville américaine à la fois la plus touchée par le coronavirus et celle qui possède le plus d’appartements à louer : 2,2 millions. Or dès le mois d’avril, un tiers des locataires sont dans l’impossibilité de payer leur loyer[131]. Différents maillons forment une chaîne et s’organisent pour agir collectivement sur la question des loyers et obtenir du gouvernement fédéral qu’il annule les loyers et les remboursements d’emprunts tant que perdurera la situation sanitaire et ses conséquences économiques et sociales. C’est ainsi que naît le mouvement #CancelRent, autour duquel vont se retrouver des associations, des militant.e.s et responsables politiques et des locataires. Souvent, pour ces dernier.e.s, c’est une première lutte collective. Mais le mouvement est aussi encadré par des personnalités politiques, en particulier appartenant aux Democratic Socialists of America (DSA), comme Alexandria Ocasio-Cortez et Ilhan Omar, qui veulent articuler mobilisation populaire et action institutionnelle. En mai, le mouvement s’étend, et touche des locataires dans de nombreuses grandes villes. Un site internet offre des témoignages et permet de s’associer à une myriade d’actions décentralisées dans le pays[132]. En juin et juillet, on a le sentiment que l’aspect institutionnel et l’action législative a pris le dessus sur la mobilisation à la base.
[1] Le choix fait a été de ne pas accorder de place ici à des chefs d’Etat hauts en couleurs, parfois fortement toxiques localement, mais sans beaucoup de poids dans le monde actuel, et cela vaut aussi bien pour des « coronasceptiques » (par exemple le président biélorusse, Loukachenko, qui prodigue, face au Covid-19, le conseil suivant: « Buvez de la vodka, allez au sauna et travaillez dur » [https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-en-bielorussie-le-president-prone-vodka-hockey-et-tracteur-face-au-covid-19-6796334]), que pour d’autres qui vont en sens inverse (le président philippin Duterte, notamment, qui donne l’ordre de tuer les récalcitrants au confinement [https://www.france24.com/fr/20200402-coronavirus-le-pr%C3%A9sident-philippin-menace-de-faire-abattre-les-contrevenants-%C3%A0-l-ordre-de-confinement]).
[2] Le Monde (31 mars 2020) : « A l’heure du Covid-19, la Californie s’affirme comme un Etat-nation ».
[3] Libération (12 mai 2020) : « Le métro new-yorkais, reflet d’une ville à quai »
[4] Mediapart (10 avril 2020) : « New York a été dépossédé de sa joie de vivre ».
[5] Idem.
[6] Idem.
[7] Politis (23 avril 2020) : « A New York, le lourd tribut des plus pauvres ».
[8] Le Parisien (17 avril 2020) : « La fosse commune qui choque New York ».
[9] Le Figaro (13 avril 2020) : « New York débordée par l’épidémie ».
[10] Le Parisien (17 avril 2020) : « La fosse commune qui choque New York ».
[11] Mediapart (10 avril 2020) : « New York a été dépossédé de sa joie de vivre ».
[12] Courrier International (18 juin 2020) : « New York se relèvera-t-il de la pandémie ? (Financial Times, 26/5) ».
[13] Idem.
[14] https://www.cnewyork.net/2020/07/20/covid-19-new-york-phase-4-deconfinement/.
[15] Les Echos (18 mai 2020) : « New York s’organise pour vivre dans les marges autorisées ».
[16] https://www.cnewyork.net/2020/07/20/covid-19-new-york-phase-4-deconfinement/.
[17] Les Echos (18 mai 2020) : « New York s’organise pour vivre dans les marges autorisées ».
[18] https://www.cnewyork.net/2020/07/20/covid-19-new-york-phase-4-deconfinement/.
[19] Mediapart (10 avril 2020) : « New York a été dépossédé de sa joie de vivre ».
[20] Mediapart (10 avril 2020) : « New York a été dépossédé de sa joie de vivre ».
[21] Le Figaro (13 avril 2020) : « En Californie, la contagion marque le pas malgré le retour au ‘Far West’ ».
[22] Idem.
[23] Idem.
[24] Idem.
[25] Idem.
[26] Le Monde (18 mai 2020) : « La peur des déficits hante de nouveau la Californie ».
[27] Idem.
[28] Idem.
[29] Idem.
[30] Idem.
[31] Idem.
[32] https://www.mercurynews.com/2020/05/11/california-western-states-pact-call-on-feds-for-1-trillion-in-aid/.
[33] https://www.cnbc.com/2020/05/05/coronavirus-trump-says-blue-state-bailouts-unfair-to-republicans.html.
[34] Le Monde (10 juillet 2020) : « Les Etats-Unis, débordés mais dans le déni ».
[35] Idem.
[36] Mediapart (10 avril 2020) : « Dans le sud des Etats-Unis, le virus commence ses ravages ».
[37] Idem.
[38] Idem.
[39] Idem.
[40] Le Figaro (4 mai 2020) : « L’Amérique se déconfine en ordre dispersé ».
[41] Idem.
[42] https://eu.usatoday.com/story/news/politics/2020/07/31/covid-19-florida-gov-ron-desantis-popularity-polls-plummets/5559026002/.
[43] Le Figaro (4 mai 2020) : « L’Amérique se déconfine en ordre dispersé ».
[44] Le Monde Diplomatique (juin 2020) : « Le Texas en armes contre le confinement ».
[45] Idem.
[46] Idem.
[47] Idem.
[48] Idem.
[49] Idem.
[50] Idem.
[51] Le Monde (10 juillet 2020) : « Les Etats-Unis, débordés mais dans le déni ».
[52] Idem.
[53] Courrier International (16 avril 2020) : « États-Unis. Les Noirs en première ligne ». Article de Charles Blow, publié dans le New York Times le 5 avril.
[54] Libération – Idées (23 avril 2020). « Victimes d’avant et pendant la crise du Covid-19 ».
[55] Le Monde (14 mai 2020) : « Les banques alimentaires débordées aux Etats-Unis ».
[56] Idem.
[57] Courrier International (16 avril 2020) : « Dans tout le pays, banques alimentaires et cantines solidaires tournent à plein régime ».
[58] Lutte de classe : « Les Etats-Unis, de la crise sanitaire à l’effondrement économique ».
[59] Le Monde (8 avril 2020) : « L’obésité, facteur aggravant qui pourrait être dévastateur aux Etats-Unis ».
[60] Idem.
[61] Le Monde (10 avril 2020) : « La haine est un virus ».
[62] Le Figaro (13 avril 2020) : « En Louisiane, les Noirs principales victimes ».
[63] Informations Ouvrières (16 avril 2020) : « Coronavirus : l’urgence pour un système de soins universel ».
[64] Idem.
[65] Idem.
[66] Courrier International (16 avril 2020) : « États-Unis. Les Noirs en première ligne ». Article de Charles Blow, publié dans le New York Times le 5 avril.
[67] Le Monde (10 avril 2020) : « Le lourd tribut des Afro-Américains ».
[68] Idem.
[69] Idem.
[70] Libération (2 juin 2020) : « La fracture raciale, miroir des inégalités ».
[71] Courrier International (16 avril 2020) : « États-Unis. Les Noirs en première ligne ». Article de Charles Blow, publié dans le New York Times le 5 avril.
[72] Idem.
[73] Le Monde (10 avril 2020) : « Le lourd tribut des Afro-Américains ».
[74] Idem.
[75] Informations Ouvrières (16 avril 2020) : « Coronavirus : l’urgence pour un système de soins universel ».
[76] Idem.
[77] Le Monde (10 juillet 2020) : « Les Etats-Unis, débordés mais dans le déni ».
[78] Idem.
[79] Informations Ouvrières (16 avril 2020) : « Coronavirus : l’urgence pour un système de soins universel ».
[80] Le Figaro (8 mai 2020) : « Des prisons bondées sous haute tension en Louisiane ».
[81] Idem.
[82] Idem.
[83] Les Echos (5 juin 2020) : « Le reflux surprise du chômage offre un répit à Donald Trump ».
[84] Le Monde (4 juillet 2020) : « Les Etats-Unis créent 4,8 millions d’emplois en juin ».
[85] Le Monde (25 avril 2020) : « Les Navajo appellent à l’aide ».
[86] Mediapart (30 mai 2020) : « Aux Etats-Unis, les peuples autochtones paient un lourd tribut ».
[87] Idem.
[88] Le Monde (25 avril 2020) : « Les Navajo appellent à l’aide ».
[89] Mediapart (30 mai 2020) : « Aux Etats-Unis, les peuples autochtones paient un lourd tribut ».
[90] Le Monde (25 avril 2020) : « Les Navajo appellent à l’aide ».
[91] Idem.
[92] Idem.
[93] Mediapart (30 mai 2020) : « Aux Etats-Unis, les peuples autochtones paient un lourd tribut ».
[94] Idem.
[95] https://www.nytimes.com/2020/07/30/us/native-americans-coronavirus-data.html
[96] Libération (3 juillet 2020) : « Au mont Rushmore, visages pâles et sombre histoire ».
[97] Idem. Plus de détails historiques dans cet article de Libération.
[98] Informations Ouvrières N°599 (9 avril 2020) : « C’est juste le chaos ».
[99] Syllepse – « Un virus très politique – Ephéméride d’une pandémie ». Etats-Unis. 6 mars.
[100] Idem.
[101] Idem. 12 avril.
[102] Idem. 17 avril.
[103] Idem.
[104] Idem. 21 avril.
[105] Idem. 29 avril.
[106] Idem. 1er mai.
[107] https://edition.cnn.com/2020/05/07/politics/nurses-white-house-protest/index.html. Traduction de l’auteur.
[108] L’Anticapitaliste (21 mai 2020) : « Lutte de classe et protestation sociale face au coronavirus ».
[109] Syllepse – « Un virus très politique – Ephéméride d’une pandémie ». Etats-Unis. 1er mai.
[110] Idem. 6 mai
[111] L’Anticapitaliste (21 mai 2020) : « Lutte de classe et protestation sociale face au coronavirus ».
[112] Informations Ouvrières N°599 (9 avril 2020) : « C’est juste le chaos ».
[113] Syllepse – « Un virus très politique – Ephéméride d’une pandémie ». Etats-Unis. 31 mars.
[114] Idem. 19 avril.
[115] Idem. 2 avril.
[116] Idem. 4 avril.
[117] L’Anticapitaliste (21 mai 2020) : « Lutte de classe et protestation sociale face au coronavirus ».
[118] Syllepse – « Un virus très politique – Ephéméride d’une pandémie ». Etats-Unis. 24 mars.
[119] Idem. 10 avril.
[120] Idem. 19 mars.
[121] Idem.
[122] Idem. 21 avril.
[123] Idem. 28 avril.
[124] https://www.wbur.org/bostonomix/2020/04/06/massachusetts-carpenters-strike-over-coronavirus-concerns.
[125] https://www.bostonglobe.com/2020/04/20/business/carpenters-union-ends-walkout-over-coronavirus-safety/
[126] Cf. L’Anticapitaliste (21 mai 2020) : « Lutte de classe et protestation sociale face au coronavirus ».
[127] Syllepse – « Un virus très politique – Ephéméride d’une pandémie ». Etats-Unis. 18 mars.
[128] Cf. L’Anticapitaliste (21 mai 2020) : « Lutte de classe et protestation sociale face au coronavirus ».
[129] Syllepse – « Un virus très politique – Ephéméride d’une pandémie ». Etats-Unis. 6 avril.
[130] Idem. 9 avril.
[131] Selon L’Humanité (6 mai 2020) : « Aux Etats-Unis, la grève des loyers prend un tour politique ».