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Nouveau plan d’austérité (« Memorandum II ») en Grèce: attaques inouïes contre les travailleurs et semi-colonisation du pays
La situation financière et économique critique de la Grèce force la bourgeoisie à prendre des mesures d’austérité d’une ampleur et d’une brutalité inédites. Le plan imposé par l’UE, la BCE et le FMI implique la privatisation de l’essentiel des entreprises publiques, qui doivent être vendues pour une bouchée de pain aux capitaux étrangers par une structure placée sous le contrôle direct de l’UE signifie que la Grèce va devenir une semi-colonie de l’Allemagne, de la France et des États-Unis. Dans l’immédiat, le gouvernement Papandréou a finalement tenu bon dans une situation délicate. Cependant, non seulement il est fragilisé, mais l’ensemble des éléments pour une crise de régime s’accumulent.
Outre les mesures déjà adoptées l’année dernière (1), le plan comprend les décisions suivantes :
- 150 000 suppressions d’emplois dans la Fonction Publique sur 700 000, soit un cinquième des fonctionnaires, en ne remplaçant qu’un fonctionnaire sur cinq partant en retraite (selon Challenges) ;
- Baisse de 8% des salaires (selon la FAZ), les fonctionnaires restant en poste devront travailler plus pour le même salaire ou, inversement, se mettre à temps partiel (selon Challenges) ;
- La possibilité de licencier un fonctionnaire est introduite ;
- Durcissement des conditions d’accès aux allocations sociales et chômage ;
- Réduction supplémentaire de certaines pensions de retraites complémentaires ; le but est d’abaisser de 20% la masse salariale de la Fonction Publique (le coût total des salaires pour l’État).
- Le passage de produits autrefois soumis à une TVA réduite de 6,5% au panier des produits soumis à une TVA réduite de 13%, comme pour les médicaments et les journaux, et passage dans le paquet des produits soumis à la TVA normale de 23% de produits autrefois soumis à une TVA réduite de 13%, comme pour les produits alimentaires et les tarifs services publics (selon LO) ;
- Doublement des taxes sur le fuel de chauffage ;
- Abaissement de 12 000 euros à 8000 euros du seuil d’imposition des revenus ;
- Hausse de 300 euros des taxes imposés aux « travailleurs indépendants » : taxis, plombiers, avocats, etc.
- Vague de privatisations supposées rapporter 50 milliards d’euros : la compagnie publique de Telecom, la compagnie publique d’électricité, la compagnie publique de gaz, la compagnie des eaux d’Athènes et de Théssalonique, la Poste, les ports, les aéroports… (source : LO).
La vague sans précédent de privatisations dans un tel contexte va conduire à vendre l’essentiel des entreprises grecques aux capitaux étrangers (allemand, français, américain, etc.) à des prix bradés. L’Argentine a connu un phénomène analogue au cours des années 90. Si le processus aboutit, la Grèce sera devenue une semi-colonie, comparable à la Bulgarie ou la Hongrie. Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, a fait à ce sujet des déclarations brutales au magazine allemand Focus, rapporté par les Échos du 03/07 : « La souveraineté de la Grèce sera énormément restreinte, déclare-t-il (…) ajoutant que des équipes d'experts de toute la zone euro se rendraient en Grèce."Pour la vague de privatisations à venir, il leur (aux Grecs) faudra, par exemple, une solution qui se fonde sur le modèle de la "Treuhand" allemande", , faisant référence à l'organisme qui avait vendu 14.000 firmes est-allemandes de 1990 à 1994 ».
La mobilisation des masses
Si la bourgeoisie a dû faire un saut qualitatif dans la brutalité des mesures d’austérité et la violence de la répression policière, les travailleurs et les jeunes ont aussi fait un saut dans leur activité, en réalisant les grèves et manifestations plus imposantes depuis la chute de la dictature (5 juin, 15 juin, 28 et 29 juin en particulier), ainsi qu’en occupant massivement les places des villes. Une avant-garde significative est en train de se politiser, de s’organiser et de se radicaliser. L’évolution de l’état d’esprit des masses se manifeste aussi de façon déformée dans les sondages concernant d’éventuelles élections : le PASOK est en chute libre, crédité de 26% des intentions de vote (alors qu’il a obtenu 44% des voix aux élections législatives d’octobre 2009, mais déjà seulement 35% aux municipales de 2010) ; mais cela ne profite pas à la Nouvelle Démocratie, principal parti de droite, crédité de 32,5% des suffrages contre 33,5% obtenu en 2009 et 32,8% en 2010 ; en revanche, les forces situées à la gauche du PASOK sont annoncées en hausse, le KKE étant crédité de 11% des intentions de vote (contre 7,5% en 2009, mais déjà 10,5% en 2010) et Syriza, coalition de gauche antilibérale, de 9% (contre 4,5% en 2009 et 5% en 2010) ; l’extrême droite progresse aussi crédité de 7 ,5% (contre 5,6% en 2009 et 4% en 2010). En outre, 70% des Grecs déclarent ne faire confiance ni à un gouvernement du PASOK, ni à un gouvernement de la ND.
Certes, à ce stade, la bourgeoisie reste pour l’essentiel unie. Par delà les critiques de la droite contre le PASOK reprochant au plan Papandréou de ne pas réduire suffisamment les dépenses de l’État, la classe dominante grecque estime qu’il faut accepter les diktats des grandes puissances de l’UE. Pour le moment, l’énorme pression de l’UE, l’habileté politique de Papandréou et la collaboration des directions syndicales ont permis d’éviter l’ouverture d’une crise politique aiguë. Mais les conditions objectives pour une crise de régime s’accumulent En outre, de l’adoption du plan à sa mise en œuvre, il y a une différence, qui laisse de la place pour une importante lutte des classes, par exemple contre les privatisations.
Le chômage continue à grimper rapidement : selon les données officielles, il est passé de 14,2% au dernier trimestre 2010 à 15,9% au premier trimestre 2011 (source : le Nouvel Observateur du 16/06/2011, reprenant les informations de l’Autorité des statistiques grecques). Il n’était que de 7,5% en juin 2008 au début de la crise ; il avait déjà atteint 11% en janvier 2010. Dans le cas des jeunes de 15 à 29 ans, la progression est rapide : le chômage y est passé en un an (c’est-à-dire du premier trimestre 2010 au premier trimestre 2011) de 24,2% à 30,9%. Selon LO, les fameux jeunes révoltés à 700 euros de 2009 ne touchent plus aujourd’hui que 590 euros par mois environ. Environ 40% des Grecs ne payent plus leurs factures d’électricité, beaucoup ne paient plus les transports ni les péages…
Le mouvement des Aganaktismenoi
Cette nouvelle politique de la bourgeoisie a donné naissance au mouvement des Aganaktismenoi, lutte qui possède par son ampleur, sa durée et ses formes un caractère exceptionnel pour un pays de l’Union Européenne. Il présente des traits qui le rapprochent du phénomène des Assemblées Populaires apparues en Argentine en 2001, lorsque le pays s’était retrouvé en cessation de paiement, provoquant une énorme crise politique. Mais, dans l’état d’esprit des travailleurs et des jeunes, il trouve son modèle immédiat dans la mobilisation populaire de masses dans les pays arabes, en particulier l’Égypte, caractérisé par des concentrations sur les principales places du pays et des assemblées discutant de tous les thèmes politiques du moment. Si l’Espagne a été le premier pays de l’UE à connaître une mobilisation comparable, le mouvement des Aganaktismenoi a des caractéristiques spécifiques, qui le rapprochent plus réellement de celui des révolutions arabes.
Un mouvement d’une ampleur et d’une durée inédite
En Grèce, le mouvement a commencé le 25 mai avec l’occupation de la place Syntagma, devant le Parlement à Athènes, suite à un appel lancé sur des réseaux sociaux. Mais il s’est étendu dans les banlieues d’Athènes et a touché aussi les principales autres villes du pays, notamment Thessalonique. Depuis plus d’un mois, des milliers de personnes occupent de façon continue, en se relayant, jour et nuit, les places des centres villes du pays. Selon une enquête, 2,5 millions de personnes ont participé au moins une fois à ces manifestations sur une population de 10 millions. Pour comprendre l’ampleur du mouvement, il faut s’imaginer ce que signifierait une mobilisation d’une telle ampleur en France : la place de la Concorde occupée depuis un mois, fermée à toute circulation, les places des centres villes occupés depuis un mois et au total 15 millions de personnes ayant participé à un moment ou à un autre à ces mobilisations. Le 5 juin, une manifestation de masses a eu lieu sur la place Syntagma, regroupant selon les sources entre 50 000 et 500 000 personnes (2) Ils étaient moins nombreux le 14 juin, mais tout de même encore très nombreux, 200 000 selon les plus optimistes. Si comme en Espagne, le mouvement est marqué par la forte présence de la jeunesse , à la fois plus touchée par les conséquences de la crise, mais aussi plus prompte à se rebeller, et les chômeurs, qui ont plus de temps disponible, il touche toutes les catégories de la population laborieuse, travailleurs ayant un emploi ou privés d’emploi, stables ou précaires, retraités, etc.
Un mouvement qui se politise et se radicalise
Ce type de situation de crise tend inévitablement, au moins dans un premier temps, à produire un rejet « des politiques » en général. La gauche, qui à échelle de masses est identifiée avec les grands partis, dans ce cas le PASOK, est également rejetée. De même, cela s’accompagne de haine contre la bureaucratie syndicale, qui collabore avec le gouvernement. Tous ces traits avaient été particulièrement marquées en Argentine en 2001. À ce stade, cela donne un poids particulier à divers groupes anarchistes ou autonomes, très investis dans le mouvement d’occupation des places.
Cependant le mouvement se politise rapidement. Les manifestations élémentaires de haine contre le Parlement, les politiques, les bureaucrates syndicaux, se remplissent peu à peu d’un contenu politique, résumé dans les appels de la place Syntagma. C’est le fruit d’un long cycle préparatoire qui a commencé avec les grands luttes de 2008. Mais c’est surtout le résultat à la fois des nombreuses discussions inévitablement politiques menées sur les places pendant des semaines et des premières actions entreprises, qui ont confronté les manifestants, à travers la police anti-émeute, à la violence d’un gouvernement au service de la bourgeoisie. C’est l’illustration particulièrement concrète et frappante que la conscience de classe se forge dans la lutte de classes et que, dans les moments de crise, les exploités et les opprimés, longtemps passifs et soumis, peuvent faire des bonds dans leur conscience. Tous les soirs se tiennent des assemblées sur les places. Sur la place Syntagma, l’assemblée rassemble chaque soir à 21h plusieurs centaines de participants et quelques milliers d’auditeurs attentifs. Mais le phénomène s’est d’ores et déjà étendu aux quartiers ouvriers d’Athènes. La capacité des occupants de la place Syntagma à s’affronter victorieusement à la police pour maintenir l’occupation du lieu témoigne d’une maturation à l’échelle d’une avant-garde plus large que celle des petits groupes anarchistes et d’extrême gauche. L’aide des employés des hôtels et cafés environnant est aussi un symptôme clair de la profondeur de l’appui populaire à ceux qui sont à la pointe de la lutte contre le plan d’austérité.
Les journées de grève convoquées par les centrales syndicales
L’autre dimension, plus classique, de la mobilisation des masses, est la participation aux journées de grève et de manifestations appelés par les dirigeants des confédérations syndicales du privé (GSEE) et du public (ADEDY). Le niveau de participation varie. Très suivie le 15 juin, la journée de grève l’a été encore largement le 28 juin avec « 100 % dans les raffineries, les chantiers navals, les transports et les ports (…) ; dans les entreprises publiques, les banques, 80 % selon la Confédération GSEE » (Tout est à nous ! n° 110, du 07/07/2011), mais moins le 29 juin. Mais il faut mesurer le niveau de participation en le resituant dans le contexte créé par trois ans marquées par d’importantes mobilisations à intervalles rapprochées et par la politique de collaboration de classe des dirigeants syndicaux. En effet, depuis plus de trois ans, la bureaucratie « socialiste » du GSEE et d’ADEDY se borne à convoquer des grèves de 24h, alors même qu’elles sont de toute évidence impuissantes à faire céder le pouvoir. Dans ces conditions, une partie des travailleurs a le sentiment que la participation à ces grèves et aux manifestations est inutile et sans espoir. Vue sous cet angle, la participation à ces journées reste donc globalement élevée. Le pic atteint le 15 juin s’explique sans doute par la conjonction de l’annonce du nouveau plan d’austérité, par la dynamique nouvelle donnée à la résistance par le début du mouvement des places le 25 mai et par l’ampleur de la manifestation du 5 juin, qui a peut-être donné le sentiment aux masses qu’une victoire était possible. Inversement, la décrue de la mobilisation les 28 et 29 juin peut se comprendre à partir de l’impression des masses qu’il n’était plus possible de gagner après que Papandréou eut réussi à trouver une majorité pour faire approuver le Memorandum II et du refus extrêmement clair de la bureaucratie d’éviter tout affrontement avec le gouvernement et tout effort de jonction avec les Aganaktismenoi en choisissant de ne pas faire converger la manifestation syndicale vers la place Syntagma. Mais, d’une façon générale, le niveau de participation aux diverses formes de protestation et de luttes montre tout le potentiel que recèle le mouvement si une autre orientation politique parvient à s’imposer en ouvrant une perspective de victoire. Vu que les privatisations sont au centre du nouveau plan d’austérité, les travailleurs du public, plus syndiqués que ceux du privé, vont se trouver de fait au premier plan des luttes. D’ores et déjà, dans certaines entreprises, comme par exemple dans la compagnie grecque d’électricité, des grèves débordant le cadre fixé par les appareils ont eu lieu. Les mobilisations des travailleurs et celles des Aganaktismenoi suivent des chemins différents, mais tendent à confluer à la fois parce qu’elles ont de fait les mêmes objectifs politiques, parce qu’une partie des Aganaktismenoi sont des travailleurs ayant un emploi et parce qu’elles se rencontrent sur les places.
Malgré la mobilisation des masses, Papandréou fait approuver son plan d’austérité
Le gouvernement lui-même s’inquiète de la mobilisation de masses et de la poursuite de l’occupation des places. La bourgeoisie grecque est prise dans un étau : d’un côté, les bourgeoisies les plus puissantes de l’UE, à commencer par l’Allemagne et la France, soutenues par le FMI, exigent la vente du pays aux capitaux impérialistes ; de l’autre, la pression de la rue sur le pouvoir s’accroît de façon brutale. Papandréou a dû remanier son gouvernement et demander un vote de confiance pour réussir à discipliner le groupe parlementaire du PASOK, au sein de laquelle certains députés, sous la pression de la rue, menaçaient de ne pas voter la rigueur. Lors de la journée de grève générale du 28 juin, les forces de l’ordre ont fait tout leur possible pour essayer de chasser les manifestants de la place Syntagma. Ce type d’opération tentée par la police anti-émeute grecque sur ordre de Papandréou est tout à fait similaire à celui utilisé à plusieurs reprises par le régime de Bahreïn pour briser le mouvement de contestation du pouvoir en les chassant de la place centrale de Manama. C’est aussi ainsi qu’ont procédé les flics du « socialiste » Zapatero pour vider la Plaza Catalunya, à Barcelone. Mais la différence de taille, symptôme d’une autre situation, c’est qu’à Athènes l’opération a échoué. En effet, d’une part, malgré sa détermination à faire usage de la violence, la police étaient obligée de se limiter un peu pour ne pas prendre le risque de faire des victimes : le pouvoir se souvient que c’est l’assassinat d’un jeune par la police qui avait déclenché l’explosion sociale de décembre 2008. D’autre part, les occupants, malgré l’usage massif de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes, ont résisté avec le soutien de la population. Dans la nuit du 28 au 29 juin, Athènes a été le théâtre d’affrontements armés entre la police et plusieurs milliers de manifestants, qui ont parfois dressé des barricades (3).
Pourtant, malgré son ampleur, la mobilisation de masses n’a jusqu’à maintenant obtenu aucun succès. Papandréou a réussi à discipliner le groupe parlementaire du PASOK. « L’opposition » de droite a refusé de voter le plan, mais c’est parce qu’elle ne veut prendre aucune responsabilité dans un plan qui est largement impopulaire. Ses critiques formelles contre le plan d’austérité de Papandréou, c’est qu’il est trop doux dans les coupes budgétaires et les mesures de réforme du marché du travail encore trop timides. Cela confirme une fois de plus que, si la mobilisation des masses est la condition fondamentale de toute révolution véritable, elle n’est pas à elle seule suffisante. Pour faire mûrir la situation, il faut rompre avec la stratégie des chefs du GSEE et d’ADEDY, qui se bornent à des protestations platoniques contre le plan d’austérité et s’efforcent de protéger le gouvernement de Papandréou. Mais l’orientation des groupes anarchistes, très actifs dans le mouvement des places, qui séduisent une partie de la jeunesse et des précaires radicalisés par leur discours tranché contre les bureaucrates et le système, ne constituent pas une alternative pour les masses qui veulent en finir avec le plan d’austérité. En effet, ils ne proposent pas de stratégie concrète pour ouvrir la voie à la grève générale, ni d’axes revendicatifs vivants, ni d’efforts pour aller vers les entreprises. Or c’est la condition pour mobiliser le prolétariat, seul capable par sa lutte d’en finir avec le Memorandum II, le gouvernement Papandréou et d’ouvrir une situation où la question du pouvoir soit ouvertement posée. Au lieu de cela, ces groupes tendent à se concentrer sur quelques actions d’éclat isolées des masses et sur la tactique de guérilla urbaine contre les flics.
Quelle orientation et quelle activité politique ?
Pour vaincre le gouvernement et le plan d’austérité, le prolétariat et la jeunesse de Grèce ont besoin de formuler un programme politique ouvrant une issue à la crise. Cela ne peut être qu’un programme refusant purement et simplement le plan d’austérité, un programme contre tous ceux qui veulent faire payer la crise aux travailleurs et aux jeunes, un programme faisant voler en éclats le cadre même qui étrangle les travailleurs grecs. En un mot, cela ne peut être qu’un programme communiste et révolutionnaire. Mais tout la question est de savoir comment faire en sorte que les masses puissent s’approprier ce programme à partir de leur expérience vivante. Quels objectifs fixer au mouvement à cette étape ? Quels mots d’ordre mettre en avant ? Quelle activité déployer ? Il y a ici deux écueils symétriques à éviter. D’un côté, il faut rejeter fermement la tentation de se borner à formuler des mots d’ordre objectivement justes, mais qui ne soient pas connectés avec les problèmes politiques du moment et l’expérience des masses ; cela consisterait à avoir une démarche simplement propagandiste au milieu d’une crise politique majeure. De l’autre, il existe également la tentation de ne proposer aucun programme net et défini, sous prétexte précisément de chercher à rester en prise sur le mouvement réel des masses ; cela reviendrait à se dissoudre dans le mouvement et à renoncer à toute propagande.
À
bas le Memorandum II ! Grève générale jusqu’à
satisfaction !
Dehors
Papandréou, bourreau des travailleurs et de la jeunesse !
L’aspiration politique des masses aujourd’hui se concentre dans le rejet du plan d’austérité. Le premier axe d’intervention pour les communistes révolutionnaires consiste donc à lutter pour faire adopter à tous les niveaux dans les syndicats et les assemblées populaires le mot d’ordre de la lutte jusqu’au retrait du Memorandum II. Cela pose immédiatement le problème de savoir ce que serait un mouvement assez puissant pour empêcher l’application du plan aujourd’hui voté et comment construire un tel mouvement. L’expérience montre aux travailleurs qu’un ou deux jours de grève, même largement suivie, ne permet pas de faire céder le pouvoir. Pour cela, il faut une grève générale ininterrompue dans laquelle les travailleurs montrent qu’ils font tourner le pays et qu’ils ne sont plus d’accord pour se laisser plumer par les capitalistes. Mais comment y parvenir si les dirigeants des confédérations, amis de Papandréou, ne veulent pas y appeler ? D’un côté, le mouvement d’occupation des places, avec campement, discussion, AG est un point d’appui inestimable. Mais pour le renforcer, il faut proposer d’étendre et de structurer les assemblées à l’échelle des quartiers les coordonner entre elles et réunir périodiquement des assemblées de délégués de chacune au niveau du quartier et de la ville et du pays, car c’est la condition pour l’approfondissement de la discussion politique et pour d’une action plus efficace. Cependant, il n’est possible de réunir de nombreux travailleurs ayant un emploi comme privés d’emploi et les jeunes si on n’a pas d’objectif ni d’action à leur proposer. C’est pourquoi il faut soumettre aux assemblées, en s’appuyant sur les travailleurs présents sur les places, l’organisation de délégations massives dans les entreprises pour y inviter à la tenue d’assemblées générales, où les objectifs et les méthodes du mouvement pourraient être discutés et des résolutions adoptées, et pour y proposer de reprendre l’objectif du retrait du plan, la méthode de la grève générale indéfinie pour y parvenir et la lutte pour chasser Papandréou. Chaque succès en ce sens pourrait permettre de s’adresser à l’entreprise d’à côté. Au fur et à mesure, les assemblées de chaque entreprise devraient se coordonner en réunissant à intervalles périodiques des délégués à l’échelle appropriée. De l’autre, même si ce travail ne donnera peut-être pas immédiatement des résultats, il faut inviter les travailleurs à se syndiquer avec l’argument suivant : pour que GSEE et ADEDY cessent leur collaboration avec le gouvernement et fassent la politique que nous souhaitons, le plus simple est d’en prendre nous-même le contrôle, où nous syndiquant massivement, ce qui est possible vu l’élan en cours ; c’est comme cela que nous pourrons virer les bureaucrates qui dirigent les syndicats, les remplacer par des travailleurs du rang réellement représentatifs de la lutte et transformer les structures du syndicat pour les rendre démocratiques. Mais il est clair qu’il est impossible d’en finir réellement avec cette politique d’austérité sans en finir en même temps avec le gouvernement Papandréou soumis aux patrons. Ce mot d’ordre est central dans la situation. D’une part, il s’agit d’aider les masses à tirer les conclusions politiques de leur hostilité à la politique du PASOK qui se concentre dans la discussion pour savoir s’il faut essayer ou pas de faire tomber le gouvernement. D’autre part, si les masses parvenaient à renverser par leur propre mobilisation dans la rue le gouvernement issu des élections, cela leur ferait faire un pas de géant dans la conscience de leurs propres forces, bien plus que la meilleure propagande qui soit sur le sujet. En même temps, il faut se délimiter de la droite, ce qui implique de mettre en avant d’ores et déjà, même si cela reste propagandiste à ce stade, l’axe du gouvernement des travailleurs eux-mêmes.
Cependant, la tactique adoptée par les directions syndicales n’est pas le seul obstacle à la grève générale et à la chute du gouvernement Papandréou. Ce qui freine encore la mobilisation des masses, c’est que, malgré une immense colère contre ce plan d’austérité vécu comme injuste et insupportable, elles ne voient pas comment faire autrement. C’est pourquoi, selon les sondages, une majorité des Grecs, tout en exigeant une renégociation du plan avec l’UE, estime que, même en cas d’échec, il faudra appliquer le Memorandum II tel quel. C’est la raison pour laquelle les communistes révolutionnaires doivent dès maintenant populariser les grands axes d’une autre manière de résoudre la crise, qui ne consiste pas à la faire payer aux travailleurs.
Non au paiement de la dette ! Expropriation des banques sous contrôle des travailleurs ! Répartition du travail jusqu’à disparition du chômage ! Contrôle des travailleurs sur la production !
Cela implique en premier lieu le refus de payer la dette. Cela permet de récupérer immédiatement 13 milliards d’euros qui, sans cela, passent de la poche des travailleurs grecs dans les coffres des grandes banques. Il faut également arrêter la fuite des capitaux en mettant en place immédiatement un contrôle des changes. Il ne peut pas être réalisé par ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir ou qui y étaient hier et ont permis aux capitalistes grecs de retirer pendant cette seule année 2010 près de 60 milliards d’euros. De même, pour réorganiser et relancer l’économie que les capitalistes ont menée à la banqueroute, il faut leur arracher les institutions qui la financent, les banques. Bref, il faut exiger l’expropriation des banques sous contrôle des travailleurs. Enfin, la croissance importante de l’économie grecque a forcément permis aux capitalistes d’accumuler de juteux profits qui seront nécessaires pour relancer la production : cela suppose d’exiger l’ouverture des comptes des entreprises et de lutter pour leur expropriation sous contrôle des travailleurs.
Pour faire face au problème du chômage galopant, il faut exiger immédiatement la baisse du temps de travail sans baisse de salaire pour répartir entre tous les heures de travail jusqu’à disparition du chômage. Ce mot d’ordre est essentiel pour mobiliser les couches les plus écrasées du prolétariat que sont les chômeurs et les précaires aux côtés des travailleurs ayant un emploi stable. Il faut en effet éviter que ce soit l’extrême droite, particulièrement active, qui capitalise le mécontentement grandissant dans les couches les plus basses du prolétariat. Or, la réalisation de ce mot d’ordre n’est pas possible sans contrôle de la production et de la gestion des entreprises, donc de l’embauche, de fixation du temps de travail et de son organisation par les travailleurs eux-mêmes. Certes, l’expropriation des grandes entreprises sous contrôle des travailleurs n’est pas un mot d’ordre qui puisse à ce stade avoir une influence à échelle de masses, mais il faut déjà commencer à le lancer et faire en sa faveur une importante propagande pour que l’avant-garde se l’approprie.
En même temps, il faut concentrer l’agitation sur la réalisation du contrôle des travailleurs sur la production et la gestion dans toute entreprise prétendant licencier, à commencer par les entreprises publiques, où la mobilisation semble plus massive, à la fois en raison de traditions syndicales plus larges et des menaces imminentes de privatisation. Si l’on parvenait à faire réaliser ce mot d’ordre même dans une seule entreprise publique concernée, cela serait un formidable point d’appui pour donner à cet axe une influence sur les masses.
La mise en œuvre de cette politique révolutionnaire nécessite de sortir de l'euro et de l'UE capitaliste
La mise en œuvre de ces mesures conduit à une sortie immédiate de l’euro et de l’UE capitaliste. En effet, si un gouvernement des travailleurs parvenait au pouvoir en Grèce et voulait mettre en œuvre une telle politique, il aurait à faire face à l’opposition de tous les autres gouvernements de l’UE, dirigés quant à eux par la bourgeoisie. Ils pourraient par exemple priver de toute valeur les euros émis par la banque centrale de Grèce pour forcer celle-ci à sortir de l’euro. Contrairement à ce que veulent nous faire croire le Front de Gauche, l’UE ne peut pas être rendue « sociale », ni mise au service des travailleurs par une politique habile. En effet, elle est un ensemble d’institutions mise en place par les bourgeoisies les plus puissantes de l’UE pour essayer de renforcer leur position sur le marché mondiale et de fortifier la lutte contre le prolétariat. Accepter de rester dans ce cadre, c’est inévitablement renoncer aux mesures révolutionnaires (4), les seules à même de résoudre la crise d’une façon favorables aux travailleurs. En même temps, nous devons commencer à indiquer comment nous proposons de résoudre les principales difficultés auxquelles devrait faire face un gouvernement des travailleurs. Il faudrait notamment instaurer immédiatement le contrôle des flux de capitaux, mettre en place un monopole du commerce extérieur (contrôle des flux de marchandises) et une nouvelle monnaie nationale inconvertible. En même temps, nous devons dénoncer les charlatans bourgeois, qu’ils soient « de gauche » ou « d’extrême droite », qui cherchent à faire croire aux travailleurs que leurs difficultés serait dû aux méchants bureaucrates de Bruxelles, aux élites en dérive ou aux politiciens et qu’il suffirait de sortir de la méchante UE et de l’euro pour en sortir. Non, la crise économique mondiale vient du capitalisme (même si elle est aggravée, dans les pays périphériques de l'UE, par le cadre de la monnaie unique), les attaques terribles contre les travailleurs grecs sont bien mises en œuvre par la bourgeoisie grecque, par l’intermédiaire de ses représentants, PASOK et ND. Pour en sortir, il faut que les travailleurs prennent le pouvoir en Grèce, commencent à réorganiser l’économie en fonction des besoins sociaux et se battent pour l’extension de la révolution aux autres pays d’Europe, où le prolétariat subit une offensive comparable. Cela implique de joindre dès maintenant dans la propagande au mot d’ordre de gouvernement des travailleurs celui des États-Unis Socialiste d’Europe.
Le besoin d’un parti communiste et révolutionnaire
Il va de soi que les tâches mises à l’ordre du jour par la situation pourraient être accomplies mieux et avec plus de chances de succès s’il existait déjà un parti révolutionnaire et cela d’autant plus qu’il serait bien armé politiquement pour la situation, nombreux et implanté sur les lieux de travail, dans les quartiers populaires et la jeunesse. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Il existe d’assez nombreux groupes se revendiquant du trotskysme, mais comptant tout au plus quelques centaines de militants.
Face à cette difficulté, on peut suivre deux axes. D’une part, il faut ouvrir plus largement qu’en période politique calme les portes du parti aux travailleurs ayant un emploi et privés d’emploi et aux jeunes, bref s’efforcer de gagner rapidement au parti l’avant-garde de ceux qui luttent. Les possibilité sont considérables. Dans le même temps, il faut proposer aux autres organisations anticapitalistes de constituer un bloc pour l’intervention dans la lutte sur la base d’un programme et une orientation pratique répondant aux besoins du moment, clairement délimité des protestations réformistes impuissantes de Synapsimos et du sectarisme chauvin du KKE. Un tel cadre permettrait à la fois d’attirer plus facilement les masses entrées en mouvement que des petits groupes de quelques dizaines ou centaines de militants. En même temps, il permettrait une confrontation politique entre les différentes organisations, qui pourraient en même temps garder leurs propres organes d’expression. Il existe d’ores et déjà l’embryon d’un tel regroupement avec Antarsya. Nous ne pouvons pas dire si sa politique nous semble juste, vu que ses seules publications disponibles sur son site sont écrites exclusivement en grec. Mais en tous les cas il semble commencer à exercer une certaine attraction, reflétée dans un résultat faible dans l’absolu, mais en net progrès aux dernières élections municipales : après avoir recueilli 25 000 voix (0,36%) aux législatives d’octobre 2009, Antarsya a obtenu 97 000 voix aux élections municipales de novembre 2010 (1,8% des voix).
Ni la coalition réformiste SYRIZA, ni le KKE sectaire, passif et bureaucratique ne sont une alternative
Synapsismos, principale force de la coalition Syriza, tout en s’opposant au Mermorandum, défend une position réformiste au sujet de la dette, se prononçant pour « un contrôle direct et une renégociation de la dette souveraine », non pour le refus pur et simple de la payer. Concrètement, il demande l’ouverture des livres, l’annulation d’une partie de la dette et des taux d’intérêt plus bas pour la part restant à rembourser (5). De même, il demande la socialisation du système de crédit en soulignant que l’État grec a donné aux banques près de 100 milliards d’euros depuis le début de la crise, soit l’équivalent de la somme immédiatement nécessaire pour continuer à payer la dette. Mais il semble concevoir une telle « socialisation » dans un cadre bourgeois, puisqu’il ne défend pas la perspective d’un gouvernement des travailleurs. Dans l’immédiat, il ne critique pas l’orientation et la tactique mortifère des bureaucraties syndicales du GSEE et d’ADEDY et ne se bat pas pour en finir avec le gouvernement Papandréou.
Quant au KKE, il a certes raison de dire qu’on ne peut faire aucun compromis avec les mesures du gouvernement, de soutenir que la crise ne peut être résolue sans que les travailleurs ne prennent possession des banques et des monopoles et d’affirmer qu’on ne peut humaniser le capitalisme, mais il ne propose aucune orientation politique concrète aux travailleurs pour développer leur lutte. Il ne combat ni pour la grève générale jusqu’à satisfaction, ni pour la chute de Papandréou, n’interpelle pas les directions du GSEE et d’ADEDY et ne propose aucun mot d’ordre concret, liés aux problèmes immédiats posés par la situation (dette, chômage, etc). Pire, alors qu’il influence par l’intermédiaire de son front syndical, le PAME, un nombre significatif de prolétaires, il ne les appelle évidemment pas, selon sa tradition stalinienne, à l’auto-organisation, alors qu’un tel exemple donné dans plusieurs entreprises pourraient contribuer à créer un courant en ce sens dans tout le prolétariat. De même, il isole ceux qu’il influencent de la majorité qui restent dans le giron des dirigeants syndicaux du GSEE et d’ADEDY. Enfin, il ne propose aucune orientation pour opérer une jonction entre le mouvement des Indignés et celui des grèves appelées par les confédérations syndicales. Car, tout en se bornant à dénoncer sa supposée instrumentalisation par le pouvoir contre les grèves, il méprise assez clairement le mouvement des Indignés pour ne pas essayer de penser une politique qui intègre ce facteur essentiel à ce stade du développement de la lutte.
À la lueur de la situation grecque, on mesure mieux l’importance qu’il y a à regrouper les révolutionnaires avant l’arrivée d’une telle situation et à forger, sur la base de l’expérience pratique et de la discussion politique, un programme révolutionnaire à la hauteur de la situation et des militants capables de le mettre en œuvre. Bref, on mesure mieux de ce point de vue l’enjeu de la lutte politique en cours au sein du NPA pour regrouper et essayer de rendre majoritaires ceux qui aspirent à une orientation ouvertement communiste et révolutionnaire.
1) Cf. http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=178 — Il est étrangement difficile de trouver le détail des mesures adoptées dans la presse. Nous avons essayé ici de synthétiser les éléments divers trouvés dans les articles de Challenges, de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Lutte Ouvrière et Tout est à nous !
2) 50 000 selon la police, 100 000 selon le correspondant de RFI à Athènes, 200 000 selon la Gauche Ouvrière Internationaliste pour qui il s’agit de la plus importante manifestation depuis la chute de la dictature et 500 000 selon diverses organisations se revendiquant du trotskysme (section du CIO, groupe de la TMI, etc). En tout cas, comme on peut le voir par exemple sur cette vidéo, la place était noire de monde, ainsi que toutes les rues qui y conduisent.
3) Suite à l’échec de la méthode violente pour vider les places et liquider le mouvement des Aganaktismenoi, la mairie d’Athènes cherche à atteindre le même objectif par une autre voie. Elle met en avant le souci de faire venir le maximum de touristes et de les faire consommer le plus possible pour obtenir l’évacuation des places. Cette nouvelle offensive vise donc en outre à chercher un axe politique pour essayer de diviser le bloc qui s’est forgé dans la lutte entre les Indignés, d’une part, et les petits commerçants ou tout du moins leurs employés, d’autre part. En effet, ces derniers font une part substantielle de leur chiffre d’affaire grâce au tourisme et cela plus encore en période de crise et de baisse des salaires pour les travailleurs locaux. Il s’agit donc pour le pouvoir d’opposer la petite bourgeoisie et le salariat, ainsi que les travailleurs entre eux, en cherchant à créer une solidarité entre les employés des petits commerces et leur patron craignant la ruine.
4) C’est malheureusement la voie proposée par Cédric Durand, économiste de la droite du NPA (position B lors de la dernière Conférence nationale) dans une entrevue donnée à Mediapart, où il défend une autre solution capitaliste à la crise, axée sur la réforme de l’UE : « Quelles sont les alternatives à la sortie de l'euro? L"option actuelle: des plans d'austérité en cascade, sans aucune perspective d'en sortir à l'horizon d'une décennie au moins. Ou alors, ce que nous défendons avec les «atterrés»: un maintien dans la zone euro, accompagné d'un plan massif de transferts financiers à l'échelle de l'Europe − qui permettent à la Grèce de gagner en compétitivité, qui fassent converger les économies de la zone euro, qui soient l"ébauche d'un nouveau projet européen de convergence sur des critères sociaux. Évidemment, ce dernier scénario, le plus souhaitable, n'est pas le plus probable (…) Il faut rompre avec les institutions européennes telles qu'elles fonctionnent − remettre en question l'indépendance de la Banque centrale européenne, la libre circulation des capitaux, etc. Mais pour parvenir à démanteler cela, il faut qu'une crise politique surgisse. ». Nous n’avions donc pas tort de dire que l’orientation politique proposée par les dirigeants de la position B à la CN conduit à une adaptation aux positions réformistes du Front de Gauche ! En cas de « crise politique », Cédric Durand est pour proposer une simple réforme des institutions européennes. On comprend qu’au cours de cette interview croisée avec Henri Emmanuelli (« gauche » du PS), il n’apparaisse aucun désaccord fondamental entre les deux hommes… Espérons que les autres responsables de la position B se démarqueront clairement d’une telle dérive !
5) http://www.syn.gr/en/2011041516.htm