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19 février : Ménilmontant capitale de l’antiracisme ?
Croix gammées sur des sépultures juives et des portraits de Simone Veil, tag "juden" sur une devanture de magasin, sciage des arbres en hommage à Ilan Halimi, attaque antisémite contre Alain Finkielkraut, quenelles au cours des manifestations… L’antisémitisme est partout, il doit donc être combattu partout.
Cette recrudescence d’actes antisémites doit être prise pour ce qu’elle est : celle d’une manifestation d’un racisme profondément inscrit dans la société française, celle d’un racisme structurel. Si l’on entend dire régulièrement, et c’est d’ailleurs une revendication de l’appel à manifester à République le 19 février dernier – nous y reviendrons – que « l’antisémitisme ce n’est pas la France », il suffit néanmoins de se souvenir de l’affaire Dreyfus, de la collaboration et des rafles sous le gouvernement de Vichy mais aussi, plus récemment, des caricatures de Macron avec un nez et des doigts crochus, les poches pleines de dollars, publiées notamment par l’équipe de campagne de François Fillon1 lors de la campagne présidentielle. (Fillon lui-même avait eu des propos antisémites au cours de cette campagne dénonçant « la volonté [dans le passé] des juifs de vivre dans une communauté qui ne respectait pas toutes les règles de la République française »2.)
Mais, plutôt qu’une compréhension politique de cet antisémitisme, c’est bien son utilisation qui occupe le devant de la scène. Chaque acte antisémite est l’occasion pour les politiciens bourgeois de repartir en croisade contre les musulman·e·s, en considérant comme intrinsèque la haine des juifs/ves à cette religion, tout en permettant d’englober largement les Noir·e·s et les Arabes dans cette définition, et par là de faire oublier leur propre antisémitisme. Ce qu’ils présentent dès lors comme une lutte contre l’antisémitisme est en réalité une lutte contre d’autres minorités nationales qui subissent le racisme structurel de l’État post-colonial. Ce faisant, l’État place au cœur de sa guerre sociale les Juifs, dans un geste dangereux quant aux effets qu’il pourrait produire.
Marcher sur une ligne de crête.
Le rassemblement de Ménilmontant signifiait d’abord se rassembler contre l’antisémitisme dans toutes ses formes, mais aussi contre tous les racismes, à égalité. Les racismes ne sauraient être hiérarchisés et tous doivent être combattus. Combattus politiquement, et certainement pas moralement comme s’il s’agissait simplement d’une question individuelle. À l’appel de l’UJFP, ce sont quelque 400 personnes qui se sont retrouvé·e·s mardi 19 février à Ménilmontant qu’ils ont rebaptisé « capitale de l’antiracisme ».
Et ici s’est dessiné un front, un front qui par-delà les divergences programmatiques et stratégiques a annoncé prendre au sérieux la question de l'antisémitisme. Regroupant le NPA, le PIR, l’AFPS, le Comité Adama, le FUIQP, l’AFA ou encore le collectif Rosa Parks, les prises de paroles successives ont démasquées la mascarade du rassemblement de République ou la droite extrême et ses Wauquiez (qui avait voulu réduire les subventions pour la maison d’Izieu et avait dû reculer devant le tollé), Ciotti ou Valls paradaient avec l’extrême-centre macroniste (celui qui honore Pétain, Maurras, Chardonne) et les résidus du Parti Socialiste. Un Front antiraciste donc, face à un bloc bourgeois resserré qui tente de traverser tant bien que mal le soulèvement des gilets jaunes et les crises au sommet de l’État.
Les interventions se sont aussi largement concentrées sur le scandale qui arrive : celui de condamner l’antisionisme comme de l’antisémitisme. Le combat politique pour le droit à l’autodétermination des Palestinien·ne·s, contre l’extrême droite et la politique colonisatrice de Benjamin Netanyahou est un axe central pour toutes et tous les révolutionnaires, combat qui doit passer par la dénonciation sans relâche de la politique d’Israël en tant qu’État raciste et colonial.
Mais nous sommes là aussi sur une ligne de crête : celle de ne pas voir qu’effectivement, l'antisionisme peut à certains moments être vecteur d’antisémitisme, notamment dans la bouche des Soral et compagnie, et de celles et ceux qu'ils influencent. Cet antisionisme comme cache-sexe de l’antisémitisme a malheureusement aussi existé au sein du mouvement ouvrier : le comité antifasciste juif a été liquidé par Staline au nom de la lutte contre « les sionistes », comme les victimes du « complot des blouses blanches », du procès de Prague ; c’est le groupe « L’Affiche Rouge » issu d’Action Directe, initialement antisioniste qui avait théorisé « la lutte contre le judaïsme précède la lutte contre le capitalisme » par la voix d’André Olivier, son principal dirigeant. Ici, c’est bien l’instrumentalisation de l’antisionisme qu’il faut combattre sans relâche, pour combattre efficacement contre l’antisémitisme, pour défendre notre politique internationaliste et anti-impérialiste et convaincre largement de nos idées. Il faut également prendre que parler du conflit israélo-palestinien, de l’antisionisme de la part du pouvoir, des politiciens bourgeois est une astuce pour qu’on ne parle pas ou plus de l’antisémitisme en ce qu’il a de structurel en France et en Europe ; pour détourner le débat.3
L’autre élément qui est régulièrement revenu est celui qui doit consister que combattre contre l'antisémitisme doit être un combat contre tous les racismes, qu’il s’agisse de l’islamophobie ou de la négrophobie. Mais il ne faut pas pour autant oublier les racismes invisibilisés, comme ceux à l’encontre des personnes asiatiques ou des Roms qui subissent à leur tour une persécution sans relâche, jusqu’au démantèlement de camps de fortunes.
Il faut toutefois noter une chose : deux personnes a pris la parole pour souligner les limites, selon elles, de l’extrême gauche sur la question de l’antisémitisme tout en se réjouissant du rassemblement vu comme « une première ». Ces deux interventions ont suscité de fortes réactions, parfois hostiles, parfois favorables. La société étant traversée par l’antisémitisme comme par d’autres structures d’oppressions, il est illusoire de croire que l’extrême-gauche en est immunisée. Dans le cas de l’antisémitisme, il y a un impensé de la question à l’extrême-gauche et dans le mouvement ouvrier, qui fait qu’on n’ose pas l’aborder de peur d’être assimilé à Israël ou Netanyahu comme il y a une injonction permanente qui faite aux juif.ve.s de se positionner vis-à-vis d’Israel … C’est le sens des propos d’un des deux intervenants en question dans l’article de Politis : « Tout le monde m’a toujours fait chier à ce sujet. Ma mère est marocaine, mon père est égyptien, je suis né en France, qu’est-ce que j’ai à voir avec Israël ? »4.Nos organisations n’étant donc pas exemptes de comportements qui véhiculent du racisme, et la priorité doit être d’en prendre la mesure pour le dépasser. Dans le cas de l’antisémitisme, l’existence d’organisations comme l’UJFP ou les JJR (Juifs et Juives Révolutionnaires) peuvent être un point d’appui.
Front Anti-raciste contre Bloc Bourgeois.
À l’opposé, le rassemblement de place de la République a rassemblé quelques « milliers de personnes ». Cela semble relativement faible vu l’arc de force qui a appelé à ce rassemblement. Mais ce qu’il faut surtout voir, c’est que l’instrumentalisation de l’antisémitisme est de nouveau au cœur de la politique politicienne et bourgeoise. Par choix politique et face au soulèvement des gilets jaunes, tout a été cherché pour discréditer les dizaines de milliers de manifestant·e·s chaque samedi. Selon BHL, l’antisémitisme serait un fondement du mouvement des gilets jaunes ; et il faut noter que même le président de la République, en perte d’inspiration pour pouvoir attaquer le soulèvement en est arrivé à dire qu’il était piloté en sous-main par les Russes. Des beaufs, des conspis, des antisémites, des racistes. Tout a été trouvé pour disqualifier les gilets jaunes afin de justifier leur répression.
Face à un Front, un bloc donc, bloc qui regroupe toutes les forces politiques institutionnelles : de la droite dure aux résidus du PS, des syndicats lycéens et étudiants ou encore de débris venus en leur nom propre comme Valls qui a toujours son mot à dire entre un vomi islamophobe et une manifestation avec l’extrême droite espagnole (qui défend la reconstruction d’une Espagne uniquement blanche et catholique, sans juif.ve.s ni musulman·e·s…). Olivier Faure, à la tête du PS a même déclaré que, non pas le RN mais bien Marine Le Pen avait sa place au rassemblement. C’est dire s’il s’agit bien d’une mascarade.
Plus qu’une manœuvre politique, il faut plutôt y voir une démonstration de la part des partis institutionnels qui se présentent républicains, c’est-à-dire garants de la démocratie malgré leur politique antisociale, raciste et ultra répressive. C’est à ce niveau-là qu’il faut entendre la présence de la France Insoumise dans ce rassemblement : en tant que parti a vocation électorale, sa présence est obligatoire au côté de ses opposants. Mais plus encore : l’absence à ce rassemblement aurait permis une attaque en règle contre l’organisation, qui aurait permis au bloc PS-LREM-LR d’accuser la FI de complaisance avec l'antisémitisme.
L’instrumentalisation donc, jusqu’au bout. Il ne faut pas pour autant tomber dans l’angélisme et déclarer comme Mélenchon que « les racistes n’ont pas leur place à la FI » pour signifier qu’il n’y en a pas. Comme pour l’extrême gauche, toute la gauche – sans parler de la droite et de l’extrême droite évidement – est traversée par des comportements, des propos, des positions racistes, sexistes ou homophobes. Là encore, dans une société structurellement raciste, comment pourrait-il en être autrement ?
Comme le dit Politis, « deux rassemblements, deux mondes »
Deux mondes qui s’affrontent idéologiquement et politiquement. Le Front que nous devons construire est une absolue nécessité à l’heure où l’état renforce son caractère autoritaire et où l'extrême droite décomplexée agit à visage découvert. Nous devons donc marcher sur une ligne de crête. Encore une fois, l’antisémitisme et le racisme sont des sujets trop sérieux pour les prendre à la légère ou les utiliser politiquement. Non, tou.te.s les « vrais antiracistes » n’étaient pas à Menilmontant mardi 19. Nous étions peu, et nous ne pouvons pas nous en réjouir. Les combats contre ces oppressions raciales sont des combats qui doivent mobiliser des centaines de milliers de personnes pour répondre à la hauteur du problème, comme la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983. Il est fort possible que plusieurs personnes se soient rendues à République pour manifester, sans pour autant être totalement d’accord politiquement avec le bloc bourgeois. Simplement par manque de visibilité de l’antiracisme politique, ou parce qu’elles pensaient que l’extrême-gauche ne prenait pas la question de l’antisémitisme au sérieux. Mais surtout, des milliers de personnes ne se sont pas du tout déplacées. Nous devons nous adresser à elles.
Pour cela, le Front que nous souhaitons doit se développer, se renforcer, avancer. Il s’agit de mettre en lien les différents collectifs combattant l’antisémitisme, la négrophobie, l’islamophobie, le racisme anti-asiatique, la rromophobie etc., susciter des débats et des pratiques communes, sans avoir peur des sujets clivants mais en essayant de les dépasser par le haut autant que possible.
Pour cela, les organisations du mouvement ouvrier doivent servir de relais, doivent s’impliquer et prendre au sérieux ces questions, tout en laissant aux premières concerné·e·s la visibilité et l’initiative. Pour une fois, et pour tirer des leçons, cessons de demander aux autres de converger vers nous, et que ce soit nous qui convergions vers elles et eux.
À bas l’antisémitisme ! Antisémites hors de nos vies !
À bas tous les racismes !
Vive l’antiracisme politique !
Macron Dégage !
1 https://www.liberation.fr/france/2017/03/11/caricature-antisemite-de-macron-la-defense-des-republicains-tient-elle_1555019
2 https://www.europe1.fr/politique/polemique-sur-des-propos-de-fillon-sur-les-juifs-2909363
3 Par exemple, quand Emmanuel Macron explique que la France va adopter la définition de l’antisémitisme telle qu’édictée par l’Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste qui dénonce « l’antisionisme comme un antisémitisme ». Or, cette définition en question, ne fait pas du tout ce lien. Elle n’emploie même pas les termes de sionisme et d’antisionisme. Par contre, on peut critiquer cette définition car certaines formulations sont floues et peuvent permettre selon les interprétations juridiques de pénaliser les critiques de la politique de Benjamin Netanyahu et de son gouvernement. https://tinyurl.com/hdy8et9
4 https://www.politis.fr/articles/2019/02/antisemitisme-deux-rassemblements-deux-mondes-40049/