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Loi HADOPI : une pierre, deux coups ! Ou comment protéger les capitalistes tout en surveillant la population
Le projet de loi pour une Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet (HADOPI), a été rejeté par un vote à main levée à l’Assemblée nationale le 9 avril 2009. L’histoire d’HADOPI aurait pu s’arrêter là... Mais c’était bien sûr sans compter sur la détermination du gouvernement français à imposer ses lois... Elle a donc été représentée à l’Assemblée nationale le 12 mai 2009 avec, miracle, beaucoup plus de votants cette fois-ci et elle a été adoptée par 296 contre 233. Mais pourquoi le gouvernement a-t-il tenu absolument à faire passer ce texte qui peut paraître secondaire dans l’état actuel de la crise et de la lutte des classes ? En y regardant de plus près, il se trouve qu’il s’agit d’un peu plus que d’une simple loi sur la protection des droits sur Internet...
« Protéger les artistes » …
ou les capitalistes ?
Sur le site Internet que le gouvernement avait créé pour faire de la propagande pour le projet Hadopi, on pouvait lire en première page et en très gros : « J’aime les artistes ! » Allons donc, alors que cela fait des années que les gouvernements de droite comme de gauche, sous la logique du capitalisme, détruisent inlassablement les droits des artistes indépendants et notamment le régime de l’intermittence du spectacle, Sarkozy et sa suite auraient maintenant convenu d’un geste envers le domaine artistique ? ! Que c’est touchant... mais bien évidemment totalement faux.
Cette Haute autorité qui, grande première, se substituera à l’autorité judiciaire pour prononcer et faire appliquer une peine privative (la coupure d’Internet), aura plusieurs missions. Sa principale fonction sera de protéger des droits d’auteurs sur Internet. Droits d’auteurs qui seraient mis en péril par le téléchargement abusif et illégal des internautes. Mais tout se complique lorsqu’en mai 2008, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) est consultée sur le projet de loi HADOPI. Elle émet un avis critique, estimant qu’il n’offre pas « les garanties nécessaires pour assurer un juste équilibre entre le respect de la vie privée et le respect des droits d’auteur ». Elle va même plus loin en affirmant que « les seuls motifs invoqués par le gouvernement afin de justifier la création du mécanisme confié à l’HADOPI résultent de la constatation d’une baisse du chiffre d’affaire des industries culturelles ». En clair : c’est un texte taillé sur mesure pour les majors.
La Ministre de la Culture a plusieurs fois affirmé que tous les artistes soutenaient le projet de loi, notamment lors de la première lecture du texte à l’Assemblée nationale. Mais en fait elle se réfère à une liste de 52 chanteuses et chanteurs favorables à la loi, qui a par ailleurs été transmise à la presse. Il peut paraître surprenant que, pour Christine Albanel, « tous les artistes » tiennent en une liste de 52 chanteurs particulièrement médiatisés et commercialisés (on trouve entre autres les noms de Christophe Maé, Patrick Bruel, Jean-Jacques Goldman, Jenifer, Pascal Obispo, Liane Foly, Johnny Hallyday...).
Mais alors même que les majors dénoncent une crise du disque, le chiffre d’affaire global de la musique (en incluant les concerts) est en augmentation : selon deux études économiques, le marché mondial de la musique progressera de 4 % entre 2007 et 2011. En 2007, la SACEM (Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique) a atteint un record historique de sa collecte. À noter qu’aujourd’hui les majors que sont Universal, Sony, EMI, Warner et BMG contrôlent 90 % des ventes de disques en France et le chiffre d’affaire d’Universal en 2007, qui détient à lui seul 41 % des parts de marché, atteint 4 milliards et 870 millions d’euros. De son côté, l’industrie cinématographique a battu des records de fréquentation en 2008, que ce soit en France, aux États-Unis ou en Suède par exemple. Quant à l’industrie du jeu vidéo, elle a augmenté son chiffre d’affaire de 22 % en 2008 par rapport à 2007, qui était déjà une année exceptionnelle.
Par comparaison, les Producteurs Indépendants de musique (communément aussi appelé Labels Indépendants) sont aujourd’hui plus de 600 en France et cumulent plus de 3 000 productions par an. Pour paraphraser le Syndicat de l’Artisanat, ils sont aujourd’hui la plus grande maison de disques de France, produisant 90 % des créations originales. Ouvertement opposés au téléchargement illégal, ils se montrent néanmoins contre le projet de loi Hadopi : « La politique de fuite en avant des majors a très largement contribué à la dévalorisation de la musique. Par un discours inique contre le public, désigné comme voleur potentiel avant d’être amateur de musique, les majors ont radicalisé le phénomène, en développant en même temps une politique de prix cassé qui cherche à condamner le physique (moins rentable pour eux que le numérique)... » (Hadopi : La création sacrifiée).
Par ailleurs, lorsque l’HADOPI aura repéré une violation de droits d’auteurs sur Internet, les poursuites se feront sur la base des enquêtes menées par des cabinets privés représentant les ayants droit — c’est-à-dire bien sûr ceux qui en ont les moyens, comme les majors du disque et du cinéma, et tant pis pour les petits indépendants !
Il est donc évident que cette loi censée protéger tous les artistes et soutenir la création ne satisfait en fait que les grands groupes capitalistes de la culture. Alors même que ces derniers font des profits monstres même en période de crise, ils profitent des débats autour du téléchargement pour se doter d’une loi renforçant encore plus leur hégémonie sur la culture. Et encore une fois, les artistes concernés par cette « sécurité » ne sont qu’une infime minorité du paysage artistique français. Le reste, la majorité, n’existe pas aux yeux de la bourgeoisie et n’a qu’à crever en silence…
De plus, le déni de présomption d’innocence qu’instaure la loi HADOPI mènera à la sanction d’innombrables innocents sans aucune possibilité de recours suspensif : le texte prévoit un système répressif en dehors du circuit judiciaire, dès lors qu’il y a une suspicion de téléchargement illégal. Et si l’on se défend d’avoir téléchargé un fichier illégalement, on pourra être accusé de ne pas avoir sécurisé sa connexion par un mot de passe. Or il existe déjà bien des moyens pour pirater la connexion d’autrui…
Et pour finir, le coût estimé de la mise en place de la loi s’élève à plus de 35 millions d’euros par an (fichage, traçage des adresses IP, avertissements envoyés, etc.). Offrir un tel chèque annuellement à des services privés de police du net censés protéger la culture a de quoi faire enrager toutes les petites troupes de théâtre, tous les musiciens indépendants, tous les artistes et les intermittents à qui, quand ils proposent de vendre aux collectivités locales leurs spectacle, on répond l’air attristé : « Désolé, c’est la crise, il n’y a plus d’argent pour la culture… »
Mais la loi HADOPI est peut-être encore bien plus grave sur d’autres points, notamment celui de la « surveillance ».
Big Brother is watching you…
HADOPI aggrave considérablement le contrôle de l’Internet en France. Selon le même site gouvernemental cité plus haut, « J’aime les artistes », le « filtrage généralisé des réseaux » n’est pas à l’ordre du jour : « Le projet ne prévoit rien de tel ». Toutefois, le projet de loi prévoit d’inclure des « expérimentations » dans ce domaine : « [L’HADOPI] évalue (…) les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage par les concepteurs de ces technologies, les titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés et les personnes dont l’activité est d’offrir un service de communication au public en ligne. »
De plus, pour réduire sa peine (coupure d’Internet), un internaute devra accepter qu’un programme espion, un spyware, soit installé sur son ordinateur pour lui permettre de prouver que sa connexion n’est pas utilisée pour télécharger illégalement. On imagine aisément les dérives possibles de ces programmes.
Ces spyware contrôleront les données entrantes et sortantes de l’ordinateur. Ils seront obligatoires, payants et non interopérables. Le rapporteur Franck Riester et la ministre Christine Albanel ont refusé la gratuité de ces logiciels. Les internautes utilisant un système d’exploitation non compatible avec les logiciels de sécurisation ne seront pas exonérés. Les natures et fonctions précises de ces logiciels ne sont toujours pas connues. On sait juste qu’ils devront êtres actifs en permanence et communiquer avec les serveurs de l’HADOPI.
Il est notamment question de surveiller toutes les communications électroniques, ce qui inclut aussi les courriels et toutes les autres communications à caractère privé pour un particulier, relevant du secret industriel ou commercial pour une société. Bref l’HADOPI pourra donc, si elle le souhaite, rentrer dans tous les fichiers informatiques de l’internaute et surveiller toute son activité Internet... Pour l’instant la mesure s’arrête aux seuls internautes « punis » par la loi mais il n’est pas du tout évident que ces surveillances s’arrêteront là. Avec cette loi adoptée, c’est une fenêtre vers la cybersurveillance qui s’ouvre pour le gouvernement.
Le projet de loi Loppsi 2 (loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure), voulu par Nicolas Sarkozy, qui devrait être présenté à l’Assemblé à l’automne 2009, reprend le principe de spyware d’HADOPI en le perfectionnant, puisqu’il permettrait d’accéder à des données informatiques sans le consentement des intéressés, de les observer, les collecter, les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu’elles s’affichent pour l’utilisateur ou telles qu’il les y introduit par saisie de caractère. C’est la légalisation des « chevaux de Troie » (logiciels espions) chez l’internaute, pendant une durée de quatre mois, renouvelable une fois sur accord du juge.
Loppsi 2 prévoit également la création d’un fichier informatique appelé Périclès. Ce système d’« analyse sérielle » permettra d’effectuer des rapprochements entre les différents fichiers judiciaires (Stic, Judex, etc.) et de croiser tous les renseignements disponibles pour lutter au mieux contre tous les types de délinquance, l’exemple de la pédo-pornographie jouant surtout comme prétexte. Mais pour ce faire, ce « super fichier » contiendra de nombreuses données liées à la vie de l’internaute avec tous les dangers de dérives possibles : numéros de cartes grises, de permis de conduire, de puces de téléphones portables (IMEI), factures diverses, etc.
Techniquement, le dispositif pourra être mis en place à toute heure, soit en s’introduisant dans tout lieu physique (avec installation d’une « clé de connexion » dans l’ordinateur à surveiller), soit par « transmission par un réseau de communications électroniques », c’est-à-dire en s’infiltrant à distance dans la machine à surveiller.
Un appel d’offres intitulé « Veille de l’opinion » a également été lancé par le ministère de l’Éducation nationale. Il s’agit entre autres d’identifier les thèmes stratégiques, de repérer les leaders d’opinion, de décrypter les sources des débats et leurs modes de propagation, d’anticiper et évaluer les risques de contagion et de crise.
La surveillance concernera les sources stratégiques en ligne : sites « commentateurs » de l’actualité, revendicatifs, informatifs, participatifs, politiques, etc. Elle portera ainsi sur les médias en ligne, les sites de syndicats, de partis politiques, les portails thématiques ou régionaux, les sites militants d’associations, de mouvements revendicatifs ou alternatifs, de leaders d’opinion. La veille portera également sur les moteurs généralistes, les forums grand public et spécialisés, les blogs, les pages personnelles, les réseaux sociaux, les appels et pétitions en ligne et sur les autres formats de diffusion (vidéos, etc.).
Ça fait beaucoup de monde. La blogosphère serait-elle si dangereuse pour nos chers gouvernants ? À l’heure où les principaux médias (presse, radio, télévision) sont contrôlés par la bourgeoisie et le pouvoir, un tel dispositif ne manque pas d’inquiéter. On nous affirmera en haut lieu que la liberté d’expression n’est pas menacée. On se permettra humblement d’en douter.
D’ailleurs, une petite anecdote pour celles et ceux qui douteraient encore que les médias ne sont pas impartiaux : à titre privé, un responsable du secteur Internet de TF1 avait envoyé un courriel à sa députée, l’UMP Françoise de Panafieu, lui faisant part des dangers que recelait la loi Hadopi. Pour se renseigner, la députée a transmis ce courrier électronique au ministère de la Culture qui est chargé de défendre ladite loi. Un membre du cabinet de la ministre Christine Albanel a alors réexpédié le message à... la direction de TF1. Qui a aussitôt licencié l’auteur du courriel.
Pour résumer, la loi HADOPI est une énième loi permettant de protéger les grands groupes capitalistes et leurs patrons en incitant les internautes à acheter les titres produits par les majors plutôt que de les télécharger, sous peine d’introduire un logiciel espion payant sur leurs ordinateurs. Logiciel ouvrant la porte aux pires dérives policières, menaçant directement les libertés individuelles. Les révolutionnaires sont en première ligne pour défendre les acquis démocratiques menacés par le pouvoir de plus en plus autoritaire de l’État bourgeois dirigé par Sarkozy.
Nous reviendrons dans un prochain article sur la question plus générale des droits d’auteur et des revendications à mettre en avant aujourd’hui pour défendre les artistes, la question d’Internet n’étant à cet égard qu’une parmi d’autres. Pour le public, il s’agit de combattre avant tout contre la mainmise des trusts capitalistes sur Internet, cet immense progrès historique qui permet une mise en commun universelle d’informations et de documents, sans requérir d’autre coût que l’installation technique des réseaux et l’achat des ordinateurs. De plus, les budgets publics consacrés à la création et à l’accès du peuple à la culture doivent être augmentés. L’apprentissage de la pratique artistique et l’histoire de l’art doivent être intégrés dans les programmes et les emplois du temps scolaires. Mais surtout, il faut combattre pour mettre fin au quasi-monopole des grandes industries du disque, du cinéma, du livre sur la culture, pour l’épanouissement total de la création artistique et l’accès de tous à la culture. Les majors étant des propriétés capitalistes comme les autres, il devient urgent de songer à leur expropriation totale sans indemnité ni rachat. Au-delà des luttes immédiates indispensables, la réalisation d’un tel programme, qui devrait être élémentaire pour l’humanité du XXIe siècle, nécessite de combattre pour la révolution socialiste…