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Un compte rendu des journées d'été des amis de la confédération paysanne
Au Cun du Larzac, lieu mythique des luttes des années 70 se sont tenues entre le 17 au 21 juillet les journées d'été des Amis de la confédération paysanne(1). Pour les militants anti-capitalistes citadins, l’intérêt de mieux connaître le monde paysan est évident dans une perspective de convergence des luttes, à l'heure des combats écologiques contre les bétonneurs de Notre Dames des Landes, contre les empoisonneurs comme Monsanto (OGM, pesticides), et contre les crimes de l"industrie agro-alimentaire et (famines, souffrance animale, réchauffement climatique).
Un débat emblématique pour commencer : quel accueil réserver à un ministre « socialiste » ?
La matinée du jeudi 18 juillet a lieu un épisode inattendu et particulièrement intéressant politiquement. Le hasard du calendrier a voulu que cette date soit justement celle de la venue, sur le site même des journées d"été, du ministre de l'agriculture Le Foll pour la cérémonie de prolongation d"un bail d'une partie des exploitations agricoles des terres du Larzac au profit de la SCTL(2). Cette décision du gouvernement, pour une fois écologique (quoiqu'en l"occurrence semble-t-il peu coûteuse), tout le monde présent aux journées d"été (conf paysanne et amis de la conf) s'en réjouissait. En revanche, les avis divergeaient sur l'attitude à réserver au ministre, certains ne voulant pas offrir au gouvernement l'occasion de réussir une opération de com"... et tenter notamment de faire oublier sa politique concernant le projet fort peu écologique d'aéroport de Notre Dame des Landes.
Alors que la partie majoritaire des présents de la confédération paysanne avait accepté de participer à la cérémonie, une poignée de manifestants (principalement des zadistes aveyronnais, accompagnés de quelques syndicalistes minoritaires de la Confédération Paysanne ainsi que d'au moins un militant NPA local ayant sorti une banderole pour l'occasion) décidèrent de perturber ladite cérémonie, bloquant même la route et obligeant le Foll à déguerpir sans gloire par un chemin de terre.
A la suite de quoi, un débat improvisé eut lieu le midi lors du déjeuner rassemblant la soixantaine de participants des journées des amis de la confédération paysanne. Un des initiateurs de la manifestation « sauvage » minoritaire, non membre de la confédération paysanne, demanda la parole pour expliquer ses motivations : non, on ne peut se contenter d'applaudir sagement un ministre, cautionnant par-là implicitement la politique du gouvernement. Les réactions exprimées montrent des avis très partagés ; beaucoup quoique critiques envers le gouvernement, estimant, à l"instar de José Bové, que perturber la cérémonie n'était « pas très correct »(3).
La question du rapport aux institutions et de leurs représentants traversera, en filigrane, tous les débats qui suivirent les jours suivants.
Des constats justes mais pas de perspectives hors du capitalisme
Lors des ateliers des journées d'été, les constats posés étaient très intéressants. Globalement le caractère criminel du capitalisme, même s'il n'est malheureusement pas toujours nommé explicitement, est peu contesté. Le bât blesse concernant les solutions proposées : qu'elles visent, dans le cadre des institutions, à adoucir les règles de l'économie de marché, ou qu'elles entretiennent l'illusion de possibilité de circuits économiques parallèles.
L"action parlementaire
Un des premiers ateliers des journées avait pour thème la PAC (Politique Agricole Commune), dont la réforme pour la période 2014-2020 a été récemment décidée par la Commission Européenne à Bruxelles(4). Depuis 1962, la PAC est un des plus importants chantiers politiques de l'UE. Le bilan est calamiteux : productivisme, vision technocratique, système de subventions favorisant les grosses entreprises au détriment des petits exploitants. Face à cela, la confédération paysanne revendique une réforme donnant « enfin le premier rôle à l’emploi et aux territoires »(5). Ce faisant la CP inscrit son discours dans le cadre des institutions et du capitalisme. Cette limite se retrouvait dans les débats des journées d"été : l'essentiel du temps était consacré à des explications techniques.
Que la CP, en tant que syndicat, cherche par la négociation avec le pouvoir à obtenir des avancées non révolutionnaires est une chose. Mais cela ne devrait pas impliquer la renonciation à une perspective « hors système ». Une partie des discussions ont porté sur ce point. Michel Dupont, assistant parlementaire de Jové Bové dans son travail de député européen, a décrit de façon très intéressante comment certaines batailles ont pu être moins menées parfois avec succès. Ainsi par exemple le travail salutaire d'information sur les OGM(6) et la dénonciation du lobbying de Monsanto. Ou encore les modalités prévu pour les exceptions aux règles de la sacro-sainte concurrence. Au final ce sont des votes arrachés au parlement. Ce ne sont certes pas là des résultats dérisoires... mais le risque existe qu'au nom du réalisme, la lutte contre le système se cantonne au terrain institutionnel.
De fait, de façon symptomatique, l'association Envie de Paysans, omniprésente durant les journées d'été, propose comme mode d"action l'envoi de courrier aux députés, pour faire pression les convaincre des vertus de l'agriculture paysanne. Plus généralement, le discours d'une partie des animateurs d'Envie de Paysans met en avant la perspective de « mobilisations citoyennes », dans un registre angélique étranger à l'idée de lutte, où l'analyse de classes(7) et la nécessité d"affrontement avec le pouvoir sont absentes.
Le contraste entre l'importance des enjeux agricoles et la faiblesse des moyens est frappant, car par ailleurs de nombreux constats étaient bien posés (partout dans le monde, famine, expropriation des paysans, absence de contrôle des populations sur le contenu des assiettes).
Bien sûr, beaucoup des présents membres des Amis de la CP, vieux militants, ont connu les folles années 70 et les discussions politiques sur « réforme ou révolution ? ». Mais la question est toujours d"actualité ! Il est dommage qu'elle ait été si peu présente.
Plus récemment – mais c'est peut-être une impression subjective – il semble qu'aux alentours de l'année 2000, au moment des grands rassemblements altermondialistes, José Bové, alors porte-parole de la CP, tenait des discours plus radicaux qu'aujourd'hui (P.ex., même si ce n'était pas la panacée, le slogan « un autre monde est possible » avait quand même le mérite d'appeler un changement de système).
Les batailles juridiques
De façon en partie similaire, plusieurs exposés dénonçant l’accaparement généralisé des terres faisaient une part importante aux moyens juridiques de contrecarrer les plans des bétonneurs. Quelles astuces pour réussir une occupation et retarder les demandes d'expulsion ? Quels types de terrains demander aux pouvoir publics pour éviter les éviter les opérations immobilières, et quels délais imposés par la loi pour les changements de classements, entre « constructible », « zone à urbaniser » et « protégé » ?
A Notre Dame des Landes contre Vinci comme à la ferme des Bouillons contre la société immobilière d'Auchan, l'utilité de ces connaissances est démontrée. Négliger cet aspect du militantisme pour ne parler « abstraitement » que de révolution serait stupide... simplement il faut faire les deux !
Car paradoxalement, quand bien même l’État permettrait de gagner les batailles juridiques en question, en vérité la bourgeoisie n'aurait pas lieu de s'en plaindre si en dernière analyse ces victoires signifiaient la sauvegarde de la paix sociale et le maintien de la lutte sur le terrain non-révolutionnaire.
Les recherches alternatives de contournement du capitalisme
Pour le soutien à l'agriculture paysanne, plusieurs militants proposent de réformer la PAC et à aménager le capitalisme. Parallèlement, se manifeste fortement l'espoir de développer « commerce équitable ». Mais ses possibilités d'extension sont limitées, et la reconnaissance de ce fait nécessité parfois une discussion à mener. Par ailleurs, plusieurs intervenants ont tiré de façon très honnête des bilans négatifs de certaines coopératives qui muées avec le temps en entreprises capitalistes banales. Leurs dirigeants peuvent se bureaucratiser, perdre l"esprit original, et finir par ne plus raisonner qu'en termes de rentabilité et d'augmentation d'activité. Ainsi par exemple, semble-t-il, de Biocoop, actuellement premier réseau de magasins bio en France.
Certains prônent le développement de circuits économiques parallèles où le producteur-paysan échangerait directement avec le consommateur-citoyen. L"évitement de l'intermédiaire du distributeur permettant ainsi une rémunération juste du paysan. Éventuellement ce type de mécanisme intégrerait des monnaies locales.
Mais ce type de solutions, si elles peuvent encourager des rapports de solidarité locaux, restent sous la pression du système qui les maintient toujours dans la marginalité. Tant que le pouvoir restera aux mains des capitalistes, il ne pourra y avoir à large échelle de contrôle sur l"agriculture et sur nos assiettes.
Conclusion
Les quelques remarques critiques qui viennent d'être formulées ne saurait faire oublier les nombreuses qualités des Amis de la CP. Le souci de lier question sociale et écologique est constant dans leurs réflexions. De même que la conscience de la nécessité de tisser des liens avec les paysans du monde entier : la coordination au sein du mouvement Via Campesina (la « voie paysanne » en espagnol) est salutaire et mérite d'être soutenue. Un militant malien invité a ainsi pu décrire les difficultés des paysans expropriés de son pays.
L"objectif des Amis de la Confédération Paysanne – faire le lien entre les paysans et les autres travailleurs – correspond au projet de construction du parti de l'Internationale : « Ouvriers, Paysans, nous sommes le grand parti des travailleurs... ».
Du reste, aux journées d'été étaient présents plusieurs ex-militants du NPA déçus, toujours désireux de combattre le capitalisme mais à présent orphelin de parti. Que les lieux comme les rassemblements des amis de la CP puissent servir au regroupement des forces, et à la convergence révolutionnaire des luttes !
1) La Confédération Paysanne (CP) est un syndicat agricole. Ne peuvent en être membres que les paysans. En revanche, les Amis de la Confédération Paysanne est une association ouverte à la fois aux ruraux et aux urbains, et dédiée la promotion « d"une agriculture respectueuse des hommes et de la Nature » (http://www.lesamisdelaconf.org). La confédération paysanne compte environ 7000 membres (15000 selon Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Confédération_paysanne) ; les amis de la conf", qui fêtent leur 10 ans d"existence, environ 1000.
2) Société civile des Terres du Larzac
3) « Et la manifestation alors ? "Par rapport à la signature du bail, c’est un non-événement, tranche Bové. Mais ce n’est pas très correct."http://www.midilibre.fr/2013/07/19/manifester-ou-pas-divergences-sur-le-larzac,736365.php
4) Tout est à nous s"en est fait écho dans le n° du 18 juillet, cf. http://www.npa2009.org/node/38228
5) http://www.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=1781
6) A ce propos lire les dossiers d'Inf"OGM – veillle citoyenne http://www.infogm.org
7) Le terme de « société civile » a été très utilisé par différents intervenants.