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    Sur la route III : l’organisation du travail

    Suite de la série d’entretiens avec L., routier (cf. épisode I et épisode II). Le capitalisme, c’est vraiment l’anarchie économique.

    C’est quoi les opérations que tu fais ?

    En citerne, on a été les palliatifs des salariés licenciés dans les entreprises. Avant il y avait des chargeurs. Quand ils ont vu que les chauffeurs étaient capables de charger leur camion, ils ont viré les chargeurs. Pareil, il y avait des déchargeurs. On faisait que la route, on s’est retrouvé à faire chargement, déchargement, et derrière, l’activité commerciale aussi, parce que le patron exige qu’on ait un comportement irréprochable. Un client qui te crache à la gueule, tu dois bientôt lui dire merci, alors que t’as ta dignité quand même. Le patron se gêne pas pour virer tout chauffeur qui aurait une attitude « irrespectueuse » envers le client, même quand il se fait agresser par le client. Les patrons sont devenus des boîtes d’intérim, c’est du prêt de main-d’œuvre illégal, ça n’interroge même pas les politiques, et quand tu essaies de montrer ça au tribunal, la justice bourgeoise te dit qu’elle en a rien à foutre. Et un chauffeur routier qui est pas bien dans sa boîte, il cherche même pas à se battre, il va aller dans une autre boîte. À un moment, j’ai arrêté la fuite en avant, j’ai dit : « il faut leur montrer que les chauffeurs routiers sont pas que des décérébrés ».

    Et tes boss… celui qui est juste au dessus de toi, c’est qui ?

    C’est le superviseur. C’est lui qui fait le lien entre les exploitants et les chauffeurs. Il sert de fusible quand un mec pète les plombs. L’exploitation, c’est eux qui prennent les commandes et nous distribuent le travail.

    C’est le personnel sédentaire, c’est les femmes ?

    Voilà, beaucoup de femmes. Ils se sont aperçus que les chauffeurs sont moins agressifs avec les femmes qu’avec les hommes. On laisse aussi des hommes, souvent des ouvriers qui ont mal viré, qui ont vu plus leur carrière que le fait qu’ils appartiennent à ce monde-là. Ils acceptent de devenir leurs larbins.

    Et entre l’exploitant et le patron, il y a qui ?

    Après l’exploitant c’est le sous-directeur, ou alors le chef d’exploitation, parce qu’on multiplie les postes qui servent à peu de choses. Le chef d’exploitation, en général, il a été un bon larbin pendant une dizaine d’années dans le groupe. Après le chef d’exploitation, on a le manager, c’est-à-dire le guignol qui sert à rien, qui a tous les pouvoirs pour massacrer la vie d’un chauffeur mais aucun pouvoir pour augmenter les salaires, pour discuter avec les chauffeurs. C’est des branquignoles qu’on nous met dans les pattes, parce que quand il y a un mouvement de masse, la première chose que fait le patron c’est de faire sauter le manager pour rassurer les salariés. Et quand il y a pas de mouvement de masse, il montre bien qu’il a droit de vie et de mort. On a eu le cas chez les transports AAA, où le mec a pété un plomb et descendu son exploitant et son patron. Depuis trois semaines on le promenait à pas rentrer chez lui, on lui a mal parlé au téléphone, il a pété un cable, il a dit « j’arrive », il leur a explosé la gueule. Quand je vois des salariés qui sont prêts à se suicider, plutôt que de te suicider, j’ai envie de dire de suicider ton harceleur, tu pourras toujours plaider la folie. C’est quoi la solution, c’est d’être un faible toute ta vie ?

    À part ton camion, tu as des outils, un ordinateur de bord ?

    Pff, les ordinateurs, ça leur coûte trop cher. On a un appareil imposé par l’État, le controlographe numérique ou chronotachygraphe, ou le « mouchard ». Certains chauffeurs prennent ça comme une sanction, c’est surtout une pointeuse sur laquelle les patrons n’ont aucun pouvoir. Le volet V1a permet de voir les vrais temps de route. La DRE ou l’inspection du travail peuvent donc savoir si les temps de route sont dépassés, si les temps d’amplitude sont trop grands. Pour le patron, c’est de la mise en danger, parce que le chauffeur devient un danger pour les autres et lui-même.

    C’est toi qui répares ton camion ?

    Avant je le faisais, parce que j’ai la compétence. Mais comme on a aucune reconnaissance, maintenant c’est mon patron qui se démerde. Je suis pas payé pour faire le mécano, j’ai autre chose à foutre, je fais déjà assez le con 12h par jour dans son camion, je vais pas foutre les mains dans le cambouis pour dix euros de l’heure.

    Tu travailles parfois en coopération avec d’autres ?

    Nos patrons n’aiment pas ça, mais ça arrive qu’on soit quatre ou cinq à faire le même tour. On part ensemble, en respectant les distances et les horaires de livraison. C’est plus sympa quand on s’arrête ensemble, on prend le café, on déconne. On est des potes, c’est un peu comme une famille quand tu pars longtemps.

    T’as des contacts avec des mécanos, ou d’autres services ?

    On a des mécanos, le rapport est bon parce que c’est eux qui entretiennent les camions. Eux aussi font un métier ingrat et ils sont sous-payés. Les exploitants par contre ont été positionnés par les patrons dans une optique de « diviser pour mieux régner ». Ce sont les exploitants qui sont supposés être responsables quand on a trop de travail ou des trucs impossibles à faire. Les patrons ont toujours des pare-feu pour ne pas affronter réellement le chauffeur. Ils veulent même pas t’adresser la parole, au gueux qui vient leur parler. Et puis les exploitants jouent sur l’idée que c’est le client avant tout, sur le fait que les chauffeurs ont une conscience professionnelle.

    Comment tu trouves les infos dont tu as besoin pour ton travail ?

    Je travaille à l’ancienne, avec la carte Michelin. J’ai un atlas qui doit avoir une dizaine d’années. Souvent je me note sur une feuille les sorties, les numéros des routes. Le GPS c’est un outil à cons. D’abord c’est au patron de le payer.

    Clairement il y a des problèmes dans l’organisation du travail, c’est quoi les plus fréquents ?

    Le plus fréquent c’est la surcharge de travail. Dans une journée de 10h selon eux, il y a réellement du boulot pour 12h, avec la circulation par exemple. Et derrière tu te fais harceler au téléphone. Il y a des chauffeurs qui se font appeler au téléphone toutes les cinq minutes : « t’en es où ? ». Tu supportes ça quelques mois et à un moment donné tu pètes un cable.

    Il y a souvent des pannes ?

    Non, avec tous les ponts d’or que l’État fait aux patrons, ils ont renouvelé leur parc. Ils le font pas dans l’intérêt des chauffeurs ou de la sécurité routière, mais ça leur permet de plomber les comptes de la boîte. Mais à la fin ils ont tellement de réductions et d’abattements que les grosses compagnies paient leurs camions pas plus de 65 000 euros. Mais c’est toujours le bas de gamme, t’as jamais toutes les options dans ton camion, alors qu’ils savent très bien que tu dors dedans. Jamais un employeur va te payer une télé, un frigidaire, à part quelques artisans qui ont encore le respect de leurs salariés. Dans le temps, quand on avait des vrais patrons, si tu voulais t’engueuler avec ton patron, tu pouvais. Il te disait, j’en ai autant pour toi, mais au moins il y avait un véritable échange. Là, t’es face à un mur capitaliste. Tu peux aboyer comme tu veux, j’en ai rien à foutre. Tu me fais trop chier, tu dégages. Un mépris total du salarié.

    Et ça concerne les exploitants et les patrons, ça ?

    Pas les exploitants, par exemple ma sœur A., elle a refusé de harceler un chauffeur sur l’ordre de mon directeur qui lui a dit : « lui, il va falloir que tu me le brides », etc. Elle a dit non. Là ça posait déjà un problème. Après, elle s’est mise en couple avec L. [un syndicaliste très actif dans la boîte], et derrière son frère a rejoint la CGT. Et puis clairement, aux NAO, le directeur nous a dit : « Vous me foutez la paix, je traiterai bien A. Vous me cassez les couilles, ça sera la première victime ». Trois jours après je la vois en rentrant de tournée, elle me dit : « le chef m’a proposé 4,2% d’augmentation, je vais accepter et je veux qu’ils arrêtent de me faire subir l’astreinte permanente que j’ai ». Je lui dis qu’elle a raison, elle envoie un mail acceptant la proposition et je vous demande de régler mon problème d’astreinte permanente. Le soir même elle était convoquée, on lui a dit : « on n’a plus besoin de tes services ». Il nous a fallu huit mois pour gagner sa réintégration, puis on est tombés sur un tribunal bien de droite qui a cassé la décision du tribunal des prud’hommes. Parce que remettre en cause le pouvoir d’un décision, mon dieu, c’est péché ! C’est comme si tu remettais en cause le patriarcat…

    Et du coup, qui organise le travail des routiers dans la boîte ?

    En général c’est les dispatchs, c’est-à-dire les exploitants, les sédentaires. A. était une dispatch. Sédentaire c’est le nouveau nom qu’on a donné à nos dispatcheurs. Ils distribuent les tours, organisent les journées. Si t’as des bonnes affinités avec ton dispatch, t’as des bons tours ; si t’es mal vu par lui, tu vas te taper toute la merde.

    Et l’organisation du travail est cohérente, ou bien c’est absurde, c’est le chaos ?

    Nos dispatchs ont quand même une conscience professionnelle, et ils comprennent bien que jouer le jeu de leurs patrons, ça leur sert pas forcément. Ils essaient d’être plus ou moins justes. Mais derrière il faut toujours faire le boulot, qui, pour nos employeurs, ne se conçoit pas à moins de douze heures par jour. Pour eux, un routier est feignant si il ne fait pas douze heures.

    Et les surveillants ?

    Le superviseur a un rôle quand le chauffeur n’en peut plus, c’est de canaliser le chauffeur ou de l’intimider avant qu’il arrive devant la direction : « qu'est ce que tu as à te plaindre, t'es un fainéant, tu fous rien et puis abuse pas trop parce que tu pourrais sauter. Tu sais on a des casseroles contre toi et compagnie ». Ils ont créé un fichier dans mon entreprise qu'ils appellent le « QHS Trans » qui est un fichier informatique illégal. Ils s'en servent en justice et on a même pas un seul juge prud’homal qui s'en soucie.

    Ça faut voir avec la CNIL peut être ?

    On les alerte mais ça reste toujours la décision du gouvernement de pas faire de vague avec les employeurs, alors que dedans il y a des délits pénaux commis.

    Je ne sais pas quel pouvoir à la CNIL effectivement.

    La CNIL peut relater, un peu comme l'inspection du travail, un manquement aux obligations de l'employeur en envoyant un courrier type où il y a : « c'est pas bien monsieur, votre entreprise... » mais jusqu'à présent, ils s'en cognent complètement.

    Tu disais « pas moins de 12h par jour », ça c'est la cadence, c'est les patrons qui déterminent mais qu'est ce qu'il y a comme moyen pour te faire travailler plus vite ?

    Nous en matière dangereuse ils ont du mal parce qu'en France on est limité à 80 km/h. C'est une obligation du code de la route de limiter les camions à 80km/h. Mais effectivement pour nous mettre la pression ils nous mettent nos collègues belges dans les pattes. Comme les belges ne respectent pas l'ADR alors qu'ils sont signataires de l'ADR. L'ADR c'est l'organisme qui gère le transport de matière dangereuse par route. Elle établit des règles qui sont assez strictes pour le transport de matière dangereuse. Nos employeurs ont compris qu'en prenant les Belges ou les Hollandais qui ne respectent rien au niveau limitation de vitesse, ils nous mettent la pression indirectement.

    Ils n'ont pas d'amende ? Pourquoi ils ne respectent pas les vitesses ?

    Ils sont rarement contrôlés. La police, la gendarmerie a ordre de ne pas interpeller les chauffeurs de l'Europe de l'Ouest.

    Ça a l'air de marcher...

    C'est une stratégie. Nos patrons comme le gouvernement sont complices de ce qu'on vit nous aujourd'hui dans le monde du transport.

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