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Face à la crise du capitalisme, premières ripostes des travailleurs et de la jeunesse dans le monde

Par Antoni Mivani (18 mars 2009)
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Le développement de la crise économique mondiale va inévitablement provoquer des catastrophes et de grands affrontements de classes. Comme militants anticapitalistes, nous devons nous y préparer pour être capables d’aider au mieux les travailleurs à développer leur lutte de classe pour ne pas payer la crise. Cela suppose d’examiner avec attention non seulement les premières réponses données par le prolétariat aux vagues de licenciements, aux fermetures d’usine, à la faillite des banques, mais aussi les premières crises politiques provoquées par le début de récession. Comment les masses, avec la conscience qu’elles ont forgée dans la période précédente, réagissent-elles aux premiers coups dus à la crise ? Quels points d’appui et quels obstacles rencontrent-elles dans leurs combats ? Quel rôle jouent les directions des différents partis et syndicats ? Nous avons pu suivre d’assez près, en France, les grèves générales antillaises, qui sont sans doute les réponses les plus puissantes à la crise pour le moment. Moins connues sont les grèves avec occupation d’usines, pourtant exemplaires pour tous les travailleurs qui cherchent à résister de façon efficace. D’autre part, la crise économique a d’ores et déjà provoqué plusieurs crises politiques importantes, faisant vaciller les sommets de l’État, dans plusieurs pays dont l’importance secondaire parmi les puissances capitalistes ne saurait masquer qu’ils sont seulement les maillons les plus faibles de la chaîne — et permettent donc de prévoir ce qui pourrait arriver dans les États les plus puissants, avec des conséquences centuplées…

Le retour des grèves avec occupation d’usine

Face aux fermetures d’usine et aux licenciements, et alors même que la crise ne fait que commencer, on voit réapparaître dans les pays les plus divers la méthode de l’occupation d’usine. Certes, c’est pour le moment à une échelle moléculaire. Mais il ne faut pas oublier que, à une échelle historique, la classe ouvrière commence tout juste à se recomposer, après trente ans de défaites, de régression des organisations et de recul de la conscience de classe. En ce sens, ces premières occupations d’usine indiquent une tendance à laquelle les révolutionnaires doivent être particulièrement attentifs. Car cette méthode a une signification profonde. Dans le Programme de transition fondateur de la IVe Internationale, Trotsky souligne : « Les grèves avec occupation des usines, une des plus récentes manifestations de cette initiative [des masses], sortent des limites du régime capitaliste "normal". Indépendamment des revendications des grévistes, l’occupation temporaire des entreprises porte un coup à l’idole de la propriété capitaliste. Toute grève avec occupation pose dans la pratique la question de savoir qui est le maître dans l’usine : le capitalisme ou les ouvriers. » C’est la raison pour laquelle il faut étudier et faire connaître le plus largement possible les occupations d’usine réalisées par les travailleurs dans des pays aussi divers que les États-Unis, l’Allemagne, l’Ukraine, l’Irlande, l’Espagne et l’Argentine.

États-Unis : l’exemple des travailleurs de Republic Windows and Doors

L’initiative des travailleurs de Republic Window and Doors, une usine de 250 travailleurs à Chicago, l’un des grands centres industriels de la première puissance capitaliste du monde, a eu un retentissement dans tous le pays (1). Non seulement le patronat avait décidé de fermer l’usine (probablement pour reprendre la production dans une autre usine de l’Iowa, acquise par le groupe, où il n’y a pas de syndicat), mais en outre il prétendait ne même pas payer aux travailleurs les indemnités légales. En effet, la principale banque finançant l’entreprise, la Bank of America, qui venait de recevoir 25 milliards du gouvernement fédéral, ne voulait pas avancer l’argent. Le mensonge des chefs de gouvernement bourgeois qui prétendent renflouer les grands groupes capitalistes pour sauver les emplois éclatait au grand jour : l’argent sert à boucher les trous et à préserver les profits des banques, non à alimenter le crédit et à sauver les emplois. Ce déni de justice criant a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : pour obtenir simplement le paiement des indemnités prévues par la loi, les ouvriers n’ont pas vu d’autre solution que d’occuper l’usine.

Cette réaction spontanée et déterminée leur a permis d’arracher en cinq jours de lutte la satisfaction de leur revendication. Le conflit a été entouré localement d’une large solidarité. Il a fait la une de tous les médias et s’est ainsi propagé dans tout le pays, contribuant à donner des idées aux travailleurs d’autres entreprises eux aussi frappés par la crise. La combativité et la détermination dont les ouvriers de Chicago ont fait preuve, qui était devenue rare dans le mouvement ouvrier américain, s’explique principalement par trois raisons. Les salariés de Republic Windows and Doors, qui sont en majorité des Latinos, pour beaucoup des immigrés, ont appris à se battre à travers toutes les luttes pour le droit des travailleurs immigrés ces dernières années. Ces ouvriers avaient chassé un syndicat dominé par la mafia et s’étaient affiliés à United Electrical, Radio and Machine Workers of America (UE), union traditionnellement plus combative que le SIEU (Syndicat International des Employés des Services). Enfin, comme des millions d’autres travailleurs, ils ont été frappés par le contraste entre les milliards offerts au patronat et les centaines de milliers de licenciements.

La limite de leur lutte tient à ce qu’ils ne semblent pas avoir cherché à empêcher la fermeture de l’usine et donc la perte de leur emploi. Mais l’occupation a commencé après que le patron eut retiré des machines essentielles, la reprise de la production par les salariés paraissait difficile. Cependant, cette limite manifeste non le manque de combativité des ouvriers, mais les carences de la direction du syndicat local qui n’a pas élaboré à temps un plan de bataille pour s’opposer à la fermeture de l’entreprise. Cela montre les limites stratégiques d’un syndicat, même combatif, tant qu’il n’est pas dirigé par des militants clairement révolutionnaires.

Allemagne : les ouvriers de HWU, un sous-traitant de l’automobile, occupent leur usine contre la fermeture

Les ouvriers du sous-traitant automobile HWU (Hohenlockstedter Werkzeugbau und Umformtechnik), fabriquant des pièces pour des catalyseurs, des volants et des serrures de portes, situé à Hohenlockstedter, une petite ville de 6 800 habitant dans le Schleswig-Holstein, ont eu eux aussi recours à la grève avec occupation (2). Le 29 octobre 2008, le nouveau patron depuis juin, Strodtkötter, un ancien employé de l’entreprise, a annoncé que, en raison de la crise, les commandes avaient chuté de 30%, que l’entreprise était en cessation de paiement, qu’il ne pouvait plus payer les salaires et que la fermeture définitive était proche. Les ouvriers ont réagi par une grève spontanée de 24h avec occupation de l’usine pour empêcher le départ des machines. Puis ils ont repris le travail suite à l’annonce du paiement des salaires par l’administrateur judiciaire. Mais, face à la menace de fermeture définitive, ils se sont mis de nouveau en grève et ont occupé l’usine le vendredi 5 décembre. La durée de la grève a menacé de paralyser la production chez certains constructeurs pour lesquels HWU travaille.

Dans cette lutte, il n’y a pas de doute que les ouvriers ont fait preuve d’une grande combativité. Mais ils se sont heurtés à l’obstacle constitué par la direction du puissant syndicat de la métallurgie, IG Metall, qui a refusé de soutenir cette grève en appelant les ouvriers de ses bastions de l’automobile à se joindre à cette lutte. Les bureaucrates estiment la fermeture inévitable et jugent la lutte jusqu’au-boutiste. Cela ne saurait nous surprendre : les années précédentes, les mêmes ont fait avaler les uns après les autres les plans de restructuration qui ont fait passer les effectifs de l’usine HWU de 700 à 100 salariés. Le prétexte : pour « sauver » l’entreprise, les suppressions d’emploi auraient été inévitables. En effet, pour eux, qui n’ont pas d’autre horizon que le capitalisme, il n’y a rien d’autre à faire que d’accepter que ce système brise les vies de millions d’ouvriers, car c’est la concurrence, c’est la crise, c’est comme ça. Mais les travailleurs, eux, ne peuvent pas accepter de perdre leur emploi et de se voir réduits à la misère. C’est pourquoi, malgré toutes les difficultés, ils ne veulent pas se résigner. C’est la tâche des militants anticapitalistes cohérents et conséquents, c’est-à-dire révolutionnaires, conscients que l’économie peut être rationnellement et démocratiquement organisée sur la base de la propriété collective et des conseils ouvriers, de les aider à mener le combat jusqu’à la victoire finale, c’est-à-dire jusqu’au gouvernement des travailleurs et au socialisme, tout en leur proposant des plans d’action et des méthodes de lutte qui permettent de donner toutes les chances pour des victoires partielles.

Les travailleurs de Kherson (Ukraine) : « Nous n’attendrons plus des miracles, nous allons prendre en mains l’usine »

Kherson est la principale usine de fabrication de matériel agricole en Ukraine. Après la chute du régime stalinien, l’entreprises a été privatisée et maintes fois restructurée. Des travailleurs ont été licenciés, les arriérés de salaire se sont accumulés. Fin 2007, l’usine a été rachetée par Alexander Oleinik, l’un des dirigeants du Parti des Régions, le parti pro-russe de Viktor Yanukovich, un ancien membre de la bureaucratie stalinienne. La situation ne s’est guère améliorée. À partir de septembre 2008, les salaires n’ont plus été payés du tout ; à partir d’octobre, l’usine n’a plus fonctionné que trois jours par semaine et la direction a fait pression sur les employés pour imposer un « plan de départs volontaires », ce qu’ont accepté une partie des jeunes ouvriers qui ne voyaient aucun avenir dans cette entreprise. C’est l’annonce le 20 janvier du déplacement dans une autre ville du bureau de la comptabilité et des paiements qui a finalement provoqué la riposte des ouvriers. Ils ont élu un comité d’usine, occupé le bureau de la direction le 2 février et fait connaître leurs revendications : paiement de tous les arriérés de salaire, nationalisation de l’usine, saisie du compte d’Oleinik, garantie par l’État que l’usine restera ouverte. Ils ont rejeté sans hésitation la proposition d’un envoyé du maire de la ville proposant de payer les arriérés de salaire en prélevant sur le budget social de la municipalité, qui sert à aider d’autres travailleurs et pauvres. Le 7 février, une manifestation de soutien à la lutte a été organisée, avec la venue de syndicalistes, de travailleurs et d’étudiants des villes environnantes. Sur les banderoles, on pouvait lire : « faites payer la crise aux oligarques ! », « donnez des salaires aux travailleurs et le contrôle de l’usine ! », « nous n’attendrons plus des miracles, nous allons prendre en mains l’usine » et « aujourd’hui Kherson, demain toute l’Ukraine » (3)

La lutte des travailleurs de Kherson est remarquable, car elle exprime une conscience particulièrement avancée, alors même que le prolétariat d’Ukraine ne s’est guère mobilisé depuis la chute du stalinisme, sous lequel il avait été surexploité et opprimé. Ils soulignent à juste titre que la production ne peut pas être réellement réorganisée à l’échelle d’une seule usine : au fond, leur lutte pose bien la question de la classe sociale qui détient le pouvoir politique.

Espagne : les ouvriers d’ACC occupent l’usine contre la baisses de salaire et la flexibilité

ACC Spain, filiale de la multinationale italienne ACC, qui fabrique des compresseurs, prétendait imposer à ses 567 employés une baisse de salaire de 300 euros et 64 jours de chômage technique entre mars et décembre 2009. Elle a produit un ERE, c’est-à-dire un « dossier de régulation de l’emploi », justifiant ces mesures par des données économiques, qui doit être approuvé par l’administration du travail. Le 12 février, les ouvriers ont trouvé les portes de l’entreprise fermées à leur arrivée. Ils ont réussi à entrer tout de même et, depuis ce jour, l’usine est en grève illimitée avec occupation. Ils empêchent la sortie de la production. À l’heure où nous bouclons ce bulletin, le conflit est toujours en cours : si les ouvriers ont obtenu satisfaction sur une partie de leurs revendications salariales après plusieurs semaines de lutte, l’ERE, quant à lui, n’a toujours pas été même simplement revu (4).

Irlande : occupation de l’usine Waterford Crystal de Killbary

L’entreprise Waterford Wedgwood, qui produit des verres, de la porcelaine et des céramiques fines, emploie 8000 travailleurs dans le monde entier. Elle a son siège en Irlande et dix usines sous-traitantes au Royaume-Uni. Suite à de mauvais résultats, elle prévoit la suppression de 1 900 emplois. 370 travailleurs ont déjà été licenciés au Royaume-Uni. Il est prévu de fermer l’usine irlandaise (à Killbary), employant 480 ouvriers, jusqu’à l’arrivée d’un hypothétique repreneur. Des manifestations ont été organisées contre la fermeture, qui ont déjà réuni jusqu’à 7 000 personnes. Les ouvriers de Waterford Crystal de Killbary ont décidé d’occuper leur usine contre la fermeture. Des travailleurs et des délégués syndicaux ont commencé à faire une tournée au Royaume-Uni pour essayer d’organiser une lutte d’ensemble de l’entreprise, faire connaître leur lutte et l’occupation de l’usine. Le cas des ouvriers de Waterford Crystal n’est pas isolé : ceux d’Element Six (Shannon), une entreprise d’abrasifs et de produits chimiques pour les diamants et pierres précieuses, ont aussi décidé d’occuper l’usine suite à l’annonce par la direction d’un plan de licenciements de 150 travailleurs sur un total de 620.

Argentine : les ouvriers d’Indugraf occupent leur usine et exigent la nationalisation sous gestion ouvrière

Le prolétariat argentin arrive face à la crise avec une expérience supérieure à celle de beaucoup d’autres pays. En effet, autour des années 2000, l’Argentine a été frappée par une crise économique d’une violence comparable à celle qui touche aujourd’hui le monde entier : des faillites nombreuses, des millions de licenciements, un chômage considérable. À cette époque, des centaines d’entreprises petites et moyennes, abandonnées par leur patron, ont été occupées par leurs ouvriers et la production y a été relancée, généralement sous forme de coopératives. Zanon, dont les travailleurs luttent depuis sept ans pour l’expropriation sous gestion ouvrière, est l’expérience politiquement la plus avancée de ce phénomène (5). Avec la crise, ce type de situation est appelée à se reproduire.

C’est précisément le cas d’Indugraf, une imprimerie employant 80 salariés, située dans le quartier de Parque Patricios, à Buenos Aires. Le 24 novembre, les ouvriers ont trouvé leur usine fermée avec un petit écriteau : « fermée provisoirement, les travailleurs seront informés par télégramme »… de licenciement ! Le patron, qui a disparu du jour au lendemain, a laissé deux mois d’arriérés de salaires. Le 10 décembre, les 60 ouvriers (car la vingtaine d’employés administratifs ont eux aussi disparu !), réunis en Assemblée Générale, ont décidé d’occuper leur atelier graphique pour sauver leurs emplois. La justice a émis avec un rapidité peu habituelle un ordre d’expulsion des travailleurs occupant l’usine. La direction de la fédération syndicale des ouvriers du livre de Buenos Aires est venue pour essayer de persuader les travailleurs de renoncer à l’occupation. Sans succès. Le Ministère du Travail, auquel les salariés s’étaient adressés en vue de trouver une solution pour garantir leurs emplois, s’est mis à son tour à attaquer l’occupation, sans pour autant proposer la moindre solution aux travailleurs. Comme toujours, en Argentine comme dans le reste du monde, la Sainte Alliance du patronat, de la bureaucratie syndicale et de l’État se dresse contre la lutte des prolétaires. Mais les ouvriers n’ont pas cédé à la pression. Le patron est alors réapparu et a fait la proposition de régler les arriérés de salaire d’octobre et de novembre par la vente de deux machines, sans pour autant garantir la réouverture de l’entreprise avec le maintien de tous les emplois. Il cherchait à briser la lutte en divisant les travailleurs fragilisés par les problèmes financiers, puisqu’ils n’ont pas touché de salaire depuis quatre mois (6).

Une telle résistance n’aurait pas été possible sans l’appui des ouvriers d’autres usines occupées, à commencer par ceux de Zanon (qui luttent pour la nationalisation sous gestion ouvrière depuis 2001 et dont le combat est connu et admiré dans toute l’Argentine) et Brukman (une petite usine de textile occupée de Buenos Aires, dont les ouvrières ont mené un combat exemplaire au début des années 2000), de délégués syndicaux combatifs de nombreux secteurs (travailleurs d’autres imprimeries, métro de Buenos Aires, éducation, santé, etc.) et de certains partis politiques d’extrême gauche comme le PTS et le PO. Ce soutien a des aspects multiples : faire connaître l’occupation aux autres travailleurs, participer à l’organisation d’activités pour financer la grève (un grand concert, une journée culturelle), participer massivement à la manifestation vers le palais présidentiel, contribuer à la défense de l’occupation, apporter l’expérience politique accumulée face à des problèmes semblables… Les ouvriers d’Indugraf exigent désormais la nationalisation de l’entreprise sous gestion ouvrière : ils ont rédigé un projet de loi en ce sens. D’un côté, ils examinent comment s’y prendre pour relancer la production, car il leur faut assurer leur survie. De l’autre, ils cherchent à lier leur lutte à celles des secteurs les plus avancés de la classe ouvrière, car ils ont conscience que leur combat ne peut pas se maintenir sans le soutien de leur classe et qu’il ne peut être victorieux sans une victoire de l’ensemble des travailleurs. Lors d’une assemblée générale ouverte, les ouvriers d’autres entreprises graphiques (coopérative Chilavert, Donelley) ont offert leur aide technique pour relancer la production ; les représentants de Zanon ont proposé la mise en place d’une instance de coordination des diverses expériences ouvrières du pays ; Christian Castillo, dirigeant du PTS, a soutenu qu’il est nécessaire, au-delà de l’aide à cette lutte, de commencer à regrouper les secteurs de travailleurs combatifs en une rencontre nationale pour affronter la crise avec un programme indépendant.

Même si ces quelques exemples indiquent simplement une tendance initiale, ils sont suffisants pour prouver que les sceptiques, qui doutent des capacités de la classe ouvrière d’aujourd’hui à lutter avec courage, détermination et radicalité, ont profondément tort. Ils confirment la brûlante actualité des mots d’ordre pour imposer aucun licenciement, la répartition des heures de travail entre tous sans baisse du salaire, par la grève, jusqu’à l’occupation des usines, avec l’exigence de l’expropriation sous gestion ouvrière. C’est l’ensemble de ces mots d’ordre que les révolutionnaires doivent aujourd’hui populariser d’une façon générale et aider les ouvriers à mettre en œuvre concrètement dans chaque cas particulier.

De premières crises politiques ébranlent les États européens les plus faibles

La crise économique mondiale touche fortement les pays d’Europe, mais de façon inégale, à la fois parce que la structure de leur économie et leur insertion sur le marché mondial sont différentes et parce que les rapports entre les classes forgés avant la crise sont variables. Comme la crise économique a éclaté sous la forme d’une crise financière, les pays où le secteur financier a un poids important ont été les premiers et les plus violemment touchés (Islande, Royaume-Uni), ainsi que les pays dans lesquels la croissance avait été tirée notamment par le secteur immobilier sur la base du crédit facile (Royaume-Uni, Irlande, Espagne, Lituanie, Lettonie, Estonie). Mais la tendance des banques des pays impérialistes d’Europe (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Autriche, Espagne, Suisse) à rapatrier leur capitaux pour faire face à leurs propres difficultés a plongé à leur tour les semi-colonies d’Europe centrale, très largement dépendantes du capital financier, dans une crise brutale (chute du cours de leur monnaie, hausse des taux d’intérêt, menace de cessation de paiement), nécessitant parfois l’intervention vigoureuse du FMI pour sauver le pays de la faillite (Hongrie, Ukraine, Lettonie…). Or, cette crise affecte en retour les banques impérialistes fortement engagées dans ces pays, constituant une bombe à retardement pour l’ensemble de la zone euro. Enfin, la crise met à nu les fragilités persistantes des économies de certains pays entrés tardivement et avec une certaine arriération économique dans l’UE, dont la Grèce est l’un des exemples les plus frappants.

Révolte en Grèce : la jeunesse est le fer de lance de la lutte, mais le PASOK et le KKE, fidèles défenseurs de l’ordre bourgeois, empêchent la jonction avec le mouvement ouvrier

La révolte de la jeunesse

Sur fond de crise économique, de précarité généralisée, de bas salaires et de corruption du gouvernement, l’assassinat par des policiers d’un jeune manifestant de 15 ans, Alexis Grigoropulos, a mis le feu au poudre et plongé la Grèce dans une crise politique qui a duré plus d’un mois.

Pourtant, la Grèce, entrée en 1986 dans l’Union Européenne, était supposée être l’un des symboles du rattrapage du retard économique et de la croissance harmonieuse grâce à l’UE. Or, si la Grèce a bien connu une certaine croissance, elle n’a cependant guère modifié la structure de son économie : importatrice nette de biens industriels, dominée par le secteur des services (74% du PIB), largement dépendante du tourisme (15% du PIB), marquée par un puissant secteur d’État (40% du PIB). Sa balance commerciale est fortement déficitaire (de 36 milliards de dollars en 2008). Elle est le premier bénéficiaire des aides de l’UE, qui se montent à 3,3% de son PIB. Le PIB par tête n’atteint que 75% de la moyenne de l’UE et plus d’un 1 habitant sur 5 vit en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 5000 euros par an. La jeunesse est condamnée à un fort taux de chômage, à la précarité et à des salaires ne dépassant guère les 700 euros. Ce terreau avait déjà donné lieu en 2006 et 2007 à d’importantes mobilisations de lycéens et d’étudiants, ainsi qu’à des journées de grève interprofessionnelle largement suivies. Or, la croissance relativement forte des dernières années (près de 4% par an entre 2002 et 2007) a été stimulée par les dépenses d’infrastructures liées au JO d’Athènes et par le crédit facile contribuant à un niveau élevé de consommation des ménages. C’est pourquoi la crise a vite touché le pays. La situation s’est brutalement aggravée : les exportations ont chuté de 13,2% par rapport à l’année passée et l’activité industrielle s’est contracté de 3,5%. Le gouvernement de la Nouvelle Démocratie (droite), dirigé par Costas Karamanlis, dont la majorité repose sur un seul siège (151 députés sur 300), déjà affaibli par les luttes du printemps 2008 contre la réforme de la Sécurité Sociale et par divers scandales de corruption, a redoublé la violence de ses attaques, concentrées dans un budget d’austérité, avec de nouvelles privatisations, notamment celle de la compagnie aérienne nationale et des restrictions budgétaires. Le mécontentement social grandissait : grève de la faim des prisonniers contre leurs conditions de détention, occupation d’usine par des travailleurs pour en empêcher la fermeture (ALTEC), luttes paysannes... C’est pourquoi, avant la mort d’Alexis, le GSEE (Confédération Générale du Travail) et l’ADEDY (Fédération Nationale des Employés de l’État) avaient décidé d’appeler à une grève générale pour le 10 décembre contre le budget.

La réponse de la jeunesse à l’assassinat d’Alexis par la police a été particulièrement déterminée. Plusieurs milliers de jeunes influencés par diverses organisations d’extrême gauche (anarchistes, trotskystes, etc.) se sont rassemblés au centre d’Athènes, dressé des barricades et affronté les unités spéciales de la police. Pendant ce temps, l’organisation de jeunesse de Synapsimos (gauche de la gauche) organisait une manifestation en un autre point de la ville. Des événements semblables ont eu lieu à Thessalonique. Le lendemain, une manifestation à l’appel de l’ensemble de ces organisations a réuni 10 000 personnes à Athènes. Des cocktails Molotov ont été lancés sur des banques, des centres d’exposition de voitures, des ministères. Les manifestations, marquées par de violents affrontements avec la police, ont ensuite gagné toute la Grèce. Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues d’Athènes, notamment des jeunes (lycéens, étudiants et jeunes travailleurs précaires) tendant à adopter les méthodes des anarchistes sans pour autant avoir de lien organique avec eux. Dans les jours suivants, plus de 600 collèges et lycées et 150 départements d’universités ont été occupés. Cependant, dans l’ensemble, l’auto-organisation des jeunes est resté limitée. La crise politique a été d’autant plus forte que la vigueur de la riposte à l’assassinat d’Alexis n’a pas empêché la sympathie d’une grande majorité de la population. Même des associations de commerçants d’Athènes, victimes de dégâts matériels, ont déclaré que l’on ne pouvait pas comparer la mort d’un homme avec des pertes matérielles. La journée de grève générale interprofessionnelle du 10 décembre a été suivie à près de 90% par les travailleurs. Le gouvernement était donc extrêmement fragilisé. L’inquiétude ne touchait pas seulement les milieux d’affaires grecs, mais s’est propagée au sein de la bourgeoisie européenne : la chute du gouvernement Karamanlis sous la mobilisation des masses au tout début de la crise aurait constitué un dangereux précédent au moment où la crise économique s’approfondit, menaçant de déstabiliser l’ensemble des États. C’est d’ailleurs précisément à ce moment que Sarkozy a reculé devant le mouvement lycéen en suspendant la réforme Darcos des lycées, craignant la contagion du syndrome grec.

Le PASOK et le KKE sauvent le gouvernement

Le PASOK, parti « socialiste », principal parti d’opposition, n’a pas appelé aux manifestations, en a condamné la violence et a proposé comme issue la tenue de nouvelles élections. S’il n’a pas osé faire lever, par l’intermédiaire de la confédération GSEE qu’il dirige, l’appel à une journée de grève générale interprofessionnelle, il a tout fait pour rendre cette journée inoffensive, allant jusqu’à annuler la traditionnelle manifestation du siège du syndicat au Parlement, remplacée par un rassemblement devant le Parlement. Dans la tradition du stalinisme, le KKE, parti « communiste », s’est distingué par une virulence toute particulière contre les jeunes insurgés traités de délinquants (« gangsters », « bandes de narcotrafiquants et réseaux de prostitutions », « talibans », « provocateurs », « agents de la CIA »…), se lamentant de l’incapacité du gouvernement à rétablir l’ordre. Bref, en refusant de dresser l’ensemble des revendications des masses, d’appeler à reconduire la grève et d’exiger le départ du gouvernement, le PASOK, le KKE et les directions syndicales ont réussi à empêcher la jonction entre la jeunesse et les travailleurs. Ils ont ainsi permis au gouvernement discrédité de Karamanlis de survivre. De cette façon, ils ont été le facteur décisif pour que la bourgeoisie parvienne à refermer, provisoirement, une crise qui ne manquera pas de se rouvrir dans les mois qui viennent, d’autant plus que les économistes estiment qu’il pourrait y avoir 300 000 licenciements en 2009, soit environ 7% de la population active. L’extrême gauche aura-t-elle su tirer le bilan de cette première crise pour intervenir mieux et avec plus de poids lors de la prochaine explosion de colère ?

La politique de la «  gauche de la gauche » et de l’extrême gauche

Cette première crise politique a en effet constitué un test aigu pour les organisations se situant à la gauche du PASOK et du KKE.

La plus importante d’entre elles, Syriza (Coalition de la Gauche Radicale) est un parti hétérogène regroupant diverses organisations de la gauche de la gauche. Sa principale composante est Synapsismos, une organisation fondée en 1991 par la rupture définitive entre le KKE « de l’intérieur » (ce que l’on appellerait en France les « refondateurs ») et le KKE officiel, dit « de l’extérieur » (par référence à son obéissance stricte à Moscou jusqu’en 1991), resté stalinien orthodoxe. En 2004, Synapsimos a formé une coalition électorale avec d’autres organisations (le parti écologiste-communiste AKOA, le KOE d’origine maoïste, le DEA, Kokkino, section sympathisante du « Secrétariat Unifié de la IVe Internationale », dont l’ex-LCR était la section française, et Xekinima, section grecque du CIO, dont la GR est la section française…). La coalition Syriza dispose d’un groupe au Parlement.

Dans un texte sur les événements adopté par son comité central le 14 décembre, l’OKDE-Spartakos, section officielle et critique du « Secrétariat unifié de la IVe Internationale », fait une critique en règle de l’orientation capitularde de Syriza (cf. l’intéressant dossier publié dans Inprecor n° 545-546). Si Syriza a immédiatement réclamé la démission du gouvernement et participé aux premières manifestations, elle a ensuite fait machine arrière et s’est démarquée de la violence des jeunes révoltés. De même, après avoir demandé la dissolution des corps spéciaux de répression, Syriza est passée à la demande d’un « contrôle démocratique de la police par le parlement ». Le 12 décembre, Alekos Alavanos, ancien président du groupe parlementaire Syriza, n’a pas hésité à rencontrer la direction du « syndicat » des policiers et à affirmer qu’« il y a d’un côté les droits des jeunes à faire respecter », mais que « l’autre face de la monnaie, c’est le policier citoyen » ; et il précisé que « le policier respectable, c’est celui qui a reçu une bonne formation et qui accomplit ses fonctions au sein de la société. » (Note n° 8 au texte de l’OKDE-Spartakos, Inprecor n° 545-546.) De même, au lieu de participer à la manifestation appelée par les organisations d’extrême gauche, les syndicats combatifs et les syndicats enseignants le 10 décembre, jour de la grève générale interprofessionnelle, Syriza s’est traînée à la remorque de la bureaucratie syndicale. C’est clairement Synapsismos qui donne le ton au sein de Syriza. Les groupes d’extrême gauche qui y participent n’ont aucune influence sérieuse sur la ligne politique et se laissent même souvent entraîner par la direction du parti sur son propre terrain, comme le 10 décembre. Le test constitué par la crise politique a confirmé que Syriza est une coalition qui sert de flanc-garde de gauche « radical » au régime. Les organisations se revendiquant du trotskysme membres de Syriza doivent rompre avec cette coalition et avec sa politique, sous peine de continuer à lui servir de caution soi-disant « révolutionnaire ».

Il existe en outre deux regroupements d’organisations d’extrême gauche : Mera (Front de la Gauche Radicale, auquel appartient l’EEK, Parti Révolutionnaire des Travailleurs, organisation de la CRCI en Grèce, liée au Parti Ouvrier argentin) et Enantia (la Gauche Unie Anticapitaliste, à laquelle appartient l’OKDE-Spartakos, le SEK, organisation sœur du SWP britannique, et deux organisations étudiantes, Aran et Aras, issues des luttes étudiantes des deux dernières décennies). Pour autant que nous puissions en juger, il semble qu’elles aient défendu dans l’ensemble une perspective de classe : elles ont soutenu la révolte de la jeunesse, participé aux barricades dès le 6 décembre, mis en avant le mot d’ordre de renvoi du gouvernement et convoqué avec les syndicats enseignants une puissante manifestation, qui a rassemblé 25 000 personnes le jour de la grève générale.

Enfin, les organisations anarchistes ou anarchisantes ont marqué la lutte de leur empreinte, une partie significative de la jeunesse révoltée reprenant ses méthodes. Ce phénomène n’est pas propre à la Grèce : on le voit se manifester à des degrés divers dans de nombreux pays d’Europe (France, Islande, etc.). On peut sans doute l’expliquer par deux facteurs. D’une part, la chute des régimes staliniens et la campagne idéologique de la bourgeoisie pour identifier communisme et totalitarisme tendent à renforcer les groupes anarchisants qui, tout en dénonçant violemment la dictature bureaucratique, défendent une orientation anticapitaliste. Une telle tendance se renforce inévitablement en temps de crise, comme l’a illustré à sa façon la crise économique, sociale et politique du début des années 2000 en Argentine, où le mouvement « autonome » a été particulièrement fort au début, avant de reculer en raison de l’impasse stratégique constitué par son programme. D’autre part, la majorité des organisations se revendiquant du trotskysme ont trop souvent tendance à adopter une politique opportuniste qui les empêche de trouver la jonction avec les secteurs les plus radicalisés ; en outre, cette tendance d’une bonne partie d’entre elles porte préjudice par ricochet même aux organisations trotskystes plus principielles.

Face au développement de la crise, il est donc essentiel pour les communistes révolutionnaires d’élaborer une orientation stratégiquement solide, capable de donner une perspective politique à la radicalisation d’une fraction des masses et bientôt de couches encore plus larges.

L’Islande en faillite : un premier gouvernement européen tombe sous les coups de la crise et de la mobilisation des masses

Si le gouvernement grec a finalement été sauvé par le PASOK et le KKE, celui d’Islande n’aura pas survécu aux premières mobilisations de masse provoquées par la crise. Pourtant, à première vue, ce n’est pas du tout le genre de pays où l’on attendrait une crise économique et sociale brutale. L’Islande est un pays de 320 000 habitants, dont l’économie est dominée par les services financiers, les industries liées à la pêche et la production d’aluminium. Elle a connu une croissance soutenue pendant l’âge d’or du « néolibéralisme », jusqu’à devenir le deuxième pays le plus riche du monde en PIB par habitant (40 000 euros !), avec un taux de chômage longtemps inférieur à 3%. Mais précisément, cette croissance reposait avant tout sur une bulle financière qui n’a cessé de grossir. Les banques islandaises ont financé leur développement grâce à des dépôts venant d’autres pays attirés par les hauts taux d’intérêt par rapport à ceux pratiqués dans le reste du monde (de l’ordre de 15% pour une inflation de 14%). Elles ont donc accumulé une dette énorme, d’un montant comparable aux réserves de la banque centrale d’Islande. C’est pourquoi, lorsque les trois principales banques islandaises Glitnir, Landsbank et Kaupthing, n’ont plus pu se refinancer sur le marché interbancaire quasi-paralysé en raison de la crise financière, elles ont été acculées au dépôt de bilan, la banque centrale ne pouvant les couvrir. Elles ont finalement été par la suite nationalisées et le FMI a accordé un prêt exceptionnel de 2,1 milliards de dollars, afin d’éviter que ces faillites n’entraînent dans leur chute leurs homologues du Royaume-Uni, des Pays-Bas et d’autres pays européens qui y avaient fortement investi. Déjà cette première crise a conduit à des centaines de licenciements dans un pays qui comptait auparavant à peine plus de 2 100 chômeurs. Le prêt du FMI a été subordonné à des coupes dans les retraites et les budgets sociaux. Un tiers de la population a perdu son épargne. 70% des entreprises seraient en faillite. Selon le FMI, le PIB devrait chuter de 10% en 2009 et le chômage, qui a déjà atteint 4,5%, devrait au moins doubler. La chute brutale de la couronne islandaise, qui a perdu plus de 50% par rapport à l’euro, a renchéri le coût des biens importés, très importants en Islande.

En réponse, des rassemblement de 5 000 à 10 000 personnes ont eu lieu autour du Parlement à Reikjavik, la capitale du pays. Comme lors de la crise argentine en 2001, les manifestants portaient des ustensiles de cuisine, poêles et casseroles, dont ils se servaient comme tambours. L’un des mots d’ordre central était la dénonciation du « gouvernement incompétent ». Ces manifestations ont donné lieu aux premiers affrontements avec la police depuis les mobilisations contre l’adhésion à l’OTAN en… 1949. Des manifestants ont lancé des pierres sur la police qui a répliqué par des gaz lacrymogènes et une vague d’arrestations. Là encore, l’influence de groupes anarchistes a été visible. Dans un premier temps, le gouvernement a essayé de s’en tirer par l’annonce d’élections anticipées pour mai 2009, puis par la démission du ministre du commerce, Bjorgvin Sigurdsson, et le limogeage d’un haut fonctionnaire responsable des questions financières. Mais les manifestations ont continué, exigeant la démission immédiate du gouvernement. Le Premier ministre du gouvernement de coalition entre le Parti de l’Indépendance (droite) et l’Alliance Social-Démocrate, Haarde, a été acculé à la démission. Une nouvelle alliance, formée par les sociaux-démocrates et les Verts, minoritaires au Parlement, a pris le relais. Les premiers sondages en vue des élections d’avril prochain expriment de façon déformée une importante modification de l’état d’esprit des masses : les Verts sont en tête des intentions de vote, avec 32%, soit le double de leur score aux dernières élections, devant le parti de l’Indépendance avec 21% et l’Alliance Social-Démocrate avec 19%, soit une perte de 22 points au total pour le bloc gouvernemental.

Le cas de l’Islande montre clairement que, étant donné l’ampleur de la crise économique mondiale, aucun gouvernement, même dans les pays les plus riches, traditionnellement plus stables, n’est à l’abri des secousses de la crise et de la mobilisation des masses. De ce point de vue, la chute du gouvernement islandais par la mobilisation continue et déterminée des masses est une victoire importante, quand bien même leur colère s’est tournée à ce stade exclusivement contre les deux partis d’un gouvernement considéré comme « incompétent » et non contre l’État lui-même — ce qui a permis à la bourgeoisie de refermer la crise sans trop de difficultés. En faisant tomber le gouvernement, les travailleurs deviennent plus conscients de leurs propres forces. Au delà de l’Islande, c’est un précédent qui peut contribuer à influencer le mouvement des masses en Europe, même si le fait qu’il s’agisse d’un petit pays et le boycott quasi-complet de ces événements par les médias du gouvernement et du capital contribuent à en réduire l’impact. Enfin, en tout état de cause, le cas islandais confirme l’importance cruciale de la mise en avant d’une alternative politique révolutionnaire pour aider les masses à dépasser l’horizon de la lutte contre un gouvernement particulier et ouvrir la voie à la lutte contre l’État bourgeois et le capitalisme lui-même.

Lettonie : un deuxième gouvernement européen tombe sous le coup de la crise

On aurait tort de penser que l’Islande soit un cas isolé. La profonde internationalisation du capital financier fait que la crise économique, partie des États-Unis, cœur du capitalisme mondial, se propage inéluctablement à l’ensemble des autres pays. C’est maintenant au tour de la Lettonie d’être touchée : son PIB s’est contracté de 10,5% en rythme annuel en janvier et il est prévu une dépression de 15% pour l’année 2009. Cette chute brutale est tout d’abord un rude coup porté au mythe d’un capitalisme assurant le développement économique harmonieux que l’on avait vendu aux travailleurs de ces pays en particulier, après l’effondrement des régimes staliniens. Or la croissance forte connue par la Lettonie reposait sur la recolonisation de l’économie par le capital financier impérialiste et l’imposition de règles correspondant à ses intérêts. Les banques avaient été privatisées et achetées par des banques d’Europe de l’Ouest, le marché financier dérégulé et d’énormes dettes contractées pour financer l’économie. La croissance s’appuyait en large partie sur les exportations, frappées de plein fouet par la crise économique dans les pays impérialistes. Aujourd’hui, c’est précisément ce modèle de développement qui fait de la Lettonie l’un des maillons les plus faibles du capitalisme dans l’Est de l’Europe. Les retraits de capitaux en raison de la crise, la surévaluation du lat (la monnaie lettone) et l’importance de la dette privée rendent le pays particulièrement fragile. Le FMI a dû accorder en urgence un prêt de 9,5 milliards au pays pour lui permettre d’assurer ses remboursements, notamment auprès des banques scandinaves, très engagées dans la région. Mais il a exigé des mesures drastiques en retour : réduction de 40% du budget de l’État, baisse de 25% du salaire des fonctionnaires, fermetures d’hôpitaux et d’écoles, etc. Dans le privé, le chômage croît en flèche et le patronat impose des baisses de salaires en réponse à la chute des exportations. Cela ne pouvait que provoquer une riposte des exploités. À l’appel des partis politiques, syndicats et organisations paysannes, des manifestations de masse ont eu lieu contre le gouvernement à partir de la mi-janvier. Elles ont été durement réprimées par la police. Cependant, l’aggravation de la crise et le maintien d’un puissant mécontentement ont acculé le Premier ministre, Ivars Godmanis, à remettre sa démission.

Or cette chute d’un deuxième gouvernement d’Europe en l’espace d’un mois sous les effets de la crise et de la mobilisation des masses est aussi celle d’un premier gouvernement dans l’UE. Quoique presque ignoré par les médias bourgeois, cet événement peut avoir davantage d’influence sur la situation dans les autres pays de l’UE, à commencer par son impact dans les autres pays baltes, dans les pays scandinaves et dans les maillons faibles du capitalisme en Europe, à savoir les pays d’Europe centrale et de l’Est (Ukraine, Hongrie, Pologne, Roumanie, etc.). C’est une vague de chutes de gouvernements qui menace ces pays. Or une telle instabilité aurait évidemment des répercussions sur les principaux impérialismes de l’UE, non seulement pour des raisons politiques, mais aussi en raison de l’importance de leurs engagements dans ces pays. Leur proposition d’augmenter fortement leur contribution au FMI pour que celui-ci dispose d’un fonds d’intervention de 500 milliards d’euros est la manifestation la plus claire de leur crainte d’une contagion. Cela est d’autant plus vrai qu’il existe d’autres maillons faibles, plus proches encore du cœur de l’UE impérialiste.

Irlande : aggravation de la crise, mobilisation de masses et gouvernement fragilisé

Le Tigre celte : un vrai tigre de papier

L’Irlande était aussi présentée comme l’un des exemples les plus éclatants du miracle du capitalisme « néolibéral » : le pays avait en effet connu plusieurs années de croissances forte, reposant principalement sur le secteur de l’informatique et des nouvelles technologies, ainsi que sur le boom du marché immobilier. C’est la raison pour laquelle l’économie irlandaise est aujourd’hui l’une des premières et des plus affectées par la crise, frappée de plein fouet par le tarissement du crédit. Selon les estimations, le PIB a déjà reculé de 3% en 2008 et l’on s’attend à un effondrement de 6% en 2009. Les principales banques du pays sont au bord de la faillite. Le gouvernement leur est venu massivement en aide, nationalisant de fait l’Anglo Irish Bank et recapitalisant la Bank of Ireland, sans connaître l’ampleur exacte des pertes. Si celles-ci dépassent les 10 à 20 milliards d’euros, ce qui ne peut être exclu, l’État se trouverait dans l’incapacité de les couvrir. La violence de la crise entraîne une brutale hausse du chômage, qui a déjà doublé cette année pour s’élever à plus de 8% de la population active, avec 327 000 demandeurs d’emplois. On attend 150 000 chômeurs de plus en 2009 et 80 000 supplémentaires en 2010. La crise met aussi à mal le budget de l’État. C’est pourquoi le gouvernement prétend imposer une contribution supplémentaire de 7% sur les retraites des fonctionnaires. Il pense pouvoir ainsi opposer les salariés du public à ceux du privé. Cependant, le gouvernement de coalition composé du Fianna Fail, des Verts et des Démocrates progressistes, est d’ores et déjà extrêmement impopulaire, recueillant seulement 16% d’approbation dans les sondages.

La direction de l’ICTU (Irish Congress of Trade Unions), la centrale syndicale unique d’Irlande, pratique depuis plusieurs années une politique de collaboration de classes complète dans le cadre d’un pacte social avec le gouvernement. Elle ne souhaite pas y renoncer, comme le montre son plan en dix points sur la crise, « There is a better, Fairer way » (il y a une voie meilleure, plus juste ), qui parle de « partager » les sacrifices rendus selon elle nécessaires par la crise. C’est d’ailleurs les bureaucrates eux-mêmes qui, lors d’une réunion de concertation, face aux exigences du gouvernement, ont fait la contre-proposition de cette contribution supplémentaire de 7%.

La pression des masses contraint les dirigeants syndicaux à appeler à une manifestation centrale à Dublin

Mais la pression de la base face aux coups du patronat s’est montrée si importante que la direction de l’ICTU a été contrainte d’appeler à une manifestation centrale à Dublin le samedi 21 février : il s’agissait d’éviter un débordement en dehors du cadre qu’elle a fixé. La manifestation a été un véritable raz-de-marée, regroupant 120 000 travailleurs, dont beaucoup du public, mais aussi un nombre significatif du privé. Les slogans que l’on pouvait lire sur les pancartes étaient souvent combatifs : « Que l’on impose des réductions de revenus aux multinationales arnaqueuses ! Ce n’est pas un impôt sur les retraites, mais une réduction de notre salaire ! Que les riches payent la crise ! Pour une grève de 24h ! Les manifestations ne suffisent pas : la grève, maintenant ! » Les travailleurs de Waterford Crystal de Killbary, qui occupent leur usine contre la fermeture (cf. ci-dessus) ont été accueillis triomphalement et ont pris la tête de la manifestation. Les ouvriers de la construction, secteur fortement touché par la crise, étaient aussi nombreux, tout comme les chauffeurs de bus, les enseignants et autres catégories de fonctionnaires. Le CPSU, syndicat du secteur public, a appelé à une grève de 24h le jeudi 26 février. Le syndicat des chauffeurs de bus a appelé à une grève de 24h pour le samedi 28 février contre la menace de 290 licenciements et de retrait de la circulation de 100 bus. Le syndicat des enseignants organise des votes sur les mesures de lutte à effectuer. Dans le même temps, la base commence à s’organiser, notamment parmi les enseignants de Dublin. La mobilisation est ainsi en train de se développer : non seulement les travailleurs ont pu éprouver leur force dans la manifestation massive, mais le gouvernement ne veut rien céder. C’est pourquoi l’ICTU envisage d’appeler le 30 mars à une journée nationale de grève interprofessionnelle. Comme chacun peut le voir, ici comme en France, ce calendrier vise à hacher la mobilisation, au lieu de la développer. Mais les masses s’étant mises en mouvement, il n’est pas certain que la bureaucratie ne soit pas contrainte d’aller plus loin qu’elle ne le voudrait, pour garder le contrôle des luttes.

Or l’enjeu pour la bourgeoisie des différents pays de l’UE est encore plus considérable qu’en Islande ou en Lettonie. La chute du gouvernement irlandais aurait un impact immédiat sur le reste des pays de l’UE, à commencer par le Royaume-Uni. Le gouvernement affaibli est maintenu à bout de bras par la bureaucratie syndicale, dont le rôle clé dans la défense du capitalisme se manifeste partout avec évidence, quoique sous différentes formes.

Dans tous les pays, en s’appuyant sur les luttes immédiates qui vont s’amplifier en réponse à la crise, les révolutionnaires doivent aider les travailleurs à développer, à organiser et à unifier leurs luttes, à déborder les directions des syndicats et les réformistes, en proposant un plan d’action immédiat, pour la grève générale, comme en Guadeloupe et en Martinique. Au-delà, il faut ouvrir une perspective politique claire, c’est-à-dire révolutionnaire, en popularisant l’objectif d’un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs, qui seul pourra satisfaire les revendications de classe ouvrière, en commençant par exproprier les grandes banques et les grandes entreprises et en réorganisant la production sur la base de la satisfaction des besoins humains.


1) Les informations données ici sont tirées notamment de l’article de Lee Sustar, membre de l’ISO (Internationalist Socialist Organization), dans le Socialist Worker du 12 décembre 2008.

2) Informations tirées d’un article publié sur le site du World Socialist Website http://www.wsws.org/de/2008/dez2008/bese-d11.shtml « Belegschaft besetzt Autozulieferer in Hohenlockstedt », par Lucas Adler, 11 décembre 2008.

3) Source : http://socialistworld.net/z/bin/kw.cgi/show?id=3497

4) Source : http://cgtsabadell.blogspot.com/search/label/ACC%20Spain

5) Cf. notre article dans Le CRI des travailleurs n° 34, nov.-déc. 2008, http://groupecri.free.fr/article.php?id=555

6) Informations tirées de la série d’articles sur cette lutte exemplaire publiée dans la LVO, hebdomadaire du PTS.

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