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Solidarité internationaliste avec le processus révolutionnaire au Rojava !
Notes sur un exposé de Heval Azad, de retour du Rojava, lors d’une réunion
Rappels sur les débuts de la guerre en Syrie
La guerre civile en Syrie a démarré suite au soulèvement populaire commencé en 2011 dans le cadre du « printemps arabe ». D’abord pacifique, la mobilisation exigeait le départ d’Assad et la démocratisation du régime. Des assemblées populaires s’étaient constituées dans certaines villes, avec retrait de la police. Mais ensuite Assad a envoyé l’armée dans ces villes. Dès fin 2011 il y a eu une militarisation du conflit, avec passage d’une partie des officiers du régime dans le camp de la rébellion. La réponse d’Assad a aussi été politique, avec quelques réformes purement formelles, dont la fin de l’état de siège en vigueur depuis années 1980 (mais Assad envoie dans le même temps des chars contre les insurgés), la fin officielle du rôle directeur du parti Baath et des élections avec plusieurs candidats (mais tous issus de son camp).
En parallèle, Assad a divisé l’opposition, en ouvrant la porte des prisons syriennes, notamment pour des anciens djihadistes, espérant qu’ils prendraient en main l’opposition. Un Conseil national syrien a été fondé en exil en 2011, mais l’opposition a été d’emblée très morcelée. Plusieurs Républiques ont été proclamées, mais sans lien entre elles. L’ASL s’est constituée en 2011 comme cartel de groupes, sous direction d’ex-officiers de l’armée officielle, mais sans cohésion organisationnelle ni idéologique, avec d'emblée une composante islamiste qui s'est développée avec le soutien des régimes voisins.
L’ASL a été vite concurrencée par d’autres groupes armés (avec lesquels elle coopère), notamment le front islamique et le front Al Nosra. Le Front islamique, créé en 2013, rassemble des groupes islamistes soutenus par la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar. Une de ses principales composantes est Ahrar al-Cham, un groupe salafiste. Al Nosra est une émanation de l’État islamique en Irak (groupe formellement subordonné à Al-Qaïda), qui a introduit des méthodes nouvelles (comme les exécutions publiques, l’égorgement, des attentats-suicides etc.), bénéficié de financements de dignitaires de pays du Golfe et fait publiquement appel à des volontaires étrangers. Ce groupe a pris rapidement une importance de premier plan car efficace militairement, par son expérience du combat de guérilla que n’avaient pas les officiers de l’ASL. Par ailleurs, les États-Unis entraînent plusieurs groupes de l’ASL, avec des camps en Turquie et Jordanie, mais leur donnent peu de moyens et leurs soldats sont moins payés que ceux d’Al Nosra et moins bien équipés !
En 2013, l’État islamique en Irak proclame sa fusion avec Al Nosra : c’est la naissance de l’État islamique en Irak et au Levant, « Daesh » en arabe, sous la direction de Al-Baghdadi. Mais une partie minoritaire d’Al Nosra refuse, notamment son leader Al-Joulani : il en appelle à Al Qaida, qui tranche en faveur de Joulani et condamne la fusion ; Daesh rompt alors son allégeance à Al-Zawahiri, dirigeant d’Al Qaida. Mais sur le terrain, des formes de coopération perdurent, notamment sur le plan militaire. C’est le cas notamment lors de l’offensive de l’été 2014 : Daesh prend contrôle d’une grande partie du territoire irakien et syrien. C’est à partir de là que se met en place la coalition occidentale contre Daesch, mais la plupart des avions qui bombardent ne sont pas états-uniens, mais surtout britanniques et, depuis l’attentat de Paris, français (les États-Unis ont surtout un rôle de coordination).
La lutte du Rojava contre Assad, contre Daesh et contre l’armée turque
C’est dans ce contexte que se développe le processus révolutionnaire du Rojava. Les territoires du Nord de la Syrie, peu touchés par contestation en 2011, mais deux partis kurdes y interviennent : le PYD, lié au PKK de Turquie, et l’ENKS (Conseil national kurde de Syrie, lié au PDK de Barzani, président du Kurdistan irakien), qui agit avec l’opposition syrienne. Il y a alors deux organes de pouvoir parallèles, l’un dirigé par l’ENKS, l’autre par le PYD. En 2012, le PYD prend le contrôle des territoires du Nord syrien, encerclement des casernes du régime. Assad décide de ne pas combattre frontalement et de se retirer d’une partie du Kurdistan syrien pour se concentrer sur la répression de l’opposition arabo-sunnite. Mais il y a tout de même 1 000 morts dans les rangs des YPG, les milices armées dirigées par le PYD. Assad ne s’est pas retiré de tout le Rojava : encore aujourd’hui, il y contrôle des zones (surtout à Hesseké et Qamislo).
De plus, immédiatement, des forces rivales s’en prennent aux YPG, notamment des islamistes (dont certains sont affiliés à l'ASL) et Al Nosra (à Serêkaniyê notamment). D’où la réserve des YPG vis-à-vis de l’ASL et de l’« opposition syrienne ». Par ailleurs, le PYD ne rompt pas immédiatement tout lien avec le PDK. Mais cela change avec la bataille de Kobané à l’été 2014 : Daesh est à deux doigts de prendre le contrôle de la ville, la population résiste et la ville est reprise par les civils et les YPG, qui a distribué des armes aux habitant-e-s. Or, pendant la bataille, Barzani a refusé d’envoyer des soldats pour défendre Kobané (seule l'UPK de Talabani a envoyé des peshmergas défendre la ville). C’est à ce moment-là qu’intervient la rupture du PYD avec l’ENKS – mais celui-ci continue d’exister librement au Rojava.
Jusqu’à cette bataille de Kobané, les milices YPG se concevaient comme des milices d’auto-défense des Kurdes. Après, elles continuent d’avancer dans des zones majoritairement non-kurdes pour chasser Daesh. Elles créent alors les FSD (Forces de la Syrie démocratique), coalition de forces armées syriennes kurdes et non-kurdes, dont les YPG restent la composante majoritaire, et qui veulent renverser eux aussi Assad. Les FSD réclament un statut d’autonomie pour le Nord de la Syrie, auquel s’opposent tant le régime que l’opposition syrienne. En parallèle est créée l’Assemblée de la Syrie démocratique, chargée de rédiger la future Constitution. Par ailleurs, des groupes armés arabes issus de l’ASL (Jaish Al-Thuwar), des milices tribales (Al-Sanadid) ou chrétiennes (Sutoro) se sont alliés avec les YPG.
Le Rojava est composé initialement de trois cantons séparés, dont deux sont connectés géographiquement depuis l’été 2015. Il y en a un quatrième depuis l’été 2016, le canton de Şahba, entre Afrîn et Kobané ; canton majoritairement arabe et turkmène, il fait actuellement l’objet d’un grave conflit entre les FSD et l’armée turque. Pour connecter les cantons, il faut passez par une zone à majorité turkmène et la Turquie refuse que les Kurdes contrôlent ce territoire. À l’été 2016, elle y a pénétré, officiellement pour sa sécurité et pour faire une zone de réfugiés. Mais maintenant elle veut prendre la ville principale de cette zone (Al-Bab), contrôlée par Daesh, pour empêcher la jonction des cantons kurdes : la bataille se poursuit. En même temps, dans les groupes qui sur place sont avec la Turquie, il peut y avoir des ex-soldats de Daesh. On sait aussi que la Turquie a fourni des armes à Al Nosra qui, formellement, a rompu ses liens avec Al Qaida.
Sur la situation sociale, économique et politique au Rojava
Depuis le début de la crise syrienne, les organisations de gauche ont eu des positions ambiguës. Le PG et le PC ont eu pour posture de soutenir plus ou moins Assad en prétendant qu’il était plus progressiste que l’ASL, voire un peu anti-impérialiste. D’autres soutiennent l’ASL même aujourd’hui, alors qu’elle est dominée par des islamistes réactionnaires. Enfin, d’autres encore, notamment anarchistes, idéalisent le Rojava et la politique du PYD, comme si c’était Barcelone en 1936 (certains parlent même de « révolution anarchiste » et d« absence d’État », thème central de la doctrine politique du PKK et du PYD). Ce qui est vrai, c’est que, si le PKK était autrefois sur une ligne stalinienne, il a connu un changement d’idéologie depuis la fin des années 1990, notamment avec l’adoption du « confédéralisme démocratique », orientation qui prône la libre fédération de communes autonomes autogérées. Cependant, les structures et le fonctionnement du PKK ont en fait peu changé.
Certaines organisations prennent le Rojava comme un simple objet d’études, en s’interrogeant sur les rapports de classes, en constatant le maintien propriété privée, etc. Mais il faut bien voir que c’est un pays isolé, soumis à un blocus – la seule porte ouverte est vers le Kurdistan irakien de Barzani. Il y a une petite bourgeoisie marchande, des boutiquiers, qui peuvent avoir des portraits de Barzani, être encartés au PDK, moins pour des raisons idéologiques que parce que cela permet des marchés avec le Kurdistan irakien. La législation du Rojava autorise les entreprises étrangères, sous réserve d’une charte morale disant qu’il ne faut pas sous-payer les salariés, mais très peu y vont... Au début, Lafarge a essayé de rouvrir son usine, a d’abord négocié avec Daesh, ensuite avec le Rojava, mais n’a pas encore rouvert. Toute une « classe moyenne » (médecins, professeurs, avocats, ingénieurs...) a quitté le pays : le Rojava en manque car il est impossible de faire fonctionner les usines et l’économie sans ces compétences. D’où la volonté du PYD de faire venir des spécialistes qualifiés pour maintenir une économie très fragile. Le PYD est donc pris dans la contradiction entre le manque de capitaux et de main-d’œuvre qualifiée et le risque, s’il fait appel aux capitalistes, de subir leurs injonctions. Les discussions à ce sujet traversent les organisations, à commencer le PYD lui-même. Et différents groupes communistes poussent pour des mesures socialistes.
Sur le plan politique, le processus révolutionnaire du Rojava ouvre d’énormes perspectives pour la région. C’est la seule zone où l’on peut s’organiser librement. Le multipartisme est assuré. Les forces politiques qui proposent une alternative politique le font dans le cadre des structures officielles du Rojava. Les décisions locales sont prises au niveau local, avec une formes de démocratie directe, des assemblées populaires. Les décisions plus globales sont prises au niveau des cantons, où il y a des assemblées avec différents partis politiques. Certes, le PYD prend les grandes décisions politiques : il a un rôle moteur. Mais si ce n’était pas lui, ce serait l’ENKS lié à Barzani. Les partis en désaccord ou opposés au PYD ont toute liberté d’action s’ils ne prennent pas les armes contre le Rojava comme Daesh. Même l’ENKS, qui s’oppose au PYD, a le droit de fonctionner – y compris alors que Barzani arrête des soldats des YPG et collabore avec Turquie, même pour bombarder des camps du PKK... Des dirigeants de partis de gauche arabe syrienne sont souvent réfugiés au Rojava. C’est un sanctuaire pour les révolutionnaires de toute la région, Turcs, Iraniens, Syriens... C’est le seul endroit de la région où communistes, trotskystes, maoïstes, anarchistes, etc., peuvent s’organiser librement !
L’internationalisme révolutionnaire au Rojava
Au début, le PYD se voyait reprocher de manquer de perspectives internationalistes, voire de ménager un accord avec Assad contre l’opposition syrienne pour gagner l’autonomie du Rojava. Mais le regard sur la réalité a changé après Kobané. Des communistes turcs ont été les premiers à expliquer l’enjeu de solidarité internationaliste : ils ont eu l’idée de regrouper des révolutionnaires de différents courants dans des mêmes milices pour combattre auprès des YPG. Depuis l’été 2015, des communistes forment des milices autonomes à l’égard des YPG : on les intègre sur des critères politiques. À l’automne 2015, il y a eu un recrutement par Internet de volontaires étrangers par les YPG. C’était aussi pour faire connaître la situation au niveau international, les volontaires postant infos et photos sur Internet et sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, il y a beaucoup de volontaires étrangers, notamment turcs, qui participent à la lutte pour la libération nationale des Kurdes. Mais peu d’Européens – quelques Allemands, mais très peu de Français...
Indépendamment des critiques que l’on peut formuler sur la politique du PYD, il faut une perspective internationale, car le système bourgeois et la classe capitaliste sont internationaux. Pour la révolution mondiale, le processus révolutionnaire du Rojava est une avancée énorme. En ce sens, il doit être soutenu. Si l’on admet cela, il faut se demander quelles formes de solidarité. Que peut-on faire là-bas ? Le Rojava est décisif pour tous les révolutionnaires de la région (Iran, Turquie, Irak, reste de la Syrie...) qui peuvent s’y organiser librement, y être aidés et formés, avoir une base arrière. Pour nous, révolutionnaires européens, la situation est différente ; il ne s’agit pas de faire de l’humanitaire, mais il est intéressant et enrichissant de se former en côtoyant des militants kurdes et turcs, vu les résultats pratiques de leur politique (et malgré les divergences que personne ne songe à nier), leur longue expérience. C’est important aussi pour faire connaître le processus révolutionnaire... voire y participer.