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Une nouvelle étape de la crise de l’économie capitaliste mondiale
La crise économique mondiale est entrée dans une nouvelle phase avec la crise de la dette grecque et les sérieuses menaces d’une crise comparable sur d’autres pays de la zone euro, en particulier le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et même l’Italie. Les gigantesques plans de sauvetage des banques organisés par les gouvernements capitalistes l’année dernière ont pu empêcher dans l’immédiat l’effondrement du système financier. Mais cela ne s’est fait qu’au prix d’une hausse considérable du déficit budgétaire et de la dette des États concernés. Ce sont désormais ces États qui sont menacés de défaut de paiement, non dans la périphérie, mais au cœur de l’un des principaux blocs impérialistes, l’Union Européenne. Or la crise de la dette n’est que l’expression d’une crise économique plus profonde des capitalismes européens qui ne sont dans l’ensemble plus assez compétitifs sur le marché mondial face à leurs concurrents. Pour l’année 2010, les analystes prévoient une croissance de 10 % en Chine, de 9 % en Inde, de 3 % aux États-Unis, mais de seulement 1 % dans l’Union Européenne. Ce déficit de compétitivité s’explique par la résistance, quoique limitée et inégale, du mouvement ouvrier d’Europe au démantèlement des conquêtes issues de la poussée révolutionnaire de l’après-guerre trahie par la social-démocratie et le stalinisme. La crise frappe donc de plein fouet l’un des berceaux du mouvement ouvrier qui, malgré son affaiblissement, après trois décennies de remise en cause des acquis par la bourgeoisie et de trahisons des bureaucraties réformistes, continue d’avoir un poids social important et des traditions de lutte significatives, quoique inégales selon les pays. La crise ne pourra être provisoirement repoussée par les bourgeoisies dans leur intérêt que si elles sont capables d’abaisser brutalement le niveau de vie des prolétaires d’Europe. Cela suppose des affrontements de classes potentiellement violents, comme l’Europe n’en a pas connus depuis longtemps. Cependant, comme la crise s’explique en dernière analyse par une suraccumulation de capital, elle ne peut être fondamentalement résolue sans une destruction massive de capital, permettant de relever le taux de profit et de relancer l’accumulation. Pour cela, il faudrait une vague de faillites ou une guerre, ou les deux à la fois.
La crise de la dette de la Grèce et d’autres pays de la zone euro
La crise s’est déclarée quand les capitalistes ont commencé à estimer que la Grèce, dont la dette représente 115 % du PIB, le déficit budgétaire 13,6 % du PIB et le déficit commercial environ 10 % du PIB, ne serait pas en mesure de rembourser sa dette. Cela a conduit les investisseurs à demander moins de titres de la dette grecque, ce qui a entraîné une hausse des taux d’intérêt, qui ont atteint environ 7 %, soit plus du double des taux exigés pour l’Allemagne. Ce phénomène a été amplifié par la spéculation des capitalistes contre la dette grecque (1). Les difficultés de ce pays à financer son déficit budgétaire se sont ainsi encore aggravées, menaçant de le conduire à la cessation de paiement. La note de la dette grecque a été rapidement dégradée, jusqu’à désigner les titres de la dette comme des «titres pourris » : en clair, le risque de faillite du pays a été jugé extrêmement élevé. Mais la crise ne s’est pas cantonnée à ce petit pays : elle a également commencé à en toucher d’autres. La note du Portugal, dont la dette avoisine les 100 % du PIB et est détenue essentiellement par des étrangers, a été dégradée. Cela a ensuite été le tour de celle de l’Espagne en raison de la hausse de son déficit et d’une économie en plein marasme. Or le PIB de l’Espagne ne représente pas 2 % de celui de la zone euro, comme celui de la Grèce, mais 10 %. La chute d’un tel pays aurait donc des conséquences infiniment plus lourdes pour la zone euro, qui se verrait dès lors exposée à un risque de contagion de la crise de la dette grecque.
D'où vient la dette publique et à qui profite-t-elle ?
Dans la plupart des pays européens, et pas seulement en Grèce, la dette publique a explosé depuis 30 ans. Ainsi, en France, elle représentait moins de 20 % du PIB avant les années 1980 alors qu'elle représente aujourd'hui environ 80 % du PIB.
Ce n'est pas principalement en raison d'une soudaine poussée des dépenses sociales. En tout cas, pas à cause du surplus de dépenses sociales puisque, durant cette période, les travailleurs ont vu leurs acquis sociaux remis en cause. La raison principale est ailleurs : elle est dans l'allègement spectaculaire de l'imposition qui pèse sur les plus riches : à la fois la taxation des bénéfices, et l'imposition des revenus des capitalistes.
Les capitalistes sont doublement gagnants : ils bénéficient des baisses d'impôts et ils touchent en plus les intérêts de la dette que les États ont contractée à cause de ces baisses d'impôts !
Les plans d’austérité : une conséquence nécessaire des « plans de relance » keynésiens de la période précédente
Pour faire face à la crise, la bourgeoisie grecque a fini par se résoudre, sous la pression des principales bourgeoisies de l’Union Européenne et du FMI, à adopter un plan de rigueur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale : la durée du travail pour avoir droit à une retraite pleine sera progressivement portée de 37 à 40 ans en 2015, la base de calcul prendra en compte le salaire moyen de la totalité des années travaillées et non plus le dernier salaire, l’âge légal de départ à la retraite va être lié à l’espérance de vie ; les 13e et 14e mois de pension sont supprimés ; les 13e et 1e mois de salaire sont supprimés pour les fonctionnaires gagnant plus de 3 000 euros et plafonnés à 1 000 euros pour les autres ; les salaires et retraites du secteur public sont gelés jusqu’en 2014 ; le gouvernement va revoir la législation qui interdit aux sociétés de licencier plus de 2 % de leurs effectifs totaux par mois ; les impôts payés principalement par les travailleurs sont relevés : la TVA augmente de 2 points pour atteindre 21 %, les taxes sur le carburant, l’alcool, le tabac de 10%, etc ; enfin, les réformes « structurelles » consisteront à réduire les investissements publics et à libéraliser les marchés des transports et de l’énergie. Bref, la logique de ces plans consiste à essayer de faire payer la crise aux travailleurs.
Dans le passé, des pays capitalistes ont réussi à réduire rapidement leur déficit budgétaire grâce à des plans de rigueur brutaux, comme en Irlande où il est passé de 12 % à 2 % entre 1986 et 1989, au Canada de 9 % à 0 % entre 1992 et 1997 et en Suède de 11 % à 3 % entre 1993 et 1996. Cependant, d’une part, ces pays ne souffraient pas d’un déficit chronique de compétitivité, n’avaient donc pas une balance commerciale lourdement déficitaire, d’autre part, le contexte n’était pas celui d’une crise économique mondiale. Si bien que les plans d’austérité n’ont pas entraîné une chute de la croissance : les baisses de dépenses publiques ont été compensées par une hausse des dépenses privées (chute de l’épargne privée). En outre, le blocage des salaires n’a pu que faire monter le niveau des profits, et donc le taux de profit qui est le moteur de l’accumulation et de la croissance.
En revanche, la Grèce est dans une situation différente : le déficit public est couplé à un déficit courant important. Le pays vit au dessus de ses moyens, c’est-à-dire que la consommation du pays excède ce qu'il produit : cela est financé par l'endettement, mais cela ne peut durer qu'un temps. Le problème de la Grèce (et aussi de l’Espagne… ou de la France !) est que leur déficit public important est couplé à un déficit courant important, si bien que l’épargne privée nationale n’est pas suffisante pour financer le déficit public. La seule issue possible est d’ajuster à la baisse la consommation du pays. Dans une économie peu tournée vers l’exportation, cela ne peut qu’accroître le nombre de faillites d’entreprises et conduire à une hausse du chômage. Et par contrecoup cela peut réduire les importations dans ces pays, avec des effets sur la croissance des pays exportateurs (2). Cependant, toute autre politique aggraverait les déficits et provoquerait rapidement une récession plus importante.
Ainsi, après avoir financé sans compter les grands groupes capita-listes (en premier lieu les banques) pour éviter leur faillite, les plans d’austérité étaient inéluctables. Du point de vue du système, le sauvetage des capitalistes (politi-ques dites « keynésiennes » mêlant baisse des taux d’intérêt et hausse des dépenses publiques en faveur des grands groupes) ne pouvait être payé, dans un second temps, que par les travailleurs. Il n’y a que les faussaires réformistes pour nous faire gober qu’il pouvait en être autrement.
Deux grands types de scénarios selon le niveau de la lutte des classes
Si le prolétariat est écrasé, les plans d’austérité parviendront, à marche forcée, à réduire les déficits publics et à éviter les défauts de paiements des États. Même si les plans d’austérité auront un effet négatif sur la croissance (pour les pays qui ont un déficit commercial important), et donc entraîneront mécaniquement une baisse des recettes (à taux d’imposition inchangé), les gouvernements pourront sans doute atteindre l’équilibre budgétaire en coupant suffisamment dans les dépenses publiques et en augmentant suffisamment les taux d’imposition. La limite principale à ce processus (et donc au rétablissement de l’équilibre budgétaire) est la résistance des travailleurs, pas une « fatalité économique » comme veulent nous faire croire les keynésiens qui prédisent un échec automatique des plans d’austérité.
Si le prolétariat parvient à bloquer les plans d'austérité, les capitalistes ne pourront pas faire payer aux travailleurs l’intégralité des remboursements de la dette détenue par les capitalistes. Ces derniers devront se rabattre sur un « plan B », avec deux variantes possibles : soit le défaut de paiement partiel (annulation, restructuration de la dette), soit le recours à une inflation forte (on fait fonctionner la planche à billets, ce qui revient à spolier partiellement les rentiers qui détiennent la dette). Dans les deux cas, même si les modalités diffèrent, les conséquences sont similaires : les capitalistes qui détiennent la dette doivent accepter d’être en partie floués. Ce serait pour la bourgeoisie une autre façon de faire payer la crise aux travailleurs. Mais le recours à un tel « plan B » aura des conséquences bien plus négatives sur la croissance que les plans d’austérité. En effet, les banques (qui détiennent principa-lement les dettes des États) seront en grande difficulté, ce qui aura un effet négatif sur le crédit, et ce qui pourrait également entraîner une vague de faillites importante. Cela conduirait à une situation sociale et politique bien plus convulsive. Cela provoquerait d’un côté le renforce-ment des tendances fascistes, de l’autre celui des tendances commu-nistes révolutionnaires. Mais il est possible que dans la réalité on se retrouve face à des situations qui combinent, au moins dans un premier temps, des éléments de ces deux scénarios extrêmes.
Laisser la Grèce sombrer ?
Laisser sombrer la Grèce ? Cette possibilité a été évoquée par la bourgeoisie allemande, avant tout pour faire pression sur le gouvernement grec pour l’adoption d’un plan drastique. Devant le Bundestag, la chancelière Angela Merkel a ouvertement évoqué la possibilité d’exclure un pays de la zone euro. Dans la lettre commune adressée par Sarkozy et Merkel à Von Rompuy, président de l’UE, juste avant le sommet européen du 10 mai, l’Allemagne a refusé d’inscrire l’engagement qu’on ne laisserait en aucun cas un pays de la zone être contraint à la cessation de paiement ou à la restructuration de sa dette. Dans l’immédiat, elle veut éviter que la crise de la dette des pays les plus faibles de la zone euro ne renchérisse le financement de la dette des autres pays, à commencer par l’Allemagne. Plus fondamen-talement, elle estime que la zone euro n’est pas viable en l’état avec des pays dont l’économie est aussi peu compétitive sur le marché mondial que celle de la Grèce. D’où le fait qu’elle ait imposé aux autres bourgeoisies de l’UE un contrôle plus strict (avec sanctions à la clé) des politiques économiques des différents États nationaux au niveau communautaire. Il s’agit d’imposer aux pays les moins compétitifs d’ajuster leurs salaires en fonction de leur (faible) productivité afin d’éviter que se créent des déséquilibres que les pays dominants devraient en dernière instance combler. Bref, elle ne consent à la zone euro que si elle lui permet de se renforcer comme impérialisme dominant en Europe.
Aujourd’hui, aucun pays de la zone euro n’a intérêt à voir la Grèce sombrer. D’une part, les banques européennes (allemandes, mais aussi françaises et anglaises) sont fortement engagées en Grèce et une cessation de paiement de ce pays aurait des conséquences funestes pour ces institutions financières. D’autre part, et plus fondamen-talement, si un pays de la zone euro se retrouve en cessation de paiement ou doit restructurer sa dette, cela veut dire qu’il est possible qu’un pays de la zone euro se retrouve dans une telle situation. Donc, une cessation de paiement de la Grèce conduirait immédiatement à une hausse des taux d’intérêt pour tous les pays de la zone euro. Et cela risquerait, soit de conduire un ou plusieurs autres pays à une cessation de paiement ou à une restructuration de leur dette (ce qui entraînerait l’explosion de la zone euro), soit d’obliger la BCE à faire fonctionner la planche à billets pour alléger le fardeau de la dette au risque d’engendrer une hyper-inflation incontrôlable. Cela provoquerait des faillites de banques dans toute l’Europe, car les banques européennes détiennent des titres de la dette publiques des États de l’UE pour une part importante dans leur bilan. Réciproquement, les États les plus faibles seraient encore plus violemment touchés par les retraits de capitaux étrangers. Bref, cela risquerait de déclencher une crise de grande ampleur dans la zone euro, devenant incontrôlable. C’est la raison pour laquelle les pays européens, malgré des tensions, ont fini par adopter un plan de sauvetage colossal des économies les plus fragiles de l’UE.
Le plan européen de sauvetage des économies les plus fragiles : la ligne Maginot de l’UE ?
Le plan adopté
Il s’agit d’un plan d’un montant considérable, d’environ 750 milliards d’euros. Il comprend :
- la création d’un Fonds de stabilisation financière qui pourra emprunter sur les marchés financiers pour ensuite prêter à son tour aux États en difficulté. Les États membres de la zone euro, au prorata de leur richesse, garantiront jusqu’à 440 milliards de prêts sur trois ans. Cela signifie concrètement que, si un pays n’est pas en capacité de rembourser ses prêts, le Fonds garantit la solvabilité de cet État et que les autres États payeront indirectement en finançant le Fonds ;
- la possibilité pour la Commission européenne d’em-prunter jusqu’à 60 milliards d’euros sur les marchés financiers, pour les prêter à son tour aux États membres de la zone euro en difficulté qui en font la demande ;
- la possibilité de prêts du FMI jusqu’à 250 milliards pour les pays de la zone euro en difficulté ;
- la possibilité pour la Banque Centrale Européenne d’acheter des titres de dette publique sur le marché secondaire (celui de la revente des titres). Cela n’est pas formellement contraire à ses statuts (qui lui interdisent d’acheter directement aux États des titres de dette), mais cela revient au même : la BCE est ainsi transformée en « prêteur en dernier ressort ». Elle pourra donc acheter (et elle a déjà commencé à le faire le 10 mai), comme la Réserve Fédérale des États-Unis ou la Banque centrale du Royaume Uni, autant d’obligations publiques qu’elle le voudra. Elle a cependant promis de « stériliser » ces opérations d’achat, en vendant dans le même temps d’autres titres pour compenser les apports de liquidités liés aux rachats d’obligations d’État. Il s’agit d’éviter toute dérive inflationniste, qui reste l’objectif central de la BCE.
Portée et limites du plan
Cependant, ce plan colossal de 750 milliards ne représente qu’environ un tiers des besoins de financement des pays membres de la zone euro pour les trois prochaines années. En outre, il ne résout pas du tout en lui-même les problèmes économiques de fond : l’insuffisante compétitivité des pays de l’UE sur le marché mondial, les forts écarts de compétitivité entre pays de la zone euro et l’absence corrélative de véritables institutions politiques communes, qui supposeraient un capital européen unifié. C’est bien la raison pour laquelle certaines mesures du plan renforcent partiellement le pouvoir des institutions de l’UE. Cependant ces institutions ne sont pas l’expression des intérêts d’un capital européen unifié, mais des instruments par lesquels les impérialismes les plus puissants au sein de l’UE s’efforcent d’imposer aux pays les plus faibles une politique conforme à leurs besoins.
Dans la crise actuelle, le capitalisme allemand au premier chef s’est affirmé de façon particulièrement brutale, y compris contre le capitalisme français, son allié traditionnel. Certes, l’Allemagne a dû concéder le droit à la BCE d’acheter des titres de la dette des États, sans se priver de critiquer cette mesure par la voix de son représentant à la BCE. Mais pour le reste, elle a imposé ses exigences. Il est prévu d’accroître le contrôle de l’UE sur les budget des États nationaux, en autorisant la Commission Européenne à examiner chaque budget avant leur présentation au Parlement et à durcir les sanctions en cas d’écart. Merkel évoque même maintenant la possibilité de priver un pays de son droit de vote dans les instances européennes pendant une durée définie. En pratique, cela revient à accroître le pouvoir de contrôle des pays impérialistes les plus puissants sur les plus faibles, comme c’est déjà le cas aujourd’hui pour la Grèce, qui tend à être réduite à l’état de semi-colonie. De même, le fonds propre dont est dotée la Commission ne sera engagé qu’avec l’accord des plus puissants : Allemagne, France et Royaume-Uni. En outre, ces dispositifs limités ne sont pas formellement contraignants comme un nouveau traité. Et même si c’était le cas, on sait bien que les obligations formelles des traités ne valent pas grand-chose face aux exigences des bourgeoisies plus fortes. Dès 2003, l’Allemagne puis la France ont réalisé un coup de force contre les traités en dépassant les déficits autorisés tout en s’exonérant de toute pénalité.
C’est pourquoi les marchés ont réagi globalement avec scepticisme face à ce plan. Beaucoup estiment que la Grèce ne sera de toute façon pas en mesure de rembourser sa dette. Cette situation annonce de nouvelles difficultés pour la zone euro. En tout cas, la situation économique atone de l’Union Européenne a mécaniquement conduit à une chute de l’euro et inversement à la hausse du dollar et du yen. Cela pourrait atténuer le déficit de compétitivité des pays de l’UE sur le marché mondial, parmi lesquels seuls l’Allemagne et l’Autriche avaient réussi à améliorer leur compétitivité externe de façon suffisante pour encaisser l’appréciation de l’euro dans la période précédente. Ce mécanisme pourrait conduire à transférer en partie la crise de l’UE vers les États-Unis et le Japon. Cela n’empêche pas que, globalement, les bourgeoisies européennes sont dos au mur : il leur faut réussir rapidement à redresser leur compétitivité si elles veulent écarter le spectre d’une grande dépression.
Les bourgeoisies de l’UE dos au mur : l’affrontement de grande envergure avec le prolétariat ne pourra plus être différé longtemps
Les difficultés économiques des bourgeoisies d’Europe de l’Ouest sont le reflet d’une résistance relativement plus importante du prolétariat de leurs pays à l’offensive du capital lancée à la fin des années 70 pour rétablir son taux de profit, qui est passé à la postérité sous le nom de « néolibéralisme ». Les bourgeoisies ont certes réussi à réduire de façon significative les acquis du prolétariat : cela se manifeste dans une nette hausse de la part des profits dans la valeur ajoutée. Mais, à l’exception de la bourgeoisie anglaise, elles n’ont pas pu infliger de défaites historiques à la classe ouvrière. Ce processus s’est réalisé par le biais d’une intégration croissante des organisations ouvrières à l’État et d’une politique relativement consensuelle, cher-chant à désamorcer toute crise grave. Mais aujourd’hui les gouvernements sont forcés d’être plus brutaux, car il y a urgence.
C’est ainsi que, à la surprise de toute la presse espagnole, le premier Ministre Zapatero, plutôt célèbre pour ses mesurettes sociales et son idylle avec les chefs syndicaux, a décidé de proposer à son tour un brutal plan d’économies, allant au-delà des mesures déjà annoncées en janvier (gel de l’embauche de fonctionnaires, recul de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans, baisse des indemnités de licenciement, hausse de la TVA). Il a annoncé la suppression d’une prime à la naissance, la fin de la revalorisation automatique des retraites et surtout la baisse dès juin 2010 de 5 % du salaire de tous les fonctionnaires, forçant les chefs de l’UGT et CC.OO., les deux grandes centrales syndicales, à rompre formellement la paix sociale, qu’ils avaient garantie sans discontinuer depuis 2004, malgré un taux de chômage de 20 %. Ce plan risque de plonger l’économie espagnole, déjà frappée de plein fouet par la crise immo-bilière, dans une spirale récessive.
Le gouvernement lui aussi « socialiste » du Portugal a annoncé un plan d’économies drastique pour ramener son déficit budgétaire à 4,6 % dès 2011 : le gel des salaires dans la fonction publique, la suppression de certaines allocations et un vaste plan de privatisation dans les transports, l’énergie, les assurances et la poste, report d’investissements d’infrastructures, hausse de la TVA et des impôts, mesures symboliques de taxation des plus riches.
En Irlande, qui a connu une récession de 7 %, le déficit budgétaire a atteint 14 % en 2009. Le gouvernement veut le ramener à 11 % en 2010. Pour cela, il a prévu de diminuer les salaires des fonctionnaires de 5 % à 15 %, de réduire les allocations sociales (notamment aux chômeurs) et d’augmenter les impôts.
L’Italie, dont le déficit budgétaire a atteint 5,3 % du PIB en 2009 et la dette plus de 115 % du PIB, est aussi dans une situation difficile. Le gouvernement Berlusconi a déjà refusé des aides aux régions en difficulté, mais étudierait aussi la possibilité de poursuivre le gel des embauches dans la Fonction Publique et d’imposer un an de gel total des salaires des fonctionnaires.
Le gouvernement français a également annoncé un plan de rigueur brutal, avec un gel total des dépenses pendant 3 ans, hors service de la dette et retraites des fonctionnaires. Selon Mathieu Plane, économiste à l’OFCE, l’objectif de ramener le déficit budgétaire à 3 % du PIB en 2013 suppose un effort sans précédent, de l’ordre d’1,7 % de PIB par an, soit plus que les rythmes records de réduction des déficits en France, évalués 0,7 % du PIB par an, comme entre 2003 et 2006 par exemple. Il conclut de façon significative : « Seules des coupes franches dans les dépenses de protection sociales (près de 50 % de la dépense publique) permettraient un ralentissement aussi marqué de la dépense publique. S’il veut être crédible, l’objectif de réduction des déficits publics ne peut être dissocié d’un projet concret de réforme fiscale ou d’un projet de refonte de notre modèle social. » (Le Monde, 14/05). Pourtant le gouvernement montre toute sa crainte d’une situa-tion sociale explosive en se refusant même à parler de « rigueur ».
La réaction du prolétariat et les obstacles
En raison de sa brutalité, le plan du PASOK de Papandréou a déclenché une grande vague de colère dans la population grecque, alors même que ses effets ne se sont pas encore concrètement fait sentir dans la vie des travailleurs. Le pays a connu le 5 mai la plus grande grève interprofessionnelle depuis la chute de la dictature, avec des manifestations de masse, dont environ 100 000 à Athènes. Une partie des manifestants a même voulu envahir le Parlement. Les mesures sont si brutales que les dirigeants syndicaux craignent de ne pas pouvoir contenir leur base.
L’extension et l’approfondissement de la crise risquent de présenter des situations compara-bles dans d’autres pays. Elles seront d’autant plus explosives que le prolétariat y aura été préparé par une certaine accumulation d’expé-riences dans la phase précédente.
La politique des bureaucraties syndicales
Cependant, il est clair que les bureaucraties syndicales font tout pour aider les gouvernements à faire passer leurs plans. En Grèce, les centrales syndicales refusent de rejeter purement et simplement le plan et d’appeler à se battre pour son retrait. Elles s’efforcent de paralyser le prolétariat en lui faisant croire qu’il n’y a pas d’issue positive à la crise pour les travailleurs : accepter les mesures est pénible, mais les refuser serait pire, car cela risquerait, selon les bureaucrates et le PASOK, de conduire le pays à la faillite avec un coût social encore plus élevé. Le secrétaire général d’ADEDY, la centrale grecque de la Fonction Publique, a déclaré : « Les syndicats feront tout leur possible pour faire pression en faveur de leurs revendications d’une répartition plus juste du coût des mesures d’austérité, mais n’ont pas la moindre intention d’aider ceux qui parient une cessation de paiement de la Grèce ». C’est pourquoi les centrales syndicales appellent à des journées de grève dispersées et sans lendemain, condamnant le prolétariat à l’impuissance. Elles ont ainsi réussi l’exploit de ne réunir que 2 000 personnes en manifestation dans les rues d’Athènes une semaine après l’historique grève du 5 mai.
Cette orientation n’est évidemment pas le propre des bureaucrates grecs. En France, les chefs des centrales syndicales ont honteusement accompagné la politique du gouvernement Sarkozy depuis 2007 et ont en particulier dispersé et épuisé les nombreuses luttes ouvrières contre les licenciements de la l’année 2009. Les dirigeants des confédérations espagnoles respectent scrupuleusement la paix sociale conclue avec le gouvernement Zapatero depuis 2004. Toutes les bureaucraties syndicales, attachées au système capitaliste, sont inévitablement conduites à l’accompagner quand il menace d’entraîner toute la société dans sa chute.
Les illusions réformistes néo-keynésiennes
Lorsqu’ils ne sont pas au pouvoir, les partis bourgeois de gauche et les partis réformistes s’efforcent de faire croire aux masses que la solution aux difficultés consisterait dans une sorte de plan de relance européen. Ce type de raisonnement est faux pour deux raisons.
D’une part, les réformistes néo-keynésiens (PCF, PG …) nous font croire que l’augmentation des salaires serait la solution à la crise : en augmentant le pouvoir d’achat des travailleurs, on augmenterait la « demande », et on inciterait alors les capitalistes à produire davantage. Ce type de raisonnement tient la route … à condition de faire abstraction qu’on vit dans un système capitaliste ! En effet, toute hausse des salaires a pour conséquence de faire baisser les profits, et c'est pour cela que les intérêts des travailleurs et les intérêts des capitalistes sont antagoniques. Les réformistes font croire qu'on pourrait financer une augmentation des salaires, en baissant les dividendes mais sans baisser l'investissement. Autrement dit, la baisse du profit (qu'ils ne peuvent pas nier) se traduirait uniquement par une baisse des dividendes, mais pas de l"investissement. Le seul problème, c'est qu'ils font croire que « on » (mais qui est le « on » ?) peut amputer les dividendes sans toucher à l'investissement. Or, dans le cadre de ce système, les choses sont simples : le moteur de l"accumulation, c'est le taux de profit. La hausse des salaires entraîne une baisse du taux de profit, et donc de l'accumulation. Faire croire que les capitalistes vont se priver de revenus pour maintenir l'investissement est une aberration. Si le profit baisse, c"est l'ensemble des composantes du profit qui baissera (distribution de dividendes et investissement). Bien souvent, les réformistes nous donnent en exemple la croissance d’après-guerre pour preuve que les politiques keynésiennes « mar-chent ». Là aussi, ils ont tort : ce ne sont pas les fortes hausses de salaires qui expliquent la croissance d'alors. C’est la forte rentabilité des entreprises (liée à la destruction de capital entraînée par la guerre, qui fait que la composition organique du capital était basse) qui explique le niveau de la croissance et le fait qu'il a été possible d'octroyer aux travailleurs (sous la pression de ceux-ci !) des hausses de salaire tout en maintenant un taux de profit élevé. À la fin des années 1970, la chute de la rentabilité des entreprises a fait que la bourgeoisie ne pouvait plus se permettre une telle redistribution des gains de productivité, et l’importance pour elle d’imposer une forte augmen-tation du taux d’exploitation.
Et l"investissement baissera d'autant plus ... que les capitalistes iront investir ailleurs ! En outre l'histoire a tranché : on sait comment a fini la relance de Mitterrand en 1981 ou du Front populaire en 1936 .... faute de s'attaquer au coeur du système capitaliste. Pour être juste, le raisonnement des antilibéraux nécessiterait que les capitalistes soient dépossédés de leur maîtrise sur la production... ce qu'ils ne veulent pas entendre puisque leur but est de montrer qu'un autre capitalisme est possible ! Un plan de relance européen, mis en œuvre aujourd’hui dans le cadre du capitalisme, ne ferait que plomber la compétitivité des pays de la zone euro et ne ferait que renforcer la cure d’austérité qui suivrait inévitablement (faute de révolution ouvrière). C’est pourquoi cette orientation keynésienne s’accom-pagne généralement de projets de réforme de l’Union Européenne, présentés comme démocratiques et sociaux : mise en place d’un budget européen, fiscalité unifiée européenne, droits sociaux alignés vers le haut, etc. Ils vendent ainsi des illusions à peu de frais. Car il est clair que dans le contexte de crise mondiale, aiguisant la compétition entre les principales puissances impérialistes, tout cela est impossible. Le renforcement éventuel des institutions de l’UE ne peut se faire que sous domination des capita-listes les plus puissants et restera toujours limitée par la persistance des intérêts propres de chaque capitalisme.
La crise alimente la montée du nationalisme et du racisme
Cette situation de crise va inévitablement nourrir des courants politiques bourgeois alternatifs à l’orientation actuellement domi-nante, courants qui se développeront sur la base du terreau créé par la politique celle-ci. D’un côté, les gouvernements européens s’efforcent encore plus qu’à l’habitude d’alimenter parmi les travailleurs l’illusion selon laquelle les étrangers seraient les responsables des difficultés économiques et sociales et par là de diviser les rangs des prolétaires. C’est le cas en France où le gouvernement Sarkozy a créé un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, lancé un pseudo-débat sur le même sujet pour stimuler le racisme et la xénophobie, fait passer une loi interdisant le port de la burqa pour essayer de stigmatiser tous les musulmans. Le gouvernement belge vient de faire adopter une loi dans le même sens. C’est aussi le cas en Italie, où les pogroms contre les étrangers se sont multipliés avec la caution de la police de Berlusconi. Le Royaume-Uni n’est pas en reste, avec un renforcement du BNP (British National Party).
D’un autre côté, les tensions internes aux États tendent à se développer. En Italie, la Ligue du Nord, parti néo-fasciste et séparatiste lombard, se renforce au sein de la coalition de Berlusconi. En France, le Front National a manifesté un relatif regain de popularité lors des élections régionales. En Belgique, les différentes fractions de la bourgeoisie sont en lutte, mais essayent toutes les deux d’utiliser la division entre Flamands et Wallons pour détourner la colère des travailleurs : cela s’est cristallisé dans une crise politique autour des communes où sont mélangés Wallons et Flamands près de Bruxelles, ville elle-même à majorité francophone mais qui se trouve en territoire flamand, qui a conduit à la convocation d’élections anticipées.
Enfin, les porte-parole de chaque bourgeoisie dénoncent avec virulence la responsabilité des autres pays. En Allemagne, le discours dominant peut se résumer à « c’est la faute aux Grecs et autres Européens du Sud, qui sont fainéants et laxistes ». En Grèce, on dénonce davantage les pressions des bourgeoisies les plus riches et du FMI que la responsabilité propre du gouvernement « socialiste ». De façon générale, le développement de la résistance des masses à l’offensive du capital, l’aggravation de la crise économique, la situation sans issue de certains pays ne pourront pas être capitalisés durablement par les partis de droite classique, qui ne proposent rien d’autre que ce que font les socialistes au pouvoir en Grèce, en Espagne ou au Portugal. Ils ne peuvent l’être que par la droite souverainiste et proto-fasciste ou par les communistes révolutionnaires. C’est précisément la raison pour laquelle les révolutionnaires doivent combattre de manière particulièrement ferme l’offensive raciste et xénophobe de leur propre bourgeoisie, mettre en avant les intérêts communs de tous les travailleurs, mais aussi avancer un plan d’ensemble face à la crise, dirigé vers la prise du pouvoir.
L’impasse souverainiste de la sortie de l’euro dans un cadre bourgeois
Les souverainistes de tout poil (par exemple Dupont Aignan à droite ou Nikonoff à gauche) recommencent leur dénonciation de l’euro, présenté comme la cause de tous les maux, et tentent de détourner la colère des masses uniquement vers l’UE ou le FMI, alors que ces armes politiques interétatiques sont en fait entre les mains des gouvernements nationaux les plus puissants.
Certains commencent à évoquer la possibilité de revenir à une monnaie commune. Les monnaies nationales seraient rétablies, mais l'euro continuerait à exister comme une monnaie de réserve (panier de devises des monnaies nationales) pour les transactions monétaires avec le dollar, le yen, etc. Les monnaies nationales ne seraient échangeables que contre des euros à un cours déterminé et fixe. L"avantage de la monnaie commune serait double : elle rendrait impossible la spécu-lation sur les monnaies nationales (les monnaies nationales n’étant convertibles qu’en monnaie commune, il n’y a pas de marché libre des changes entre les devises des participants), et le taux de change avec les autres monnaies de la zone pourraient être réajustés en fonction des différentiels compéti-tivité (l"ajustement ne se fait donc pas les salaires et les prix). Ce projet apporterait, sur le papier, une autre réponse (que l'union budgétaire) aux faiblesses structurelles de la zone euro. Avec un tel système, les plans de sauvetage actuels seraient inutiles : la dévaluation des mon-naies grecque ou portugaise leur apporterait de l'oxygène sans remise en cause de la monnaie commune.
Toutefois, ce projet n’est pas viable : la modification de ces parités serait soumise à des décisions de l’UE, empêchant ainsi théoriquement toute course à la dévaluation compétitive. Chaque pays aurait pourtant intérêt à avoir la monnaie la plus faible possible. Et s'il n'est pas satisfait par la décision majoritaire, il pourrait toujours être tenté de dévaluer sa monnaie et ne pas jouer le jeu collectif. La zone euro serait donc rapidement menacée de désintégration, chaque bourgeoisie étant tentée de ne pas respecter les décisions majoritaires. En outre, le basculement de la mon-naie unique à la monnaie commune pose problème, puisque les pays endettés en euros et dont la nouvelle monnaie nationale serait dévaluée, verraient leur dette exploser.
Pour un programme de transition face à la crise
Pas de victoire possiblesans fixer dès maintenant l’objectif de la prise du pouvoir par les travailleurs auto-organisés et du socialisme
Pour affronter victorieusement cette offensive du capital, les travailleurs ont besoin d’un programme clair. Dans le cadre du capitalisme, la crise ne peut être résolue qu’au prix d’un abaissement du niveau de vie des prolétaires d’Europe. Les politiques bourgeoises libérales, néo-keynésiennes ou souverainistes-populistes ne sont pas identiques, mais elles ont toutes en commun de vouloir faire payer la crise aux prolétaires : par une cure d’austérité immédiate, par l’illusion d’une relance impossible ou par une fuite en avant dévaluationniste-protectionniste. C’est pourquoi il est crucial dans cette période de lier systématiquement les revendications quotidiennes à l’objectif de la prise du pouvoir par les travailleurs auto-organisés, de l’expropriation du capital et du socialisme, seul capable d’organiser l’économie de façon réellement rationnelle, pour satisfaire les besoins humains (3).
Pour résoudre la crise, il faut réorganiser les forces productives, dont le développement reste entravé par l’existence d’États nationaux malgré la diminution relative des barrières au mouvement de capitaux, à l’échelle européenne et de façon rationnelle, afin de satisfaire les besoins des masses. Le capitalisme s’est montré incapable d’achever l’unification bourgeoise de l’Europe, 80 ans après en avoir lancé l’utopie. Cela s’explique par le fait que les antagonismes entre les bourgeoisies nationales ne peuvent être surmontés que par le triomphe de l’une d’entre elles sur les autres. Pourtant le développement des forces productives et l’inter-dépendance croissante des économies de l’UE l’exigent : cette tâche doit être accomplie. Seuls les prolétariats, parce qu’ils ont tous intérêt à renverser la bourgeoisie et à en finir avec le capitalisme, peuvent unifier l’Europe de façon progressiste. C’est pourquoi nous portons non seulement la perspective de rupture avec l’Union Européenne, mais celle de la destruction des États bourgeois nationaux et de la construction des États-Unis Socialistes d’Europe, qui ne pourront se construire que sur la base de l’extension de la révolution à partir d’un ou plusieurs pays.
Pour la construction de partis révolutionnaires et d’une internationale révolution-naire revendiquant le programme historique de la IVe Internationale
Quelle que soit l’énergie des masses en lutte, elles ont besoin pour vaincre d’un instrument capable de diffuser un programme de transition, d’être aux côtés des travailleurs à l’avant-garde des luttes et de prendre des initiatives pour centraliser leur combat contre le gouvernement. Bref, il n’est pas possible de vaincre l’obstacle dressé par les variantes bourgeoises de tout poil et les bureaucraties syndicales sans construire un parti révolutionnaire.
La crise qui a ébranlé l’Argentine en 2001, comme une sorte de répétition générale de la crise dans un pays semi-colonial, a dégagé des leçons importantes. Le krach économique, l’effondrement du niveau de vie, les massives journées de grève générale, le puissant mouvement des chômeurs, le tournant à gauche des classes moyennes n’ont pas suffi à produire une révolution, encore moins une révolution victorieuse. Cela tient principalement à deux facteurs. Le prolétariat, notamment de l’industrie, n’est pas intervenu comme tel dans les événements, à la fois paralysé par la crainte du chômage et encore dirigé par la bureaucratie syndicale qui a volé au secours du capital. Mais cela reflétait aussi le retard dans la construction d’un parti révolution-naire, forgeant la capacité de la classe ouvrière à lutter pour le pouvoir.
Les premiers pas de la crise ont déjà manifesté crûment à quel point les partis aux délimitations programmatiques floues se révèlent impuissants, voire jouent un rôle d’obstacles dans le développement de la lutte de classe jusqu’au bout. La politique du Bloc des Gauches (BE) portugais, présenté il y a encore peu comme un modèle de nouveau parti anticapitaliste, l’illustre de façon particulièrement nette (4). Ses députés ont voté le plan d’« aide » à la Grèce et donc le plan d’austérité imposé aux travailleurs grecs. La présidente du groupe du BE, Cecilia Onorio, s’est justifiée en expliquant que l’on ne pouvait laisser la Grèce faire faillite, car cela pénaliserait encore plus les travailleurs, comme l’explique Papandréou lui-même. Une telle orientation revient à enfermer les travailleurs dans le cadre du capitalisme où il n’y a pour eux aucune issue favorable, mais seulement diverses façons de payer la crise. La politique de la coalition réformiste Syriza en Grèce, sans atteindre cette extrémité, ne propose pas d’alternative et n’affronte pas ouvertement les bureaucraties syndicales : elle ne peut donc pas aider les masses à trouver le chemin d’un combat indépendant.
C’est pourquoi les militants révolutionnaires doivent aujour-d’hui plus que jamais s’efforcer de mettre sur pied des partis clairement révolutionnaires, osant opposer leur politique à celle des bureaucraties réformistes et des partis « de gauche ». C’est de ce point de vue que la gauche du NPA doit penser la politique qu’elle propose à l’ensemble du parti. Il s’agit de forger une tendance se battant pour faire du NPA un parti révolutionnaire, avec une délimi-tation stratégique claire, un programme de transition vivant et une pratique militante audacieuse. C’est la raison pour laquelle il faut lutter pour que les principes fondateurs soient revus, pour trancher les débats stratégiques laissés en suspens depuis le congrès dans un sens révolutionnaire et pour qu’un programme de transition réellement révolution-naire soit adopté et effectivement mis en œuvre dans la politique quotidienne du parti. Vue la place importante occupée par le NPA au sein de l’extrême gauche dans le monde et notamment en Europe, la portée de cette lutte politique dépasse ses étroites frontières. Une tendance révolutionnaire du NPA à la fois ferme sur les principes et la stratégie et souple dans la tactique peut être un point d’appui précieux pour tous ceux qui veulent construire de tels partis révolutionnaires.
Ce combat est, bien sûr, indissociable du combat pour une Internationale révolutionnaire se liant au meilleur de l’avant-garde du prolétariat en lutte. Au moment où le gouvernement nationaliste-bourgeois de Hugo Chávez au Venezuela lance son projet d’une prétendue Ve Internationale aux contours politiques flous et au contenu interclassiste, il nous faut défendre au contraire la validité globale du programme historique de la Quatrième Internationale, actualisé et enrichi, tout en ouvrant la discussion sur le bilan des organisations qui s’en réclament ou s’en sont réclamées, afin de relancer la construction du parti mondial de la révolution.
1) Cf. l’encadré « CDS : l’instrument privilégié de la spéculation contre la dette des États » dans l'article sur la Grèce d’Au CLAIR de la lutte n°6.
2) Ainsi, en 2008, le premier exportateur vers la Grèce était l’Allemagne (12,1 % du total), suivie par l’Italie (11,7 %) ; la France était le cinquième (5,6 %) ; le premier exportateur vers l’Espagne était l’Allemagne (14,5 % du total), suivie par la France (11,1 %) et l’Italie (7,4 %) ; pour le Portugal, c’est l’Espagne qui arrivait en tête des exportations (25,6 %), devant l’Allemagne (12,6 %) et la France (11,1 %).
3) Pour les grandes lignes d’un tel programme, voir la Contribution des 62 pour une Tendance Révolutionnaire dans le NPA, reproduite dans le présent numéro. Pour l’orientation immédiate, nous renvoyons à l’orientation que nous proposons pour lutter en France contre la réforme des retraites (premier article).
4) Cf. notre article dans ce même numéro.