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Révolution fiscale ?
La manifestation du 1er décembre pour la “révolution fiscale” n’a pas été un succès fulgurant. Mais ce thème est néanmoins important dans le débat stratégique à l’extrême-gauche, et mérite que l’on revienne sur ce que défend le NPA.
“Fiscalité anticapitaliste”
Le NPA avait décidé d’appeler à cette manifestation “sur ses propres mots d’ordre”. Mais quels sont donc ces mots d’ordre et surtout, en quoi indiquent-ils une voie différente de ceux du Front de Gauche ? Est-ce évident dans le NPA ? Est-ce clair publiquement ? Hélas, la réponse à ces deux questions est le plus souvent négative.
Notons tout d’abord que notre parti défend depuis longtemps une certaine révolution fiscale, sous le nom de “fiscalité anticapitaliste”. Nos propositions affichées et défendues par nos porte parole, sont en général les suivantes : il faudrait avant tout supprimer les exonérations, revenir au taux de 50% de l'impôt sur les sociétés et aux tranches de l’impôt sur les revenus d'il y a 30 ans... Et comme sur le SMIC, notre spécificité est essentiellement de surenchérir, d’être un peu “plus radicaux” que le Front de Gauche. Par exemple, celui ci propose une tranche à 100% (c’est-à-dire un revenu maximum) à 360 000 € / an, et le NPA dit 260 000 €.[1]
Taxer ou exproprier ?
Ce thème de la fiscalité tient une place centrale dans l’affichage de notre parti, qui depuis le début met en avant des autocollants et des affiches “taxons les patrons”. Plus fondamentalement, quand nous parlons de “répartition des richesses”, nous l’associons principalement à une répartition par le moyen de l’impôt (et des aides, emplois ou services publics qui reposent sur lui…).
Pourtant…la base de l’anticapitalisme qui nous fédère, c’est autre chose! Notre projet n’est pas de prendre de l’argent aux capitalistes, c’est bel et bien d’exproprier ces capitalistes qui nous exploitent ! Pour satisfaire les besoins sociaux, mais aussi pour reprendre le contrôle de nos vies, changer la division du travail, en mettant fin à l'exploitation et à l'aliénation capitalistes.
La réplique que l’on entend souvent, c’est que l’expropriation est trop radicale pour la conscience actuelle des travailleur-se-s, et donc qu’il faut donner des objectifs moins ambitieux et plus crédibles. Mais en quoi notre parti est-il crédible avec son discours actuel ?
On voit bien que de façon récurrente, nos porte-paroles sont désarmés pour répondre aux questions des journalistes, qui n’ont aucune peine à nous faire passer pour de doux utopistes. Par exemple, Olivier Besancenot en arrive souvent à rester focalisé sur l'aspect technique de la fiscalité sans se saisir du problème de la propriété des capitalistes que les journalistes lui servent pourtant sur un plateau[1].
C’est bien dommage car ces perches tendues pourraient nous permettre d’expliquer qu’aucune réforme fiscale progressiste ne peut être dissociée d’une révolution sociale. Et par là même d’expliquer en quoi nous sommes en désaccord avec le Front de gauche.
La “révolution fiscale” n’est pas une “étape” que l’on pourrait atteindre en attendant de renverser le capitalisme. Si le sauveur Mélenchon tentait de taxer fortement les riches, ces derniers le remettraient immédiatement à sa place :
- vague de délocalisations pour les entreprises les plus mobiles
- vague de licenciements pour les entreprises qui essaierait de sauver leurs profits
- vague de faillites pour celles qui n'y parviendraient pas
- coup de frein sur les investissements et donc sur les créations d’emplois
- récession entraînant une baisse massive des recettes de l’État capitaliste
Pour améliorer le sort de la classe travailleuse, il n’y a pas de raccourci qui dispenserait de poser d’emblée la question de la propriété des moyens de production.
Un gouvernement révolutionnaire devrait maintenir un système d’impôts, et donc le réformer profondément (suppression de la TVA, progressivité, etc.) afin de réduire les inégalités de revenus qui ne disparaîtront pas du jour au lendemain, malgré l'expropriation des gros capitalistes. Mais il ne faut pas présenter ces mesures comme un “levier” du changement social.
C’était d’ailleurs indiqué dans un furtif passage de la campagne Poutou : « il convient cependant de ne pas semer l’illusion qu’une bonne fiscalité permettrait de corriger les inégalités sociales ». Dommage que ce passage soit demeuré à l’état de principe inscrit pour la bonne conscience marxiste, sans traduction concrète dans notre agitation quotidienne.
Terrain électoral ou terrain social ?
Par ailleurs, il est important de rappeler que la manifestation du 1er décembre a été conçue par le Front de Gauche comme une alternative au ras-le-bol qui s’est exprimé en Bretagne. De ce mouvement hétérogène, le FdG n’a retenu qu’un ras-le-bol fiscal, et passe complètement sous silence l’opposition aux licenciements. Ce n’est pas un choix anodin.
Des salarié-e-s de l’agroalimentaire en Bretagne ont osé évoquer l’interdiction des licenciements, par la nationalisation si nécessaire. Ni les dirigeants collabo des syndicats ni leur ami Mélenchon n’aiment ce genre de revendications, qui leur mettraient à dos le patronat. C’est aussi un terrain (la lutte de classe) sur lequel les mobilisations pourraient être explosives et échapper à ces leaders réformistes.
Le FdG préfère de loin le thème de la fiscalité, qui même monté en « révolution » se marie bien plus naturellement avec sa chimère de « révolution par les urnes ». La symbolique très franche du Parti de Gauche est explicite : c’est Marianne, la République, qui passe le coup de balais sur les privilèges des riches. Dans la bouche de Mélenchon, on n’est pas surpris d’entendre que l’État pourrait être le garant d’une redistribution des richesses. Il suffirait d’élire un arbitre “de gauche” à l’Élysée pour calmer l’avarice des riches.
Allons nous continuer à cautionner ces illusions, en faisant croire que nous sommes suffisamment d’accord avec le FdG pour construire avec lui une “vraie gauche de gauche”[2]?
Nous pensons au contraire que c’est avant tout sur le terrain de la lutte immédiate et urgente qu’il faut interpeller le FdG et les syndicats, et d’abord sur la défense des travailleur-se-s qui sont menacés de licenciements. Bien évidemment, il est juste également de réaliser l’unité d’action autour d’un objectif clair comme le refus de la hausse de la TVA et de la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu. Mais s’aventurer, comme nous le faisons implicitement au travers de notre communication, à défendre des éléments de programme en commun avec le FdG, c'est fatalement entrer en contradiction avec un programme révolutionnaire.
Selon nous, un gouvernement « anti-austérité » axé sur ce genre de « mesures d’urgence » déconnectées de la propriété des moyens de production connaîtrait immanquablement un échec.
Certains camarades espèrent peut être que la participation à un tel gouvernement s’inscrirait dans une démarche transitoire, vers un gouvernement des travailleurs plus radical qui prendrait les bonnes mesures d’expropriation… Mais c’est un pari risqué, car une illusion électorale déçue conduit bien souvent à la démoralisation. Et si nous anticapitalistes nous autocensurons, la radicalisation des travailleur-se-s n’en sera que plus difficile.
Malgré tout, l'allocution de notre porte-parole à la tribune le 1er décembre se concluait bel et bien par la nécessité de s'en prendre au pouvoir des grands groupes capitalistes en les réquisitionnant[2]. Nous nous en réjouissons, car l’accueil très positif qui a été réservé à Christine Poupin a montré que l’on pouvait être entendu en ne renonçant pas un anticapitalisme offensif. Mais malheureusement une telle affirmation franche est encore trop rare. Ce serait pourtant le moment de généraliser ce discours afin de redonner espoir à tous les camarades qui veulent un parti qui ose et propose son programme, qui soit convainquant parce qu’il est convaincu qu’il est nécessaire. C’est le sens de notre combat dans le NPA.
[1] On n’est pas couché, 30 novembre 2013
[2] http://npa2009.org/node/39827