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Mélenchon : ses solutions, et les nôtres

Par Tendance CLAIRE ( 2 mai 2013)
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Après le « choc de compétitivité » n°1 avec le crédit d'impôt de 20 milliards pour les patrons, Hollande annonce le « choc de compétitivité » n°2 avec la baisse de la fiscalité sur les plus-value. Les entrepreneurs « pigeons » bénéficieront d'abattements conséquents afin de récompenser leur « prise de risque ». Chaque ministre crie son amour pour « l’entreprise qui crée de la richesse », et les pigeons roucoulent de plaisir. La palme revient à un patron, cité par Marianne (1), qui s'est adressé à Fleur Pellerin (ministre des PME) en lui disant : « vous êtes ma deuxième maman »… Que c'est touchant !

Et pendant ce temps là, Hollande refuse une quelconque amnistie sociale. Pour le gouvernement, il ne faut rien céder aux travailleurs alors que des attaques de grande ampleur se préparent pour l'automne, avec notamment une nouvelle réforme des retraites. Dans un rapport sur l'évolution des salaires en France (2), l'économiste de gauche « atterré » (3) Askenazy alerte le gouvernement sur une scandaleuse anomalie en Europe : les salaires réels continuent à augmenter en France malgré la crise ! Pour y remédier, il préconise la multiplication des dérogations aux accords de branche, le basculement du financement de la Sécu des cotisations sociales vers les impôts (pour diminuer le « coût » du travail), et l'inflation (ce qui permettra de baisser les salaires réels en « douceur »).

Dans ce contexte, et en réaction à la crise politique et morale ouverte par « l’affaire Cahuzac », Mélenchon appelle le 5 mai à une « marche pour la 6e République ». Ces derniers jours, les grands médias lui ont déroulé le tapis rouge pour faire la publicité de sa manifestation. Au-delà des effets de manche et du talent indiscutable de Mélenchon pour affronter les journalistes et déconstruire leurs discours, il est important d'étudier de près ses solutions (4), qu'il a pu longuement exposer dans l'émission « Des paroles et des actes » (5) du jeudi 25 avril.

Dans la majorité ou dans l'opposition ?

Mélenchon est très clair : « Pas un député PS n'avait été élu sans les voix du Front de gauche, et pas un des députés du Front de gauche ne l'avait été sans le PS (…) Cette majorité a été élue sur un programme et François Hollande a déplacé le curseur vers la droite, vers les solfériniens (…) Je veux qu'on change le centre de gravité, qu'on applique une autre politique »

Mélenchon ne cesse de supplier Hollande de le nommer premier ministre, et il est même prêt à négocier un maroquin ministériel : « Si c'est Montebourg le Premier ministre, le Front de gauche ira parler. On ira regarder si c'est possible [d"entrer au gouvernement] » (Émission C Politique du 14 avril). Après tout, il faut se souvenir que Mélenchon a été ministre de Jospin. Il n'a pas moufeté quand celui-ci a servi bien gentiment les intérêts du patronat, a privatisé plus que Balladur et Juppé réunis, ou est intervenu en Afghanistan. Et il a lui-même mis en œuvre des contre-réformes comme ministre de l’enseignement professionnel, avec notamment la mise en place des « lycées de métiers » dont rêvait le Medef (6).

Exproprier les grands groupes capitalistes ou respecter la propriété privée ?

Le journaliste François Lenglet n'a cessé de relancer Mélenchon : « Monsieur Mélenchon, si vous étiez premier ministre que feriez-vous pour PSA ? ». Mélenchon a beau s'agiter... il n'a rien de concret à proposer aux salariés de PSA. Exaspéré, il a fini par sortir : « Vous aviez bien dit que j'étais nommé premier ministre, pas patron de PSA ». Autrement dit, pas question d'exproprier PSA et d'interdire les licenciements ! Mais Mélenchon a une baguette magique : la « relance » ! Il nous a expliqué que la hausse des salaires permettrait d'augmenter la consommation, donc la production, donc l'emploi ! Et hop, plus de licenciement !

Le problème est que cela ne marche pas, et Mélenchon est bien placé pour le savoir : son idole, Mitterrand, élu sur la base d'un programme bien plus radical que le sien, a mis en place une politique de relance en 1981. Quelques mois plus tard, c'était le tournant de l'austérité pour une raison simple : les résultats étaient catastrophiques : chute de l'investissement, augmentation du déficit commercial, etc. En effet, les capitalistes produisent d'autant plus que le taux de profit est élevé. Il est donc totalement illusoire de croire qu'on pourra sortir de la crise, revenir au plein emploi, en augmentant les salaires ou les dépenses publiques tout en laissant le pouvoir économique entre les mains des capitalistes ! Tous les populistes qui ont promis la relance (et Papandréou en Grèce l'avait promis en se faisant élire en 2009 !) ont mis en place l'austérité. Parce que dans le cadre du capitalisme et en période de crise, il n'y a qu'une seule politique possible : l'austérité.

La seule alternative est la rupture avec le capitalisme, c'est-à-dire l'expropriation des grands groupes capitalistes, et la planification démocratique de l'économie. C'est uniquement si les travailleurs contrôlent les moyens de production qu'ils pourront les utiliser (tout en transformant en profondeur l'organisation du travail) pour satisfaire les besoins sociaux. Sinon, les capitalistes continueront à produire en fonction de la rentabilité de leurs investissements, et toutes les mesures keynésiennes qui nuisent à leurs profits ne feraient qu'approfondir la crise. Contrairement aux belles histoires que nous racontent les populistes, il n'y a pas de remède miracle à l'intérieur du capitalisme.

Annuler la dette ou la rembourser grâce à l'inflation ?

Pour Mélenchon, il n'est pas question d'annuler la dette. Il est en effet conscient que l'annulation de la dette publique mettrait à bas les grandes entreprises capitalistes. Mais il a une solution « miracle » : l'inflation, qui permet d'alléger le fardeau de la dette. C'est vrai, sauf que l'inflation revient à faire payer la dette aux travailleurs d'une autre façon, en diminuant le pouvoir d'achat de leurs salaires. Mélenchon nous loue les vertus « sociales » de l'inflation. Mais les keynésiens honnêtes (et Keynes lui-même) reconnaissent que l'inflation permet de diminuer les salaires réels. La « planche à billets » n'est pas un remède miracle : elle ne peut qu'alimenter l'inflation financière (et les bulles financières finissent par éclater comme on l'a vu en 2007) ou l'inflation réelle (la hausse des prix des biens et services), mais elle ne peut pas relancer la production, qui dépend fondamentalement du taux de profit.

Une vraie politique de rupture passe par une annulation de la dette publique, une indemnisation des petits épargnants et une spoliation des capitalistes. Cela est possible que si l'ensemble du système économique est réorganisé : monopole public bancaire, liquidation du capital fictif (les titres financiers), fermeture des marchés financiers, expropriation des grands groupes capitalistes et relance de la production sous contrôle des travailleurs.

Négocier avec Merkel ou rompre avec l'UE ?

Mélenchon est notre sauveur tout puissant : aussitôt nommé premier ministre par Hollande, il réussira à imposer à toute l'Europe sa politique : fini l'austérité ! La BCE sera mise au pas ! Les traités seront réécrits selon les desiderata de Mélenchon ! Qui peut croire à une telle fable ? Et pourquoi son maître, Mitterrand, a-t-il du se plier aux exigences du Système monétaire européen en 1983 ? Aurait-il manqué de volonté ?

En fait, Mélenchon devrait faire le même choix que Mitterrand : soit rompre avec l'UE pour essayer de mettre en œuvre sa politique antilibérale (s’il fait semblant d'y croire un minimum...), soit se couler dans le moule des institutions et des traités européens. En renonçant à poser honnêtement les termes de l'alternative, et en jouant les gros bras face à Merkel, Mélenchon prend les travailleurs pour des imbéciles. En refusant de rompre avec l'UE, Mélenchon révèle toute son inconséquence. Non seulement son programme antilibéral ne permet pas de sortir de la crise, mais en plus il aurait beau jeu, s’il arrivait au pouvoir, de s’abriter hypocritement derrière la contrainte européenne (comme Mitterrand jadis) pour renoncer à le mettre en œuvre.

Un gouvernement des travailleurs en rupture avec le capitalisme devrait bien évidemment rompre avec l'UE et sa monnaie. Une nouvelle monnaie devrait être créée, inconvertible sur les marchés financiers, émise et contrôlée par les travailleurs en fonction de ce qui est produit. Le nouvel État devrait établir un monopole du commerce extérieur (un contrôle strict des flux commerciaux avec le monde capitaliste), sous peine de se soumettre à la loi du marché et de tuer dans l’œuf le processus révolutionnaire. Il ne s'agit évidemment pas de théoriser l'autarcie, mais un État ouvrier devrait contrôler ses frontières, et tout faire pour étendre le processus révolutionnaire, car le socialisme dans un seul pays est condamné à dépérir.

Soutenir ou s'opposer à l'impérialisme français ?

Admirateur du marchand de mort Dassault (qui ne fait visiblement pas partie de sa liste de « salopards »), Mélenchon est un soutien sans faille de l'impérialisme français. Il a soutenu l'expédition libyenne de Sarkozy. Et il refuse de s'opposer à la guerre au Mali. Selon Mélenchon, « les armées ont fait un travail parfait ». Quel cynisme ! Il est très probable que la France utilise des armes à uranium appauvri, qui ont des effets néfastes et de très longue durée, par la contamination des zones impactées. Mais Mélenchon ne s'en soucie guère. Ce qui le turlupine (et c'est ce qui a justifié l'abstention des députés du Front de gauche), c'est que l'expédition au Mali n'a pas été avalisée en bonne et due forme par l'ONU. Car pour Mélenchon, l'ONU, cette instance de concertation inter-impérialiste, est l'instance légitime pour décider du sort des peuples. La glorieuse ONU, qui a ordonné l'attaque de l'Irak en 1991, puis l'infâme embargo pendant 12 ans, causant des centaines de milliers de morts, est la référence de Mélenchon…

Manifester pour la 6e République avec Mélenchon ?

Notre désaccord avec Mélenchon est profond. Le problème n'est pas que Mélenchon serait « 80% » à gauche alors que nous serions « 100% » à gauche. Les solutions antilibérales sont une impasse complète pour les travailleurs, et il est hors de question pour nous de défendre ce « programme minimum » avec Mélenchon. Notre programme anticapitaliste et révolutionnaire n'est pas un « programme maximum ». C'est un programme concret de rupture avec le capitalisme, qui est la seule alternative aux politiques d'austérité menées par tous les gouvernements de gauche et de droite qui agissent dans le cadre du capitalisme.

Même si elle ne sera pas perçue exactement comme telle par tous, la manifestation du 5 mai, appelée par Mélenchon, n'est pas en opposition au gouvernement et centrée sur le combat contre ses attaques. C'est une manifestation qui vise à promouvoir les solutions antilibérales et institutionnelles du Front de gauche. C'est une manifestation dont le cadre est fixé par l’exigence d’une 6e République, qui, malgré quelques réformettes démocratiques, resterait, comme la 6e République, bourgeoise et anti-ouvrière. C'est pourquoi, comme beaucoup de camarades du NPA, nous ne manifesterons pas avec le Front de gauche le 5 mai, alors que nous avons manifesté avec lui, par exemple, contre le TSCG à l'automne dernier.

Nous déplorons que, malgré le combat que nous avons mené au comité exécutif, la majorité de la direction du NPA n’ait pas eu le courage politique d'un positionnement clair et lisible par tous. Ce n'est pas en se mettant à la remorque de Mélenchon, en refusant d'opposer clairement une alternative anticapitaliste et révolutionnaire aux remèdes illusoires de Mélenchon, que nous construirons le NPA comme un outil utile aux combats de notre classe pour son émancipation.

Dès aujourd’hui, notre priorité est au combat contre les licenciements et les attaques du gouvernement. Il est décisif de s’organiser aujourd’hui dans les syndicats pour imposer la rupture de nos organisations avec le gouvernement. Il faut en finir avec le « dialogue social ». Pour éviter que l’histoire ne se répète, que les réformistes réussissent à canaliser les mobilisations, nous baladent avec leurs journées d’action, et nous entraînent à la défaite (comme en 2010), le NPA doit s’adresser à tous les travailleurs révoltés, se confronter aux réformistes, et prendre des initiatives pour faire émerger un pôle alternatif à la politique des bureaucraties syndicales et du Front de gauche.


1) http://www.marianne.net/Entre-Hollande-et-les-pigeons-ca-roucoule%C2%A0_a228533.html

2) http://www.cae.gouv.fr/IMG/pdf/CAE-note005.pdf

3) Askenazy est membre du collectif des « économistes atterrés » (http://www.atterres.org/) qui rassemblent des économistes (prétendument) opposés au néolibéralisme et aux politiques d’austérité.

4) Nous renvoyons, pour une analyse plus complète, à notre article d'avril 2012 intitulé « Mélenchon : un sauveur pour les travailleurs ? », http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=343

5) http://www.dailymotion.com/video/xzc4v3_jean-luc-melenchon-a-des-paroles-et-des-actes-le-25-041-2013_news#.UYDTaW_IZyU

6) On pourra se reporter à l’excellent article d’Yves Bonin dans Carré rouge : « Lycée des métiers : Mélenchon réalise vieux rêve du MEDEF » (http://www.carre-rouge.org/Numeros/N20/47.pdf

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