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      Les « profits exorbitants » sont-ils à l’origine de la crise ?

      Par Tendance CLAIRE (18 mars 2011)
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      Dans le tract national du NPA du 8 mars 2011, on retrouvait, de façon lapidaire, cette formule choc qui figurait déjà (sous une formulation légèrement différente (1)) dans le texte « Nos réponses à la crise », commun aux positions 1 et 3, et adopté par notre congrès national : « Ce sont les profits exorbitants, confisquant une part toujours plus importante de la richesse produite, qui sont à l’origine de la crise ». La formule claque bien, mais que doit-on réellement en penser ?

      Dans le cadre de l’économie capitaliste, il n’y a pas de croissance élevée possible sans taux de profit élevé

      Le circuit du capital ou processus de reproduction du capital peut s’écrire (A – M … P … M’ – A’) avec A le capital sous la forme argent, M le capital sous la forme marchandise et P le capital sous la forme productive. Il comprend :

      • la phase d’achat des moyens de production et de la force de travail : A – M.
      • la phase où les marchandises sont produites : M ... P … M’. Au cours du processus productif, la plus-value est créée par les forces de travail et elle correspond à la différence entre la valeur M’ des nouvelles marchandises produites et la valeur M du capital avancé
      • la phase de vente des marchandises produites : M – A’.

      La plus-value (M’-M sous sa forme marchandise ou A’-A sous sa forme argent) est :

      • soit accumulée (ou consommée de façon productive), permettant aux capitalistes de commencer un nouveau cycle avec davantage de capital, en achetant des moyens de production et des forces de travail supplémentaires (à qui il faudra fournir des biens de consommation supplémentaires) ;
      • soit distribuée (ou consommée de façon improductive) aux capitalistes pour leur consommation personnelle.

      Ainsi, il ne peut pas y avoir une accumulation à un rythme élevé si le taux de profit est faible. Un taux de profit élevé est une condition nécessaire pour une croissance forte et d’importantes créations d’emplois. Il est ainsi complètement absurde d’opposer le rétablissement de la rentabilité et l’emploi, comme le fait par exemple Michel Husson (2). Lorsque l’accumulation du capital n’est pas rentable, les capitalistes ne peuvent pas créer d’emplois : bien au contraire, le rétablissement de leur taux de profit passe par des licenciements ! Une forte rentabilité est une condition nécessaire (bien que non suffisante) à une croissance élevée, qui est elle-même une condition nécessaire (bien que non suffisante) pour que des emplois soient créés (3).

      Alors que les keynésiens s’appuient sur la forte croissance des Trente Glorieuses pour nous expliquer que celle-ci était due à la forte progression des salaires, c’est l’inverse qui est vrai : c’est parce que les conditions structurelles d’une rentabilité forte avaient été rétablies (suite à la destruction massive de capital provoquée par la seconde guerre mondiale) que la croissance a été forte et que les hausses de salaires ont pu être financées tout en maintenant un taux de profit élevé. Et c’est la baisse du taux de profit, due aux contradictions internes du mode de production capitaliste, qui a plongé dans les années 1970 les économies impérialistes dans une situation dont elles ne sont pas sorties, oscillant entre croissance artificielle alimentée par des bulles et crise.

      Augmenter les salaires et l’investissement et baisser les dividendes : l’équation magique des réformistes

      Les réformistes sont cependant obligés de convenir qu’il ne peut pas y avoir de croissance forte sans profit, puisque l’accumulation a pour unique source le profit réalisé à la période précédente. Le raisonnement est alors le suivant : si on augmente les salaires, la masse des profits va certes baisser, mais il est possible de maintenir (voire d’augmenter) l’investissement (la partie de la plus-value qui est accumulée) à condition de baisser suffisamment les versements de dividendes (la partie de la plus-value qui est dépensée par les capitalistes pour leur consommation personnelle) (4). Pour Michel Husson, par exemple, « imposer le capital, par exemple, serait une mesure économiquement viable : on pourrait dégonfler les dividendes stériles sans peser sur l’investissement ni même grever la sacro-sainte compétitivité. » (5) Magique ?

      Mais le problème de ce raisonnement est qu’il est purement comptable et qu’il ne tient pas compte du mode de fonctionnement de l’économie capitaliste. En effet, les capitalistes ne font pas ce qu’ils veulent : s’ils se mettaient à dépenser tout leur profit pour leur consommation personnelle, ils se mettraient en grande difficulté. En effet, un capitaliste doit investir pour augmenter le taux de plus-value (en abaissant la valeur de la force de travail) et pour rester compétitif par rapport à ses concurrents. La part de la plus-value qui est accumulée et la part de la plus-value qui est dépensée ne relèvent donc pas du libre choix de chaque capitaliste, mais résultent des lois du système qui s’imposent à lui.

      Il est totalement utopique de croire que l’État bourgeois pourrait contraindre les capitalistes à maintenir leurs investissements (et donc à soutenir la croissance) tout en les spoliant de leurs dividendes. En effet, les capitalistes décident d’investir (en moyens de production et forces de travail supplémentaires) en fonction de la rentabilité anticipée de ces investissements. Si le taux de profit baisse, ils investiront moins ou ils investiront ailleurs. Cela ne pourrait se passer autrement que si les capitalistes étaient dépossédés de leur pouvoir d’investir par une autre classe sociale qui prendrait en main la direction de la production, c’est-à-dire à condition de sortir du mode de production capitaliste.

      Un débat théorique sans enjeu politique ?

      Husson affirme : « Les raisons pour lesquelles nous critiquons tous ce système ne dépendent pas de l’évolution (à la hausse ou à la baisse) du taux de profit. » (6) On ne peut qu’être d’accord ! Mais derrière cette évidence, Husson distille l’idée que cette question théorique ne serait qu’un pur débat d’intellectuels sans conséquence politique. Penser le contraire relèverait du procès d’intention et Husson ose la comparaison suivante :

      « Le point de vue adopté sur l’évolution du taux de profit n’a aucune implication politique bien qu’il soit très tentant d’établir des liens. Par exemple, ceux qui disent que la baisse de la part des salaires est une cause fondamentale de la crise se voient accusés de keynésianisme ou de "sous-consommationnisme". S’ils disent que les salaires sont trop bas, ils sont accusés de vouloir une reprise tirée par les salaires qui sauverait le capitalisme. Après tout, cette forme de rhétorique est réversible : ceux qui pensent que la cause principale de la crise est la baisse du taux de profit pourrait être accusés d’être sournoisement pour une baisse des salaires afin de rétablir les profits » (7)

      Le parallèle est fallacieux. En effet, pour ceux qui se placent du côté des intérêts du prolétariat, les deux analyses ont des implications diamétralement opposées :

      • Soit la crise est due aux salaires trop bas et dans ce cas la défense des intérêts des travailleurs (via une augmentation générale des salaires) est non seulement compatible, mais bénéfique à la bonne santé du système capitaliste. Cela signifierait que le projet politique des réformistes, qui est de faire croire qu’on peut mettre le système et ses institutions au service de l’ensemble de la population, n’est pas une escroquerie ;
      • Soit la crise est due à la suraccumulation de capital, c’est-à-dire à l’insuffisance des profits par rapport à la masse de capital investi, et dans ce cas tout ce que pourrait arracher les travailleurs ne ferait qu’accroître la crise du système et serait donc repris par les capitalistes à plus ou moins court terme. Toute défense réelle des intérêts du prolétariat impliquerait donc d’en finir avec le capitalisme et seuls les anticapitalistes révolutionnaires seraient des défenseurs conséquents des intérêts du prolétariat.

      Les enjeux politiques sont donc fondamentaux et il est absurde de vouloir les nier, au nom d’une séparation entre le champ de l’analyse et le champ de la politique.

      C’est donc un enjeu central que les camarades du NPA s’arment d’une analyse marxiste de la crise, afin de se donner les moyens de convaincre les travailleurs de l’imposture antilibérale et d’asseoir notre projet politique anticapitaliste sur des bases solides.


      1) « Ce sont les profits exorbitants, confisquant une part toujours plus importante de la richesse produite, qui sont à l’origine de la spéculation et de la crise financière. La meilleure façon de réduire les profits, c’est d’augmenter la part des salaires »

      2) Michel Husson, « Où va la crise ? », International Viewpoint, mars 2011, http://hussonet.free.fr/ozlem11.pdf

      3) Non suffisante, car si la forte croissance est « mangée » par les gains de productivité, alors le volume de travail n’augmente pas. Il faut donc que les gains de productivité soient moins élevés que la croissance pour que le volume de travail augmente. Dans le cas où le volume de travail n’augmente pas, des emplois peuvent cependant être créés si la durée du travail par emploi diminue. Husson l’explique d’ailleurs très bien dans un texte récent : http://hussonet.free.fr/dempru11.pdf

      4) On fait ici l’hypothèse simplificatrice que les dividendes = plus-value dépensée, alors qu’une partie des dividendes des actionnaires d’une entreprise est placée sur les marchés financiers et finance l’investissement d’autres entreprises.

      5) Michel Husson, « Euro-stratégie : une esquisse » (décembre 2010) : http://hussonet.free.fr/strategir.pdf

      6) Michel Husson, « Où va la crise ? »

      7) Michel Husson, « Où va la crise ? »

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