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Le meurtre du cycliste Paul Varry relance la colère contre la violence routière et la voiture-reine
La mort de Paul Varry, tué à 27 ans alors qu’il roulait en vélo à Paris, suscite une immense émotion. Il ne s’agit pas seulement de tristesse, mais aussi de colère. Les premiers témoignages indiquent en effet que le chauffard a fauché volontairement le cycliste. La voiture du meurtrier se trouvait sur la piste cyclable, boulevard Malesherbes, et il a d’abord heurté la victime, en lui roulant sur le pied. Il semble que Paul ait alors tapé sur le capot ou le rétroviseur du véhicule. C’est alors que le conducteur, furieux qu’on ose s’en prendre à son gros SUV Mercedes, l’a écrasé volontairement, ce qui a entraîné sa mort par hémorragie rapide.
L’avocat du chauffard prétend qu’il s’agit d’un accident, mais les témoignages convergents ont amené la justice à privilégier l’hypothèse du meurtre et à l’emprisonner. C’est d’autant plus probable que le conducteur, si l’on en croit Le Parisien, « serait déjà connu des services de police, il aurait d’ailleurs été condamné à plusieurs reprises, pour des faits d’escroquerie, mais aussi de violences, de soumission d’une personne vulnérable ou dépendante à des conditions de travail indignes, et de menaces pour extorsion de fonds ». C’est donc clairement un sale type.
En revanche, Paul Varry était un jeune militant de la cause cycliste et il est mort en la défendant par sa pratique. Comme l’a dit l’un de ses camarades, « c’est ce contre quoi il se battait qui l’a tué ». Paul avait notamment contribué au plan Vélo de la ville de Saint-Ouen quand il y habitait et avait participé à la liste citoyenne « Nous Saint-Ouen » aux dernières municipales. Il était également engagé dans l’Atelier solidaire de Saint-Ouen et dans Paris-en-Selle, participant activement à la vie de ces associations qui militent pour le développement du vélo et pour l’aménagement de pistes sécurisées. Plus de 200 personnes, des ami-e-s, des camarades de la cause cycliste, lui ont rendu hommage mercredi près de l’endroit où il a été tué, exprimant leur tristesse, mais aussi leur juste colère.
La cause de Paul Varry est aussi la nôtre. Le chauffard est un de ces sales types que la société capitaliste produit en pagaille. L’industrie automobile fabrique de plus en plus de pour les riches, véhicules puissants, énergivores, destructeurs de chaussées et parfaitement inadaptés aux villes. La société de la voiture-reine continue d’engendrer chaque année ses terribles fléaux : violence routière, pollution de l’air, pollution des sols, déstabilisation des écosystèmes, bruit, suroccupation de l’espace public, embouteillages, stress, individualisme, virilisme (près de 9 accidents mortels sur 10 sont causés par des hommes, qui violent le code de la route parce qu’ils se croient assez puissants pour contrôler leur engin).
Les progrès des aménagements qui ont permis le développement du vélo au cours des dernières années, notamment à Paris, sont indéniables, grâce à la pression croissante des citoyen-ne-s et notamment des associations cyclistes. De même, nous nous réjouissons des interdictions de rouler à plus de 30 km/heure à Paris et dans un nombre croissant de villes, même si elles ne sont malheureusement pas respectées. Mais tout cela est loin d’être suffisant. Globalement, les voitures continuent de régner. La plupart des rues urbaines restent sans pistes cyclables protégées, même à Paris – sans parler des campagnes, où elles sont rarissimes en dehors des belles pistes de cyclo-tourisme. Il est donc juste, bien sûr, de se battre, comme le faisait Paul Varry, pour qu’il y ait plus d’aménagements urbains et ruraux favorables aux cyclistes et aux piétons.
Mais le problème, c’est que la plupart des politicien-ne-s qui font des efforts en ce sens (ce qui est bien sûr loin d’être le cas de tous) défendent la ligne du « partage » de la voie publique et du « respect » réciproque des automobilistes et des cyclistes. Il est pourtant vain, voire hypocrite de prétendre trouver un équilibre : les voitures polluent, font du bruit, prennent de la place, coûtent cher et tuent des gens, alors que les cyclistes ne font rien de tout cela. En fait, cette politique du « partage » du territoire entres les lions et les gazelles revient à se soumettre aux exigences de l’industrie automobile, qui veut pouvoir continuer à produire toujours plus, comme des magnats du pétrole et de l’électricité. De plus, c’est cette politique du prétendu « compromis » qui engendre aussi des tensions croissantes entre automobilistes et cyclistes (il y a certes aussi des tensions entre cyclistes et piétons quand les cyclistes se mettent à adopter des comportements d’automobilistes à l’égard des plus faibles, ce qui n’est pas acceptable, mais c’est évidemment sans commune mesure, car les vélos ne tuent pas).
Il faut au contraire mettre en œuvre une politique radicale pour réduire le plus possible les voitures dans les villes, à commencer par les grandes et les moyennes. Certes, aujourd’hui, beaucoup de travailleur/se-s sont contraint-e-s de prendre leur voiture pour aller au travail et les habitant-e-s des centres-villes ont beau jeu de protester contre les voitures quand ce sont des « bobos » qui peuvent télétravailler ou disposent d’un métro au pied de leur immeuble. Mais il serait possible de mettre en place partout des transports publics gratuits, fréquents et de qualité, fonctionnant tous les jours et toutes les nuits. C’est le nerf de la guerre contre les voitures et c’est là que réside l’urgence sociale et écologique.
De plus, les gens se déplacent principalement pour aller au travail parce qu’ils/elles habitent loin de leur lieu de travail à cause du manque de logements sociaux dans les métropoles et de la montée des prix de l’immobilier. Trop souvent, les mairies, surtout celles des villes riches, refusent de produire les logements sociaux imposés par la loi, préférant payer des amendes – et les mesures du précédent gouvernement à ce sujet vont encore aggraver les choses. De plus, l’inflation des prix de l’immobilier s’explique en grande partie par la spéculation immobilière et la concentration des propriétés dans les mains d’institutions financières et de particuliers très riches. Cela conduit à refouler toujours plus loin les ménages des classes populaires et moyennes. C’est d’autant plus absurde que beaucoup de logements des multipropriétaires restent vacants. Il faut réquisitionner les logements vides, interdire les achats immobiliers spéculatifs, etc. (Voir nos propositions dans la critique du programme L’Avenir en commun, ch. 8, point 10).
La lutte est aussi culturelle : depuis un siècle, les capitalistes et leurs médias forgent les esprits des gens en leur faisant croire que la « bagnole » est indispensable, qu’elle est un signe de réussite sociale, un lieu d’intimité personnelle et un outil de puissance. Pour cela, ils ont fait la course à la puissance et à la vitesse, ils ont déversé des torrents de publicité mensongère, ils ont mené des campagnes nationales contre les tramways (Voir par exemple l’article suivant : https://carfree.fr/index.php/2010/12/14/lobby-automobile-et-disparition-du-tramway/ et le podcast d’Affaires sensibles sur France inter : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-mardi-13-fevrier-2024-9380189), ils se sont longtemps opposés aux mesures visant à améliorer la sécurité, puis à celles visant à limiter l’impact écologique, n’hésitant pas à trafiquer les tests d’homologation, etc. Encore aujourd’hui, les publicités pour les voitures sont parmi les plus nombreuses et les plus répugnantes par leurs stratégies de séduction, hier fondées sur la puissance et le sexisme, aujourd’hui plutôt sécuritaires, intimistes ou familialistes, mais toujours retorses. Il faut contrer patiemment ce discours, interdire ces publicités (en commençant par les chaînes du service public), rappeler aux travailleur/se-s le piège financier que constituent les voitures (achat, crédit, essence ou électricité, réparations, péages, rapide perte de valeur...), désaliéner et désintoxiquer les gens accrocs à leur petite propriété roulante, montrer que les transports en commun sont préférables (et éventuellement les locations de voiture pour les vacances).
Dans l’immédiat, les décisions de piétonniser les centres-villes et les « rues aux écoles », comme à Paris, vont dans le bon sens, mais doivent être étendues bien au-delà, par cercles concentriques du centre vers la périphérie. À Paris et dans d’autres grandes villes déjà bien équipées en lignes de métro, de tram et de bus, il serait aisé d’interdire rapidement les voitures individuelles en rendant gratuits et plus fréquents les métros, les bus et les trams (cela implique évidemment de stopper le processus de mise en concurrence et de privatisation de la RATP et des autres régies publiques). Dans ce cas, seuls les bus, les taxis, les véhicules des services publics, des transports sanitaires, de livraison et de déménagement devraient être autorisés. Les voitures individuelles des habitant-e-s de ces villes devraient ne circuler que sur autorisation, pour les vacances et les déplacements hors du département (voire hors de la région, ou pour commencer de la petite couronne, en ce qui concerne les Parisien-ne-s). Elles pourraient être garées le reste du temps dans les parkings de Vinci et Cie, qui doivent être expropriés. L’espace public serait libéré de la pollution et du bruit et les places de parking en plein air seraient transformées en jardins, en aires de jeu ou de sport...
Dans les villes des banlieues, souvent mal desservies, voire abandonnées, et dans les petites villes, l’essentiel reste à faire et il faut miser sur les bus gratuits et fréquents, de jour comme de nuit. D’ores et déjà, plus d’une trentaine de villes, y compris des grandes, ont mis en place des transports publics gratuits, plébiscités par les usagers alors même qu’ils sont largement perfectibles.
Comme les grandes manœuvres pour les municipales de 2026 commencent déjà dans les appareils politiques, il faut mettre cette question des transports au centre des débats. Les listes des révolutionnaires et de LFI devront être radicales sur ce sujet comme sur les autres. Mais c’est par la lutte quotidienne qu’il sera possible de faire reculer et de vaincre la voiture-reine et cette société capitaliste qui l’a engendrée. Le combat de Paul Varry et de ses camarades pour la cause cycliste en fait partie et nous y contribuons.