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Interview d’un représentant de la Tendance CLAIRE du NPA au journal anticapitaliste portugais Mudar de vida suite à notre déclaration contre l’expulsion des sans-papiers
Nous publions ici la version française d’une interview donnée par un représentant de la Tendance CLAIRE du NPA au journal portugais anticapitaliste Mudar de vida suite à notre déclaration contre l’expulsion des sans-papiers de la Bourse du travail. Cf. http://www.jornalmudardevida.net/index.php?s=tendance+claire
MDV : Vous êtes parmi les voix que dès le départ ont sévèrement condamné l’agression des Sans-papiers (CSP 75) par le S.O. de la CGT le 24 juin dernier; mais en tant que fraction du NPA comment expliquez-vous le retrait, voire le silence, de la direction de votre parti vis-à-vis de tels agissements anti-ouvriers ?
Nous nous sommes constitués en Tendance du NPA dès le congrès de fondation car nous avons estimé que les fondements programmatiques du nouveau parti souffraient d’ambiguïtés (notamment sur la nature de la révolution que nous voulons) et que son orientation stratégique (résolution politique générale et résolution pour les électorales européennes) n’était pas à la hauteur des enjeux. En effet, depuis des années, la lutte de classe en France est marquée par une combativité des travailleurs et des jeunes qui est supérieure à celle que l’on rencontre dans la plupart des pays comparables, et cela a été confirmé par le cycle de luttes du premier semestre, première réponse de la classe ouvrière à la crise. Mais, depuis des années et de manière encore plus aiguë ces derniers mois, le principal obstacle à la convergence des luttes et à une dynamique de « tous ensemble » pouvant aller jusqu’à la grève générale, c’est la politique des directions syndicales et des partis réformistes auxquels elles sont liées. Ces gens-là collaborent avec le patronat et le gouvernement et s’évertuent à épuiser les luttes en les divisant, notamment par leurs « journées d’action » sans perspective. Or la critique de la direction du NPA contre les directions syndicales reste partielle et timorée, elle n’a rien de systématique et ne s’accompagne pas d’un véritable combat politique, dans les entreprises et à l’intérieur des syndicats eux-mêmes, pour une orientation alternative, pour des initiatives fortes en vue de dynamiser l’auto-organisation des travailleurs et de coordonner leurs luttes. Le communiqué de la direction du NPA sur l’évacuation de la Bourse du travail par les nervis de la CGT, comme son refus de publier un second communiqué malgré de multiples demandes en ce sens de la base du NPA, procèdent à l’évidence de ce même refus de combattre de façon frontale et systématique les directions syndicales.
MDV : Ici et là, pour justifier l’injustifiable ou minimiser sa portée, on évoque un désaccord tactique entre la CSP 75 et la CGT qui pourtant au départ était partie prenante dans la lutte des sans-papiers : qu’en pensez-vous ?
Au-delà de tel ou tel choix tactique, la CSP 75 est à l’évidence, depuis des années, une composante importante et reconnue du mouvement des travailleurs sans-papiers. La décision de certains secteurs de la CGT, en avril 2008, de s’investir dans le combat pour la régularisation des travailleurs sans-papiers et d’organiser dans ce but des grèves, a ouvert la porte à une dynamique qui aurait pu conduire à une véritable fusion du mouvement des sans-papiers et du mouvement ouvrier. Depuis plus de dix ans, en effet, le mouvement des sans-papiers se poursuit de façon courageuse, mais souffre avant tout de la distance et de l’isolement où le maintiennent les directions syndicales. Au mieux, celles-ci s’en tiennent à un discours humanitaire, refusant de considérer les travailleurs sans-papiers comme le secteur le plus opprimé de la classe ouvrière et de mettre dès lors au centre des revendications unifiantes de la classe le combat pour la régularisation de tous et pour l’égalité des salaires et conditions de travail. Or, au printemps 2008, la direction confédérale de la CGT, les principales fédérations et unions départementales, ont persisté dans cette attitude malgré le lancement de grèves de sans-papiers par un certain nombre de militants et de syndicats de base de la CGT. Ces grèves sont donc restées isolées, elles n’ont pas été étendues à l’ensemble des entreprises où elles étaient possibles, en relation avec le refus plus général de la direction de la CGT d’impulser un mouvement d’ensemble de la classe ouvrière contre le patronat et Sarkozy. Au lieu de combattre pour la régularisation de tous les sans-papiers et d’en appeler à la mobilisation solidaire de toute la classe ouvrière, la direction de la CGT a imposé que l’objectif de ces grèves de sans-papiers soit exclusivement la régularisation au cas par cas dans le cadre de la loi raciste d’Hortefeux qui prévoit de régulariser dans certaines conditions des travailleurs sans-papiers de certains secteurs particulièrement pénibles souffrant d’un manque de main-d’œuvre. Faute d’un combat politique frontal contre l’orientation et les méthodes de la direction confédérale, même les militants et les syndicats de base qui ont dirigé ces grèves avec dévouement et courage se sont rapidement retrouvés dans une impasse. Au final, 2 000 travailleurs sans-papiers auraient été régularisés selon la CGT, sans doute bien moins en réalité, d’autant que beaucoup l’ont été avec des titres de séjour de courte durée. La CSP 75 a exigé à juste titre que la grève soit étendue et que les dossiers de ses membres soient eux aussi examinés : cela revenait à faire exploser les quotas édictés par Hortefeux et sur lesquels la direction de la CGT avait calé sa stratégie ; cela conduisait par conséquent à exiger l’extension de dynamique de la lutte à tous les sans-papiers, ce qui supposait un appel clair des directions syndicales en ce sens. Telle est la clé réelle du conflit, qui n’a donc rien de tactique, mais révèle un désaccord fondamental.
MDV : Ces événements rappellent l’aventure de Paul Mercieca, ancien maire de Vitry-sur-Seine, qui à la veille de Noël 1980 a tenté de déloger, à l’aide d’un bulldozer, les 300 immigrés maliens (cette fois "légaux") résidents d’un foyer Sonacotra de la ville ; quel parallèle établissez-vous entre ces deux faits ?
Un maire PCF de 1980 et des bureaucrates CGT de 2009 ont comme point commun principal, au-delà des années et de la chute du Mur de Berlin, d’être fondamentalement des staliniens, c’est-à-dire une variante de bureaucrates réformistes. Aujourd’hui comme hier, ces gens-là inscrivent leur orientation dans le cadre du système capitaliste et des institutions de l’État impérialiste français. Cela les conduit nécessairement au chauvinisme, du « produisons français » du PCF dans les années 1970 (sans parler de la complicité de ce parti avec le nationalisme et le colonialisme français, des années 1930 à la guerre d’Algérie) jusqu’au refus actuel des dirigeants du PCF et de la CGT de combattre pour l’abrogation des lois anti-immigrés (dont plusieurs ont au contraire été votées sous des gouvernements PS-PCF). Toute politique de collaboration de classe avec la bourgeoisie implique le refus d’unifier la classe ouvrière, car la lutte de classe d’un prolétariat unifié se déploierait avec une dynamique telle qu’elle ferait voler en éclats le cadre politique qui permet aujourd’hui aux directions syndicales et aux partis réformistes d’« accompagner » les contre-réformes du gouvernement. A contrario, le combat pour l’unité de la classe ouvrière, pour la fusion du mouvement des sans-papiers avec le mouvement ouvrier, pour la régularisation de tous les sans-papiers et par conséquent pour la délimitation systématique vis-à-vis des réformistes est une tâche centrale pour tous ceux qui veulent construire un nouveau parti anticapitaliste cohérent et conséquent, c’est-à-dire révolutionnaire.
Propos recueillis par Manuel Vaz