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Les compromissions de la gauche bourgeoise face à l’impasse des négociation

Par Erasmus Spikher (12 janvier 2025)
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La nomination de F. Bayrou et la formation de son gouvernement auront rapidement permis de confirmer ce que l’on savait déjà : le front électoral du NFP, formé dans le but tactique d’empêcher la victoire de l’extrême droite aux législatives, ne devait en aucun cas être considéré comme une alliance durable. Le PS et le reste de la gauche libérale ne se sont ralliés au programme du NFP (et avant cela de la NUPES) que dans le but d’obtenir pour eux-mêmes un maximum de sièges à l’Assemblée. Entre LFI et cette gauche, il n’y a ni projet commun ni même stratégie partagée. Ainsi, face au nouveau gouvernement Bayrou, les contradictions internes au NFP éclatent plus violemment que jamais et deux perspectives diamétralement opposées se dégagent de plus en plus nettement.

La gauche bourgeoise ou le refus de la rupture

D’un côté, LFI cherche à se saisir de la provocation que représente la nomination de F. Bayrou pour approfondir la crise politique sans précédent dans laquelle s’est enfermé le président Macron. Les porte-paroles de l’organisation font ainsi campagne sur le mot d’ordre de la démission de Macron, dans le but de provoquer des élections anticipées. Sans doute la situation n’est-elle pas mûre pour qu’une telle campagne aboutisse, mais il s’agit aussi pour LFI de se positionner en principaux opposants à Macron et au régime. Dans le cadre d’une telle stratégie, la première étape importante est de réussir à censurer à nouveau, et le plus rapidement possible, le gouvernement Bayrou, de façon à faire monter la pression contre Macron et à faire la démonstration de son impuissance à résoudre la crise sans qu’il renonce au pouvoir.

De l’autre côté, il apparaît désormais clairement que la gauche bourgeoise – le PS en tête – est quant à elle incapable de représenter une opposition substantielle aux politiques libérales actuelles. C’est qu’elle se refuse à faire entrer le régime en crise et cherche au contraire, contre LFI, à préserver tant bien que mal ses principales institutions, à la fois au niveau politique (le fonctionnement de la cinquième République) et économique (la confiance du marché). Dans cette perspective, même la censure du gouvernement Bayrou représente pour cette gauche soucieuse des intérêts de la bourgeoisie un écueil à éviter. Pourtant, après l’éviction de M. Barnier, la nomination d’un premier ministre aussi droitier, soutien de la première heure du macronisme, aurait dû constituer un motif suffisant pour que toute formation véritablement de gauche votât immédiatement la censure. Démonstration est donc faite, s’il le fallait encore, que cette gauche institutionnelle est incapable d’accompagner la moindre rupture, même partielle, avec une politique au service des intérêts de la bourgeoisie.

L’impasse des négociations

Aussi le PS et une partie de la direction d’EELV et du PC s’emploient-ils aujourd’hui piteusement à essayer de négocier un accord de non-censure. Il ne s’agit évidemment pas, comme le déclare O. Faure, d’arracher de véritables victoires pour les travailleur-e-s, mais d’obtenir de la part du gouvernement quelques prétextes pour ne pas avoir à voter la censure. L’enjeu est bien d’éviter la crise du régime dont le PS est l’un des plus fidèles gardiens, car il n’y a aucune perspective pour les socialistes hors du cadre des institutions bourgeoises. Toute situation de crise sanctionnerait évidemment l’hégémonie de LFI sur le mouvement progressiste.

Or, comme si le fait de vouloir négocier un tel accord plutôt que de censurer immédiatement le gouvernement n’était pas suffisamment embarrassant, il se trouve que le PS s’enlise de plus en plus dans un bourbier dont il ne saurait évidemment ressortir quoi que ce soit. En vérité, ces négociations constituent une impasse, parce qu’il n’y a précisément rien à négocier dans une situation politique aussi polarisée. La droite n’a rien à céder qui permette à la gauche bourgeoise de sauver un tant soit peu la face. Le budget est verrouillé. Même une hausse d’impôts sur les plus riches et sur les plus hauts profits paraît difficile à obtenir, pour des raisons techniques liées à l’impossibilité de modifier rétroactivement le budget. Aucune porte de sortie digne de ce nom ne semble pouvoir être offerte au PS. C’est que dans le contexte politique actuel la gauche bourgeoise ne saurait donner l’illusion de la victoire sans remise en cause de la réforme des retraites, à laquelle la grande majorité de la population est opposée, et dont l’abolition a toujours été présentée comme le fer de lance du programme NFP. Or, sur ce point, le macronisme ne peut en aucun cas reculer sans perdre complètement la face (et le soutien de la droite…), en sorte que la gauche négociatrice ne saurait rien obtenir.

De l’abrogation de la réforme des retraites à la défense de la retraite par points

C’est pourquoi le PS est obligé d’aller de compromission en compromission, en particulier sur ce sujet décisif des retraites. L’abrogation de la réforme a d’abord été utilisée comme critère suffisant pour éventuellement soutenir un gouvernement qui ne soit pas celui de L. Castets. Puisque Macron n’a précisément pas consenti à nommer un socialiste de droite à la tête du nouveau gouvernement, le PS a dû reculer même sur ce mot d’ordre : O. Faure a troqué l’abrogation contre la simple « suspension », et a suggéré qu’une autre réforme serait possible, laissant la porte ouverte pour d’autres types de reculs. Les choses se sont vite précisées : le premier secrétaire du parti évoque désormais la nécessité d’un « changement de système », expression qui fait signe vers l’abandon du système actuel au profit du système par points. J. Guedj a été le premier à le proposer explicitement : « Il faut mettre la question de la retraite par points sur la table », a-t-il affirmé sur Sud Radio le vendredi 10 janvier. Voilà à quelle indignité en est réduite la gauche quand elle n’est prête à assumer aucune rupture avec le régime en place : pour faire semblant d’obtenir quelque chose sur les retraites, c’est finalement elle qui remet à l’ordre du jour le vieux serpent de mer de la retraite par points, qui a toujours été jusque là le projet de la droite française et contre laquelle le mouvement social s’est toujours battu avec acharnement !

Fort heureusement, il y a tout à parier que les socialistes ne gagneront rien au terme d’une si lamentable séquence politique : la droite ne peut pas se permettre de renoncer à sa réforme telle qu’elle a déjà été actée, même pour préparer (ce qui serait un projet de plus long terme) un changement de système plus structurel ; à gauche, LFI devrait sortir renforcée de ces derniers épisodes, sa stratégie d’exacerbation de la crise ayant contraint le PS à démontrer brillamment sa vocation de gardien de l’ordre en place et à rappeler aux travailleurs-ses qu’il reste consubstantiellement le parti de toutes les trahisons.

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