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Irma : Après la catastrophe climatique, la catastrophe sécuritaire et médiatique
Ce mercredi 6 septembre, l'ouragan Irma, décrit comme le plus puissant jamais enregistré dans l’Atlantique avec des vents allant jusqu'à 356km/h au moment de l'impact, à frappé les Caraïbes et la côte Est des États-Unis. L'île de Saint-Martin, moitié sous domination française, moitié néerlandaise, à subit de plein fouet cette catastrophe majeure. Le passage de l’ouragan a fait au moins 27 morts dans les Caraïbes : dix dans la partie française et quatre dans la partie néerlandaise de Saint-Martin, quatre dans les îles Vierges américaines, six dans les îles Vierges britanniques et l’archipel d’Anguilla, deux à Porto Rico, une à Barbuda.
Outre le bilan humain, le bilan matériel est catastrophique : 95 % de l'île côté français serait ravagée, et 60 % des maisons inhabitables. Au total, le coût des dommages s’élèverait à 1,2 milliards d'euros. Le réseau électrique a été complètement dévasté, les centrales thermiques alimentées au fioul ayant été largement inondées. La conséquence directe de l’absence d’électricité est qu'il n’y a plus aucune eau potable sur l'île, dont la production est assurée en temps normal par deux usines de dessalement d’eau de mer. L’une d’entre elles est située en bord de mer et a donc été « assez gravement endommagée » à cause des vagues, affirme un porte-parole de la Saur, la société exploitante. L’autre aurait été un peu moins touchée1.
Si des groupes électrogènes d'urgence vont être acheminés afin de rétablir le courant dans les bâtiments prioritaires, comme les hôpitaux, les stations d’eau et d’assainissement, il faudra probablement des semaines voire des mois avant d'avoir un retour à une production suffisante pour l'ensemble de la population.
Un deuxième ouragan, José, a fait craindre une nouvelle catastrophe sur l'île mais est finalement passé plus loin des côtes que prévu. Dès lors, les angoisses de la population se focalisent sur les besoins de première nécessité : se nourrir, s'hydrater, se loger.
Vies de pauvres sur îles pour riches
Saint-Martin et Saint Barthélemy sont deux îles dont l'activité est majoritairement tournée vers le tourisme de luxe. Saint-Martin vit essentiellement du tourisme de croisière, « Saint-Barth » est surtout un lieu de villégiature des stars (Johnny Hallyday, Gwyneth Paltrow, Steven Spielberg, Beyoncé, Kate Moss …) et accueille de nombreux riches résident.e.s, surtout américain.e.s.
Consécutif à la loi de défiscalisation votée en 1985, ces îles sont des ports-francs ou les habitant.e.s sont non-imposables. Saint-Martin est vantée comme « un paradis du shopping et de la détaxe ».
Pourtant, si les cartes postales et les médias bourgeois n'ont de cesse de mettre en avant de magnifiques lagons, des yachts en plaisance et des palmiers, la réalité sociale de la majorité de la population est bien loin d'être celle de client.e.s de produits de luxe2.
Peuplée par un peu plus de 35.000 de personnes, l'île de Saint-Martin connait aujourd'hui une relative stagnation de population depuis le boom démographique des années 80. Malgré le vieillissement des nombreux/euses immigré.e.s arrivé.e.s dans les années 80 et le déficit de jeunes adultes de 18-25 ans, la population saint-martinoise reste très jeune, avec 35 % de la population âgée de moins de 20 ans.
Le taux d’activité de la population est élevé avec 75% des Saint-Martinois.e.s de 15-64 ans se déclarant actifs/ves. Mais seul.e.s 50 % déclarent occuper un emploi. En effet, le chômage déclaré est important et concerne un tiers des actif/ves,particulièrement chez les 15-24 ans.
Si 81 % des emplois dépendent de la sphère présentielle, c'est à dire qu'ils servent à satisfaire les besoins des habitant.e.s et des touristes, la répartition de ces emplois montre que l'île est majoritairement tourné vers les services aux touristes. L'agriculture et l'industrie ne représentent ensemble que 5 % de la distribution de l'emploi quand le commerce et l’hôtellerie en représentent 30 %. Outre l’hébergement-restauration, de nombreux emplois présentiels sont directement liés au tourisme, notamment dans les activités de sport et loisirs, dans le transport aérien et le transport intérieur ou dans le commerce de détail. Ainsi, en 2006, Saint-Martin comptait 2 200 emplois salariés directement générés par la fréquentation touristique, soit 28% de l’emploi salarié, contre 5% en Guadeloupe.
Enfin, six habitant.e.s sur dix sont couvert.e.s par une prestation de la Caisse d’Allocations Familiales (CAF), avec une surreprésentation des allocations liées à la famille et au logement, tandis que les bénéficiaires de minima sociaux sont moins nombreux/euses. Les deux tiers des ménages sont locataires, mais seulement 7 % vivent en logement HLM. De plus, il est à noter que 60 % de la population saint-martinoise est couverte par au moins une prestation CAF, et que 21 % est allocataire du RSA (17 % RSA socle et 3 % RSA activité)3.
Avec ces éléments, nous voyons que de profondes fractures sociales apparaissent et mettent en lumière la précarité extrême dans laquelle vont se retrouver des milliers de personnes, et ce pendant des mois voire des années.
Pillages, bandes armées, braquages, quartiers respectables et riches touristes
« Pillages, agressions, bandes organisées qui sillonnent l’île, cambriolent les maisons et fracturent les magasins, machettes et revolvers dans les rues : depuis mercredi et le passage de l’ouragan Irma sur l’île de Saint-Martin, les témoignages de ce genre se multiplient sur les réseaux sociaux ». Effectivement, depuis plusieurs jours, nous voyons fleurir quantité de témoignages parlant de scènes de violence consécutives aux pillages, mais finalement assez peu documentées. Plus, des rumeurs parlant de l'évasion de centaine de prisonniers se sont finalement révélées être non fondées4.
Finalement, il semblerait que ces rumeurs et témoignages soient plutôt des cas isolés, surfant sur la panique ambiante et alimentant de fait le climat paranoïaque qui plane sur l'île.
Parmi ces témoignages, de nombreux prennent pour cible les médias « traditionnels », accusés de cacher la vérité. Une chose est sure cependant : les grands médias donnent bien la parole aux victimes de l'ouragan. Ou plutôt, à certaines victimes.
« Ce qui m'a le plus choqué c'est les pillages, bagarres […] nous, métropolitains, c'est pas des comportements qu'on a l'habitude de voir », « avant on avait vu sur la mer des caraïbes magnifique, avec l'eau turquoise, les bateaux, les cocotiers, maintenant il n'y a plus rien […] ils pillent tout même si ce n'est pas de la nourriture. Nous on est très inquiets. Est-ce que je vais rester, est-ce que je vais repartir en métropole ? »5, « Les gars sont armés, sortent de quartiers respectables les bras chargés de nourritures et d'objets » ou encore « pour le couple Kalton, les deux magasins de prêt-à-porter qu'ils détiennent rue de la Liberté, "c'est tout ce qui nous reste". Avant Irma,
ils/elles jouissaient d'une vie ensoleillée dans une villa en bord de plage, à Baie Nettlé ».
Ce florilège non exhaustif montre à quelle point le traitement médiatique et politique de la situation à Saint-Martin reflète le traitement néo-colonial de la catastrophe.
Les principales personnes à avoir la parole sont les propriétaires de villas, de magasins et de yachts, des blanc.he.s pour la plupart, qui voient leurs derniers privilèges disparaître sous leur yeux, de la main de petit prolétariat d'habitude exploité pour leur bien-être. Donner la parole à cette toute petite frange de la population met en évidence le clivage de classe et de raceexacerbé sur l'île. ?
Pourtant, un habitant de Saint-Martin résume parfaitement la situation en témoignant de l'état de dénuement total dans lequel sont laissé.e.s les populations : « ça fait quatre jours qu'on est sans eau, sans électricité, qu'on a plus de toit, que nos affaires sont mouillées […] y'a un autre cyclone qui arrive et ils te donnent 3 bouteilles d'eau […] à ce stade, ce n'est plus du pillage, c'est de la survie ».
Voir la vidéo : http://videos.leparisien.fr/video/un-habitant-de-saint-martin-c-est-plus-du-vol-c-est-de-la-survie-09-09-2017-x6058i2
La tension est donc palpable entre la bourgeoisie blanche de l'île qui s'organise en milice « dès qu'on sent un danger on tire en l'air »6 et le reste de la population. Mais les tensions sont aussi très fortes contre l’État français qui, conforme à son habitude dans la gestion de ses (anciennes)colonies, s'est montré complètement incapable et insouciant.
Pour reconstruire, le gouvernement envoie des flics.
Si en Guadeloupe, la solidarité ne faiblit pas pour venir en aide aux sinistré.e.s avec la mise en place de collectes de nourritures et de produits de première nécessité qui s'organise, les rescapé.e.s d'Irma dénoncent le manque d'informations et la gestion de la crise par les pouvoirs publics. « Pourquoi », peut-on lire ici et là, « des facilités d’évacuation n’ont-elles pas été offertes à ceux qui auraient voulu partir avant le cyclone ? Pourquoi, alors que l’on connaissait la route et le danger d’Irma, n’a t-on pas par avance préparé les opérations de secours ? Pourquoi les Saint-Martinois sont-ils toujours prisonniers de l’enfer trois jours après le drame, alors que juste à côté, à Antigua et Barbuda, l’aéroport a été déblayé en urgence pour permettre des rotations d’évacuation ? »7
Une colère d'autant plus forte lorsque parallèlement, des bateaux quittent en quasi-secret l'île afin de permettre à certain.e.s de s'en sortir « Au retour, la navette "Archipel 1" a ramené des hommes et des femmes. Pour la plupart, des touristes qui étaient en vacances sur l'île pendant le passage du cyclone », « Dès la descente, nous comprenons que la plupart de ces rescapés disposent de passeport bleus, en grande majorité des Américains […] Il y avait aussi quelques Guadeloupéens, à bord... 2 ou 3... »8
Les habitant.e.s dénoncent les deux poids, deux mesures : malgré l'annonce selon laquelle on n'évacuerait en priorité que les femmes accompagnées d'enfants de moins de deux ans, des adultes bien portants embarquent prioritairement sur des avions affrétés : un tri de classe, un tri sur la base de la place sociale - fonctionnaires d'état dont les familles sont évacuées, tandis qu'une femme saint-martinoise, accompagnée de son enfant de moins de deux ans, témoigne du refus absolu de l'autoriser à pénétrer dans l'aéroport. Les références à la couleur de peau ne manquent pas, et les locaux se sentent victimes de comportements racistes.
Gérard Colomb, ministre de l'intérieur, à déclaré que l' État allait envoyer 2000 membres des « forces de l'ordre »9 : GIGN, GIPN,légionnaires, gendarmes, réservistes avec comme objectif de « rétablir l'ordre républicain », c'est à dire de réprimer une population affamée, assoiffée, sans logement et apeurée. Parallèlement, un plan de reconstruction de l'île va être réalisé, ce que Macron va probablement mettre en lumière lors de sa visite officielle mardi 12.
Ainsi, après une gestion lamentable de l'avant et l'après ouragan, le gouvernement Macron insiste sur le tout répressif avant d'envoyer massivement des personnels et du matériel de santé, de reconstruction, de besoin de première nécessité.
L'irruption des (anciennes) colonies françaises au devant de la scène
La grève générale en Guyane du printemps dernier à permis de révéler le traitement économique et politique réservé aux DOM-TOM : des territoires complètement délaissés, aux infrastructures délabrées et au niveau de vie nettement inférieur à la métropole. A l'inverse, les infrastructures nécessaires à l'affirmation de la puissance impérialiste française (en l’occurrence le centre spatial Kourou) ont toujours bénéficié d'une attention maximale.
La mobilisation des travailleurs/euses leur à permis d'arracher des concessions de la part du gouvernement Hollande, à hauteur de 2,1 milliards d'euros, nettement moins cependant que les 4 milliards réclamés.
De même, la grève massive « contre la vie chère » de 44 jours en Guadeloupe et Martinique à permis d'arracher au patronat et à l’État une hausse du SMIC et une baisse des prix de première nécessité.
Aujourd'hui, c'est suite à une catastrophe naturelle que les Antilles font de nouveau irruption dans la scène médiatique et politique. Cela met en évidence la nature profondément néo-coloniale du rapport entre les DOM et la métropole. Considérées comme des régions de secondes zone, dont l'utilité est principalement géopolitique et géostratégiques, les populations de ces territoires sont complètement délaissées par les « pouvoirs publics ».
Nous sommes pour le droit à l'autodétermination des peuples et nous devons souligner qu'à chaque référendum concernant l'indépendance de ces territoires, les populations ont massivement voté pour le Non. Dès lors, nous devons faire pression en métropole, là ou nous avons un impact direct sur les gouvernements, pour que des moyens humains et matériels soient envoyés et permettent la reconstruction la plus rapide possible en répondant au mieux aux besoin des plus précaires, en association avec la population directement concernée. Nous condamnons fermement la réponse première du gouvernement qui consiste à envoyer massivement des forces de répression pour protéger les intérêts d'une minorité d'exploiteurs et de parasites.
De plus, nous apportons tout notre soutien aux mouvements et aux organisations qui se battent pour l'indépendance progressiste des (anciennes) colonies françaises, de même qu'aux organisations de mouvement ouvrier qui ont affronté avec une réelle ténacité les différents gouvernements.
Solidarité avec les populations de Saint-Martin !
Solidarité avec les victimes de l'ouragan Irma !
Solidarité avec les peuples en proie aux impérialismes de tous bords !
Solidarité Internationale, Anti-raciste et Anti-colonialiste !
1http://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Environnement/Ouragan-Irma-Saint-Barthelemy-Saint-Martin-totalement-privees-delectricite-2017-09-07-1200875063?from_univers=lacroix
2http://www.la-croix.com/Economie/Monde/Saint-Martin-Saint-Barthelemy-deux-economies-tournees-vers-tourisme-2017-09-07-1200875069
3https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/2527810/ga_ind_10.pdf
4http://www.leparisien.fr/politique/250-prisonniers-evades-a-saint-martin-pas-avere-repond-edouard-philippe-09-09-2017-7248144.php
5http://www.francetvinfo.fr/meteo/cyclone-ouragan/ouragan-irma/des-bagarres-pour-une-tele-un-ventilateur-une-habitante-de-saint-martin-temoigne-des-scenes-de-pillages-apres-l-ouragan-irma_2362937.html
6http://videos.leparisien.fr/video/pillages-a-saint-martin-on-s-organise-en-milice-entre-nous-09-09-2017-x605mol
7http://politiques-publiques.com/martinique/ouragan-irma-temoignages-alarmants/
8http://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/ils-fuient-horreur-prix-510279.html